Un arsenal de secrets

Pierre Bilic

Son sulfureux agent dit ses vérités sur le futur transfert du gardien des Loups.

« Luciano D’Onofrio est mon idole… « , affirme Piero Allatta, l’agent de Silvio Proto.  » Je l’admire pour son intelligence, son feeling et l’immense chemin parcouru qui lui a permis d’atteindre le toit du football mondial. C’est, de plus, l’ami d’un géant qui tient une place à part dans mon estime : Bernard Tapie « .

Allatta nous reçoit chez lui, à Chapelle-lez-Herlaimont entre Charleroi et La Louvière. Belle maison très claire. Le jardin doit encore être terminé mais le café est tout à fait parfait. L’homme à la queue de cheval a rang de roi sur l’échiquier de Silvio Proto. Rien ne se fera sans lui, sans son avis, sans sa bénédiction.  » Attention, c’est le joueur qui décide « , tempère-t-il tout de suite.  » Moi, je ne suis là que pour l’aider, pour donner un coup de pouce à ce fils d’une famille bien, remarquablement éduqué, soutenu par des parents et une fiancée superbes « .

Allatta s’exprime clairement, a de l’humour, un atout qu’il utilise au bon moment. Mais il traîne aussi une réputation pas très catholique dans son sillage. Son casier judiciaire n’est pas vierge. A un moment, nous lui avions dit tout de go que  » la rumeur rapporte qu’il a toujours un flingue sur lui « . Sa réponse fusa :  » Mais… fouillez-moi « . Il lève les bras. Pourquoi se gêner ? Sous l’£il ébahi de notre photographe, Michel Gouverneur, je procède à l’examen de son veston :  » Rien et vous n’avez même pas de portefeuille « .

Eclat de rire général. C’était le moment indiqué de lui demander s’il possédait la licence d’agents de joueurs FIFA lui permettant de piloter le transfert de Proto en fin de saison. Piero Allatta sort des documents officiels d’une farde dont une attestation soigneusement datée du 17 mars 2005. La fédération togolaise certifie qu’il a réussi son examen d’agents de joueurs (34 points sur 40) en même temps qu’un dénommé Nyuiadzi Aquilin.  » Un journaliste. « , dit-il. Un futur ancien journaliste…

Mais pourquoi avoir passé son examen à Lomé ?  » Mais j’ai un domicile là-bas et je compte développer mes affaires dans ce pays où le talent ne manque pas du tout « , avance-t-il avant d’ajouter en guise de clin d’£il :  » Et puis, les filles y sont tellement jolies mais je ne devrais pas le dire de la sorte car je suis en instance de divorce « . Allez, le climat est bon, il est temps de parler de Silvio…

La prophétie de Francesco Toldo

Depuis quand vous occupez-vous de Silvio Proto ?

Il avait 16 ans quand je l’ai vu pour la première fois. J’assistais à un entraînement du noyau B de La Louvière car j’avais proposé deux Brésiliens aux Loups. Après cinq minutes, j’ai demandé qui était ce jeune gardien de but. Silvio Proto ! Un chat, je n’avais jamais vu un tel talent. Son père était là, je me suis présenté et je lui ai tout de suite dit : -J’aimerais m’occuper de lui. Votre fils est fait pour le Calcio. Il faut aller tout de suite en Italie. Je peux l’introduire là-bas. La maman a hésité avant de céder aux arguments de son mari. Trois semaines après notre première rencontre, La Louvière m’a autorisé à me rendre à la Fiorentina avec Silvio. A l’époque, il avait un petit contrat de 500 euros par mois au Tivoli. Ce fut un déclic pour Silvio. Il découvrait le vrai monde professionnel, a croisé des stars, dont Gabriel Batistuta, et s’est entraîné avec Francesco Toldo qui lui a dit : – Tu deviendras un grand gardien de but. La Fiorentina était intéressée mais recula quand La Louvière exigea 1.850.000 euros pour son transfert. Plus tard, nous avons également fait un séjour à la Salernitana où les commentaires furent aussi élogieux qu’à Florence. Trop cher, évidemment. Mais, plus important pour l’avenir, Silvio a compris en Italie que tout passerait par le travail. Quand on a intégré cette évidence à 17 ans, c’est important.

Est-ce qu’Anderlecht n’était pas intéressé ?

