Un bon petit DIABLE

Il y a un an, il n’avait pas encore disputé un seul match officiel à 11 contre 11. Pourtant, Théo Bongonda (18 ans) s’épanouit sur le flanc de Zulte Waregem. Il a fait ses gammes à l’Académie de Jean-Marc Guillou mais a découvert le foot, jadis, sur un terrain poussiéreux de Charleroi-Nord. Nous lui avons rendu visite, ainsi qu’à sa maman.

« Théééooo ! Théééooo ! Tout le monde arrive quand on crie Théo !  » Depuis le Nouvel An, c’est le refrain des tribunes de Zulte Waregem. Ce mercredi après-midi, une vingtaine de footballeurs enthousiastes ont aussi foncé sur ThéoBongonda. Nous sommes à Charleroi Nord, sur un terrain clôturé par des planches en bois, là où le Belge a copié les dribbles de son idole, Cristiano Ronaldo, et là où, à la demande du photographe, il est porté en triomphe par des dizaines de mains.

Pourtant, il n’est pas une star, insiste Yassine Semah, de neuf ans son aîné, qui s’est occupé de lui comme d’un petit frère.  » Théo n’est pas la star mais la fierté de notre quartier. Il est dépourvu d’allures de vedettes, même s’il est le seul du coin à avoir émergé en football professionnel, grâce à son travail. Je lui ai toujours répété que le travail était la clef de tout. Théo n’a jamais manqué de talent ni de passion : là où il y avait un ballon, on trouvait Théo et même les plus âgés ne parvenaient pas à le lui arracher.

Nous le surnommions Titi, comme Thierry Henry. A cause de leur ressemblance physique et parce que Théo était aussi vif et fin dribbleur.  » L’ailier de 18 ans rougit sous tant de compliments mais il confirme les propos de Yassine :  » Même si je joue un jour au Real, je ne serai jamais une star. Je resterai le même Théo et je reviendrai toujours ici avec plaisir.  »

Ici, c’est Rue Motte, près de la E42. Deux énormes buildings gris dominent le terrain de football et le parc Lambert. Un peu plus loin, on discerne une rangée de maisons en briques rouges. Le numéro 37 se distingue du reste : à la fenêtre, une affiche électorale d’Ecolo.  » Votez avec votre temps. « Evelyne Petit (54 ans), la mère de Théo, quatrième suppléante sur la liste Ecolo le 25 mai, se retrouve bien dans ce slogan.

Deux heures avant notre visite au terrain, elle nous reçoit dans son petit living. Pendant que son fils, qui revient toujours quand il n’a pas entraînement, traîne dans sa chambre, à l’étage, elle nous explique en long et en large ses préférences pour les Verts. En résume, ça donne :  » Nous devons réfléchir au long terme afin que nos enfants aient une vie aussi agréable que la nôtre.  »

De Lodelinsart au Sporting Charleroi

Ce n’est pas un hasard car elle a élevé quatre enfants : Jérôme (32 ans) et Fanny (30 ans) d’un premier mariage, Harold (20 ans) et Théo de son union avec Jean-Philippe Bongonda, un Congolais qui, rêvant d’une vie meilleure en Europe, a débarqué à Charleroi via les Pays-Bas, à 26 ans, et y a rencontré Evelyne. Deux ans après la naissance de Théo, leur flamme s’est éteinte et Evelyne a déménagé rue Motte avec les enfants.

 » Ce n’est pas une situation idéale mais Théo n’en a pas beaucoup souffert, puisqu’il n’a rien connu d’autre. En plus, il voyait souvent son père, ouvrier dans un magasin de vin, pendant les week-ends et les vacances. C’est d’ailleurs toujours le cas.  »

Evelyne a toutefois eu la tâche difficile d’élever quatre enfants. Jérôme a été le premier à découvrir le football.  » Il a joué dans toutes les catégories d’âge du Sporting Charleroi, il a même été international chez les jeunes à un moment donné mais il n’a pas dépassé l’équipe espoir. Ce fut une grande déception, même s’il est resté actif dans des séries inférieures. Maintenant, il est heureux que Théo puisse réaliser son rêve.  »

Evelyne a d’abord tenté de tempérer ces ambitions.  » J’ai fait découvrir d’autres sports à Théo : six mois la gymnastique, un an le karaté… mais il n’aimait pas. Seul le football comptait à ses yeux. Il regardait des films de Ronaldo sur internet et les rejouait, tous les soirs, tard. Quand il exagérait, je lui téléphonais : – Si tu ne reviens pas, je vais te chercher. La menace faisait son effet car Théo voulait éviter cet affront.  »

Comme celui-ci et Jean-Philippe ont insisté, Théo a commencé à jouer à onze ans dans un petit club de Lodelinsart. Les scouts de Charleroi l’y ont remarqué mais il s’est moins bien amusé en U12 et en U13 du Sporting.  » On mettait trop l’accent sur la compétition et la victoire alors que je voulais m’amuser « , explique le fiston, qui nous a rejoints entre-temps.

