UN BON MALHEUR

Bruno Govers

Du fait de sa blessure à la cheville occasionnée par Traoré dans un peu amical Maroc-Burkina Faso, Oulmers a annulé des vacances en Thaïlande en décembre 2004. Heureusement, car c’était au moment du tsunami !

Le choc entre les deux Sporting au Mambourg sera notamment placé sous le signe des retrouvailles, fût-ce par la bande, entre le Carolorégien Majid Oulmers et l’Anderlechtois Lamine Traoré. Le 17 novembre 2004, lors d’une joute amicale entre le Maroc et le Burkina Faso, remportée 4 à 0 par l’équipe locale, on se souviendra que leur duel avait tourné au drame. A la 52e minute, Magic, tout juste rentré au jeu, avait dû être évacué du terrain suite à un tacle appuyé de son adversaire. Verdict : une fracture de la cheville qui allait nécessiter deux opérations et déboucher aussi sur la fameuse Affaire Oulmers qui vient tout juste de débuter dans les prétoires.

Au tour initial de l’actuelle compétition, pour les besoins du premier affrontement entre les deux équipes, nous avions déjà voulu réunir les deux protagonistes. Mais nous nous étions heurtés à une fin de non-recevoir de leur part, entendu que la plaie n’était toujours pas entièrement cicatrisée à ce moment. Cinq mois plus tard, l’un et l’autre se sont montrés d’accord pour revenir sur ce fâcheux épisode. Mais à distance. Car comme le dit le médian des Zèbres :  » La blessure physique et morale est fermée. Une nouvelle confrontation directe, même en dehors des terrains, la rouvrirait très certainement. Cela dit, à quelque chose malheur est bon. Si je n’avais pas enduré cette grave blessure à la cheville, je ne serais peut-être plus de ce monde actuellement. J’avais en effet réservé des vacances en Thaïlande, pendant la trêve hivernale de 2004. Et ce, dans l’hôtel Sofitel , qui a été exposé au fameux tsunami…  »

Mais voici, par le menu, la trame des événements.

L’AVANT MATCH Le Burkina Faso remplace la Côte d’Ivoire

TRAORÉ :  » Les faits sont d’autant plus déplorables que cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu. Dans l’optique de son match de qualification pour la CAN 2006 face au Kenya, le 9 février 2005, c’est la Côte d’Ivoire, théoriquement, que le Maroc aurait dû accueillir à Rabat, le fameux 17 novembre 2004. Les Eléphants ivoiriens avaient toutefois dû décliner l’invitation, in extremis, et c’est au pied levé que les Etalons burkinabés avaient été appelés à prendre le relais. A la hâte, il avait fallu composer et dépêcher une sélection sur place. Comme il ne s’agissait que d’une joute amicale, bon nombre de titulaires s’étaient désistés. Tels Moumouni Dagano ou Badou Kéré, pour ne citer que ces deux noms connus en Belgique. Pour la circonstance, j’avais été promu capitaine d’une formation quasi expérimentale, composée en majorité de jeunes sans le moindre vécu au plus haut niveau international. Ce match devait être une manière, pour eux, de se signaler. Ils n’avaient rien à perdre mais tout à gagner. Avant d’entrer sur le terrain, je me rappelle très bien leur avoir dit, en guise d’encouragement, que les Lions de l’Atlas m’avaient toujours réussi à l’époque où je défendais encore moi-même les couleurs des phalanges représentatives des jeunes de mon pays. Aussi loin que je me souvienne, j’avais toujours réussi de bonnes prestations contre eux, avec des résultats favorables à la clé. Il n’empêche que je sentais chez l’un ou l’autre de nos jeunots une certaine appréhension à l’idée de se mesurer contre quelques grands noms. Car du côté local, le coach Badou Zaki pouvait, lui, bel et bien s’appuyer sur ses meilleurs joueurs. Comme les frères Hadji ou encore Marouane Chamakh « .

