» Tu ne vas quand même pas sélectionner ce balourd de Ceulemans ? « 

Le 1er août, il y aura une décennie, très exactement, que Guy Thys nous délaissait à jamais. Tout au long d’une carrière jalonnée de nombreux succès, l’ancien sélectionneur des Diables n’a jamais cherché à se mettre en évidence. Il relativisait tout et n’avait pas son pareil pour ôter la pression qui pesait sur ses joueurs.

Interviewer Guy Thys, c’était toujours un plaisir. Son appartement de Berchem était un havre de paix. Il y avait toujours du gâteau et du café. Parfois du whisky, aussi, la boisson préférée de l’Anversois. Thys allumait alors un cigare et se mettait à parler de son métier de sélectionneur. Le cigare et le whisky faisaient partie de son personnage, et Thys ne s’offusquait guère de cette caricature. Il ne se formalisait d’ailleurs de rien. Jamais il ne nous a donné l’impression d’être rongé par le stress. On avait toujours le sentiment qu’il maîtrisait mieux que quiconque l’art de relativiser les choses. Même le décès de sa fille unique, morte d’un cancer le 2 mai 1997. Il ne se passait pourtant pas un jour sans qu’il n’y pense. C’est pourquoi Thys détestait les gens qui faisaient de leurs petits problèmes une montagne.

Guy Thys était un épicurien. Son métier l’occupait beaucoup, bien sûr, mais il aimait également prendre le temps de jouer au tennis ou aux cartes, d’aller manger dans un bon restaurant. Et puis, surtout, il y avait ses vacances annuelles à la Côte d’Azur, où il rechargeait ses accus. Si c’était nécessaire, toutefois. Car Guy Thys a toujours prétendu que le football ne lui avait jamais volé une minute de sommeil. Son épouse, Christiane, se disait toujours étonnée par le calme qu’il dégageait. En novembre 1985, alors que l’équipe nationale devait disputer un match capital aux Pays-Bas dans le cadre de sa participation à la Coupe du monde mexicaine, tout le pays était sur le pied de guerre. Mais à la veille de la rencontre, à 23 heures, Guy Thys était dans son lit. Et cinq minutes plus tard, il dormait profondément. Il avait fait son travail et ne pouvait plus rien y changer. Le lendemain, les Diables Rouges livrèrent un match historique à Rotterdam et un but inscrit de la tête par Georges Grün leur permit de se qualifier au détriment des Pays-Bas. Ce fut l’un des plus hauts faits d’arme de ses quinze ans de présence à la tête de l’équipe nationale.

Une offre mirifique du Real Madrid

Ce match mémorable à Rotterdam sema pourtant un léger doute dans la tête de Guy Thys. Les extrêmes s’étaient rarement touchés de façon aussi brutale que ce soir-là. Alors que, contre son gré, Thys se laissait emporter par une vague d’euphorie, Leo Beenhakker, battu et abattu, s’enfonçait seul dans les catacombes du stade de Feyenoord, la tête enfoncée dans les épaules. Après ce match, Thys se retrouvait face à un dilemme. Alors que tout le pays faisait la fête, il négociait un passage au Real Madrid avec des émissaires du club espagnol. Jamais dans sa carrière il n’avait reçu une telle proposition. Lorsqu’il vit les chiffres sur papier, il vacilla. L’équipe nationale lui tenait beaucoup à coeur mais pouvait-il laisser filer une telle offre ? Il discuta un peu avec Louis Wouters, le président de l’époque, mais comprit que celui-ci ne lui accorderait pas facilement sa liberté. Il refusa donc la proposition du Real, même lorsque les Espagnols lui firent savoir qu’ils étaient prêts à payer à l’Union Belge le dédit que celle-ci exigerait. Guy Thys n’a pas trahi ses principes et le Real Madrid s’est tourné vers… Leo Beenhakker. Le perdant du duel de Rotterdam faisait l’affaire de sa vie. L’argent n’a jamais été un facteur déterminant pour Guy Thys. En 1989, il refusa même une proposition de la Corée du Sud, qui lui garantissait cinq millions de francs belges (125.000 €) par mois pendant six mois. Il souhaitait aller au bout de son contrat. Car il tenait à son image. Lorsque, après son premier passage chez les Diables (1976-1989), il dut prendre le relais de, Walter Meeuws, dont le sort était scellé, il n’apprécia pas que certains l’aient cru capable d’avoir tout manigancé. Lui, il n’était revenu que par loyauté envers les dirigeants fédéraux qui le lui avaient demandé.