Il a passé des années difficiles en primaire puis à l’Institut Notre-Dame, où sa mère l’a contraint à apprendre le latin. Bongonda a été impliqué dans des bagarres en classe et dans la cour de récréation.  » Je n’étais pas un mauvais élève mais je me concentrais trop sur le football. Et puis j’ai du tempérament. Quand on me provoquait, je me battais.  »

Il insiste :  » Je n’étais pas un délinquant. Je ne me suis jamais laissé entraîner dans des histoires criminelles, même pas dans le quartier, où on dealait parfois de la drogue. Ici, je ne me suis même jamais battu car je m’entendais bien avec tout le monde.  » Evelyne opine.  » Théo était impulsif tout en étant renfermé mais je n’ai pas eu de véritables problèmes avec lui ni avec mes autres enfants.  »

A l’Académie Jean-Marc Guillou

La vie de Bongonda a pris un autre tournant à douze ans. Il se produit avec Charleroi au Germinal Beerschot. Younes Zerdouk, le Directeur technique de l’Académie JeanMarcGuillou, a décelé l’étendue de son talent et a exposé son projet à Jean-Philippe. Peu après, il a fait visiter l’académie de Tongerlo à Théo et à ses parents, avant de lui proposer d’y passer quelques jours à l’essai. Bongonda :  » J’ai été séduit ! C’est exactement ce que je voulais : jouer au football toute la journée, en mettant l’accent sur la technique et le plaisir.  »

Evelyne a hésité plus longtemps.  » Partir si jeune à l’internat à Tongerlo… C’était loin, hein ! Et qu’allait-il advenir de l’école ? Mais Théo était décidé. Son père et moi avons donc pris le risque, tout en lui expliquant bien qu’il serait absent cinq jours par semaine et que ce serait plus dur qu’il ne le pensait.  »

De fait, les premiers mois du jeune garçon à l’Académie ont été pénibles.  » Je devais m’habituer à un nouvel entourage, à une discipline plus stricte. Mes parents me manquaient, même si les autres joueurs m’ont soutenu. Au fil du temps, j’ai retrouvé ma joie de vivre, d’autant que la formation était vraiment top. Au début, j’avais quelques doutes mais Jean-Marc Guillou m’a exposé sa philosophie et il m’a convaincu.

Les entraîneurs nous ont immédiatement conseillé de nous souvenir comment nous étions à notre arrivée à Tongerlo, afin de pouvoir mieux jauger la différence plus tard. De fait, elle était énorme ! J’ai appris là 90 % de ce dont je suis capable. Je possédais un talent inné mais l’Académie m’a permis de le développer. Si j’étais resté à Charleroi, je n’aurais pas fait le même chemin.  »

A partir de quinze ans, Bongonda s’est senti moins bien à Tongerlo, en dehors du terrain.  » Le courant ne passait pas avec Younes Zerdouk. C’est un grand entraîneur, qui m’a beaucoup appris mais il est nerveux et d’humeur changeante. Il était toujours sûr d’avoir raison et ne tenait jamais compte de ce que nous pensions. Si quelque chose lui déplaisait, il commençait à crier.

Quelle différence avec Thomas Caers, l’ancien joueur de Saint-Trond, actif à Tongerlo lui aussi à l’époque ! Il a été un second père pour moi comme pour beaucoup d’autres. Il nous comprenait et tenait compte de nos remarques. C’est grâce à Thomas que j’ai tenu le coup. En même temps, je me suis accroché à mon rêve : devenir footballeur professionnel. L’académie constituait le moyen le plus sûr de réussir.  »

Les difficultés de son fils n’ont pas échappé à Evelyne.  » Au terme du week-end, il retournait à Tongerlo avec des pieds de plomb mais il a surmonté ses problèmes. Son impulsivité a fait place à la résolution. Il ne voulait pas gâcher sa chance.  »

Tests à Tottenham et Manchester City

Fin 2012, Thomas Caers a quitté l’Académie et a lancé un projet similaire à Zulte Waregem avec la complicité de Patrick Decuyper. Bongonda, alors âgé de 17 ans, a décidé de le suivre et a mis un terme à son séjour à Tongerlo.  » Pendant des mois, on m’avait fait des tas de promesses mais ce n’est que quand Thomas a démissionné que j’ai obtenu un contrat au Lierse. Il ne représentait pas grand-chose et en plus, j’ai appris que je pourrais d’abord me retrouver dans un club-satellite de D3 car il était impossible de caser tous les joueurs de l’Académie au Lierse. Moi, je n’avais pas bossé pendant cinq ans, jour après jour, pour jouer en D3.  »

