UN BON conseil d’amis

L’annonce d’une collaboration avec Lucien D’Onofrio a joué un rôle de révélateur quant aux vraies lignes de force existant dans le conseil d’administration du RCSA.

Le 17 novembre, une révélation journalistique est confirmée par Anderlecht : Roger Vanden Stock a bien rencontré Lucien D’Onofrio le lundi 14 novembre, pour  » une collaboration sportive éventuelle « . Depuis que LD a quitté le Standard, on parle de ce rapprochement mais les intéressés avaient toujours démenti. Maintenant, c’est clair pour tout le monde et c’est une bombe. D’Onofrio qui va travailler pour le plus grand adversaire historique de son ex-club !

Objectivement, il y a un nouveau pacte entre RVDS et LD. Grands amis avant l’affaire Witsel-Wasyl (ils s’embrassaient quand ils se voyaient) puis victimes collatérales d’une guéguerre froide (imposée par Anderlecht en coulisses, comme on le verra), ils frayent à présent en public. Outre les réactions des supporters des deux clubs, il y a quand même un problème fonctionnel : LD traîne des grosses casseroles judiciaires et n’a pas de licence d’agent FIFA. Le meilleur moyen de travailler pour Anderlecht est-il d’y avoir un mandat au conseil d’administration ?

20 novembre, match à domicile d’Anderlecht contre Saint-Trond. Les commentaires vont bon train dans la tribune d’honneur, là où seul Eddy Merckx ne se sent pas obligé de porter la cravate. Une collaboration avec D’Onofrio ? Les occupants de la tribune d’honneur sont davantage choqués que les supporters.

Une personne qui a longtemps été très proche du top mauve croise un ami qui lui prête quasi journellement ses services :

-Tu trouves ça une bonne idée, Lucien D’Onofrio ?

-Comme agent de joueurs (à condition qu’il le puisse), il a des mérites mais par rapport à l’image de marque, pfft. Quand tu connais les gens autour de la table du CA, ça m’étonnerait.

-Et un mandat d’administrateur ?

-Encore moins de chances…

Le 24 novembre, le service de com’ d’Anderlecht annonce :  » A la fin du conseil d’administration, le président du RSCA, Monsieur Roger Vanden Stock, a informé le conseil que le club comptera sur les services de Monsieur D’Onofrio qui, d’une manière privilégiée, travaillerait avec le club sur le plan des transferts. Le club continuera à gérer les dossiers de transferts comme il l’a toujours fait. Le club s’abstiendra de tout commentaire. « 

Lucien est dans la place. Même sans licence d’agent FIFA ! Et pourtant…

Le lendemain, D’Onofrio annonce – par communiqué – qu’il est honoré de la proposition anderlechtoise mais qu’il n’est pas encore sûr de répondre à l’invitation de Vanden Stock. Que doit penser RVDS ? Il s’est dévoilé face son CA et l’autre se fait prier ! Mais c’est comme ça avec LD : il joue souvent la montre, il a toujours tout le temps du monde. Veut-il une position plus importante que celle que RVDS lui réserve ? Depuis, Lucien-le-Liégeois n’a plus donné signe de vie.

30 novembre : lors du dîner officiel précédant le match d’Europe League à Athènes, Vanden Stock y va d’un discours très moody où il parle de manière peu claire de l’avenir, disant qu’Anderlecht devrait un jour ou l’autre se passer de la famille VDS. Il mentionne son âge (70 ans l’an prochain). S’apprête-t-il au départ alors qu’il a toujours dit qu’il continuerait jusqu’à 75 ans ?