Guy Thys était un gentleman, un sage qui n’élevait que très rarement la voix. Il était difficile de se disputer avec lui. Il était patient, écoutait et ne prenait pas tout ce qu’il disait pour parole d’Evangile. Mais il finissait tout de même toujours par faire comme il avait envie. Avec du tact, un clin d’oeil ou sur le ton de la plaisanterie. Un jour, alors qu’il entraînait l’Antwerp, le président Eddy Wauters lui demanda combien de temps encore il comptait aligner Jos Heyligen parce que, selon lui, l’Antwerp jouait alors à dix. Thys répondit sèchement que cela faisait deux ans que l’Antwerp jouait à dix et qu’il avait à chaque fois terminé deuxième. Puis il sourit en disant que c’était pour cela qu’il ne voulait pas prendre le risque de jouer à onze.

Lorsque Jan Ceulemans effectua ses débuts en équipe nationale à Anderlecht mais manqua troisoccasionsénormescontrel’Islande (4-0),LouisWoutersappelaThyssurlecôtéetluidit :  » Je suppose que tu ne vas plus sélectionner ce balourd de Ceulemans.  » Dans ces moments-là, Guy Thys ne cherchait jamais la confrontation. Deux ans plus tard, à l’occasion du championnat d’Europe en Italie, Wouters ne tarissait pas d’éloges au sujet de l’équipe nationale et, surtout, de Ceulemans. Thys lui glissa alors à l’oreille :  » C’est le balourd d’il y a deux ans, président !  »

Une bonne dose de psychologie

Guy Thys était un homme de dialogue. Il aimait écouter les autres, faire le tri et tirer ses conclusions. Mais un seul conseil se transforma réellement en bonne affaire pour le football belge : celui de rappeler Wilfried Van Moer en équipe nationale, en 1982. Au retour d’un match international, Thys était assis dans l’avion aux côtés de Rik De Saedeleer, le commentateur-vedette de la VRT, et lui parlait de l’absence d’un leader dans son entrejeu. De Saedeleer lui conseilla alors d’aller voir jouer Van Moer à Beringen. Mais celui-ci avait déjà 36 ans et, dans un premier temps, il refusa de revenir. Thys joua alors sur sa fierté.  » Je ne savais pas que tu avais aussi peu de caractère « , dit-il. Du Thys tout craché ! Il savait toucher les joueurs. Au cours de la préparation pour la Coupe du Monde 1990, il retira Enzo Scifo de l’équipe et celui-ci déclara qu’il en avait marre. Thys laissa passer quelques semaines puis alla manger à Auxerre avec Scifo. Il avait invité Guy Roux et les angles furent vite arrondis.

Guy Thys et ses joueurs se disaient tout. Au cours des discussions tactiques, tout le monde avait le droit de donner son avis. Sa force, c’était de former un groupe uni, où chacun laissait son ego de côté au service du collectif, sans perdre ses qualités individuelles.

Son principe était de laisser les joueurs déterminer dans quel rôle ils se sentaient le mieux, de ne pas leur demander des choses dont ils n’étaient pas capables. En équipe nationale, Guy Thys avait affaire à de fortes personnalités qui, peu à peu, se mirent au service du groupe. C’est ce dont il était le plus fier : il avait réussi à mettre en place une ambiance au sein de laquelle les individualités ne comptaient pas. Si quelqu’un commettait une erreur, ils étaient tout de suite trois à vouloir la réparer. C’est ainsi que lorsqu’il rappela Van Moer, personne n’a eu peur de perdre sa place. Personne n’a dit qu’il ne courait pratiquement plus. Julien Cools a simplement déclaré :

