« Un ange veillait sur moi »

Le milieu de terrain de Gand est conscient d’avoir commis une faute grave et se dit qu’il a eu beaucoup de chance : il aurait pu y rester.

Couché sur son divan, Christophe Lepoint passe le temps en regardant la télévision : des matches de football, bien sûr, mais aussi des émissions… culinaires, l’une de ses passions. Le tibia fracturé, et dans l’attente d’une opération des ligaments croisés postérieurs du genou droit qui devrait avoir lieu le 7 avril, il sait qu’une longue rééducation l’attend et qu’il ne rejouera pas avant septembre, dans le meilleur des cas. Il a, malheureusement pour lui, tout le loisir de méditer sur les conséquences de son accident de voiture survenu le lundi 31 janvier, en fin de matinée, sur l’E40 à hauteur de Wetteren, alors qu’il se rendait à l’entraînement…. après avoir passé une nuit blanche. C’est son coéquipier Sébastien Bruzzese qui était au volant.

Christophe, quel souvenir gardez-vous de l’accident ?

ChristopheLepoint : Je n’ai rien vu arriver. Sébastien m’a expliqué, après coup, qu’il avait essayé de doubler un camion. Je dormais et c’est le choc qui m’a réveillé. La voiture était immobilisée, complètement cabossée. Séba a essayé de m’en extraire et n’y est pas parvenu. Il a fallu l’aide des pompiers, qui ont mis une vingtaine de minutes pour me dégager. Des minutes qui m’ont parues interminables. J’avais mal à la jambe droite et à la cheville gauche.

Vous étiez couché sur le siège arrière ?

Pas du tout, j’étais assis sur le siège passager. Lorsque j’ai vu l’état de la voiture par la suite, et surtout le côté où j’avais pris place, je me suis dit que je m’en étais très bien sorti. Pour le même prix, j’aurais pu y rester, ou être paralysé à vie. Un ange veillait sur moi, apparemment. En être quitte avec une fracture du tibia et un genou abîmé, c’est presque un miracle.

Avez-vous songé à François Sterchele ?

C’est la presse qui a rappelé les noms de tous les footballeurs victimes d’un accident de la route. Lorsqu’on est soi-même prisonnier d’une voiture accidentée, on songe à soi, pas à ce qui est arrivé aux autres.

Comment et pourquoi aviez-vous décidé de sortir, cette nuit-là ?

C’était après le match à Saint-Trond, où l’on avait fait 1-1. Certains joueurs ont proposé d’aller boire un verre. Au départ, je ne voulais pas y aller, mais je me suis laissé entraîner.

Et la sortie s’est éternisée…

Peut-être, oui. Je sortais déjà d’une longue période d’inactivité, et après tous les efforts consentis pour revenir, j’avais besoin de décompresser. C’est difficile à expliquer. Après, Sébastien et moi avons décidé d’aller manger un bout avant de nous rendre à l’entraînement. Et puis est arrivé ce que vous savez.

Bruzzese était au volant de votre voiture ?

Oui. C’est très rare que je laisse quelqu’un d’autre conduire. Même ma compagne prend très rarement le volant. Je ne sais pas pourquoi j’ai laissé le volant à Sébastien.

Parce que vous étiez trop fatigué, peut-être ? La preuve : vous vous êtes endormi…

Je m’endors toujours lorsque je m’assieds sur le siège passager. L’accident est arrivé, voilà tout. Je n’en veux pas à Sébastien. Je sais que lui s’en veut énormément

 » J’ai déçu mon entourage « 

Comment a réagi votre compagne lorsqu’on lui a téléphoné de l’hôpital ?

Elle m’en voulait et je la comprends. En même temps, elle était heureuse que je m’en sois sorti aussi bien. Elle aussi a, rétrospectivement, envisagé le pire. Aujourd’hui encore, des flashes de la voiture accidentée lui reviennent chroniquement à l’esprit.

Elle ne s’était pas inquiétée en ne vous voyant pas rentrer à la maison, le soir ?

Je l’avais prévenue que j’irais boire un verre avec des coéquipiers. Elle est donc allée dormir. C’est en se réveillant, le matin, qu’elle s’est inquiétée en constatant que je n’étais pas là. Elle s’apprêtait à se rendre à son travail à l’IEG (l’Intercommunale d’Etude et de Gestion de Mouscron) et ne parvenait pas à me joindre sur mon téléphone portable. Moi, je n’étais pas très fier en expliquant ce qu’il s’était passé, lorsque je l’ai eue en ligne à l’hôpital. J’avais déclaré, un jour, que je ne voulais plus décevoir mon entourage. C’est raté…

Et votre fils de cinq ans ?

Il vit avec sa maman, dont je suis séparé. Je le vois une semaine sur deux. Mais il est venu me rendre visite bien sûr. Il m’a dit : – Papa, on avait une belle voiture et elle est toute cabossée ! A la limite, il se faisait plus de soucis pour la voiture que pour moi. Il a cinq ans, on peut le comprendre. Il ne réalisait pas tout à fait. Un peu plus tard, alors qu’il s’était occasionné une petite égratignure au genou en jouant, il m’a dit : – Regarde, papa, j’ai la même blessure que toi ! Cela fait mal d’entendre cela, c’est clair.

Combien de temps êtes-vous resté à l’hôpital ?

