Pierre Bilic

Le coach des Buffalos estime que son ex-poulain égalera les grands stratèges mauves des 30 dernières années : Robby Rensenbrink, Juan Lozano, Enzo Scifo, Marc Degryse et Pär Zetterberg.

Vieux de la vieille, Georges Leekens (57 ans) a affronté balle au pied, coaché ou s’est frotté en tant qu’entraîneur aux stars que furent Robby Rensenbrink, Juan Lozano, Enzo Scifo, Marc Degryse et Pär Zetterberg. Le football a évidemment beaucoup changé au cours de ces cinq règnes. Chacun de ces rois a eu défini sa zone d’influence et ses circuits préférentiels. Mbark Boussoufa les rejoindra-t-il un jour au Panthéon mauve ?

Georges Leekens :  » Mbark n’aura pas que le championnat et la Coupe de Belgique à son programme. Anderlecht vise le titre chaque année et ne jure que par la Ligue des Champions. Cela veut dire beaucoup de matches. De plus, il a opté pour l’équipe nationale du Maroc. Mais il a la chance d’être résistant : à Gand, Mbark réussissait toujours les meilleurs tests physiques, et de… loin même. Anderlecht a mis la gomme pour la prochaine saison. Les Bruxellois donnent le coup de rein qui devrait leur permettre de retrouver du poids en Ligue des Champions et cela passe par plus de vitesse et de technique. A mon avis, les deux médians argentins vont ratisser au profit des éléments offensifs. Vous verrez : Boussoufa servira Nicolas Frutos mais saura aussi s’appuyer sur lui pour aller jusqu’au bout. Homme contre homme, il fera des ravages. Il sait se décaler à gauche ou à droite pour aider les flancs, ouvrir des espaces pour la deuxième ligne. Mbark va entamer sa troisième saison en Belgique : il confirmera tout le bien qu’on pense de lui « .

Boussoufa contre Robby Rensenbrink (71-80)

Georges Leekens :  » On ne verra probablement plus de footballeur de la classe de l’ailier gauche dans un club belge. Le Hollandais a disputé deux finales de Coupe du Monde en 1974 et en 1978. Les Pays-Bas se coltinèrent chaque fois le pays organisateur. Sans cela, ils auraient remporté un des deux titres. L’Argentine ne l’aurait jamais vaincue en Europe. Arie Haan prit également part à ces deux finales. Aucun club belge ne peut plus s’offrir un talent comme Robby. Il n’avait qu’un défaut : sa timidité. Cette star ne parlait pas en public et ne s’exprimait guère dans le vestiaire, au contraire de Johan Cruijff. Mais Robby était quasiment aussi doué que le célèbre numéro 14. Un joueur ne peut être heureux que dans un club dont le style lui convient. Rensenbrink était déjà génial à Bruges mais il préférait revêtir un smoking qu’un bleu de travail. Or, à Bruges, il faut aller au charbon comme en Angleterre. Robby était fait pour Anderlecht. Ce joueur y a atteint rapidement sa vraie dimension. C’était un artiste. Balle au pied, il était irrésistible. Tous les arrières avaient la trouille de ses dribbles, de ses déboulés, de sa technique. Il était impossible de l’affronter homme contre homme. C’était un extra-terrestre qui, même dans un mauvais jour, changeait le cours d’un match en un exploit. Ce joueur était libre comme l’air.

Il ne faut pas oublier qu’Anderlecht était organisé en fonction de sa star. La ligne médiane en dit long : Frankie VercauterenLudo Coeck– Haan- Benny Nielsen. Chacun était capable de frapper, de marquer, de surgir de la deuxième ligne. A gauche, le back Jean Thissen engageait sa force derrière Vercauteren afin d’organiser la récupération derrière Rensenbrink. Le Hollandais était un numéro 11 qui jouait très haut, que ce soit sur sa ligne ou en allant droit au but. Il ne chassait pas le ballon. D’autres le faisaient pour lui  »