Le lendemain, c’est un nouveau communiqué et une courbe rentrante d’Anderlecht pour contrer les spéculations des journalistes qui voyaient déjà un autre président à la place du président. RVDS semble ingérable en termes de communication et donne involontairement raison à ceux qui voient en lui un gaffeur. David Steegen, le directeur de la com’, le défend :  » Il faut se demander pourquoi le président a fait cette sortie à Athènes…  » Il aurait donc voulu faire peur à ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui ? D’accord ! Mais l’effet fut catastrophique parce que le communiqué est un acte de contrition :  » (…) J’ai en effet entamé une réflexion quant à ma succession. Le club est en de bonnes mains et le restera. Depuis peu, le RSCA est devenu une société anonyme. L’installation de la nouvelle structure assure l’avenir du club. Les membres de la SA apportent, en effet, beaucoup d’expérience et une expertise enrichissante dans différents domaines. Cela me rassure. Les fondations du nouveau Sporting sont construites et mon départ n’est pas pour demain. Loin de là. Je veux prendre le temps de continuer à faire évoluer le RSCA avec l’équipe qui me seconde chaque jour. Assurer l’avenir sportif du RSCA prendra plusieurs années. « .

Ceux qui pensent que le CA n’est qu’un  » conseil d’admiration « , tout dévoué à Roger Vanden Stock, en sont pour leurs frais. C’est la seconde fois – après l’annonce D’Onofrio – qu’un communiqué rectifie ou précise ensuite ce qui doit l’être.

La guerre des communiqués

Mais le CA s’est-il vraiment levé comme un seul homme face à la proposition de RVDS concernant LD ?

 » Le communiqué de presse du 24 novembre était le reflet parfait de ce que pensait le CA par rapport à M. D’Onofrio « , nous a dit Emmanuel van Innis.  » Il n’est pas question de rentrer dans des combines, etc. Mais s’il y a des opportunités, pourquoi pas ? On a mal interprété les choses : on n’a jamais pensé à LD comme pouvant occuper éventuellement une fonction officielle. Le président nous a simplement parlé de lui dans un souci de transparence parfaite « .

Pouvait-il faire autrement ?  » Evidemment que non, l’information était sortie dans la presse et il nous a fait part de son projet. Mais de toute manière, le CA n’a aucun pouvoir pour empêcher RVDS de parler à qui il veut, d’avoir des avis, des conseils. Ce n’est pas une matière dans laquelle le CA peut intervenir. La presse a fait un battage énorme de cette histoire mais, pour nous, c’est clair : RAS, rien à signaler. Depuis, on n’a plus de nouvelles de M. D’Onofrio et on n’a même plus mentionné son nom « .

Emmanuel van Innis insiste sur le fait que le CA ne s’est rien vu imposer. On est loin d’une situation où l’actionnaire majoritaire a tout à dire, comme l’a caricaturé le grand financier Albert Frère :  » Petits actionnaires minoritaires : petits cons. Gros actionnaires minoritaires : gros cons « . Cela dit, il y a comme dans tous les conseils d’administration des gens plus charismatiques que d’autres, capables de devenir des leaders d’opinion même s’ils sont des petits actionnaires. Et même si Emmanuel van Innis, un financier à la carrière imposante, est un vieil ami de RVDS, Anderlecht demeure très formaliste.

Un proche du dossier nous a dit :  » Finalement, le communiqué du 24 a été établi pour ne pas brusquer le président, pour faire en sorte qu’il ne se sente pas bousculé par le CA « . David Steegen reconnaît même une mauvaise traduction, il fallait lire :  » Le club compterait – au conditionnel – sur les services de Monsieur D’Onofrio « . C’est plus qu’une nuance : c’est placer la collaboration dans un contexte très flou. LD l’a très bien compris, il fait le mort. Mais ce n’est pas parce qu’il n’allait pas devenir administrateur que tout le monde était pour autant rassuré chez les Mauves.

