Tumeur Malines

L’élan de solidarité dont profite le KaVé suscite pas mal d’interrogations.

Le mercato d’hiver est exceptionnellement calme. Logique, avec autant de clubs de D1 endettés dont les dirigeants se demandent comment ils vont s’y prendre pour se mettre en ordre de licence. Un peu partout, on compte ses sous et on cherche à réduire la masse salariale. Il ne fallait donc pas attendre de gros transferts durant ce mois de janvier.

Un club se met pourtant en évidence. Le plus malade de tous: Malines. Appelé, au mieux, à jouer en D3 dans quelques mois. Au pire, à disparaître purement et simplement. Mais, s’il se sauve sur le terrain, il y aura trois descendants en fin de saison.

Anderlecht, le Standard, Mouscron et Lokeren lui prêtent gracieusement plusieurs joueurs. Depuis le début janvier, cette affaire provoque un tollé, et pas seulement dans les clubs côtoyant Malines en bas de classement. On avait annoncé une réunion houleuse de la Ligue Professionnelle, vendredi dernier. Il n’en fut rien, et pour cause: tout le monde est bien d’accord pour reconnaître que les règlements sont respectés. Sur le plan moral, par contre, ces prêts gratuits (avec salaires honorés par les clubs cédants) suscitent de nombreuses interrogations.

Le championnat est-il faussé?

Charleroi, Lommel, Westerlo, Beveren et d’autres équipes auraient bien besoin de se renforcer pour le second tour mais n’ont pu réaliser que des transferts modestes car les finances sont ce qu’elles sont. Malines doit absolument attirer de nouveaux joueurs pour compenser les multiples départs et y parvient. Ce club est pourtant en liquidation. Il y a concurrence déloyale.

« La suite du championnat est faussée », estime Jean-Claude Verbist, le manager de Mons. « Je suis surpris que des dirigeants soient aujourd’hui prêts à tout pour aider Malines après avoir autant critiqué la politique et la situation financière de ce club depuis quelques mois ».

Peut-on se braquer sur le règlement en faisant abstraction de l’aspect moral?

Michel Verschuerens’en tient aux aspects juridiques : « Tout est clair. Les règlements autorisent ce que nous faisons, point à la ligne. On peut toujours discuter de l’aspect moral, mais c’est autre chose ».

Jean-Marie Philips, le directeur de la Ligue Pro, lui emboîte le pas: « Janvier est une période de transferts et Malines a l’autorisation de transférer. Il n’y a donc rien à redire de ce point de vue. Mais il est évident que la situation actuelle a quelque chose de dérangeant. Même si je peux comprendre le raisonnement de Michel Preud’homme quand il dit que ces prêts sont une aubaine pour le Standard car il ne peut pas aligner immédiatement dans son équipe Première les cinq joueurs cédés à Malines. Les supporters du Standard réclament à tout moment des résultats. Preud’homme m’a dit: -Chez nous, quandon perd trois foisd’affilée, on n’est pas sûrs que le public ne va pas mettre le feu à une tribune »!

Charleroi et les autres concurrents de Malines en bas de classement ont-ils des raisons de se rebeller?

Les Zèbres ont été sages sur le marché hivernal. On a vu débarquer des inconnus à Charleroi. Des joueurs qui ont prouvé moins de choses que des Pirard, Pavlovic, Karaca ou El Yamani, en négociation avec Malines ou d’ores et déjà transférés là-bas. Autre différence: le Sporting devra lui-même rémunérer ses renforts.

Abbas Bayat reste serein. « J’ai déjà assez de problèmes pour encore me préoccuper de ce qui se passe à Malines », analyse le président carolo. « Tout cela est un peu bizarre, mais bon… Chacun se débrouille comme il peut. Je fais simplement remarquer que, quand nous avons loué Dias et Bisconti au Standard, nous avons dû payer. De toute façon, qui dit que les nouveaux joueurs de Malines vont faire des miracles? Transférer des valeurs sûres pour viser un bon classement, j’ai déjà donné. Nous avons connu plusieurs échecs et, aujourd’hui, je suis plus enclin à faire confiance à nos propres jeunes. Je reste optimiste:il faut laisser deux équipes derrière nous et nous y arriverons ».