 » Mbark est issu de la même école hollandaise. Il a appris à jouer au football dans la rue avant de se retrouver à l’Ajax Amsterdam. Il ne s’est pas imposé en Hollande. Rensenbrink et Simon Tahamata non plus. On verra plus tard s’il peut être comparé à Robby qui, en plus de son brio, a obtenu un formidable palmarès. Robby était un artiste mais aussi un passeur, un buteur et un compétiteur. Mbark détient en tout cas un dribble dévastateur. Il est imprévisible comme Robby l’était. J’ai la réputation d’adorer les armoires à glace. Donnez-moi dix Boussoufa, Zetterberg, Degryse ou Scifo : je ne les refuserai jamais. Quand j’ai vu Boussoufa à l’entraînement, j’ai dit après une demi-heure : – C’est bon, on prend tout de suite. Mbark venait de Chelsea. Il était encore trop jeune et trop tendre pour l’Angleterre mais cette épreuve lui a fait du bien car cela a entraîné une remise en question. Il a beaucoup progressé en deux ans. A son arrivée à Gand, il voulait sans cesse justifier son transfert, étaler son talent. Je lui ai demandé de mieux gérer ces envies et même de choisir les moments où il faut ouvrir la manette des gaz. Mbark joue bien des deux pieds mais est un droitier naturel. En partant de la gauche, il déstabilisait plus facilement son opposant. Si Rensenbrink était un vrai numéro 11, Mbark est un 9,5, à l’aise derrière une tour, dans l’axe, entre les médians et le pivot « .

Boussoufa contre Juan Lozano (81-83 et 85-89)

Georges Leekens :  » Lozano a vécu l’énorme mutation du football par rapport à l’époque de Rensenbrink. Plus rien ne serait jamais comme avant. Tomislav Ivic l’a aligné haut. Juan détestait la théorie, les flèches sur le tableau noir. C’était du chinois pour lui. Ivic a cependant fortement augmenté son rythme de travail et Juan a appliqué le pressing tout en gardant ses énormes arguments techniques, son sens de l’infiltration, etc. Il a récolté les fruits de son travail sous la direction de Paul Van Himst qui le confirma dans la ligne médiane, devant Coeck. Ce n’est pas pour rien que le Real Madrid l’a embrigadé de 1983 à 1985. Sans sa fracture de la jambe, son parcours aurait été unique. Avec lui, les décisions n’ont plus été prises à gauche mais bien au centre du terrain. Malgré le pressing, Juan préférait recevoir la balle dans les pieds. Ses successeurs ne purent plus se permettre d’attendre qu’un porteur d’eau les serve. Juan avait le plus souvent Erwin Vanden bergh et Alex Czerniatynski devant lui. Il pouvait les servir et percuter à l’occasion comme Coeck le faisait à distance. Le grand Ludo était le seul médian défensif et cela suffisait car Anderlecht était dominant « .

 » Même si Juan savait marquer un but, Mbark jouera encore plus haut, créera devant le rectangle, se décalera vers la gauche ou la droite de façon à créer des appels très haut. Mbark lit bien le jeu comme Juan. Mais si l’Anversois estimait que les croquis du tableau noir n’intéressaient que PabloPicasso, Mbark parle de foot du matin au soir, cherche à tout comprendre, décortique les phases de jeu. Sur le terrain, les grandes vedettes agissent instinctivement. C’est son cas mais il n’oublie jamais de faire le point de la situation. Mbark a réfléchi avant de signer à Anderlecht. Il ne parle jamais d’argent. En passant de Gand à Anderlecht, il a fait un choix de carrière et n’a pas songé à son portefeuille. C’est pour plus tard si tout va bien. Avec Anderlecht, il n’a pas été trop vite comme quand il signa à Chelsea « .

Boussoufa contre Enzo Scifo (80-87, 97-99)

Georges Leekens :  » Enzo était différent de Lozano. A 18 ans, il n’avait pas le background de Juan qui s’était affirmé au Beerschot et avait vécu une aventure à Washington avant de se retrouver à Anderlecht. Enzo n’avait pas ce métier mais il fut plus un vrai numéro 10 que Lozano. Scifo se repliait parfois à la hauteur de sa défense pour demander et obtenir le ballon. Sa lecture de jeu était plus globale mais parfois trop latérale. Athlétiquement, il en imposait plus que Lozano. Enzo était un roc qui en plus de distribuer le jeu, frappait bien, s’appuyait sur sa technique, sa vista et une très belle détente aérienne. Scifo a marqué beaucoup de buts de la tête, surtout lors de son premier passage à Anderlecht. Il aussi eu des coups durs mais s’est relancé à Auxerre, à Monaco, en Italie avant de revenir à Anderlecht en fin de carrière « .

