UN BÉLIER CHEZ LES ZÈBRES

Auteur de PO1 de feu avec Charleroi la saison dernière, Enes Saglik peut enfin s’exprimer à sa vraie place, ce qui ne lui était plus arrivé depuis son passage à Eupen. Epanoui, il n’en oublie pas moins ses origines verviétoises, là où tout a commencé. Rencontre avec un homme radieux, loyal, et même un peu utopiste…

Hodimont doit sa récente célébrité à son équipe de foot qui a ramassé 343 buts dans le buffet la saison dernière, n’inscrivant au passage que 10 goals, le tout avec zéro point au compteur. Mais Hodimont, c’est avant tout ce grand quartier de la ville de Verviers qui fut même une commune à part entière jusqu’en 1930. Au centre, un rond-point dirige les automobilistes dans six directions différentes, devenant ainsi un point important des environs, même si pour les jeunes du quartier, c’est pour une autre raison qu’il a de la valeur. C’est en effet lui qui conduit au Terrain d’Aventures.

Un graffiti réalisé par des enfants sur un mur blanc souhaite la bienvenue aux visiteurs. Sécurisé par une haie, le petit domaine l’est aussi par une barrière qui laisse le passage libre aux seuls piétons. À l’intérieur, une petite plaine de jeu et surtout un terrain de mini-foot entouré de grillages.  » Houlà, je ne reconnais quasi plus rien  » s’écrie un habitant du coin. Casquette de côté, pantalon large et solide barbe, EnesSaglik concède ne plus avoir mis les pieds sur ce terrain de quartier depuis belle lurette.  » Pourtant on jouait presque tous les jours entre potes sur ce terrain. J’habitais juste à côté, je sortais le matin, je restais là jusque cinq heures, j’allais manger, je ressortais… c’était vraiment la fête.  »

Des étoiles plein les yeux, l’actuel joueur du Sporting Charleroi se souvient de sa jeunesse passée à Hodimont avec ses potes.  » Pour moi c’est un bon quartier, reprend-il. Il est réputé pour avoir eu pas mal de soucis, par moments, même si c’est du passé, maintenant c’est assez calme. Mais attention, ni moi ni ma famille n’avons déjà eu de problèmes ici, les gens sont vraiment accueillants.  »

Si Enes est né en Belgique, ses parents sont originaires de la région de Trabzon, à l’est de la Turquie. Ils ont migré vers le nord de l’Europe il y a une grosse vingtaine d’années. L’oncle d’Enes était déjà là pour les accueillir, mais l’arrivée n’a pas été facile pour autant.  » Mes parents étaient perdus le premier jour. Ils ne connaissaient pas la langue et le contact ne se faisait pas directement. Heureusement, mes parents sont forts mentalement et sont croyants donc ils savent que Dieu les aide s’ils le lui demandent.  »

C’est donc dans des conditions pas toujours évidentes que le petit Enes vit sa jeunesse. Mais il a un truc pour se changer les idées : le foot. Au petit terrain du quartier, il a ainsi la chance d’être accepté par les  » grands « .  » Ils nous laissaient jouer parce qu’ils voyaient qu’il y avait du talent. Quand tu es accepté comme ça, tu sais que t’as un minimum de qualités, donc t’essaies de te faire plaisir et de leur montrer que tu as quelque chose dans le ventre.  »

CAPUANO LE FOU

Le choix entre l’école et le foot, Enes ne le fera même pas. Après avoir touché ses premiers ballons à l’Etoile de Wegnez, club du quartier voisin, il rejoint les équipes de jeunes de Visé, à 30 kilomètres de là. Arrivé à l’adolescence, il se voit proposer un contrat, mais décide finalement de passer une nouvelle étape en signant à Eupen.

 » J’étais hyper content parce que c’était une évolution par rapport au temps où je jouais contre des petits clubs de quartier. Là, ça commençait à être un niveau national et je sentais que je montais les paliers.  » Saglik les franchit tellement bien qu’il fait partie intégrante de l’équipe qui obtient son billet pour la D1 au printemps 2010.

Son premier passage parmi l’élite est d’ailleurs une réussite, puisqu’il enchaîne une bonne trentaine de matchs avec les Pandas sous les ordres notamment de DannyOst ou de l’excentrique EziolinoCapuano.