Le secrétaire-général du Mambourg, Pierre-Yves Hendrickx, évite lui aussi de s’exciter face à l’élan de générosité. « On peut s’étonner de la politique du Standard, qui donne carrément des joueurs à Malines et aurait même été prêt à les conduire à l’entraînement là-bas… », dit-il. « Nous aurions aussi été intéressés par des locations gratuites, mais c’était impossible. Le Standard ne nous proposait personne pour rien. Idem à Lokeren, dont le président avait pourtant dit à Monsieur Bayat qu’il était prêt à nous aider. Un seul joueur de ce club nous intéressait, mais Lokeren a refusé de le lâcher. Tant pis. Nous avons décidé de ne nous occuper de personne, de battre Malines lors du premier match du deuxième tour puis d’arracher au plus vite les six autres victoires qui nous permettront de rester en D1. Au moins, nous pourrons dire que nous nous serons sauvés seuls. Ce sera notre fierté. De toute façon, qui peut être certain que les joueurs prêtés à Malines font une bonne affaire? Ils vont enfin pouvoir jouer: sportivement, c’est une bonne chose. Mais, pour le reste, ils s’embarquent peut-être dans une fameuse galère et les dégâts psychologiques pourraient être conséquents. Ils débarquent dans un contexte qui est loin d’être idéal. J’ai entendu qu’on ne leur avait même pas trouvé d’équipement pour les premiers entraînements ».

Le Standard et Anderlecht auraient-ils été aussi généreux avec d’autres clubsmenacés?

Il y a un an, Anderlecht prêtait Thompson et Karaca à Westerlo mais ne prit pas entièrement leur salaire en charge. Pourquoi agir aujourd’hui différemment avec Malines? « Parce que ce club n’a pas d’argent, c’est aussi simple que cela », répond Michel Verschueren. Mais si Charleroi ou La Louvière s’était manifesté pour obtenir le prêt gratuit de certains Mauves? « Ils ne nous ont rien demandé, alors je ne peux pas répondre. Malines est un cas à part et, j’espère, exceptionnel dans le football belge ».

Michel Preud’homme souligne également que Malines fut le premier club à venir aux nouvelles du côté de Sclessin. « C’est facile, pour d’autres clubs, de dire aujourd’hui que le Standard est plus large avec Malines qu’avec eux. Tout le monde savait quand même que nous avions quatre gardiens et un noyau B, non? Mais personne ne nous a contactés pour obtenir ces joueurs en prêt. Nous aurions pu imaginer le même système avec Charleroi, mais le Sporting n’était intéressé que par Meyssen qui, de son côté, ne voulait pas entendre parler d’un contrat de six mois ».

Les clubs du G5 se sont-ils entendus pour qu’il y ait un descendant supplémentaire?

Jean-Marie Philips ne croit pas à cette théorie. Une chose est sûre: si nos grands clubs voulaient faire quelques coups vaches pour réduire au plus vite la D1, ils pourraient par exemple arrêter d’acheter les meilleurs joueurs des petites équipes, ce qui plongerait celles-ci dans des difficultés financières encore plus grandes.

Abbas Bayat est certain que les grands clubs souhaitent trois descendants mais ne veut pas croire à un complot passant par le prêt de joueurs à Malines. A Anderlecht, on dément fermement toute concertation entre les membres du G5. « Nous n’avons discuté de rien avec le Standard, Genk, Mouscron ou Bruges avant de proposer des joueurs à Malines », dit Verschueren.

