Un Champion chez les p’tits

Le numéro 23 de Sclessin a offert sa joie et sa classe à des joueurs de provinciales conquis par sa présence chez eux.

« Je me suis pincé : quand je l’ai vu entrer dans notre petit vestiaire, j’ai cru que c’était le sosie de Milan Jovanovic « , lance un jeune joueur d’Herstal.  » Puis je me suis rendu compte en l’écoutant prononcer ses premiers mots que c’était vraiment lui. Je n’ai qu’un mot pour résumer mon sentiment : génial. « 

Un autre abonde dans le même sens :  » C’est une immense surprise et c’est chouette qu’il accepte ensuite de taquiner quelques ballons avec des amateurs. Pour nous, ce sont des moments inoubliables qui prouvent que le football est une grande famille. Je l’admirais déjà comme joueur et j’ai la chance désormais de connaître l’homme, sympa, disponible, patient, passionné et fier de ce qu’il vit au Standard. « 

Herstal fait partie de ce qu’on appelle parfois le  » football d’en bas  » mais le bonheur de partager un projet y est aussi beau qu’en D1. L’élite est loin mais le monde amateur véhicule des valeurs comme l’amitié, le bénévolat, le partage, l’estime qu’on propose à son équipier après une longue journée de travail. C’est la base de la pyramide sans laquelle le football n’existerait même pas. Les habitants d’Herstal suivent deux équipes en P2B liégeoise (AS et JSM) qui fusionneront la saison prochaine. En accord avec les présidents et les coaches des deux clubs (qui s’uniront sous l’appellation FC Herstal la saison prochaine), la venue de la star du Standard avait été tenue secrète.

Au programme : rencontre avec les gars de l’AS et de la JSM dans le vestiaire des installations du beau complexe sportif de la rue Emile Muraille, petit entraînement et, en guise de bouquet final d’un début de soirée inoubliable, une longue conversation entre Milan et ses admirateurs. Les joueurs d’Herstal ont posé les questions, Jova a répondu, Sport/Foot Magazine a noté. Allez-y les gars, première question…

Où jouerez-vous la saison prochaine ?

Milan Jovanovic : Franchement, je ne sais pas. La presse cite des tas de possibilités, plus spécialement dans le sud de l’Europe. J’ai 28 ans, je dois songer à mon avenir mais je ne trancherai pas maintenant. Il y a des choses plus urgentes sur le feu. Le Standard est engagé dans la lutte pour le titre. Je tiens à signer un doublé car cette génération marquerait alors pour de bon la légende du Standard. Au terme de la saison, j’ai encore deux rendez-vous avec l’équipe nationale de Serbie, chez nous face à l’Autriche le 6 juin et aux Iles Féroé quatre jours plus tard. C’est le moment de confirmer notre présence en tête du Groupe 6 dans le cadre des matches de qualification pour le Mondial 2010. Je prendrai ma décision à la mi-juin mais il faut savoir que j’ai encore un an de contrat au Standard.

Si vous pouviez choisir un grand club européen de rêve pour la suite de votre carrière, lequel retiendriez-vous ?

Barcelone. A la mi-temps de Barça-Bayern Munich, j’étais ébahi. C’était un spectacle grandiose où le jeu développé est un art d’une beauté inouïe. Tous les footballeurs rêvent de jouer, même une minute, dans un tel contexte. Lionel Messi est un extra-terrestre parmi une armada de génies. J’ai considéré jusqu’à présent que Diego Maradona était le plus grand footballeur de tous les temps. A mon avis, Messi est désormais meilleur que Maradona. Je suis réaliste : même si on me cite en Espagne, c’était un choix de rêve, mais on ne sait jamais. J’avais bien été très proche d’un accord avec le Real qui voulait me louer jusqu’en fin de saison.

 » Sans ballon, de Camargo est le plus rapide au Standard « 

Avec quel attaquant du Barça aimeriez-vous jouer au… Standard ?

Samuel Eto’o. Mais je l’alignerai en pointe avec Dieumerci Mbokani et je me décalerais sur la gauche. Ce serait extra, rien que du bonheur, vous l’imaginez bien. Prester à gauche avec un ou deux attaquants, c’est totalement différent. Les espaces sont occupés différemment. En équipe nationale serbe, j’ai Nikola Zigic, Marko Pantelic ou Danko Lazovic devant moi. Au Standard, quand je suis à gauche, je dois reculer plus profondément et je n’ai que Dieumerci devant moi, c’est totalement différent.

Justement, en D1 : préférez-vous évoluer en pointe ou à gauche ?