Si, si… j’avais parlé de lui à Jacky Munaron qui le connaissait aussi. Nous avons rencontré Michel Verschueren et Aimé Anthuenis qui appréciait son talent. Silvio n’avait pas encore 17 ans et Anderlecht lui proposa un accord de cinq ans. Mais le document n’était pas valable car La Louvière avait un contrat signé par le papa de Silvio et ce papier accordait, en quelque sorte, la priorité aux Loups. Un montant de transfert circula : La Louvière exigea 1.250.000 euros. Impossible, évidemment. Il y a trois ans, enfin, il y eut l’épisode Vicenza. Silvio était déjà titulaire en D1. L’Italie était à nouveau intéressée. J’avais obtenu plusieurs augmentations de salaire pour Silvio. Nos étions prêts à utiliser la loi de 1978 mais Filippo Gaone est un ami et Silvio n’avait pas envie de quitter le Tivoli par la petite porte. En revenant de Vicenza, nous avons négocié avec les Loups.

C’est à ce moment-là que vous avez fixé la clause libératoire de 625.000 euros ?

Exactement, l’entretien eut lieu dans un hôtel, l’Holiday Inn, situé près du stade Roi Baudouin à Bruxelles. Filippo Gaone était accompagné par Roland Louf, Maître Laurent Denis et trois autres avocats. J’étais étonné par la présence et l’importance de cet aréopage. Gaone m’a dit qu’il avait besoin de ses conseillers. Ils ont parlé et développé leur stratégie. De beaux discours mais cela n’avançait pas et j’ai demandé à Filippo de sortir trois minutes avec moi et là, j’ai été clair : -C’est comme cela, comme cela, et comme cela… avec un contrat de quatre ans avec une clause libératoire de 625.000 euros. A prendre ou à laisser où c’était la loi de 1978. Il a accepté. Moi, j’avais toujours cru en Silvio, depuis ses 16 ans, et je ne voulais pas qu’il dépende des autres. La Louvière était satisfaite : 625.000 euros, c’est pas mal pour un gamin de 17 ans. En fait, le club voyait l’argent, pas le talent de Silvio et son évolution. Trois ans plus tard, Silvio a plus de 100 matches de D1 à son actif, a joué en Coupe de l’UEFA et est le gardien de but des Diables Rouges. C’était plus que prévisible mais il ne faut pas reparler de la clause libératoire après coup car sa valeur a grimpé. S’il le faut, Silvio restera un an de plus et sera totalement libre fin 2005-2006. Mais, La Louvière préfère pas. Si la RAAL trouve un club qui veut donner plus de 625.000 euros, tout en acceptant les conditions de Silvio, on peut discuter et partager équitablement, entre le joueur et le club, ce qui excède le montant fixé pour l’option.

Avez-vous accordé un mandat d’un an à Peter Louwes afin d’approfondir les contacts anglais de Silvio Proto ?

Oui. La Premier League, c’est très spécial. Il faut connaître les traditions, la façon de travailler. Un agent de joueurs ne peut pas avoir des contacts intéressants partout. J’en ai ailleurs… Dès lors, il nous a semblé intéressant d’être bien entouré et conseillé en Angleterre et cela explique notre choix. Aston Villa s’intéresse à Silvio mais surtout Arsenal. Je ne le cache pas : Arsène Wenger en a fait sa priorité. Il doit écrémer son groupe, négocier le départ d’Ashley Cole et il pourra ensuite se pencher sur le dossier Proto. Silvio est très intéressé et il a un style qui cadre avec ce qu’on attend d’un gardien de but en Angleterre : vif, solide, bon dans le trafic aérien, doté d’un dégagement au pied fantastique, à la Preud’homme. Manchester United le suit aussi. Les Anglais ont bien compris, de plus, que sa marge de progression est fantastique à 21 ans. Il va atteindre le top européen.

N’aurait-il pas été intéressant de prévoir une étape intermédiaire, à Anderlecht, au Standard ou au PSG avant de franchir le Channel ?

Pourquoi ? Je connais les préférences et les potentialités de Silvio. Pour beaucoup, c’est trop tard. Il est hors prix. On avait cité Palerme, excellent en Série A, mais Silvio n’a pas envie de jouer en Italie. Le PSG est intéressé, c’est évident, mais Alain Roche lui propose la place de numéro 2 la saison prochaine, derrière Lionel Letizi. Pas question, Silvio Proto doit jouer. Anderlecht ? Non, je ne veux pas : il doit viser de plus grands clubs et être longuement visible en Ligue des Champions. Au-delà des 625.000 euros, il y a son contrat. Silvio vaut un salaire d’un million d’euros nets par an. Si on demande moins, on passe pour des petits sans ambition. Le Standard ? Luciano D’Onofrio m’a demandé un jour, sur le ton de la plaisanterie, si je pouvais l’amener pour rien à Sclessin… L’avenir, pour le moment, c’est l’Angleterre ou un autre grand pays. Silvio reste calme, pro, concentré sur son métier et la fin de saison. Il est remarquablement cool, mûr, certain de lui. C’est son job mais il a aussi ses soucis. J’ai été à l’écoute, il y a deux ans, quand Ariel Jacobs ne l’aligna pas en finale de la Coupe de Belgique. C’était une injustice mais ce garçon si gentil y a puisé rage et motivation.