Même son de cloche du côté du Standard. Preud’homme réfute la thèse: « C’est ridicule. Nous n’avons pas besoin de cela car tout le monde sait que la nécessité de répondre aux critères de la future licence européenne diminuera naturellement le nombre de clubs de D1 dans un peu plus d’un an. Si le but ultime du Standard avait été d’assister à la chute en D2 de trois équipes à la fin de cette saison, nous n’aurions pas prêté des jeunes à Malines, mais des joueurs comme Meyssen, Goossens et d’autres du même niveau. En lisant la presse, on a l’impression que le Standard cède des stars à un club en difficulté. On fait subitement de nos jeunes des champions qui vont révolutionner le football belge. Je sais que ces joueurs sont moins forts que la plupart de ceux qui évoluent dans le championnat de D1. Mais les gens préfèrent ne retenir que les aspects soi-disant négatifs de notre manoeuvre. Pourquoi? Parce que les dirigeants de clubs belges sont plus des politiciens et des hommes d’affaires que des sportifs. De toute façon, en Belgique, plus on travaille, plus on s’investit, et plus on en prend dans la gueule! Je suis au Standard pour faire avancer les choses, par pour occuper une fonction honorifique. Dans ce cas-là, je serais resté tranquillement chez moi et je me serais occupé de ma famille. Il faut avancer et arrêter de critiquer à la première occasion. Le Standard pourrait aussi se plaindre de l’évolution de la situation de Malines. Nous avons perdu deux points là-bas au premier tour parce que ce club alignait encore une bonne équipe à l’époque. Les adversaires qui s’y déplaceront d’ici le mois de mai souffriront moins que nous, puisqu’il y aura une majorité de gamins dans l’équipe de Malines. Là aussi, on pourrait alors dire que la compétition est faussée et que le Standard en est victime.

Moi, je vois le côté sportif. J’ai quatre gardiens dans mon noyau. Au lieu de laisser Habran à la maison, je préfère lui donner l’occasion de jouer chaque semaine en première division. Même chose avec El Yamani, qui est à la recherche de son football depuis son grave accident de voiture. Les joueurs que nous cédons à Malines sont trop bons pour les matches de Réserve mais trop justes pour notre équipe Première. Pour eux, c’est une opportunité extraordinaire d’évoluer en D1 et de se rendre compte de ce qu’ils peuvent réaliser à ce niveau. Nous n’aurions pas laissé partir des joueurs susceptibles de nous dépanner dès cette saison en championnat. Et nous aurions aussi refusé de louer des jeunes encore trop tendres pour la D1. Nous ne voulions surtout pas brûler nos espoirs ».

Cette affaire ne risque-t-elle pas d’induire une modification des règlements?

Jean-Marie Philips a son avis sur la question mais ne s’avance que prudemment: « Nous envisageons d’interdire les transferts aux clubs en liquidation, mais nous ne sommes pas sûrs de pouvoir aller aussi loin. La Ligue Pro ne peut pas entraver le travail d’un liquidateur. Supprimer toute possibilité de transfert serait sans doute illégal ».

Mais ne pourrait-on pas supprimer l’article du règlement qui autorise un club à aligner des joueurs payés par une équipe concurrente? « Ce n’est pas à l’ordre du jour », tranche le patron de notre foot professionnel.

Preud’homme n’est pas contre une modification des règlements: « Qu’on empêche les clubs en liquidation de transférer, ça ne me dérange pas. Ce n’est pas moi qui ai pondu les règlements. Et ce n’est pas moi qui ai donné la licence à Malines pour voir trois mois plus tard qu’il n’y avait plus un euro sur les comptes. C’est malheureux qu’il faille un conflit pareil pour qu’on réfléchisse à des solutions susceptibles de faire avancer les choses. On pourrait rassembler toutes les parties concernées autour d’une table, avant l’apparition des problèmes, et discuter calmement de ce qui devrait être modifié. Mais, en Belgique, ça ne se fait jamais ».