Devant, devant. Mais je me dois d’abord d’accomplir les missions que le coach me confie. Il faut être clair : comme Michel Preud’homme, Laszlo Bölöni est un génie tactique. Il a trouvé une occupation du terrain qui a fait fureur en coupe d’Europe. Des géants ont tremblé contre le Standard : ce n’est pas rien. Mais, en D1, si on avait tout le temps présenté deux attaquants, le Standard aurait 10 points d’avance et le championnat serait plié. A mon avis, le coach s’est dit qu’on jouait ici comme en France. C’est différent, engagé et tout peut se jouer en une fraction de seconde, un geste, une feinte. Compte tenu de cela, je préfère un poste plus avancé car la distance qui me sépare du but adverse est plus réduite. En pointe, j’ai marqué beaucoup de buts. Mon total est moins élevé cette saison car j’ai souvent été éloigné de la zone de vérité.

Travaillez-vous beaucoup votre pointe de vitesse ?

Non, pas spécialement. Sans ballon, et sur les longs déboulés, je vais vous étonner : Igor de Camargo est le plus rapide au Standard. Balle au pied, c’est moi et j’adore les efforts assez brefs, 20 ou 30 mètres. Je suis un joueur de ruptures et quand on détient de telles spécificités, il faut être au top physiquement. Retenez bien ceci : il faut toujours bosser et bosser encore. A près de 36 ans, Alessandro Del Piero est plus complet qu’il y a 10 ans. Ce joueur ne cesse de remettre l’ouvrage sur le métier car on n’atteint jamais la perfection. Quand on perfectionne sans cesse depuis plus de 20 ans, on avance. Celui qui ne se donne plus à fond régresse.

Mbokani peut-il atteindre le top européen ?

Oui, sans hésitation : il peut déjà jouer dans n’importe quelle hyper grande équipe européenne. Oui, je parle du Barça, de Chelsea, de Liverpool, de Manchester United. Il réussira n’importe où à ce niveau. Dieu est un phénomène qui n’est jamais en difficulté, dribble sans problème, frappe, marque, etc. C’est très chouette de combiner avec lui car il a le jeu dans la peau. Je n’ai jamais caché mon admiration pour lui. Actuellement, on ne fait en tout cas pas mieux en Belgique.

Votre incident avec Mbokani est-il oublié ?

Tout à fait, cela n’a jamais écorné notre estime mutuelle. Dieu traversait une période bizarre. Son modeste classement au Soulier d’Or était un scandale et cela l’a quand même déstabilisé. A mon avis, il s’est dit : – Si on ne pense pas à moi, je ne pense pas aux autres. Il n’avait pas encore compris que le Soulier d’Or, c’est du show. Sur le terrain, il devait me servir au lieu de gaspiller un ballon de but. Je sais qu’un buteur doit tenter sa chance mais là… c’était impossible et j’étais bien placé. A mon avis, cela a réveillé l’équipe : on discuté, on s’est remis en route. On a dit que je l’avais joué solo. Excusez-moi, cela a bien tourné mais, la saison passée, j’ai pris de gros risques avec ma santé pour le Standard. J’ai reporté mon opération aux adducteurs jusqu’en fin de championnat. J’ai été récemment malade. Le Standard m’a bien soigné mais je suis revenu plus vite que prévu car j’aime ce club.

 » Deschacht est l’arrière qui me pose le plus de problème « 

Axel Witsel méritait-il le Soulier d’Or ?

Son talent est immense et il ira très, très, très haut. Axel réalisera probablement la plus belle carrière des joueurs actuels du Standard. Mais le Soulier d’Or récompense quoi ? Au Standard, j’ai largement participé à la conquête du titre et j’ai bien négocié plusieurs matches européens. Au vu de cela, deux joueurs du Standard méritaient le plus cet or : Mbokani et moi. Si Dieumerci l’avait emporté, j’aurais été le premier à le féliciter : il était mon favori. A mon avis, le monde du football voulait couronner un espoir d’ici, une promesse et je peux le comprendre. En Serbie, on aurait fait la même chose et j’aurais gagné ce trophée. Je préfère l’élection du Footballeur pro de l’année. Il y a moins de paillettes, c’est un choix purement football. J’ai gagné la saison passée et j’espère que les joueurs éliront Mbokani cette fois-ci.

Le Standard a-t-il eu tort de séparer de Dante ?

Oui. Dante était important. Mais je dois dire que Landry Mulemo grandit à cette place. Il n’atteint pas encore le niveau de Dante mais il s’en rapproche de plus en plus.

Pourquoi Bolat a-t-il pris la place d’Espinoza ?

Je ne me mêle évidemment pas du travail du coach. C’est son choix mais quand un gardien est écarté sans avoir démérité, tout le monde suppose qu’il y a des raisons extra-sportives. Il n’a pas prolongé son contrat et cela a probablement pesé. Mais c’est une question à poser au coach.

Plongerez-vous dans la Meuse si le Standard garde son titre ?

Non, non…

Quels sont vos meilleurs amis dans l’effectif ?

