Un bon switch

Depuis qu’il opère à gauche dans l’entrejeu, le marathonien brugeois crève l’écran et les filets adverses.

Après avoir infligé à Anderlecht sa seule défaite en championnat à ce jour, l’Antwerp s’est à nouveau mué en giant-killer samedi passé en contraignant l’autre grand favori pour le titre, Bruges, à la perte de ses deux premières unités cette saison (2-2). Un nul qui, pour les joueurs de Trond Sollied, fait suite à un autre partage, en Ligue des Champions face au Lokomotiv Moscou (0-0). Mais si le draw concédé à Deurne n’en permet pas moins au Club de rester leader, le score vierge qu’il a forgé contre les Russes n’arrange pas vraiment ses affaires en Ligue des Champions.

Gaëtan Englebert: En principe, nous aurions dû totaliser trois points après deux matches. Il n’y a pas grand-chose à redire concernant notre défaite à Barcelone, même si Andres Mendoza a eu la balle du 3-3 au bout du pied lors des ultimes péripéties de la partie. Si nous avions arraché le match nul sur ce coup-là, c’eût été le hold-up parfait, j’en conviens, compte tenu de la physionomie de la rencontre jusque-là. En revanche, j’estime que nous n’avons pas été récompensés de nos efforts contre le Lokomotiv Moscou. Les statistiques l’attestent: nous avons monopolisé le ballon pendant les deux tiers du match, forcé neuf coups de coin et délivré autant de tirs cadrés. De tels chiffres, sur le plan national, nous auraient permis de plier cette joute. Sur la scène européenne, par contre, ils se seront hélas révélés insuffisants. A ce niveau, il est vrai que tout va un tantinet plus vite. Pour être performant, il convient de conserver la même précision dans les passes et dans la finition qu’en temps normal, tout en manoeuvrant à une vitesse supérieure. Ce qui n’est pas évident car la rapidité entraîne immanquablement une part de déchet. En réalité, ce que la plupart des équipes du championnat observent face à nous, à savoir lutter contre un ballon qui revient comme un boomerang, nous en avons fait nous-même l’expérience au Barça. Dans leur arène, les Catalans auront fait encore plus fort que nous contre les Russes en contrôlant les opérations pendant les trois quarts du temps de jeu, ni plus ni moins. Je dois avouer que pour une formation comme la nôtre, habituée la plupart du temps, en compétition belge, à orienter les débats de la même manière, le contraste était saisissant.

Le Club avait déjà rencontré Barcelone en Coupe de l’UEFA il y a deux ans, partageant l’enjeu au Nou Camp: 1-1. A l’époque, il n’avait pas été malmené comme cette fois-ci, en dépit du 3-2 qui sanctionna la rencontre. Le football espagnol serait-il encore devenu plus fort dans cet intervalle?

Il n’y a pas de comparaison possible. Autrefois, le Barça s’était déjà imposé par 0-2 chez nous et le retour, sur ses terres, ne constituait plus qu’une formalité pour lui. A aucun moment, nous n’avions été poussés dans nos derniers retranchements comme cette fois-ci. Les Blaugrana s’étaient contentés de jouer par à-coups et une de ces accélérations leur avait d’ailleurs valu d’ouvrir le score avant que nous ne rétablissions nous-mêmes l’égalité à la marque par Gert Verheyen. Dans le cas présent, les données étaient foncièrement différentes. Les joueurs de Louis Van Gaal avaient manifestement à coeur de se mettre à l’abri le plus rapidement possible, non seulement contre nous mais également dans le contexte de l’épreuve. Car chaque année, finalement, c’est la même rengaine: tous les clubs ibériques, qu’il s’agisse de Barcelone, du Real, de Valence ou de La Corogne n’ont qu’une seule idée en tête: assurer au plus vite leur qualification pour le deuxième tour de la Ligue des Champions, histoire de rester concentrés dans leur propre Liga où la lutte est serrée. La veille de notre match, Dany Verlinden avait eu l’occasion de discuter avec Frans Hoek, l’entraîneur des gardiens au Barça. Il lui avait demandé si le club était en crise compte tenu de ses deux faux-pas consécutifs en championnat contre l’Atletico Madrid et en Coupe d’Espagne. Amusé, le Néerlandais lui avait répondu qu’une éclatante victoire était en mesure de faire taire les critiques et que tout portait à penser, dès lors, que nous payerions la note. Et cela s’est bel et bien vérifié. « Il faut être indulgent avec Genk »

Par la force des choses, vos débuts, ainsi que ceux de Genk en Ligue des Champions, auront épousé une courbe similaire :un match à domicile contre un adversaire théoriquement à votre portée – l’AEK Athènes pour les Limbourgeois et le Lokomotiv Moscou pour vous – et un déplacement extrêmement difficile en Espagne. Comment expliquez-vous que, malgré le faible écart entre vous en Belgique, le Racing ait été battu 6 à 0 au Real et vous 3-2 seulement au Barça?

