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« Tu vas faire le café »

Il y a quarante ans, la réussite inattendue de la Belgique à l’EURO incitait un jeune homme à se lancer modestement dans le journalisme. Grâce à Eric Gerets.

Dans un petit village, le téléphone sonne. Un écolier de seize ans prépare son job de vacances. Il a l’opportunité d’effectuer un stage en juillet chez l’un des ancêtres de ce magazine, Sport 80. Comment? Quelques mois plus tôt, le gamin participait à une compétition de talents mise sur pied par la rédaction.

Sa famille tempère immédiatement ses espoirs. « N’en attends pas trop, tu vas faire le café, classer les papiers et coller les enveloppes et peut-être balayer les locaux. »

À son arrivée, un bureau vide l’attend, sans balai ni percolateur. Tâche numéro 1 le premier jour: prendre l’ascenseur et chercher la farde de documentation sur Eric Gerets et la parcourir, car le lendemain, il doit… interroger Gerets, un des premiers vice-champions d’Europe, à son domicile, pour une série sur les Diables rouges. Le photographe se charge du déplacement de Bruxelles à Rekem, dans le Limbourg, car à seize ans, personne ne possède de permis de conduire et la ligne de train Bruxelles-Rekem n’est pas achevée.

Gerets, qui peut être intimidant envers les journalistes, reçoit l’adolescent comme s’il était un vrai reporter et répond patiemment à ses questions. « Sans Markovic, j’aurais été un simple footballeur », titrons-nous, après avoir tapé l’entretien sur une antique machine à écrire, dont on nous a prévenu que la touche « r » ne fonctionnait plus. Pratique pour écrire Eric Gerets…

Celui-ci ne ménage pas ses compliments à l’entraîneur qui l’a reconverti de l’attaque à l’arrière droit, au Standard. Gerets aurait préféré Waterschei, confie-t-il. Le Club Liégeois et le Patro Eisden s’étaient également informés, mais Vlatko Markovic avait dit à Gerets: « Je n’y connais rien si tu n’es pas en équipe nationale dans dix mois. » De fait. Avant un match contre les Pays-Bas, Gille Van Binst, le défenseur d’Anderlecht, déclare qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’il maltraite son coéquipier Rob Rensenbrink. Et Gerets reçoit sa chance.

Cette interview n’est que l’une des nombreuses que Gerets accordera au cours de sa carrière. Toujours to the point, mais jamais plus longues que nécessaire. Certains parlent pendant des heures pour ne rien dire. D’autres, comme Gerets, fournissent à chaque question une réponse qu’on peut retranscrire mot pour mot, sans une lettre de trop.

Quelques exemples? Lors de ses adieux au PSV, notre magazine a une idée lumineuse: « L’interview de Gerets par lui-même. » Ainsi, on le voit dans le double rôle de journaliste et de joueur dans le vestiaire. Un jour, au Lierse, il est fâché par les propos tenus par Eddy Snelders en réaction à ce qu’il a dit. Gerets inflige donc une amende à Snelders… puis à lui-même. Sa double interview avec René Vandereycken dans un délicieux restaurant italien de Tongres est également hilarante. Elle porte sur l’approche tactique d’un match. Leurs opinions divergent complètement. « Quand on est le meilleur, on fonce », déclare d’emblée Gerets. Vandereycken secoue la tête. « Non. Je ne fais pas ça. Quand on est le meilleur, on guette le moment où l’autre commettra une erreur. » Gerets n’en croit pas ses oreilles…

Gerets ne flatte personne. Il a un avis tranché sur tout. Les footballeurs de sa trempe sont une denrée rare, de nos jours. On doute fortement de pouvoir réaliser une nouvelle série comme il y a quarante ans, si les Diables rouges atteignent la finale de l’EURO. Les temps ont changé.

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