Que risquent les joueurs prêtés?

Les joueurs prêtés à Malines obtiennent une occasion de se (re)lancer en D1. C’est l’aspect positif. Mais ils s’exposent aussi à un grand danger. Ce club est en effet tenu de payer ses dettes fédérales dans les semaines ou les mois à venir. S’il le fait, se sauve sur le terrain et ne reçoit pas sa licence (c’est une quasi-certitude car personne ne devrait déposer 12 millions d’euros pour reprendre le club), il chutera en D3. Mais rien ne dit que ce scénario se réalisera. L’Union Belge peut radier purement et simplement le Kavé dans un avenir proche si les dettes fédérales n’ont pas été remboursées. Dans ce cas-là, les joueurs prêtés retourneront dans leur club d’origine mais ne seront plus sélectionnables en équipe Première cette saison. Donc, El Yamani risque de se retrouver prochainement au chômage et le Standard aura alors échoué dans ses deux objectifs: relancer le joueur et le mettre en vitrine.

La crédibilité de notre championnat est-elle en danger?

Jean-Marie Philips le craint. « Je ne mets certainement pas en doute l’honnêteté ou la conscience professionnelle des joueurs prêtés à Malines », dit-il. « Mais je me mets à la place des spectateurs. Tout peut se passer lors du match Standard-Malines. Avec, d’un côté, 11 joueurs payés par les Liégeois et, de l’autre, cinq garçons rémunérés par le même club. Imaginons que les joueurs prêtés se mettent en tête de prouver à Luciano D’Onofrio et à Michel Preud’homme qu’ils n’y connaissent rien. Malines gagne à Sclessin et le Standard est ainsi privé de Coupe d’Europe. Les Standardmen… du Standard perdent de grosses primes pour avoir été battus par des joueurs payés par le même patron! Où est la logique? C’est toute la crédibilité de notre compétition qui en souffrira.

Deuxième scénario. Habran marche sur son lacet et encaisse un bête goal qui qualifie le Standard pour la Coupe de l’UEFA. Que dira-t-on à St-Trond, à Lokeren ou au Liersesi un de ces clubs est ainsi éliminé de la course à l’Europe? Habran sera suspecté et les spectateurs se demanderont dans quelle pièce on joue ».

Pourquoi a-t-on délivré la licence à Malines pour cette saison?

Malines a reçu sa licence durant l’été dernier mais ne savait plus honorer les salaires de ses joueurs dès septembre et fut mis en liquidation trois mois plus tard. Quel crédit peut-on accorder à la licence décernée par la fédération?

Jean-Marie Philips reconnaît qu’une licence beaucoup plus stricte est bien nécessaire. Pour entamer le championnat 2004-2005, tous nos clubs devront satisfaire aux critères de la licence européenne. Par rapport à la licence actuelle, il y aura deux grands changements. Les clubs devront prouver qu’ils ont les moyens de terminer la saison qui suit et leurs prévisions budgétaires seront contrôlées par un réviseur. S’il y a un écart entre leurs rentrées et leurs dépenses prévisionnelles, quelqu’un devra se porter garant de la somme en question, signer un chèque qui servira à rembourser les créanciers éventuels en fin de saison.

La licence pour le championnat 2004-2005 sera aussi plus sévère que l’actuelle en matière d’infrastructures. Et, dans ce domaine, l’UB est plus contraignante que l’UEFA. Chaque stade de D1 devra comprendre 10.000 places, dont au moins 8.000 assises. C’est une épée de Damoclès supplémentaire au-dessus de la majorité de nos petits clubs. Et une exigence qui contribuera à limiter naturellement le nombre d’équipes en première division.

Pierre Danvoye

« Je ne mets pas en doute l’honnêteté des joueurs prêtés, mais… » Jean-Marie Philips

Les joueurs prêtés à Malines risquent à tout moment d’être privés de compétition officielle

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