Un Belge ROI du foot thaï

Une académie labellisée française, des joueurs ivoiriens, des infrastructures et une passion thaïlandaises, un modèle anglais et un patron belge : plongée dans le football mondialisé des années 2000.

C’est l’histoire d’un mec dont la vie va être bouleversée après s’être retrouvé autour d’un repas avec Jean-Marc Guillou (celui par qui est arrivé le contingent de joueurs ivoiriens à Beveren) et Arsène Wenger. Ce mec, c’est Robert Procureur, un nom qui ne vous dit certainement pas grand-chose. Et pour cause : quand ce quinquagénaire bruxellois arrive en Thaïlande pour la première fois, c’est dans le cadre d’un business d’import-export d’antiquités (meubles chinois et indonésiens) destinées principalement aux expats. Question ballon, Procureur affiche à son CV une série de clubs de provinciales de Bruxelles et du Brabant wallon après un écolage au RWDM. Rien de très pimpant, surtout si l’on se réfère aux parcours des deux Français précités. Et pourtant, le gueuleton va le détacher des meubles et le ramener totalement dans le foot.

 » Guillou m’a dit :- J’ai un concept avec mes académies qui a fait ses preuves, mais maintenant il faut ouvrir le marché. Toi tu es ici sur place, l’Asie je n’y connais rien. Et puis, tu as la même philosophie de jeu que moi « , se rappelle Procureur.  » Le contact est directement passé entre nous. Il a été séduit par ma passion, ma vision du foot et a été très clair : – Ce n’est pas parce que tu n’as pas évolué au plus haut niveau que tu n’y connais rien. Grâce à lui, j’ai pu rencontrer des gens intéressants. Il m’a en quelque sorte formé et on a fini par s’associer pour ouvrir des académies.  »

On est au début des années 2000, Guillou implante sa marque Académie JMG à Bangkok après la belle réussite d’Abidjan – sont sortis les ArunaDindane, Yaya Touré, Didier Zokora, etc. – et celle, plus confidentielle, de Madagascar.

 » L’académie a été érigée à 100 km de la capitale « , poursuit Procureur.  » Aujourd’hui, elle compte deux magnifiques terrains et une piscine extérieure. Mon rôle est de m’occuper de l’aspect administratif et de la gestion ; Guillou se charge, lui, du technique, du sportif.  » La méthode de recrutement ne varie pas : des milliers d’enfants arrivent à l’âge de 12 ans en test, et seulement 12 à 13 gamins intègrent l’académie. Tous les deux ans, le procédé est renouvelé afin de créer une nouvelle promotion.

Qu’elle soit enseignée à Abidjan ou à Bangkok, la philosophie de jeu reste la même :  » La technique est prioritaire. La vitesse d’exécution, la lecture du jeu sont également des points très importants « , insiste Procureur.  » Les joueurs débutent sans chaussures et jouent sur des espaces réduits. Quand l’espace est maîtrisé, on agrandit le terrain. L’apprentissage est basé sur les gammes, la répétition des gestes. Avant 17-18 ans, il n’y a aucun physique. C’est pourquoi quand nos joueurs sortent de l’académie, ils ne sont pas du tout prêts. Le fitness, la musculation, doit être proposé lors de la post-formation, quand les académiciens rejoignent un club… « 

7 titres nationaux en 4 ans !

Le lieu connaît un succès rapide et devient une forme d’ académie display où des personnes du monde entier viennent jeter un £il sur la méthodologie.  » Grâce à cela, j’ai pu développer d’autres académies comme celles basées en Egypte (dont le financier est le président du Lierse, Maged Samy), au Vietnam et au Ghana.  » Mais Procureur voit plus grand. En 2006, il rachète le petit club de Muangthong United, situé au nord de la capitale, près de l’aéroport et bloqué depuis près de 20 ans en second division (le troisième échelon du foot thaïlandais).  » Je me suis dit qu’il fallait une vitrine pour les académiciens. Et je n’ai pas eu à me plaindre puisqu’on est monté chaque saison jusqu’à devenir champion de Thaïlande en 2009 et 2010.  »

Plus fort encore, notre compatriote peut même se targuer d’avoir conquis 7 titres en quatre ans si l’on comptabilise ceux avec son club birman de Yadanarbon (voir cadre).  » Malheureusement, ce succès ne va pas, ne peut pas durer ; je cours tout droit vers les emmerdes ( il rit).  »