OULMERS :  » Après avoir défendu les intérêts de l’équipe nationale Espoirs ainsi que de la sélection olympique aux Jeux de Sydney, je tenais absolument à honorer ma toute première cap chez les A à l’occasion de ce rendez-vous amical contre les représentants du Burkina Faso. C’était le moment ou jamais pour moi : d’un côté, je m’étais affirmé au Sporting, où j’avais rang de titulaire à ce moment-là et, de l’autre, je me rendais compte qu’il y avait une place à prendre dans le noyau, entendu que les résultats obtenus jusque-là n’avaient pas tout à fait répondu à l’attente avec, notamment, des partages contre le Malawi et la Guinée. Deux teams qui ne faisaient pas figure d’épouvantails dans un groupe où l’on retrou-vait encore le Botswana, le Kenya et, surtout, la Tunisie. La direction de Charleroi avait fait pression sur Badou Kéré et moi pour que nous ne disputions pas cette partie. Mon coéquipier à Charleroi s’était d’autant plus aisément rangé à ces arguments qu’il était assuré de sa pérennité chez les Etalons. Pour moi, la situation était complètement différente. Je redoutais, effectivement, qu’en cas de refus, l’entraîneur ne m’appellerait plus jamais chez les A. Or, les Lions de l’Atlas, c’était tout de même la cerise sur le gâteau pour un joueur, comme moi, qui avait transité auparavant par ses deux antichambres. Pour une première, tout s’était bien passé en matière d’accueil dans la capitale marocaine. J’étais particulièrement heureux de me retrouver en belle compagnie là-bas. Et mon bonheur était monté d’un cran encore quand, après 45 minutes de jeu, et alors que le score était toujours de 0 à 0 à ce moment-là, le fédéral m’invita à m’échauffer sur la pelouse principale en vue d’entamer la deuxième mi-temps. Je touchais au but. Je me disais que j’avais bien fait d’accepter la convocation des plus hautes instances footballistiques marocaines. Et, secrètement, j’espérais frapper un grand coup en montant au jeu. Quoi de plus normal : le onze de départ s’était cassé les dents, tout au long de la première période, face à une opposition arc-boutée devant son goal. Je me disais que ce verrou finirait bien par sauter en deuxième mi-temps. Ce que je ne savais pas c’est que ma joie n’allait durer que sept minutes « .

LE MATCH Quatre tackles par derrière sur Marouane Chamakh

TRAORÉ :  » Les rencontres entre les représentants du Maghreb et ceux de l’Afrique Noire se distinguent le plus souvent par une opposition de styles. Les footballeurs du Nord ont une culture technique et tactique qui ne se retrouve, au coeur du continent, que chez les Nigérians ainsi que chez les Camerounais. Partout ailleurs, l’accent est mis essentiellement sur le physique. Avant de monter sur le terrain, j’avais dit à mes partenaires qu’ils devaient absolument mettre le pied et être intran-sigeants dans les duels, s’ils ne voulaient pas sombrer corps et âme face à une opposition supérieure. Au bout d’un quart d’heure de jeu à peine, je me rappelle m’être fâché car le marquage était beaucoup trop lâche chez nous. Les Marocains faisaient absolument ce qu’ils voulaient. Ma gueulante a eu du bon car, par la suite, nos jeunots se sont vraiment enhardis. Au point de contenir toutes les offensives jusqu’à la mi-temps. Après la pause, en raison des changements opérés dans les deux camps, sans doute, il y avait eu, dans notre chef, une période de flottement liée, plus que vraisemblablement, à un redoublement d’efforts de la part de l’adversaire. C’est à ce moment-là que l’irréparable s’est produit. Après que le gardien fut intervenu sur un tir, le cuir est parvenu à Majid Oulmers, qui se trouvait alors en dehors de la surface de réparation. Le Carolo y était allé d’un contrôle un peu long, dû à une aire de jeu très sautillante. Au moment où il ajusta son tir, je tentai moi-même le tout pour le tout en me jetant, pied en avant, sur le ballon. L’impact ne se limita malheureusement pas à cet échelon car je heurtai également de plein fouet la cheville du joueur. Sur l’instant, je ne m’étais pas rendu compte de la gravité de la situation. Je n’avais d’yeux que pour le ballon, qui avait terminé sa course au fond des filets. Par après seulement, en voyant les brancardiers placer le joueur sur une civière puis l’installer dans une voiture de service, j’ai réalisé les conséquences de mon acte. Mais j’affirme et je maintiens qu’il était tout à fait involontaire « .