 » Roger apprécie énormément Lucien ; et pas seulement par le fait qu’il ait vendu Marouane Fellaini 20 millions à Everton. Roger a toujours eu les pieds sur terre. Il sait parfaitement que la réalité est sans doute différente en ce qui concerne cette somme « , nous a dit un proche du top anderlechtois depuis belle lurette.  » Cela dit, les hommes d’affaires présents dans le CA ont frémi à la simple mention de D’Onofrio, lui qui a été condamné à deux reprises en France.  »

 » Roger voyait souvent Lucien avant le clash Wasyl-Witsel et tout le foot belge s’en trouvait bien « , rappelle le sénateur Alain Courtois qui a – notamment – travaillé comme secrétaire général au RSCA.  » Ensuite, sous la pression des directeurs des deux clubs, Herman Van Holsbeeck et Pierre François, en guerre l’un avec l’autre à l’époque, et des supporters, les deux hommes ne se sont plus vus… jusqu’aux embrassades d’Hélécine, deux mois après le match maudit. Depuis ? Je ne sais pas. Mais jusqu’à la veille des retrouvailles d’Hélécine, certains dans le top anderlechtois étaient toujours contre cette idée…  »

 » Roger aurait finalement pu avoir M. D’Onofrio sous la main comme conseiller personnel « , précise Van Innis.

 » Ce sont deux personnes qui s’entendent bien et qui voulaient juste se faire plaisir, se rendre des services. D’Onofrio ne viendra jamais travailler à Anderlecht, il n’a pas besoin de ça. Mais il aurait pu être consultant du plus grand club belge… Comme c’est parti, il ne le sera sans doute jamais « , dit Courtois.

Les non-dits d’un communiqué

Quand on reprend le communiqué du 24 novembre, on est intrigué par la contradiction entre les deux phrases suivantes :  » Monsieur D’Onofrio qui, d’une manière privilégiée, travaillerait avec le club sur le plan des transferts  » et  » Le club continuera à gérer les dossiers de transferts comme il l’a toujours fait « . Il semble difficile d’accorder un privilège à un nouvel élément et de continuer à travailler exactement de la même manière.

On peut penser qu’Herman Van Holsbeek a été heurté par la venue de D’Onofrio et qu’il s’est manifesté au CA. Notons que HVH ne fait pas partie de la SA (il ne possède aucune part) mais a un poste d’administrateur. Pas nécessairement une position idéale pour protéger son pré carré d’employé par le club. Il est là avant tout pour opérer la liaison entre le CA et la gestion du club, veiller à ce que les désirs du CA soient suivis correctement. Et forcément, son rôle n’est pas facile parce qu’il se trouve souvent pris entre deux feux. On le voit mal intervenir sur le cas LD à ce niveau. D’autant qu’ensuite, il a déclaré qu’il aurait été non-professionnel d’évacuer d’office un plan D’Onofrio.

Par contre, Philippe Collin est catalogué anti-D’Onofrio au CA aussi. Son beau-fils, Jacques Lichtenstein, est agent de joueurs et a été très bien introduit chez les Mauves (situation considérée comme un point faible de Collin). Mais l’argument ne vaut quasi rien : Lichtenstein (lui-même fils d’agent de joueurs) n’étant plus vraiment impliqué dans les derniers transferts importants.

Mais cela ne dédouane pas l’ancien hockeyeur olympique Montréal 76 et le dirigeant très intéressé (sinon toujours éclairé) par le développement et les progrès sportifs, que ce soit à Anderlecht ou chez les Diables Rouges. Dans le communiqué du 24 novembre, c’est Philippe Collin qui a voulu ajouter la phrase  » Le club continuera à gérer les dossiers de transferts comme il l’a toujours fait « . Par là-même, Collin voulait bien insister sur le fait que c’était lui qui continuerait à superviser les transferts et les missions à l’étranger.

Mais s’il entend protéger son beau-fils, il reste aussi totalement dans la ligne familiale. Il n’oubliera jamais ce que son oncle, Constant, a fait pour lui quand il était jeune et n’a pas pour ambition de s’opposer de manière radicale à son cousin.  » Les deux cousins ont leur style et ne sont pas toujours d’accord mais ne se critiquent jamais ouvertement heureusement « , résume une de nos sources. A Athènes, Collin avait d’ailleurs partagé le pathos public de son cousin en disant : – Si tu pars, je pars aussi « . Sans comprendre qu’il ajoutait encore au trouble ambiant.