La réponse, selon moi, tient en deux mots: le vécu et l’application. Je me souviens que lors de notre première visite au Nou Camp, en 2000, j’avais été marqué à la fois par la majesté des lieux et les dimensions du terrain. L’aire de jeu me paraissait réellement immense par rapport à celles auxquelles nous sommes habitués en Belgique. En retrouvant le même stade, j’ai eu le sentiment que tout était démythifié. La pelouse et les tribunes ne me faisaient plus le même effet, en tout cas. Et il en était de même pour la plupart de mes partenaires. Cette impression de déjà vu explique sans doute pourquoi nous avons abordé cette rencontre de manière plus sereine. Voici deux ans, nous avions peur d’entreprendre, sous peine de trop nous découvrir. A présent, même si l’opposant monopolisa tant et plus le ballon, nous nous sommes résolument portés dans le camp adverse chaque fois que nous en avions l’occasion. C’est pourquoi, contrairement à ce qui s’était produit dans le passé, les arrières Carles Puyol et Frank De Boer n’ont pas cherché à appuyer la manoeuvre ce coup-ci. J’estime aussi que notre mérite, en dépit de la défaite, aura été de rester parfaitement organisés d’un bout à l’autre des 90 minutes. Chacun s’est acquitté de sa tâche comme l’entraîneur le lui avait demandé durant tout ce temps. Cette autodiscipline n’est pas évidente car il est souvent frustrant de courir derrière un ballon insaisissable, comme nous l’avons fait. Par rapport à nous, les joueurs de Genk n’avaient pas l’expérience d’un match chez l’un des ténors du football espagnol. Et, à les voir prendre des photos du stade Santiago Bernabeu, j’imagine qu’ils ont dû être impressionnés comme nous au moment de pénétrer pour la première fois dans une telle enceinte. Leur tort aura été d’oublier, après la pause, les précieuses consignes qui leur avaient été données avant le match et qu’ils appliquèrent d’ailleurs à la perfection jusqu’à ce que les Madrilènes inscrivent coup sur coup deux goals avant la mi-temps. S’ils étaient restés fidèles à leurs principes, jamais ils n’auraient encaissé six buts. Personnellement, je trouve qu’il y a lieu d’être indulgents avec eux. Pour le même prix, ils auraient pu être défaits 4-1 et personne ne s’en serait offusqué. Je suis persuadé que si cette équipe avait l’occasion de retrouver le Real, dans deux ans, comme nous contre le Barça, jamais un score de tennis ne sanctionnerait cette revanche. Et, dans ce cas de figure, Wesley Sonck inscrirait sûrement le petit but qui s’est refusé à lui, cette fois, à Chamartin.

A propos de buts, vous avez eu l’honneur d’en signer un au Barça, tout en étant responsable du penalty qui, au préalable, amena le goal égalisateur pour vos couleurs. En championnat, vous en êtes à deux réalisations également. A l’analyse, c’est pas mal pour un joueur dont la moyenne saisonnière des goals n’a jamais excédé trois unités.