Rencontre avec Paolo Rossi

Ce transfert, ce sera aussi une bonne affaire pour vous…

Moi, je ne compte pas. C’est uniquement Silvio qui importe. Je n’ai pas besoin de cet argent pour vivre. Je suis fier de l’aider, de favoriser son éclosion, d’être auprès de ses parents et de sa fiancée, d’avoir été le premier à croire en lui. Maintenant, c’est facile de dire qu’il a du talent. Il fallait y croire quand il avait 16 ans. Mais je suppose qu’il ne me laissera pas à la rue ou sans une tartine en cas de besoin.

Une tartine au caviar, alors…

Si vous voulez. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de progresser dans mon métier. Tout en étant ici et au Togo, je vais installer une société au Grand Duché de Luxembourg. Je connais bien le milieu du football. J’ai été joueur, dirigeant, etc.

Nous savons : ancien extérieur droit ou gauche, vous avez joué au FC Chapelle, à Maurage, à Wasmes, à Frameries, à Houdeng-Goegnies, avant d’être président/joueur de Piéton et de vous intéresser au football en salle. Est-ce une rencontre avec Paolo Rossi qui vous incita à opter pour des activités d’agent ?

Vous en savez des choses…

Et ce n’est pas tout…

A Piéton, en Provinciales, le club était quasiment pro. Nous allions même au vert avant les matches au Motel Sud de Nivelles. Mais la jalousie a fait des dégâts. Certains crevaient les pneus de notre autocar. J’en ai eu marre de payer pour les autres. Maintenant, on me paye, c’est mieux. J’ai rencontré Paolo Rossi en 1994, à Ibiza, où il était présent dans l’immobilier. La grande classe. Nous avons sympathisé et, plus tard, il m’a présenté à Pasqualin, un grand agent de joueurs italien. Vous savez, dans la vie, tout passe par les relations. J’ai démarré, j’ai travaillé avec Michel Poels, etc. J’aime ce métier. Je suis fait pour cela. Je conseille aussi Olivier Suray et pas mal d’autres joueurs. Ils n’ont pas à se plaindre de moi. J’ai aidé Mons avec Sergio Brio, etc.

Bien, mais sur ma fiche, il y a autre chose : la famille Allatta a été au centre de l’affaire des négriers de la construction dans le Centre. Et vous avez écopé d’une peine de quatre ans de prison dans ce contexte…

Je n’ai jamais mis un pied en prison. J’ai obtenu le sursis complet pour toute la peine. J’ai été arrêté sur l’autoroute alors que je ne savais rien. J’avais un rôle peu important dans la société de mon frère. C’était une grosse affaire et nous avons même participé à la construction en sous-traitance du stade d’Anderlecht. Je m’occupais d’achats, du parc automobile. Tout cela est le passé, c’était le procès des habitudes et pratiques d’une époque dans la construction. J’ai tourné la page, je vis une autre vie, loin de tout cela. Alors, je m’en fous. J’ai les mains blanches. Je n’ai jamais touché personne.

Un règlement de comptes

En fin décembre 2004, pourtant, alors que vous étiez au volant, une BMW a débouché devant chez vous et vous a mitraillé. C’était une tentative d’assassinat, un règlement de comptes, selon la police, et vous ne devez la vie qu’au fait d’avoir plongé sous le tableau de bord…

Exact mais cela n’a pas de rapport avec les anciennes affaires du bâtiment. Quelqu’un avait intérêt à me liquider. Qui ? L’enquête est en cours. J’ai assez de soucis : je mets de l’ordre dans mes affaires, je divorce, j’ai remis mon ancienne société Kit Car Management à mon ex-femme, et je repars du bon pied, c’est ce qui compte, n’est-ce pas ? Décidément, vous êtes au courant de tout….

Pas de tout : quand est-ce qu’Arsène Wenger se rendra à La Louvière pour finaliser le transfert de Silvio Proto à Arsenal ?

Bientôt, je suppose. Rien ne presse, la saison n’est pas finie.

Pierre Bilic

 » Quand Silvio avait 17 ans, LE CLUB VOYAIT L’ARGENT, pas son talent et son évolution  »

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