Onze jours. C’est long, très long. Tous mes coéquipiers m’ont rendu visite. L’entraîneur Francky Dury et le manager Michel Louwagie également. Pas Ivan De Witte, mais il est très occupé. Le club nous a infligé une sanction, à Sébastien et à moi. Une amende assez salée. Mais c’est logique, j’accepte la sanction. Elle aurait même pu être plus lourde. Je dois remercier les dirigeants de ne pas avoir rompu directement mon contrat. Car j’ai commis une faute grave.

Etes-vous inquiet pour l’avenir sportif de Bruzzese ?

Non. Pour l’instant, il est mal. Mais il est encore jeune, il a du talent et il est fort mentalement. Il s’en remettra.

Pour dire les choses crûment : vous avez un statut d’international et une certaine valeur marchande. Lui n’est qu’un jeune gardien prometteur qui a encore tout à prouver. Cet accident risque de le poursuivre…

J’espère que non.

La Gantoise envisage l’engagement d’un psychologue ?

L’idée germait dans l’esprit de l’entraîneur depuis un certain temps, il n’a pas attendu cet accident pour y songer.

Avez-vous besoin d’être mieux encadré ?

Je ne sais pas. L’engagement d’un psychologue ne peut pas nous faire de tort, de toute façon. Reste à voir de quelle manière il travaillera. On est déjà très bien encadré à La Gantoise. C’est plus professionnel qu’à Mouscron, à tous les niveaux. Même si, au Canonnier, c’était déjà très bien.

 » Pourquoi rappeler mon parcours chahuté ? »

On sait que vous avez eu une jeunesse un peu tourmentée et que vous avez commis quelques erreurs…

Cela n’a rien à voir avec mon accident. J’ai, effectivement, commis certaines erreurs durant ma jeunesse. Qui peuvent peut-être s’expliquer par le décès de mon papa, qui a succombé à une crise cardiaque alors que je n’avais que 15 ans, et qui m’a perturbé. Je les ai reconnues et je pense être revenu sur le droit chemin. Je ne vois pas l’utilité de rappeler tout mon parcours. Si cet accident n’était pas survenu, personne n’aurait rien dit. Lorsque j’ai lu les journaux à l’hôpital, durant les premiers jours qui ont suivi l’accident, j’en ai pris plein la gueule. Je sais que cette étiquette de sorteur me collera à la peau toute ma vie. Mais, à 26 ans, je pense avoir pris conscience de ce que je peux faire et ne pas faire. Je sais que je n’aurais pas dû sortir aussi longtemps, la nuit du 30 au 31 janvier. C’était la première fois depuis de longs mois. Une fois de trop, sans doute. On ne m’y reprendra plus.

Promis, juré ?

On ne peut jamais dire jamais, mais je suis décidé à ne plus me laisser entraîner. Je me concentrerai à 100 % sur le football, et après les matches ou les entraînements, je rentrerai directement à la maison. Je ne peux pas gâcher ma carrière. Lorsque j’aurai rempilé les chaussures à crampons, il me restera encore suffisamment de temps pour aller boire un verre avec des amis.

Cette saison restera donc une saison noire, pour vous ?

Très noire. Il y a d’abord eu cette blessure que je me suis occasionnée avec les Diables Rouges lors du match amical en Finlande, en août, et qui m’a tendu éloigné des terrains pendant quatre mois. J’étais bien revenu, j’avais joué quelques matches de bon niveau et inscrit deux buts, et Georges Leekens comptait me sélectionner pour le match amical de février, à nouveau contre la Finlande. Et voilà maintenant que le château de cartes s’effondre à nouveau. C’est dur à vivre, mais je ne dois m’en prendre qu’à moi-même.

Et maintenant ?

Je me suis fixé pour objectif d’être prêt en septembre. Je sors à peine d’une période de revalidation, je connais les étapes par lesquelles je devrai passer. Je suis prêt à endurer toutes les épreuves, avec l’aide de ma compagne, de ma famille, de ma belle-famille. C’est surtout le premier mois qui est difficile. On doit rester couché, on ne peut rien faire. Actuellement, mes journées sont monotones au possible. Je me lève, je prends mon petit déjeuner, puis je m’allonge dans le divan. Je mets de la glace sur le genou, un infirmier vient changer mes pansements tous les jours, et le kiné Christophe Soyez ( NDLR : l’ancien kiné de l’Excelsior Mouscron) passe en fin de matinée pendant trois quarts d’heure pour traiter mollet, cheville, genou et cuisse. J’attends le retour de ma compagne le midi, pour déjeuner. Et puis, cela recommence l’après-midi : je regarde la télévision, je cogite. Lorsque la rééducation en elle-même commencera, le temps passera plus vite. Au moins, j’aurai de quoi m’occuper. Mentalement, je suis fort. Je reviendrai.

Leekens vous a appelé ?

Il m’a envoyé un sms.

Il compte encore sur vous ?

On verra, pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour.

Et Gand ?

J’ai été rendre visite à mes coéquipiers au centre d’entraînement, vendredi passé. Ils étaient apparemment contents de me revoir. Je ne suis pas encore en état de me rendre aux matches, impossible pour moi de rester assis 90 minutes dans une tribune. Je suis les prestations de mes partenaires à la télévision. J’ai constaté que, lors de la visite du Standard, les supporters avaient déployé une banderole de soutien à mon intention. Cela m’a fait plaisir. Et l’équipe tourne, c’est déjà ça de pris. Car j’ai mauvaise conscience de laisser mes partenaires dans le pétrin.

PAR DANIEL DEVOS

 » J’ai eu de la chance : j’aurais pu être mort ou paralysé à vie. « 

 » Mon fils m’a demandé : -Papa, qu’as-tu fait de notre belle voiture ? « 

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