 » Il était fou, lui « , observe notre homme.  » Il travaillait bizarrement, il ne faisait que de la tactique, il parlait pendant des heures et on ne touchait même pas le ballon. Par contre c’est quand même avec lui qu’on a pris nos premiers points. Mais on faisait de l’antijeu, c’était catenaccio, on ne bougeait plus.  »

Débarqué après seulement 19 jours passés au Kehrweg, Capuano est remplacé par un coach au style bien différent : AlbertCartier.  » Je l’aimais bien en tant qu’homme mais surtout en tant qu’entraîneur : il a ramené de l’envie et de la hargne à Eupen !  » Finalement rétrogradé en fin de saison, Saglik espère une offre d’une autre écurie de D1… en vain.

Il redescend donc avec le club germanophone à l’étage inférieur où, de son propre aveu, il va  » tout casser « , plantant 10 buts pour 16 assists. De quoi attirer les recruteurs de son pays d’origine.  » Eskisehirspor et Bursaspor se sont renseignés… Tu as quand même une petite fierté de savoir que la Turquie s’intéresse à toi.  »

Tout comme lui, d’ailleurs, qui a toujours suivi l’actualité de son pays, comme pour le moment avec les violents combats entre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et l’armée turque.  » Je suis la situation de près : je regarde la télévision turque. C’est quelque chose qui ne date pas d’aujourd’hui, mais pour moi la Turquie se protège, et j’ai envie de dire que c’est son choix. Mais c’est malheureux de voir que c’est la gestion du monde actuelle, alors qu’on pourrait tous vivre dans l’amour…  »

LA LOI DE 1978

De nature optimiste, voire utopiste, Enes a appris à retomber les pieds sur terre notamment en découvrant le monde professionnel du football. À Eupen, malgré sa volonté de rejoindre Eskisehirspor en janvier 2012, il sera retenu sur place et devra utiliser la loi de 1978 pour quitter le club à l’été suivant.

 » Mon père m’a beaucoup aidé à l’époque, mais il ne connaissait pas vraiment le monde du foot. Quand j’ai quitté Eupen, on a pas mal sali son image dans les journaux en disant qu’il faisait tout pour me faire gagner de l’argent, alors qu’il voulait juste m’aider à trouver un club. Depuis, j’ai décidé de le mettre de côté pour le protéger.  »

Le paternel regarde néanmoins encore tous les matchs du fiston, à qui il n’oublie jamais de faire son commentaire.  » Il a toujours quelque chose à dire donc je réponds chaque fois ‘oui’, même quand il a tort…  »

Manipulable, Enes ? Pas vraiment. C’est juste qu’il n’aime pas trop parler, et encore moins de lui.  » J’en ai horreur ! Pour les interviews, j’en fais quand on me demande, mais parfois je refuse les caméras. Par contre quand je suis sur le terrain, c’est comme si j’étais au quartier : on se fait plaisir, on profite un peu de l’ambiance, on joue au foot…  »

C’est peut-être cette aisance sur les terrains qui tape dans l’oeil des recruteurs de Lokeren et plus précisément du coach PeterMaes qui finit par attirer le jeune Saglik, 21 ans, à Daknam.  » J’avais reçu plusieurs offres, notamment de l’étranger, mais j’avais l’impression que c’était Peter Maes qui me voulait le plus.  »

En 2012, Enes fait donc le grand pas de la D2 à… l’Europa League.  » C’était contre Viktoria Plzen. Je n’ai pas joué, mais c’était déjà pas mal pour moi d’être là. C’est aussi le moment où je me suis rendu compte que le football serait mon métier. Quand j’étais à Eupen, je ne me sentais pas encore vraiment pro, notamment parce que j’habitais encore chez mes parents.  »

Les débuts sont donc rêvés, mais la suite l’est beaucoup moins : Enes est utilisé comme joueur de flanc, poste qu’il ne considère pas comme étant le sien. Ses prestations ne répondent donc pas vraiment aux attentes –  » même si je me donnais à chaque fois à fond  » – et le Verviétois passe plus souvent qu’à son tour les matches sur le banc.

 » À Lokeren, je n’ai jamais foutu la merde, même quand je ne jouais pas, c’est juste que le coach a fait ses choix et je n’en faisais pas partie.  » Le médian traverse alors une période plus délicate dans sa vie professionnelle, mais n’hésite pas à retourner à Verviers dès qu’il le peut pour se changer les idées.

PLUS FAMILIAL QUE LOKEREN

 » Chaque fois que je revenais, c’était pour profiter de la famille, parce que je ne la voyais pas souvent et c’était d’abord grâce à eux que j’en étais là.  » Enes en profite également pour sortir dans le quartier, retrouver ses potes mais aussi aller les voir jouer. Son cousin, MucahidCeylan, a ainsi porté pendant quelque temps les couleurs du RCS Verviers, club dont le destin final a particulièrement touché le Zèbre.