 » Directeur technique, board director, femme de ménage « , Procureur est l’homme à tout faire du double champion de Thaïlande. En très peu de temps, il a réussi à professionnaliser un club dont les structures étaient inexistantes lors de sa reprise.  » En D3, la moyenne de spectateurs atteignait les 500 personnes, alors qu’aujourd’hui elle est de 15.000 avec des pics à 22.000 pour les affiches.  » Muangthong United est actuellement l’un des clubs phares de l’Asie du Sud-Est. L’objectif avoué est désormais de s’attaquer à la Champions League asiatique même si certains clubs japonais, sud-coréens et du Golfe ont encore quelques longueurs d’avance.  » On occupe actuellement la 140e position mondiale en venant de nulle part. Et pour arriver au sommet, j’essaie de développer le club au maximum, de faire venir par exemple des physiothérapeutes. Le foot thaï manque encore de professionnalisme. C’est un peu pour cette raison, que ça a très vite bien fonctionné pour moi. J’essaie d’anticiper les événements, de mettre un programme en place, d’équilibrer l’équipe et non pas de me braquer uniquement sur les joueurs stars que je pourrais avoir.  »

Désormais, Muangthong United évolue dans un stade de 25.000 personnes qui comprend 64 box VIP, une enceinte entièrement dévouée à la pratique du foot.  » Le stade a pu être agrandi grâce à l’apport Siam Sport, le plus grand groupe média du pays avec ses 2.500 employés. Le groupe possède aujourd’hui 51 % des parts du club et moi 49. Cette association a permis aussi de développer fortement le brandname (l’image de marque) du club.  »

La Thaïlande contrefait la Premier League

Reste que le pays est davantage réputé pour ses paysages idylliques ou à contrario pour les  » idylles  » tarifées et son tourisme sexuel de mineurs que pour son foot. Qui peut d’ailleurs citer un joueur thaïlandais dont l’équipe nationale est classée au 120e rang au niveau international ?

Procureur :  » Depuis deux à trois ans, le foot s’est professionnalisé. Les stars thaïes qui ont 26, 27, 28 ans ont donc été formées dans un système non professionnel. De plus, il fait très chaud. Pour s’entraîner, c’est un gros problème. Certains matches sont programmés à 16 heures, difficile donc pour les joueurs d’exercer un pressing vu les chaleurs. Mais le foot est en plein boom, les salaires sont à la hausse, un joueur gagne désormais environ 4.000 euros nets par mois, on croise des joueurs argentins, brésiliens, etc. Je dirais que le niveau de l’élite est équivalent au bas de la D1 belge. Le foot est le sport le plus important en Thaïlande. Hors du championnat national, qui s’appelle d’ailleurs la Thai Premier League, la population ne s’intéresse qu’au foot anglais. Les Thaïs ne connaissent rien du Calcio ou de la Liga. Et ceci s’explique par l’extraordinaire marketing des clubs anglais qui ont évidemment tout compris avant tout le monde. Tout le marché asiatique est déjà quadrillé par les clubs anglais. Exception faite du Real qui y va un peu, les Italiens ou les Français ne sont toujours pas réveillés. Pour eux, espérer tirer profit de ce marché, c’est déjà foutu.  »

En novembre dernier, alors qu’il purgeait une suspension, Marouane Fellaini a pu se rendre compte de la ferveur du public thaï pour la Premier League. Envoyé par le sponsor d’Everton, la bière thaïe, Chang Beer qui célébrait son nouveau deal (14 millions d’euros jusqu’en 2014 !) avec les Toffees, Big Mo a été assailli par des grappes de supporters à Bangkok.

 » Aujourd’hui quand un club comme Arsenal ou Liverpool vient pour un match amical, le club perçoit 1,5 million euros. C’est le sponsor qui paye quasiment la totalité de la note. Ici, tout est singé sur le foot anglais. Muangthong calque ses brochures, ses produits sur ce que fait Manchester United, rien qu’aux couleurs ou au United, on fait très vite le lien avec le célèbre club mancunien.  »

L’arrivée en 2009 de l’ex-capitaine emblématique des Red Devils, Bryan Robson, à la tête de l’équipe nationale thaïe n’est évidemment pas anodine. Procureur :  » Mes partenaires veulent à tout prix que je signe un joueur anglais. Et il se pourrait très bien que Francis Jeffers, l’ancien d’Arsenal et d’Everton, nous rejoigne. Lui, c’est un nom, il détient toujours le record de buts chez les -23 ans anglais. Jeffers est aujourd’hui en Australie, après un pétage de plomb lié à des problèmes d’alcool. Il semble intéressé par notre proposition. Ce n’est pas à proprement parler le genre de gars qui m’intéresse, mais bien mes partenaires qui misent sur le marketing, la promotion. Ils veulent un gars qui amène les gens au stade…  »

