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 » UN CENTIMÈTRE PLUS BAS, ET J’ÉTAIS SOURD « 

Le 10 avril, Karim Essikal est resté un moment inconscient après sa terrible collision avec Kara Mbodj. Près de cinq mois plus tard, le Bruxellois se remet doucement de cet accident qui a failli lui faire perdre l’ouïe du côté droit.

L’image a fait le buzz : après un choc frontal avec Kara Mbodj, la tête de Karim Essikal avait quasiment vacillé au printemps passé. Du football, il n’allait plus être question pour lui jusqu’à la fin de la saison. Interdit de sortie pendant un mois, le jeune défenseur de 20 ans en a bavé.

 » Psychologiquement, c’était très dur à supporter « , dit-il.  » Fin mai, alors que mes coéquipiers étaient en vacances, j’ai enfin pu entamer ma rééducation. Chaque matin, je rendais visite à un kiné qui m’aidait à retrouver mon équilibre. Grâce à des exercices très simples : se tenir debout sur une jambe, par exemple.

Pour la plupart des gens, ça ne pose aucun problème. Mais lors de la campagne de préparation avec le Essevee, je me suis quand même tordu la cheville, un beau jour, à l’entraînement. En perdant mon équilibre, précisément. « .

Tu as participé à tous les matches amicaux avec Zulte Waregem. Sans hantise ?

KARIM ESSIKAL : Au début, je n’osais pas aller à fond dans les duels. Au moment de sauter, je réfléchissais trop, alors qu’il faut y aller sans calculer. Je balançais trop mes bras, aussi. Inconsciemment, c’était une manière de me protéger. Cette appréhension s’est heureusement atténuée avec le temps. Pour accélérer le processus de guérison, je reprenais des ballons de la tête, après l’entraînement, en compagnie du deuxième assistant.

De cette collision avec Kara Mbodj, que te remémores-tu ?

ESSIKAL : De tout… Je me revois encore, dans la première zone, prêt à reprendre le ballon de la tête. Je n’avais personne dans mon champ de vision. Et, subitement, une force énorme m’a propulsé au sol. A ce moment-là, je n’avais aucune idée de ce qu’il s’était passé, de qui m’avait bousculé. J’étais encore conscient, mais je n’entendais plus rien de l’oreille droite. Mon premier réflexe a été de vouloir me lever, mais j’avais la tête qui tournait, alors je me suis rallongé au sol. Je voyais les médecins et les kinés autour de moi, j’ai aussi entendu le public applaudir au moment où j’ai quitté le terrain. Dans le vestiaire, j’ai encore essayé de me tenir debout, mais je ne parvenais pas à retrouver mon équilibre. C’est alors que je me suis rendu compte que ce n’était pas normal.

HURLEMENTS DE DOULEUR

Tu as dormi, la première nuit ?

ESSIKAL : Pas beaucoup. A l’hôpital, on m’a directement placé un baxter. Malgré des soins intensifs, je continuais à souffrir. J’avais mal de tête et toutes les deux heures, je devais vomir. A mes côtés, dans la chambre, se trouvait une vieille dame qui hurlait de douleur. Ses cris me glaçaient le sang. Lorsqu’on voit une personne souffrir autant, on parvient facilement à relativiser sa propre douleur. Et puis, mes frères ont veillé auprès de moi pendant trois nuits d’affilée.

Apparemment, tu n’avais pas pris conscience de la gravité de ta blessure, car 24 heures après avoir été admis à l’hôpital, tu voulais déjà retourner t’entraîner.

ESSIKAL : J’ai rapidement dû me faire une raison. Le lundi, au lendemain du match, j’ai reçu la visite d’un kiné qui devait évaluer ma situation. J’ai eu beaucoup de mal à me sortir du lit, et quand j’essayais de marcher, je zigzaguais de gauche à droite. J’étais encore complètement groggy. Les médecins prévoyaient une indisponibilité de trois à quatre semaines. Je me suis dit : c’est bien, je serai de retour pour les deux derniers matches des play-offs. Mais ils étaient trop optimistes. Aujourd’hui, quatre mois ont passé, et je commence à peine à me rendre compte que c’était de la folie de vouloir revenir aussi vite.

Tu as craint de garder des séquelles à vie ?

ESSIKAL : Les trois premiers jours, je n’entendais rien de l’oreille droite, j’étais quasiment sourd. A ce moment-là, j’ai un peu paniqué. Mon tympan était plein de sang et l’organe qui gère l’équilibre derrière l’oreille était déchiré sur trois centimètres. J’ai échappé au pire, les médecins m’ont dit que j’ai eu beaucoup de chance : un centimètre plus bas, et je serais resté sourd toute ma vie. Après un mois, cette petite déchirure s’est résorbée d’elle-même.

Les images de ton choc avec Kara ont fait le tour de la Belgique…

ESSIKAL : (il interrompt) Lorsque j’ai revu la phase, j’en ai eu des sueurs froides. Heureusement, mes parents se trouvaient à l’étranger à ce moment-là. Sinon, ils auraient eu la peur de leur vie. Aucun parent ne veut voir son enfant subir un tel choc. Mes frères et moi leur avons explicitement demandé de ne pas regarder les images.

En fin de compte, Kara n’a pas été suspendu pour sa faute.

ESSIKAL : Je sais que Kara ne l’a pas commise intentionnellement. En tout cas, son geste n’était pas prémédité. Kara est un gars bien. Nous sommes restés en contact par sms, et lorsque Zulte Waregem s’est rendu à Anderlecht lors de la dernière journée de championnat, nous avons pu discuter. Pour moi, l’incident est clos.