OULMERS :  » Au départ, alors que j’avais été invité à prendre place sur le petit banc, je n’en croyais déjà pas mes yeux. Cette rencontre n’avait d’amicale que le nom. Je ne sais pas quelle mouche avait bien pu piquer certains Burkinabés mais ils tiraient sur tout ce qui bougeait. Les plus réputés, chez nous, étaient tout particulièrement visés. Comme Marouane Chamakh qui, à quatre reprises, avait été projeté au sol durant les 45 premières minutes, suite à des tacles par derrière. Le tout avec la bénédiction de l’arbitre, beaucoup trop laxiste au cours de la phase initiale de la rencontre. Dans le dug-out, je me suis remémoré à ce moment-là les paroles des dirigeants du Sporting qui m’avaient dissuadé de participer à l’épreuve. Il n’empêche qu’au moment de monter sur la pelouse, à l’entame de la deuxième période, je n’avais plus qu’une seule idée en tête : me défoncer afin de prouver que j’avais ma place dans le groupe. J’étais au four et au moulin, ratissant le terrain dans tous les sens. Jusqu’à cette 52e minute de très sinistre mémoire. Dévié par le keeper, le ballon est alors arrivé dans mes pieds. Pour éviter un opposant, je l’ai poussé sur le côté. Un contrôle, suivi d’un autre encore pour m’ouvrir complètement la voie du but, puis j’ai tiré sèchement. Ce geste à peine terminé, j’ai été retourné comme une crêpe suite à une intervention rugueuse de Lamine Traoré sur ma cheville. Il ne l’avait vraisemblablement pas fait exprès mais une chose est sûre : le défenseur burkinabé était bel et bien en retard sur le ballon. Les images, que j’ai vues et revues, l’attestent à suffisance : le cuir était déjà en route vers le goal au moment de son intervention. Lors de l’impact, j’ai entendu clairement un craquement. Puis, en voyant mon bas rougir, à cause du sang, j’ai compris que c’était sérieux. Le reste, à même le terrain, je ne m’en rappelle plus. J’ai posé mes deux mains sur les yeux car la vue de mon articulation était tout simplement insoutenable « .

L’APRÈS MATCH Coups de fils de Traoré mais rien de la part du Maroc

TRAORÉ :  » Cette phase tragique, peu après la pause, avait conditionné évidemment toute la deuxième mi-temps. Je n’étais plus tout à fait moi-même et la jeune classe, chez nous, était tout aussi décontenancée. Nous avons en définitive pris trois autres buts, mais il va sans dire que l’essentiel était ailleurs. Sitôt la partie achevée, je me suis enquis de la situation de mon infortuné adversaire auprès du délégué de l’équipe marocaine. Il m’a dit que le joueur avait été emmené à l’hôpital et qu’on craignait une fracture. J’avoue que, dans la foulée, j’ai passé une très mauvaise soirée. Je n’ai pas fermé l’£il de la nuit non plus. Sans cesse, les images défilaient. Avant de regagner la Belgique, quelques heures plus tard, je suis allé une dernière fois aux nouvelles sur le sol marocain. Mais personne ne pouvait m’en dire plus. Les journaux faisaient état d’une blessure sérieuse, sans plus. Au retour, ma première préoccupation fut de prendre contact avec mon compatriote Badou Kéré, coéquipier de Majid Oulmers chez les Zèbres. Je voulais savoir s’il y avait déjà du neuf et s’il pouvait me donner le numéro de portable du joueur afin que je lui présente mes excuses. C’est ainsi que j’ai appris qu’il avait été opéré dans un hôpital de Rabat. A son retour à Charleroi, je l’ai contacté. Dix fois, au moins, je lui ai fait savoir que j’étais complètement navré mais que je n’avais jamais eu l’intention de le blesser. J’avais été emporté par mon élan avec la suite désastreuse que l’on sait. Mon adversaire m’a dit que le mal était fait et qu’il fallait bien s’en accommoder. A ce moment-là, je ne me réalisais pas encore la portée exacte de cet événement, devenu une véritable affaire entre-temps. Je suis navré des tracas, sportifs, financiers ou autres, que j’ai pu causer au joueur, mais je ne les ai pas voulus. Ce n’est pas ma faute s’il n’était pas couvert par une assurance particulière dans le cadre de l’équipe nationale. Et je n’y peux rien non plus si des primes de match substantielles lui sont passées sous le nez, à Charleroi, sous prétexte qu’il doit jouer pour y avoir droit. Moi-même, j’ai toujours pris toutes les précautions d’usage à ce sujet. Les autres sont censés en faire de même car, dans un sport de contact comme le football, un accident est vite arrivé. Aujourd’hui, je suis soulagé que Magic ait retrouvé ses moyens. Car j’aurais quand même eu du mal à exercer mon métier en sachant qu’un autre a été privé de son gagne-pain à cause de moi. Même si, je le répète, c’est la seule fatalité qu’il faut mettre en cause « .