« Je vais encore travailler un peu plus afin que Wilfried puisse être plus offensif.  » La grande force de Guy Thys, c’était son sens de la psychologie. Il était tout le contraire d’un dictateur. Quand il voyait la façon dont Georges Leekens travaillait au cours de sa première période en équipe nationale, il secouait la tête. Il estimait qu’en sélectionnant trop de joueurs, on favorisait l’égoïsme parce que tout le monde voulait se mettre en valeur au détriment du collectif. Parce que certains joueurs ne songeaient qu’à leur prestation et pas au résultat. Au cours des grands tournois, Guy Thys n’édictait jamais de règles strictes. Au cours du mémorable Mondial 1986, après la victoire face à l’URSS, Jan Ceulemans lui dit que les joueurs avaient envie de sortir et demanda pour quelle heure ils devaient rentrer à l’hôtel. Thys répondit que l’entraînement était programmé à 9 heures et que tout le monde devait être présent. L’Anversois n’aimait pas jouer l’agent de police.

Une confiance aveugle en ses joueurs

Thys avait une confiance aveugle en ses joueurs. Il faut dire qu’il les sélectionnait sur base de leur caractère car il estimait qu’une bonne politique de sélection pouvait éviter pas mal de problèmes. Il sentait bien les joueurs et tenait compte de leurs réactions émotionnelles ainsi que de leur intelligence. Il entamait toujours un championnat d’Europe ou une Coupe du monde avec une base de 16 joueurs à laquelle il ajoutait six jeunes. Guy Thys n’aimait pas les individualistes. Pour lui, la force d’un groupe, c’était le collectif. Il tentait toujours de construire une défense solide et estimait qu’il était essentiel d’apporter du mouvement et du sens tactique à l’équipe. Il était toujours très heureux de voir combien ses joueurs maîtrisaient le piège du hors-jeu après quelques entraînements seulement. A son époque, les Diables Rouges avaient une équipe faite pour les tournois. Ou plutôt : des joueurs faits pour les tournois qui ne faisaient qu’évoluer.

Ce fut la base de plusieurs périodes dorées : la deuxième place à l’Euro ’80, la quatrième place à la Coupe du Monde 1986 et, entre les deux, une victoire mémorable face à l’Argentine de Diego Maradona en match d’ouverture de la Coupe du Monde 1982. Guy Thys savourait mais toujours discrètement. Jamais il n’éprouvait le besoin d’effectuer un tour d’honneur. Ce calme intérieur et extérieur fut un précieux allié tout au long de sa carrière. Car même après une défaite, Thys ne sombrait pas. Pour lui, le point culminant de sa carrière, ce fut l’Euro 1980, où les Diables Rouges se hissèrent en finale après avoir éliminé l’Angleterre, l’Italie et l’Espagne. Et ils ne furent battus par l’Allemagne qu’à deux minutes de la fin, sur un coup de tête d’Horst Hrubesch.

L’équipe dont il disposait alors était composée de joueurs extrêmement mûrs et pleins de confiance. Thys ne la modifiait jamais. Il aligna 37 fois de suite la même défense : Jean-Marie Pfaff au but, Erik Gerets, Luc Millecamps, Walter Meeuws et Michel Renquin devant lui. Pour lui, c’était l’entraîneur qui mettait les joueurs en confiance. Il leur donnait donc toujours la certitude qu’ils entameraient le match.

Guy Thys ne perdit jamais son sens de la réalité. En 1986, alors que les Diables Rouges étaient reçus en triomphe par 20.000 personnes sur la Grand Place de Bruxelles après une Coupe du monde mémorable au Mexique, il songeait au match contre l’URSS et revoyait le moment où, à 2-1 pour les Russes, Belanov tira sur le montant. Au cours de ce tournoi, Thys avait démontré qu’il n’avait pas peur d’affronter les vedettes de l’équipe. Avant le match contre la Corée du Sud, il avait mis Ceulemans sur le banc. Celui-ci ne lui en a jamais voulu car il savait que Thys ne cherchait jamais à se mettre en évidence. Aucun international ne mit d’ailleurs jamais en doute ses compétences. Tout au plus disait-on de lui qu’il avait une patte de lapin dans sa poche.

