Un Belge en demi

Comment notre arbitre a-t-il passé les heures précédant la demi-finale opposant la Russie à l’Espagne ?

Jeudi 26 juin, 10h

 » Traditionnellement, je fais la grasse matinée le jour d’un match. C’est mon second à Vienne, puisque j’étais quatrième arbitre du match Espagne-Italie en quarts. C’est une première pour mes assistants, Peter Hermans et Alex Verstraeten. L’UEFA désigne toujours deux personnes, souvent d’anciens arbitres, pour s’occuper de nous. Je dors jusqu’à 9 h 30, 10 h. Je ne petit déjeune jamais. Il paraît que ce n’est pas sain mais je ne m’en porte pas mal. A 11 h, nous pouvons visiter l’opéra. Je l’avais demandé et l’UEFA a arrangé la visite. J’étais curieux de voir comment la vie d’un aussi grand opéra se règle en coulisses. Nous avons effectué un tour passionnant. Nous avons vu la scène, les coulisses, l’entraînement des danseurs. Impressionnant. C’est une préparation idéale car elle nous distrait du match à venir.

Ensuite, le repas. Nous accueillons nos invités. L’UEFA nous permet d’inviter huit personnes par match mais pour l’occasion, elles sont dix. Ma femme, mon père et quelques amis. Nous avons l’occasion de bavarder avant que la préparation du match ne commence vraiment.

Jeudi 26 juin, 14 h 30

L’après-midi commence par un briefing. Même en Belgique, j’en effectue toujours un. C’est notre troisième match du tournoi et ce que j’ai à dire peut paraître ennuyeux à ceux qui m’ont déjà si souvent entendu mais c’est important. L’équipe belge est très soudée mais je ne veux pas que nous tombions dans la routine. Je répète tout, ne serait-ce que parce que les quatrième et cinquième arbitres sont nouveaux. J’utilise un terrain de football pour expliquer les trajectoires de course, les endroits où je me posterai, ce qu’ils devront faire, comment utiliser les oreillettes. Nous convenons de mots codés et utilisons les oreillettes davantage que pour indiquer les remplacements.

Un exemple : si un des cinq hommes crie cinq fois jaune, je sors une carte sans hésiter. S’ils ne le disent qu’une fois, la décision me revient. J’aime que mes assistants parlent beaucoup, cela renforce ma concentration. Cela gêne certains collègues, qui demandent plus de discrétion. C’est pour ça que le briefing est important. Je demande par exemple à mes assistants de me signaler des blessures ou d’éventuels incidents survenus derrière mon dos. On les discerne du coin de l’£il mais il faut continuer à suivre le déroulement du jeu. Comme je ne peux pas regarder à deux endroits en même temps, je signale l’incident aux assistants, qui tiennent à l’£il l’évolution de la dispute.

Jeudi 26 juin, 17 h 30

Nous nous apprêtons à rejoindre le stade. Ceux qui le souhaitent peuvent manger un fruit ou du cake, ceux qui n’ont pas faim attendront d’être au stade. Le vestiaire est bien achalandé, nous ne manquerons de rien.

L’escorte de la police arrive à la porte de l’hôtel. Elle est nécessaire, surtout dans un tournoi de cette envergure. Sans elle, nous serions pris dans les embouteillages et il n’y a rien de pire que stresser en chemin. Je veux être au stade une heure et demie à l’avance.

Jeudi 26 juin, 18 h 45

C’est la deuxième fois que j’arbitre la Russie. Les joueurs me reconnaissent. La tension monte. Nous avons signé un beau tournoi, en dirigeant trois matches dont une demi-finale mais notre EURO ne sera qu’à moitié réussi si nous commettons une erreur dans ce match.

Dans le vestiaire, nous passons tout en revue, une dernière fois, et nous nous apprêtons. Nous enfilons les oreillettes et les testons, de même que les drapeaux. Nous vérifions si les batteries fonctionnent, réfléchissons ensemble une dernière fois. A partir de maintenant, nous ne sommes plus maîtres de notre temps. L’UEFA a enclenché le compte à rebours officiel, comme en Ligue des Champions.

Jeudi 26 juin, 20h

Nous sortons nous échauffer. Comme les deux équipes, nous disposons exactement d’une demi-heure. J’aime ce moment. En Belgique, j’ai été un des premiers à m’adonner à cet échauffement. Il me permet aussi de me mettre dans l’ambiance du stade. Je n’aime pas passer d’un vestiaire froid au coup d’envoi d’un match, sans transition. Je peux me défaire d’une partie de mon stress grâce à l’effort. C’est mieux que d’attendre une heure dans le vestiaire.

A notre retour, mes assistants contrôlent les souliers des joueurs. Je me concentre sur mon match. Ma femme est dans le public et je ne dois pas lui adresser le signe que je me sens bien. Sinon, quand je passe dans le champ de la caméra, je lui envoie un message, en me frottant le nez ou en me pinçant l’oreille.

Jeudi 26 juin, 20 h 48

Le match débute. Cela va aller. J’ai vécu quatre semaines avec les autres arbitres. Nous sommes collègues mais aussi concurrents. Il ne faut pas sous-estimer cette cohabitation. Chacun brigue le sommet, comme les joueurs. La finale est l’enjeu ultime.

Jeudi 26 juin, 22 h 45

C’est fini. C’est comme si un bloc d’une tonne se détachait de moi. Je me rends compte à quel point nous étions tendus. Tout s’est bien passé, nul n’a parlé de l’arbitrage. Toutes les décisions n’ont pas été les bonnes mais nous méritons quand même une cote de 99 %.

Menés, les Russes ont failli dérailler mais en les avertissant à deux reprises en cinq minutes, j’ai rétabli le calme. Les joueurs ont fait preuve de beaucoup de respect. J’en veux pour preuve leurs félicitations après le match, qu’ils aient gagné ou perdu. Ceux qui ont été remplacés viennent également prendre congé. Nous allons manger un bout avec nos invités et vers minuit, nous buvons un verre. Peter fête son anniversaire. La nuit est courte, nous ne dormons guère car quelques heures plus tard, nous reprenons l’avion à destination de la Belgique « .

propos recueillis par peter t’kint

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