Cela dit, les deux cousins ont 69 et 65 ans et veulent un peu penser à eux :  » Ils donnent parfois l’impression d’être fatigués, et comme ils ont de l’argent et de la passion pour leurs loisirs, ils philosophent parfois sur la vie qui passe. Ils veulent en profiter. « 

Et les supporters ?

Michel Cornelis est le notaire qui a passé l’acte constitutif de la SA et… le président de l’Amicale des Supporters. Il a eu des ennuis récemment avec la tête du club étant donné qu’il critiquait publiquement Ariel Jacobs. Il a menacé de démissionner de l’Amicale mais les supporters l’ont prié de rester :  » Le foot ne passe pas assez au premier plan dans le club, il y a des tas d’activités très importantes comme un restaurant, une boutique, des relations familiales… Moi, je suis pro D’Onofrio. C’est quand même lui qui a fait le Standard… même s’il l’a un peu défait aussi. Mais il serait un plus pour Anderlecht. Qu’il gêne des membres du CA ça ne m’étonne pas. Il fait un peu peur, mais il allait simplement prendre un mandat d’administrateur et c’est tout.  »

Alexandre Van Damme est un petit actionnaire, ce qui étonne vu sa fortune, une des plus importantes de Belgique. On le voyait investir davantage dans le club alors qu’il n’est même pas administrateur. La presse parle souvent de lui comme président potentiel mais, même s’il est passionné par l’aspect purement sportif, il ne s’est jamais exprimé dans ce sens. La finesse et la discrétion même, il se serait par contre offusqué la semaine passée en privé du fait que le conseil d’administration n’ait pas totalement respecté son devoir de discrétion. Van Damme a raison, mais difficile d’échapper à l’ADN émotionnel du football. Même pour des capitaines d’industrie qui ont l’habitude de conserver leur sang-froid.

 » Les gens qui siègent au CA sont tous venus pour les beaux yeux de Roger : ce sont des amis, de vieux supporters, des copains de ski « , nous confirme une source.  » Certains administrateurs serrent la main de D’Onofrio en public, mais ne veulent pas qu’il travaille officiellement pour Anderlecht « , dit un insider.  » Emmanuel van Innis travaille avec la France, via Suez, et là-bas, ils savent que D’Onofrio a été condamné dans ce pays. Et Pascal Minne, une tête de la banque d’affaires Petercam, fiscaliste de haut-vol qui donne cours de droit fiscal à l’Ecole Solvay, à l’Université Libre de Bruxelles. Ou le Vicomte Davignon ou le notaire Mourlon Beernaert, une des plus grosses études de Bruxelles qui dit toujours : – Je perds de l’argent ici quand les Mauves font un mauvais résultat… Ils ont dû dire – Mais Roger !, on vient tous pour te donner un coup de main ; tu ne vas pas nous mêler à D’Onofrio. Ils ont eu la même réaction quand Wauter Vandenhaute, de Woestijnvis, a voulu devenir actionnaire de la SA. Trop jeune, trop nouveau riche ! Mais le jour où Vanden Stock voudra vendre ses parts dans la SA, Vandenhaute reviendra.  »

Conclusion

Vanden Stock et Anderlecht ont très mal communiqué dans l’affaire D’Onofrio. Et on a pu être surpris par les informations qui sortaient du CA et par leur timing. En attendant, même s’il parle parfois trop, qu’il a donné l’impression d’agir comme au temps où sa famille était majoritaire à l’ASBL et qu’il a été recadré, RVDS demeure l’homme fort des Mauves. Du fait de son poids d’actionnaire, de la cristallisation familiale et de l’amabilité de ses amis.

PAR JOHN BAETE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

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