Pas de show

Parfait bilingue, Guy Thys ne connut que très rarement des problèmes communautaires. Avec la presse, il savait s’y prendre : il était toujours disponible, ne refusait jamais d’interviews et réglait un tas de problèmes avec le sourire. Lorsqu’il dévoilait son équipe, il demandait toujours aux journalistes s’ils avaient un avis à émettre. Il n’aimait pas les analyses d’après-match parce que, selon lui, on y jugeait trop souvent sans connaître les tenants et aboutissants de l’histoire. Thys a toujours regretté que les journalistes ne puissent pas assister aux séances de théorie d’avant-match parce que ça leur aurait donné une meilleure idée de ce qu’il demandait aux joueurs.

Après sa carrière, Guy Thys continua à travailler comme public relations pour la fédération. Au cours des déplacements à l’étranger, il aimait discuter des hasards de la vie. C’est ainsi que Raymond Goethals l’avait suggéré comme successeur lorsqu’il quitta l’Union Belge pour Anderlecht. A l’époque, Thys négociait une adaptation de son contrat avec l’Antwerp. Il y était payé au point mais, comme pas mal de joueurs importants s’en allaient, il souhaitait apporter quelques modifications à l’accord. Eddy Wauters refusa. Dans ces conditions, le choix de l’équipe nationale fut vite fait.

Guy Thys aimait également parler de l’époque où, à l’Antwerp, il avait eu Louis van Gaal sous ses ordres. Celui-ci estimait qu’il devait toujours jouer parce qu’aucun autre joueur n’avait autant de technique que lui. Sans perdre son flegme, Guy Thys lui répondit :  » C’est possible, Louis. Le problème, c’est que tu n’as jamais le ballon.  » Puis il éclata de rire. Comme cette autre fois où Van Gaal fut titularisé et lui demanda comment il devait jouer. Thys répondit :  » Comme d’habitude, Louis : lentement, très lentement.  »

A la retraite, Thys se sentait parfaitement à l’aise de l’autre côté de la barrière. Il s’étonnait de voir tous ces entraîneurs crouler sous le stress et était heureux de ne plus connaître tout cela. Thys avait toujours estimé qu’une fois le coup d’envoi donné, il ne pouvait plus rien faire. Il ne croyait pas en ces entraîneurs qui gesticulaient le long de la ligne. Pour lui, c’était du show. Et il croyait encore moins aux prétendus remplacements-miracles. Parce qu’il se demandait toujours pourquoi les entraîneurs qui se félicitaient d’avoir fait entrer tel ou tel joueur ne l’avaient pas aligné immédiatement.

Ça, c’était Guy Thys ! Il n’était certainement pas le plus grand tacticien mais ne s’est jamais meurtri de cette image. Il minimalisait d’ailleurs toujours l’apport de l’entraîneur. Pour lui, les plus grands entraîneurs avaient un point commun : ils travaillaient avec de grands joueurs. Le tout, c’était de pouvoir conserver la sérénité dans et autour de l’équipe. Et de ne pas craquer sous le poids de l’émotion, surtout dans les moments difficiles. Guy Thys pouvait parler beaucoup pour ne pas dire grand-chose et il estimait que c’était un de ses points forts.

Il ne se découvrait d’ailleurs jamais totalement. C’est pourquoi son décès, le 1er août 2003, fut si brutal. Très peu de gens savaient qu’il souffrait d’un cancer du rein. Ce n’était pas son genre d’embêter les autres avec ses problèmes. ?

PAR JACQUES SYS

Il ne croyait pas aux entraîneurs qui gesticulaient le long de la ligne. Pour lui, c’était du show.

A Van Gaal, qui s’étonnait de ne pas jouer sous ses ordres à l’Antwerp alors qu’il était au-dessus du lot techniquement, il répondit :  » Le problème, cher Louis, c’est que tu n’as jamais le ballon.  »

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