OULMERS :  » Avec l’astragale et le bas du tibia à nu, il n’était pas question d’attendre mon retour en Belgique pour procéder à une intervention chirurgicale. J’ai donc été opéré, après le match, avant de regagner Charleroi. A mon arrivée, j’ai d’emblée mis le cap sur Anvers, en compagnie du médecin du club, Carl Willem, afin de me faire examiner par le docteur Declerck. Celui-ci a tenu à me rassurer sur-le-champ en affirmant que l’opération avait bel et bien été faite dans les règles de l’art au Maroc et que je ne devais pas avoir d’appréhension pour la suite de ma carrière. Finalement, la revalidation a été plus longue que prévue, car il y a eu rechute après le stage hivernal en Turquie, où mon articulation avait été soumise à rude épreuve, sur le sable. Depuis lors, quoique je n’aie pas encore recouvré toutes mes sensations, je suis indéniablement sur la bonne voie. En principe, dans quelques semaines, il n’y paraîtra plus et je pourrai à nouveau jouer de manière tout à fait libérée.

Tout n’a pas été génial pour moi, dans cette affaire. Je rejoue peut-être mais j’ai perdu beaucoup dans l’aventure. Sur le plan pécuniaire d’abord car, au total, les Zèbres ont pris 41 points sans moi avant que je ne reprenne le collier. Toutes des unités qui ne se sont hélas pas transformées, pour moi, en primes. D’autre part, j’ai assumé une bonne part des frais liés à ma revalidation, moi-même. Je sais toutefois gré aux responsables sportifs du club d’avoir fait montre d’un comportement remarquable à mon égard, car au plus profond de mes soucis, ils m’ont proposé un nouveau contrat jusqu’en 2008. C’est un geste que je n’oublierai jamais et qui contraste singulièrement avec l’attitude de la fédération marocaine. Depuis mon accident, il y a un an et demi, personne, là-bas, ne s’est jamais inquiété de mon état de santé. Je n’ai jamais perçu la moindre prime, non plus, pour la bribe de match que j’ai disputée. D’accord, elle ne serait qu’une goutte d’eau en regard de l’océan de frais que j’ai eu. Mais j’estime y avoir droit, malgré tout. Rien de tout cela. Suite à l’affaire, j’ai même l’impression de faire davantage figure de coupable que de victime. Pour la fédération de mon pays, je suis une épine dans le pied. Le Maroc a manifestement une idée en tête pour ce qui est de l’organisation de la Coupe du Monde et il tombe sous le sens que le cas Oulmers dérange. Moi, ma décision est prise : plus jamais je ne défendrai les couleurs des Lions de l’Atlas. Je serai toujours leur premier supporter mais il est exclu que je me mette encore un jour à leur disposition. Ma carrière chez les A aura duré sept minutes. Et croyez bien que je ne suis pas près de les oublier « .

BRUNO GOVERS

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