 » Le trafic aérien n’est évidemment pas l’atout principal de Mbark. Plus en pointe, là où il n’y a pas un centimètre de libre, il joue souvent très court. C’est là que c’est le plus difficile. Il faut surprendre, créer de l’espace pour les autres. Boussoufa peut être une toupie qui affole les autres. Avec lui, Anderlecht pensera plus haut, forcera des coups francs devant le rectangle adverse. Mbark est un remarquable spécialiste des phases arrêtées. A l’entraînement, il ne se lassait jamais de tirer au but. Enzo pensait de loin, Mbark sera plus un ouvre-boîte. Mais avec le temps, il reculera probablement et cela ne lui posera pas le moindre problème « .

Boussoufa et Marc Degryse (89-95)

Georges Leekens :  » Marc avait 24 ans quand il arriva à Anderlecht et s’était déjà forgé un beau palmarès à Bruges. On ne le menait pas en bateau : Marc était malin comme un singe, savait se faire oublier, repérer le point faible dans la garde adverse avant de frapper. Il avait l’art de jouer entre les lignes et agissait vite et avec clarté. Marc était difficile à définir : soutien d’attaque, élément libre derrière un ou deux attaquants, médian très offensif ? Degryse était un peu tout cela à la fois grâce à son intelligence et cela lui a permis d’être un leader et de marquer son temps « .

 » Mbark n’a que 21 ans : l’avenir lui appartient. Il y a des similitudes avec Marc mais mon ancien joueur est encore plus vif et imprévisible et c’est une énorme richesse. Degryse réfléchissait autrement. Mbark a une vision marquée par le plaisir de créer, d’enflammer le public, à la Ronaldinho ou Samuel Eto’o. Comme eux, il s’amuse. Mbark doit préserver ce capital et rester simple, naturel, comme il l’est. Il ne doit rien exagérer à Anderlecht, ne pas forcer son jeu et chercher sans cesse à justifier son transfert. Son talent est connu et reconnu. Il doit simplement continuer sur sa lancée. La pression sera forcément plus importante qu’à Gand. Il aura plus d’obligations et devra parfois dire non et on devra l’aider à gérer son agenda. Là aussi, son passage à Chelsea, même s’il ne fut pas fructueux, lui permettra de tout vivre avec du recul. Il est très bien entouré et soutenu par sa famille qui vient régulièrement d’Amsterdam « .

Boussoufa et Pär Zetterberg (89-91, 93-00, 03-06)

Georges Leekens :  » Si quelqu’un a su rebondir, c’est bien Zetterberg. Alors qu’on doutait de lui, il a prouvé à Charleroi qu’on pouvait réussir malgré des pépins de santé. Le diabète n’a pas été un handicap. Pär a régné au niveau de la ligne médiane où il était aussi bon en profondeur qu’en largeur. Il était difficile de lui prendre la balle dans les pieds. Pär était un faiseur de jeu, connaissait le potentiel de tous ses équipiers, les servait bien, les utilisait au mieux de leur possibilité. Pär était un médian très collectif, capable d’assumer une grosse masse de travail en laissant même la baguette de meneur de jeu à Yves Vanderhaeghe comme ce fut le cas contre le Standard. Ses coups francs ont souvent fait la différence. Son charisme et sa sportivité l’ont beaucoup aidé. Il ne sera pas facile de le remplacer et, de toute façon, le concept a changé « .

 » Avec son 1,67 m, Mbark fait sept ou huit centimètres de moins que Pär qui n’est pas grand. Ils auraient parfaitement pu jouer ensemble. On trouve toujours le moyen d’unir de bons joueurs. C’est plus difficile quand le talent fait défaut. Mbark ne doit pas être un nouveau Pär car ce n’est pas comme cela qu’on remplace un monument. Pour réussir, Mbark devra garder ses qualités et ses valeurs. En plus de sa vivacité, Boussoufa est doté d’une magnifique pointe de vitesse. Quand il s’envole en profondeur, on ne le revoit plus. Chez nous, Bruges a tout essayé : le marquage individuel, la profondeur. Rien ni personne ne l’ont arrêté. Il est imprévisible. Zetterberg a su gérer son capital physique. Mbark devra l’imiter car la charge de travail sera plus importante qu’à Gand « .

PIERRE BILIC

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