Peu après son départ, Bongonda et son copain Jason Denayer ont eu l’opportunité de passer un test en U18 et en réserves de Tottenham et de Manchester City.  » Une expérience fantastique. A Londres, nous avons discuté avec Moussa Dembélé et à City avec Vincent Kompany et Yaya Touré, qui savait que nous étions issus de l’école de Guillou, comme lui-même, autrefois, à Abidjan.  »

Les deux Belges ont tellement impressionné City que le club leur a proposé un contrat mais contrairement à Denayer, Bongonda ne l’a pas accepté.  » Jason, un robuste défenseur central, était en mesure de s’imposer plus facilement en Angleterre qu’un mince avant technique comme moi. Il me paraissait également plus raisonnable de poursuivre mon développement dans une équipe première d’un niveau inférieur.

Via Thomas Caers et Jesse De Preter, l’ancien avocat de l’Académie et conseiller de Patrick Decuyper avant de devenir le mien, j’ai opté pour Zulte Waregem, qui m’a offert un contrat pro. Neuf jeunes sur dix accepteraient le gros chèque de Manchester City mais c’est le plaisir qui me motive, pas l’argent. Et qui sait ? Un jour, le chemin que j’ai choisi me permettra peut-être de gagner encore plus d’argent.  »

Evelyne a apprécié sa décision.  » C’est une preuve de courage et de maturité. Il ne s’est pas laissé influencer par le nom Manchester City. Théo a vu plus loin que le bout de son nez et surtout, il a pris sa décision seul. Je ne m’en suis pas mêlée. Pour moi, tout ce qui comptait, c’était qu’il trouve un club où il se sentirait bien. Le montant du contrat n’est pas aussi important. Si Théo avait eu envie de devenir boulanger, j’aurais été aussi heureuse « , raconte Evelyne, qui collectionne les intérims mais refuse toute aide financière de son fils.

 » Par principe. Je préfère que Théo, qui a prolongé son contrat à Zulte jusqu’en 2017, me récompense d’une autre manière. Je veillerai toujours à ce qu’il reste modeste. Théo doit être conscient de ses qualités mais il ne peut pas planer. Pour le moment, il n’y a pas de problème.  »

Sa maturité a aidé Bongonda à s’intégrer rapidement à Zulte Waregem. Il habite même seul dans un appartement et l’été dernier, il est vite devenu un membre à part entière du noyau A.  » Dès le début, j’ai fait tout ce que me demandait Francky Dury sans jamais râler comme je l’ai fait à l’académie. Sinon, je serais peut-être toujours en réserves. Je me suis livré à fond à chaque entraînement, ce que l’entraîneur a apprécié.  »

La Liga espagnole, le rêve !

Au début, seul le temps de jeu a fait défaut mais l’ailier s’en est accommodé.  » Je n’avais encore jamais disputé de match officiel au plus haut niveau et l’entraîneur m’a expliqué qu’il ne voulait pas me brûler. En septembre ou en octobre, j’aurais peut-être fait des gaffes et la presse m’aurait classé. L’entraîneur m’a donc titularisé dans deux matches de Coupe en déplacement, dénués de trop de pression, à Hamme et à Charleroi. Je ne souffre pas de la pression car jouer devant 100 ou 10.000 personnes, c’est pareil. Je ne vais pas jouer la peur au ventre parce qu’il y a du monde. L’Académie m’a inculqué une technique parfaite et je ne puis que m’y fier.  »

Après le Nouvel An, il a marqué son premier but, en Coupe, au Cercle, puis il a été titularisé contre le Racing Genk en championnat. Depuis, il a alterné les entrées au jeu et les titularisations. Il a délivré trois assists. Bongonda espère donc (beaucoup) plus.  » Je veux jouer un jour pour un grand club espagnol. Ce n’est pas évident mais si je continue à travailler d’arrache-pied, rien n’est impossible. Je ne vois pas pourquoi je ne réussirais pas.  »

PAR JONAS CRÉTEUR – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » A ma place, neuf gars sur dix auraient accepté le gros chèque de Manchester City. Mais moi, c’est le plaisir qui me motive et non l’argent.  »

 » A l’école, je n’étais pas un mauvais élève. Mais quand on me provoquait, je me battais.  »

 » Si Théo avait eu envie de devenir boulanger, j’aurais été tout aussi heureuse.  » Evelyne, sa maman

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