 » C’est malheureux parce qu’il y a du talent ici, beaucoup de jeunes qui en veulent. Mais bon, ça a d’abord été mal dirigé et puis après, plus personne n’était là pour payer les dettes chez les Béliers.  » En janvier dernier, une autre actualité n’a pas non plus contribué à rendre une image positive de Verviers à toute la Belgique, il s’agit bien entendu de l’action anti-terroriste menée contre des djihadistes.

 » Cela a évidemment un peu sali la ville, mais ça fait peur aux gens alors qu’il n’y a pas besoin. Les terroristes peuvent très bien aller tirer dans n’importe quelle autre ville. Ce n’est pas parce qu’il y en a eu ici que cela se généralise dans tout Verviers.  »

Ce triste passage n’a en tout cas pas éloigné Saglik de sa ville d’origine où il possède encore un appartement qu’il rejoint chaque fois qu’il est en congé au… Sporting Charleroi, club qu’il a rejoint en janvier 2014.

 » Le projet m’a plu, ils m’ont dit qu’ils voulaient grandir, devenir un grand club. Puis j’ai directement remarqué que c’était un club familial, différent de Lokeren. A Daknam, ce n’est pas la même mentalité, ils peuvent très bien passer à côté de toi sans te dire bonjour, mais c’est comme ça.  »

Débarqué pendant le stage hivernal des Carolos en Turquie, Enes Saglik s’est directement montré utile pour le club… mais pas vraiment sur le terrain.  » Je faisais le traducteur entre le coach et les jardiniers pour leur demander d’ouvrir la porte ou savoir si on pouvait utiliser des terrains, etc.  »

Il affirme même avoir réglé un problème avec la direction de l’hôtel, permettant ainsi à ses nouveaux coéquipiers de ne pas rater l’avion :  » Si je peux aider, je le fais avec plaisir.  » À Charleroi, Enes découvre une ambiance chaleureuse, festive, une atmosphère qui lui convient tout à fait pour mieux s’exprimer professionnellement.

 » Franchement c’est une bande de potes solidaires, on se voit parfois en dehors du terrain, j’aime encore bien aller manger avec Neeskens, Mata, Nganga… Cette solidarité fait notre force.  » Une force qui permettra ainsi aux Carolos d’atteindre les PO1 au printemps 2015, un mini-championnat qui va réellement permettre à l’ancien Eupenois de se métamorphoser.

DÉCLIC AUX PO1

 » Durant la phase classique, le coach m’a baladé de droite à gauche et ça allait beaucoup moins bien. Le déclic s’est peut-être produit lors du dernier match contre Mouscron, où j’ai joué à ma place, au 8. C’était mon match-référence. J’ai profité de la confiance que j’avais et du fait d’avoir dix grandes finales devant moi pour faire de bonnes prestations.  »

Prestations qu’il a reproduites en Europa League lorsqu’il l’a enfin vraiment découverte en juillet dernier.  » Rien que le fait de voir le logo Europa League et savoir que tu la joues, tu te dis :  » Bah voilà, peut-être que le monde entier va voir ce match…  » Puis quand tu vois le match et le score contre le Beitar à la maison, tu te dis que tu fais quelque chose de bien.  »

Epanoui au centre du terrain, le Verviétois retrouve un peu les sensations qu’il avait éprouvées lors de son premier passage en D1, à Eupen.  » J’espère de tout coeur que ce que je vis à Charleroi maintenant va continuer. Là je sens que je suis redevenu moi-même, que je vis avec le foot, que je suis heureux avec ça…  »

Redevenu un joueur de D1, Enes Saglik n’espère pas s’arrêter là et regarde toujours vers le haut.  » Je dois d’abord retrouver le rythme et la stabilité, mais je suis quelqu’un d’ambitieux donc j’essaierai d’aller le plus loin possible.  » Avant de revenir à Verviers ?  » Racheter les Béliers, qui sait ? Si j’ai l’argent, bien sûr ! Mais de toute façon, je suis né ici, je mourrai ici.  »

PAR ÉMILIEN HOFMAN – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je n’ai jamais foutu la merde à Lokeren, même quand je ne jouais pas.  » ENES SAGLIK

 » Mon match-référence, je l’ai joué à la fin de la phase classique, contre le RMP, au 8. Depuis lors, tout s’est enchaîné.  » ENES SAGLIK

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