Dury a réagi de façon plus émotionnelle que toi. Il a déclaré : si un tacle de la tête est admis en football, les footballeurs pratiquent un métier dangereux. Tu es d’accord avec lui ?

ESSIKAL : Pour moi, c’était un accident de travail. C’est le genre de risque qu’on encourt sur un terrain de football. On peut aussi se retrouver sur la touche pendant six mois après un tacle ‘normal’. J’ai toujours été conscient du danger. Il y a déjà eu des joueurs qui sont morts sur un terrain. Personne n’est à l’abri d’un accident. Depuis cette blessure, je suis devenu plus fort mentalement. Et cet accident a changé ma vie, pour de bon. Avant ça, personne ne me connaissait en dehors de Waregem. Désormais, on me reconnaît en rue à Bruxelles. Le cirque médiatique a produit ses effets.

INSPIRÉ PAR ZIDANE

En peu de temps, tu as parcouru un long chemin. Il y a quelques années, tu ne pouvais même pas prendre place sur le banc des Espoirs du Club de Bruges.

ESSIKAL : Bart Wilmssen, qui est aujourd’hui entraîneur-adjoint à Waasland-Beveren, ne m’appréciait pas beaucoup. Il ne cessait de me répéter : chaque chose en son temps. Je pouvais m’entraîner avec les Espoirs, mais je devais jouer avec les U19. En fin de saison, la direction a essayé de me séduire en me proposant un contrat semi-professionnel, mais mon choix était fait. Le Club n’est pas réputé pour offrir une chance à de nombreux jeunes. Je me suis donc dit que j’avais plus de chances de percer à Zulte Waregem. En plein milieu de la préparation, Stoke City m’a invité à visiter le complexe d’entraînement et à participer à une séance. Mais je ne me sentais pas prêt à partir seul en Angleterre et à recommencer de zéro dans un pays qui a une culture différente. J’ai alors opté pour la continuité.

A Zulte Waregem, tu as commencé tout en bas de l’échelle, il y a deux ans. Tu n’avais pas de contrat professionnel et tu jouais pour la prime de match : 350 euros pour une victoire et 150 euros pour un partage.

ESSIKAL : Tous les joueurs, chez les Espoirs, étaient placés sur le même pied. Cela ne servait à rien de discuter. On signait, et c’était tout. Heureusement, l’équipe a souvent gagné cette saison-là (il sourit). Finalement, qui étais-je pour pouvoir revendiquer quoi que ce soit ? Je n’étais encore qu’un illustre inconnu, j’avais encore tout à prouver. J’aurais pu gagner plus d’argent à Stoke City et à Bruges, mais un jeune joueur ne doit pas se préoccuper de la somme d’argent qu’on lui verse chaque mois. A l’époque, je n’avais pas besoin d’argent. Dès la fin de l’entraînement, je rentrais chez moi me reposer.

On peut imaginer qu’au départ, ça n’a pas été facile de convaincre Dury.

ESSIKAL : Lorsque j’ai atterri dans le noyau A, je ne me suis pas posé de questions. Avant, je doutais énormément, mais grâce à ma mère, je suis parvenu à évacuer ça. Je devais avoir 14 ans lorsque j’ai affronté Anderlecht, avec Bruges. Mes frères disaient que j’allais crouler sous la pression. Ma mère les a regardés droit dans les yeux et leur a dit : Karim joue au football depuis qu’il a six ans, pourquoi un match le rendrait-il nerveux ? Je n’ai jamais oublié son intervention.

Durant ma période au Club, je m’inspirais de mon idole, Zinédine Zidane. Dans le train qui m’amenait à Bruges, j’ai regardé des dizaines de fois, sur mon smartphone, le documentaire qui lui a été consacré :  » Comme dans un rêve « . Je connais encore les dialogues du film par coeur. Zidane a toujours été une grande source d’inspiration pour moi.

Tes deux matches de référence, ce sont les deux matches contre Ostende en saison régulière. A deux reprises, tu as mis Franck Berrier sous l’éteignoir. Tu es un vrai pitbull sur un terrain ?

ESSIKAL : Courir durant 90 minutes derrière Berrier, ce n’est pas le plus amusant. Pour moi, un milieu défensif doit surtout être un joueur polyvalent : il doit pouvoir récupérer des ballons, combler les espaces entre les deux rectangles et adresser de bonnes passes. Dans le football moderne, ce qui importe, ce sont les changements de position : le milieu défensif doit pouvoir se mêler aux offensives, et le milieu offensif doit participer à la récupération du ballon. Les positions doivent être interchangeables.

Tu viens d’être prêté par Zulte Waregem à Mouscron. Qu’est-ce qui t’a incité à franchir le pas ?

ESSIKAL : La concurrence s’annonçait rude au Essevee alors que les Hurlus étaient à la recherche de renforts. J’ai discuté de la proposition qui m’avait été faite par l’Excel à Christophe Lepoint, qui avait évolué au Canonnier il y a quelques années. Il m’a dit que sportivement et humainement, le jeu en valait la chandelle. Aussi me suis-je laissé tenter.

Qu’attends-tu de ce club à qui tu as été prêté avec option d’achat ?

ESSIKAL : J’espère contribuer à son redressement et y avoir rang de valeur sûre. L’année passée, j’avais disuté 22 rencontres avec Zulte Waregem, agrémentées d’un but contre Mouscron, précisément (il rit). Un goal important parce qu’il avait ouvert les portes des PO1 au Essevee. J’espère que je me montrerai tout aussi précieux pour mon nouvel employeur, dans quelque registre que ce soit.

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

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