Les clubs belges se tapent Bangkok

Dans la même veine, on peut y voir les tentatives de ralliement de Bertrand Crasson ou d’ Enzo Scifo dont le background aurait pu séduire les supporters thaïs.  » Crasson voulait venir mais on a finalement opté pour René Desaeyere parce qu’il avait connu le Japon et la Corée, et que ces expériences faciliteraient son intégration en tant que coach.  »

Le globe-trotter Desaeyere occupera le poste dès janvier 2010 avant d’être remplacé en début de cette année par l’ex-sélectionneur thaïlandais, le Brésilien, Carlos Roberto de Carvalho. Introduire des  » produits belges  » jusqu’en Thaïlande reste compliqué d’autant que l’aventure n’est pas couronnée d’or contrairement à ce que proposent les cercles des pays du Golfe. Procureur :  » Mais mon objectif premier n’est pas celui-là. Mon souhait, c’est plutôt d’amener mes joueurs vers l’Europe. J’essaie d’établir des ponts avec les clubs européens, notamment les clubs belges, comme Anderlecht, Gand (d’où la venue de Soumahoro-voir cadre), Bruges, Malines (qui suit Mohamed Koné, Christian Kouakou, Dagno Siaka) qui se montrent très intéressés de bosser avec nous. Des dirigeants de Gand ( Vandendaele, Schepens, Louwagie) de Bruges ( LucDevroe) sont déjà venus en Thaïlande visiter nos installations. Herman Van Holsbeeck et Philippe Collin devraient également faire le déplacement prochainement. Et si ces personnes se tapent 10.000 km et restent une semaine sur place, c’est que l’intérêt est réel. Le fait que je sois belge permet aussi d’établir plus aisément une relation de confiance.  »

La réussite de Soumahoro – qui n’est toutefois jamais passé par l’académie – devrait en amener d’autres.  » J’estime le marché belge idéal « , enchaîne Procureur.  » D’une part parce que les salaires sont peu élevés. Un extracommunautaire qui veut par exemple se rendre aux Pays-Bas doit percevoir un salaire minimum de 500.000 euros. En Belgique, on part sur une base de 80.000 tout compris ce qui permet aux clubs de prendre des risques pour un joueur. On peut trouver ce système néfaste, pour ma part, je crois que c’est ce qui sauve la Belgique. Les clubs peuvent faire des marges importantes. Un club comme Malines est dans l’obligation de miser sur la plus-value d’un transfert pour équilibrer son budget. « 

La force du merchandising

 » Ce que je recherche avant tout, c’est développer un réseau entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie « , poursuit Procureur.  » Avec comme finalité, amener des joueurs thaïs. Et si on y arrive, c’est le jackpot assuré pour tout le monde. Ça permettrait, d’une part, à la Thaïlande d’améliorer le niveau de son équipe nationale, comme cela c’est produit pour les Japonais durant les années 90, et pour les clubs européens d’avoir en terme d’image un return incroyable : derrière le joueur, il y a 70 millions de consommateurs potentiels. Si jamais un joueur thaï débarque à Anderlecht, le club va connaître un merchandising incroyable. Pour preuve, mon club de Muangthong possède deux magasins à Bangkok. Eh bien en un jour, on y fait autant de bénéfices qu’avec le ticketing. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Les clubs belges devraient tenir compte de plus en plus de cette ouverture vers les marchés extérieurs et surtout vers les pays émergents de l’Asie du Sud-Est. Mais il faut trouver un Thaï qui apporte quelque chose pour un club comme Anderlecht, ce qui n’est pas le cas actuellement. Si les Thaïs n’ont pas encore la mentalité pour aller en Europe et y travailler dur, les nouvelles générations sont très prometteuses. Je vois dans nos équipes de jeunes au moins 4 ou 5 joueurs qui vont atteindre le haut niveau. Dans 2 ou 3 ans, il est presque certain que ces joueurs seront recrutés par des équipes européennes. Et ces joueurs deviendront des icônes au pays. « 

PAR THOMAS BRICMONT

 » Les Thaïs ne s’intéressent qu’à la Premier League. Les Anglais ont quadrillé tout le marché asiatique. « 

 » Si un Thaï s’impose un jour à Anderlecht, c’est le jackpot assuré. Il y a 70 millions de consommateurs potentiels. « 

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