Je suis agréablement surpris moi-même par la tournure des événements dans la mesure où je suis, effectivement, plus impliqué dans la concrétisation de nos actions qu’au cours des saisons précédentes. En guise d’explication, je crois tout simplement que l’équipe brugeoise actuelle me paraît encore mieux rodée et huilée que par le passé. L’année dernière, même s’il n’y avait pas grand-chose à redire en ce qui concerne le collectif, tout n’en était pas moins fort cloisonné chez nous: les défenseurs devaient surtout défendre, les médians servaient essentiellement de courroies de transmission et les attaquants étaient chargés de marquer. Les chiffres se passent de commentaires à ce propos puisque Rune Lange avait fait mouche à 20 reprises, Andres Mendoza 15 et Gert Verheyen 10. Derrière eux, Ebou Sillah, Timmy Simons et moi-même étions loin du compte avec un total de neuf buts équitablement répartis entre nous trois. Cette année, c’est différent. Je remarque que les avants remisent plus facilement le ballon et c’est ce qui explique pourquoi je me retrouve fréquemment en position de tir. Un autre détail qui n’est peut-être pas étranger à cette évolution a trait à ma position sur le terrain. A son arrivée à Bruges, Trond Sollied m’avait placé à l’angle supérieur droit du triangle bien connu que forme l’entrejeu brugeois. Le côté gauche était alors occupé par Sven Vermant tandis que Timmy Simons en formait la pointe, juste au-dessus de la défense. Cette année, après avoir débuté à cette place, l’entraîneur m’a fait coulisser à gauche, réservant ma place initiale à Sergeï Serebrennikov. Compte tenu des permutations continuelles entre l’Ukrainien et moi, il m’arrive de plus en plus souvent d’hériter du ballon lorsque je suis en pleine foulée après m’être déplacé de la gauche vers la droite. Et, dans ce cas-là, mon tir du droit constitue une arme plus dangereuse que lorsque je dois me mouvoir vers l’autre côté du terrain où j’en suis réduit à utiliser mon mauvais pied, le gauche. Ceci explique sans doute cela. »C’est à Stoica à s’adapter »

Au même titre que Timmy Simons, vous faites figure d’incontournable au sein de la ligne médiane brugeoise. Mais le troisième homme, lui, aura fréquemment changé d’identité ces derniers mois, puisque Sven Vermant, Sandy Martens, Ebou Sillah, Nastja Ceh et même Birger Van de Ven ont été essayés à ce poste. Alin Stoica mettra-t-il tout le monde d’accord selon vous?

C’est vrai que pas mal de joueurs se sont relayés à cette place sans parvenir à faire l’unanimité. Pourquoi? A mes yeux, tous avaient des qualités spécifiques – le pouvoir d’infiltration pour Sven Vermant, les qualités de dribble pour Ebou Sillah, et j’en passe – sans posséder, sans doute, la polyvalence qui constitue le principal atout de Timmy Simons et de moi-même. Quant à savoir si Alin Stoica sera l’homme providentiel, tout dépendra de la manière dont il parviendra à se fondre dans le système prôné par Trond Sollied. Beaucoup disent qu’il s’épanouira plus à Bruges qu’à Anderlecht dans la mesure où d’autres s’occuperont de lui mâcher la besogne. C’est un peu réducteur car ici, tout le monde, sans exception, est aussi bien concerné par l’élaboration des offensives que par le travail de récupération. Et personne ne déroge à cette sacro-sainte règle, qu’il s’appelle Birger Maertens ou Andres Mendoza. Après un mois de vie commune, je pense que le Roumain a une idée plus précise, aujourd’hui, de ce qui l’attend à Bruges. Il sait donc ce qu’il doit faire pour avoir rang, lui aussi, de valeur sûre. Car les qualités, il les a, c’est évident.

Vous aussi. A cette nuance près que vous n’avez encore guère eu l’occasion de les exprimer en équipe nationale, contrairement à Timmy Simons qui fait partie des certitudes. Même s’il ne joue pas chez les Diables Rouges dans le même registre qu’à Bruges.

Demi défensif ou défenseur, la différence n’est pas vraiment énorme pour lui. Son devancier à Bruges et en équipe nationale, Franky Van der Elst, s’était d’ailleurs illustré dans ces deux rôles lui aussi. Pour moi, c’est différent. En formation de club, je suis habitué à opérer dans une position axiale, à gauche ou à droite, tandis qu’en sélection, j’officie le plus souvent comme flanc droit. Il va sans dire que la marge de manoeuvre est sensiblement différente, d’autant plus que je suis davantage un marathonien qu’un joueur de type explosif comme Mbo Mpenza, qui fait figure de concurrent à cette place. Quand il s’agit de forger un résultat plutôt que de conserver un acquit, il me paraît normal de ne pas faire figure de priorité. Je ne revendique rien, de toute façon. Je savoure déjà pleinement mon bonheur d’être là.

Bruno Govers

Reuters

« Je suis plus impliqué dans la concrétisation que par le passé »

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