J’en ai beaucoup. Je ne vais pas les citer, c’est personnel, pas pour la presse.

Quel est l’arrière de D1 qui vous pose le plus de problèmes ?

Olivier Deschacht. Je vous étonne peut-être mais l’arrière d’Anderlecht est un battant, un arrière qui ne lâche pas son os, embête l’attaquant qu’il marque à la culotte. Deschacht est une des arrières les plus sous-estimés de Belgique.

Qui sera champion ?

C’est du 50-50 mais le Standard a le plus belle équipe. Quand le moteur tourne à plein régime, notre football est plus moderne, plus technique et plus varié que celui d’Anderlecht. Attention, je ne néglige pas du tout les atouts des Bruxellois. On a la meilleure équipe mais ils peuvent compter sur Mbark Boussoufa.

Que pensez-vous de l’ambiance créée par les supporters à Sclessin ?

Ils sont uniques en Belgique et j’adore communier avec eux. Ils sont positifs et nous offrent leur énergie. Ce public est une richesse, un vrai 12e homme que d’autres n’ont pas. C’est un élément qui peut faire la différence.

Que pensez-vous de Digao, le frère de Kaka qui joue au Standard ?

Il a du talent mais vient à peine de revenir et je n’ai pas assez d’éléments pour répondre objectivement à la question.

 » Même Vidic me parle de Dembélé « 

Que retenez-vous de la phase litigieuse qui entraîne l’exclusion de Didier Dheedene du Germinal Beerschot et n’auriez-vous pas dû vous excuser auprès de l’arbitre ?

Il faut revoir le film de toute la phase. Je me suis présenté face à Dheedene après un raid de 60 m. A cet instant, j’avais perdu le rythme de ma foulée. Je me cherchais un peu et je me suis précipité sur l’Anversois. Moi, j’ai senti quelque chose mais tout se passait derrière moi. Quand je me suis relevé, j’ignorais que Dheedene s’était retiré et que j’étais tombé seul. J’étais persuadé qu’il y avait une faute. J’ai vu les images en rentrant au vestiaire : Dheedene n’y est pour rien. Je me suis immédiatement excusé auprès du joueur. Je méritais la carte jaune. Si l’Union belge le veut, j’accepte une carte jaune si Dheedene est innocenté. Quant à l’arbitre, je trouve qu’on a été excessif à son égard. Il se passe tellement de choses plus graves sur un terrain et dont on ne parle jamais.

Etes-vous pour l’utilisation de la vidéo pour aider les arbitres ?

Oui, tout à fait : je suis pour l’usage de la vidéo par les arbitres. Je ne comprends pas les hésitations. Tout va de plus en plus vite et les arbitres ne peuvent pas tout voir.

Pourquoi portez-vous le numéro 23 ?

C’est le hasard : c’était un des numéros disponibles quand je suis arrivé au Standard.

Avez-vous déjà été aussi émacié ?

Peut-être pas : j’avais perdu 6 kg lors de ma grippe carabinée. J’en ai repris 3 et je pèse 76 kg pour 1,83 m.

La Belgique a-t-elle bien fait de défenestrer le coach des Diables Rouges ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Je connais les résultats de l’équipe nationale belge et cela m’attriste mais j’ignore les secrets de la cuisine interne. Tout le monde porte probablement sa part de responsabilités : les joueurs, le coach mais aussi la presse. La presse belge a trop vite encensé ses joueurs qui ont cru tous les compliments. Quand il a fallu gagner les matches décisifs contre la Bosnie-Herzégovine, ils n’ont pas répondu présents : or, c’était le moment de prouver leur valeur. Le blabla, ça ne compte pas. Il y a du talent et je songe d’abord à mes équipiers : Steven Defour ou Axel Witsel. Quand je suis à l’étranger, on me parle surtout d’une future grande star belge : Moussa Dembélé. Même Nemanja Vidic de Manchester United le cite avec le plus grand respect. Il s’intéresse aussi à Marouane Fellaini ou à Vincent Kompany mais cela en reste là. Et c’est pour cela qu’il est regrettable que la Belgique sera plus que probablement écartée de l’Afrique du Sud : les jeunes ont besoin de grands tournois.

La Serbie a eu un coach étranger avant Radomir Antic : est-ce que cela a été important pour vous ?

Tout à fait : Antic est un très grand coach qui a bossé entre autres au Real, au Barça et à l’Atletico Madrid. Il connaît la musique, a composé un groupe de 20 bons joueurs et a créé une ambiance de feu. Je donnerais tout pour lui. Mais je n’oublie pas Javier Clemente qui était aussi proche de ses joueurs. C’est lui qui est venu me chercher au Standard pour m’offrir mes premières sélections. Sans le regard neuf et neutre d’un coach étranger, je ne serais peut-être pas international.

par pierre bilic photos : reporters/ gouverneur

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire