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TU L’AS DIT

Le capi du Standard a rarement peur de l’ouvrir. Et parfois, ça vaut même la peine d’en rajouter. Parlez-vous français ?

On s’est un peu amusé. Amusé à sélectionner quelques déclarations faites par Adrien Trebel depuis l’été dernier. Il a le profil pour ce petit jeu. Parce qu’un Trebel élogieux, c’est agréable à entendre. Un Trebel fâché, c’est succulent à écouter. Un Trebel philosophe, ça se déguste. Un Trebel énigmatique, ça passionne. Un Trebel comme ci, un Trebel comme ça, ça peut être du pain bénit. Alors, on le provoque. Raconte-nous plus encore… Voici ses phrases chocs de la deuxième moitié de 2016. Et ce qu’il a à y ajouter. Intéressant et généralement percutant.

 » A priori, mon pied droit ne me sert qu’à monter dans le bus. Mais il n’est pas trop mal. Belfodil a mis une semaine pour deviner si j’étais gaucher ou droitier.  »

Onur Kaya nous a récemment expliqué que les gauchers avaient quelque chose en plus, qu’ils étaient plus élégants. Tu confirmes ?

ADRIEN TREBEL : D’abord, c’est vrai que notre souci à nous, les gauchers, c’est que notre droit ne nous sert généralement pas à grand-chose. Je vois beaucoup de gauchers qui ont deux pieds gauches… Souvent, les droitiers n’ont pas le même problème avec leur pied gauche. Les droitiers Andrés Iniesta et Neymar savent parfaitement se servir de leur gauche. Alors que les gauchers Lionel Messi et Arjen Robben font la plupart de leurs mouvements avec leur pied gauche. Ils sont aussi capables de marquer du droit, mais les dribbles et les touches, ils les font surtout avec le gauche.

Tu as une explication ?

TREBEL : Peut-être qu’inconsciemment, les gauchers travaillent moins leur mauvais pied parce qu’on leur a toujours dit qu’ils formaient une catégorie à part, peut-être privilégiée, parce qu’ils ont toujours entendu qu’ils étaient naturellement plus élégants que les droitiers. En plus, un gaucher a généralement plus de facilité à mettre le ballon exactement où il le veut. Donc, il continue à bosser pour améliorer surtout son pied gauche. Bref, je suis content d’être gaucher.

 » Je vénère Iniesta, c’est un extraterrestre.  »

Pourquoi lui ?

TREBEL : Déjà, il joue à mon poste. C’est pour ça que je parle surtout de lui. J’ai une déception pour Iniesta : il n’a jamais reçu le Ballon d’Or. Pourtant, il y a eu une époque où il l’aurait vraiment mérité. Ce sera toujours très compliqué avec deux gars qui mettent je ne sais combien de buts chaque saison mais je constate que lui, il sait tout faire : attaquer, marquer, défendre, faire toujours les bons choix. Iniesta est complet de partout…

 » Je cours comme un chien sur le terrain, c’est sans doute pour ça que le public m’a adopté si vite.  »

Cette saison, il y a quand même eu quelques réactions négatives des supporters du Standard dans les matches où tu étais moins bon.

TREBEL : Il y a toujours des périodes où tu es moins bien. J’ai été moins bien, oui. Mais ça fait plus d’un mois et demi que je joue avec une douleur aux côtes, aussi. C’est dans ma mentalité : même avec des douleurs, j’ai envie d’être sur le terrain. Mais mon rapport avec le public est très bon. Et un supporter, ça reste un supporter. Quand tu es bon, il va te le faire sentir. Quand tu n’es pas bon, il ne va pas se priver non plus. Je ne m’en préoccupe pas trop, ça ne m’atteint pas. Que les supporters m’aiment ou ne m’aiment pas, la vie continue. Les seuls avis qui comptent pour moi sont ceux de mon entraîneur et de ma famille. Eux, ils ne m’épargnent pas, ils ne me passent pas la pommade dans le dos pour me faire plaisir. Et puis, les critiques, ça te fait avancer.

Et quand les critiques viennent des journaux, ça te touche ?

TREBEL : Mais absolument pas ! Que ça vienne des journaux, de la radio, de la télé, des tribunes ou des gens qui ne sont même pas au stade, ce n’est pas un souci. Ils peuvent s’y mettre à deux, à un million, à trois cents millions, à un milliard pour dire que j’ai été mauvais… C’est pareil. Et je ne comprends pas les footballeurs qui ont du mal avec la critique. Tu as besoin de ton coach, de ta famille et de tes amis… alors, toutes les autres personnes… Je devrais perdre mon temps – parce que c’est une vraie perte de temps ! – à lire les commentaires de gens qui n’ont peut-être jamais joué au foot ? Et puis, s’ils étaient si forts, ils joueraient à ma place. Tous ces gens-là ne m’ont jamais aidé dans ma vie, ils n’ont jamais fait en sorte que je sois où je suis aujourd’hui. J’ai envie de leur dire : -Continuez à me critiquer, c’est pas grave. Ça ne m’empêchera pas de dormir. La critique est partout : en sport, en politique, partout. C’est l’humain qui est comme ça. Je lis même des attaques sur Messi et Cristiano, tu te rends compte ? Moi, je prends tout avec le sourire, je ne m’encombre pas la tête parce que j’estime qu’on a déjà suffisamment de petits soucis dans la vie de tous les jours. Tu ne m’aimes pas ? Pas de souci. Tu veux me dire que je suis nul à chier ? C’est ton droit. Tu as envie de me dire que je suis une grosse merde ? Vas-y. Je n’ai pas besoin de tous ces gens-là pour continuer à avancer.

 » J’ai vite compris que seul comptait le business, ce n’est pas un monde de Bisounours. Il faut signer avec tel ou tel agent pour avoir un contrat, même si moi j’ai fait 6 mois de noyau B à Nantes car je refusais de me coucher.  »

Il y a beaucoup de footballeurs qui se couchent ?

TREBEL : Bien sûr. Bien sûr. Mais bien sûr, il y en a plein. Pour jouer, souvent, tu dois être avec la bonne personne. Sinon, ça peut être un peu délicat. Si tu as la bonne personne, elle pourra passer un coup de fil au président, et il mettra un peu de pression sur le coach. C’est partout pareil. C’est la même chose quand tu veux quitter un club. Je viens encore de lire un reportage où un agent s’exprime. Il dit qu’il ne faut aucun malentendu entre le joueur, le club et lui. Ça veut dire quoi ? Pour moi, ça veut dire qu’il doit s’entendre avec le club. Et ce n’est pas sain. Tu es agent, ton joueur veut partir, la direction veut qu’il reste. Tu t’entends bien avec le président. Au bout du compte, ton joueur ne partira pas. Ou il partira, mais à des conditions qui vous arrangent, le président et toi. Pas aux conditions qui arrangent le joueur. Non, vraiment, ce n’est pas un monde de Bisounours, j’ai déjà compris ça à 17 ans. Au moment de me faire signer un premier contrat pro, Nantes voulait m’imposer un agent. J’ai refusé, j’ai voulu faire ça seulement avec mon frère. Si un joueur de foot a besoin d’un agent pour faire son premier contrat pro, faut arrêter. Je ne vois pas l’intérêt. Un premier contrat, c’est un premier contrat, avec plus ou moins les mêmes conditions financières pour tout le monde, à la charte comme on dit en France. Tu fais simplement une différence si tu as une pépite, là tu la blindes. Mais pour les autres, c’est le même revenu. Et des dirigeants de clubs qui te font comprendre que si tu ne signes pas, ils prendront un autre.

 » Je pouvais tripler mon salaire en signant à Al Jazeera mais je n’ai pas voulu aller au bras de fer avec la direction du Standard.  »

Tu avais des envies d’ailleurs pendant l’été et tu les as toujours…

TREBEL : Le deal était clair avec Roland Duchâtelet dès mon arrivée, je voulais faire deux ans ici. C’est fait. Pendant l’été, Bruno Venanzi m’a dit qu’il voulait me garder une saison de plus. Mais dans le même temps, il m’a communiqué le prix pour lequel je pourrais partir. Ce montant, on le lui a ramené, avec mon agent. Et il l’a refusé. Donc, je suis resté. Aucun souci. Si on écoute son protocole, il doit me vendre à la fin de la saison.

Mais partir à Al Jazeera ou dans un autre club du Golfe à ton âge, ce serait malheureux, non ?

TREBEL : Il y a destination exotique et destination exotique. J’ai aussi reçu une grosse offre de Chine. Là, j’ai dit non, directement. Al Jazeera, c’est déjà différent. Et le cas d’Ishak Belfodil montre que les Emirats ne sont pas nécessairement un cimetière.

Mais combien de joueurs reviennent plus forts de pays pareils ?

TREBEL : Tout dépend de la façon dont tu vois ton expérience là-bas. Si tu y vas pour profiter du système, c’est compliqué. Il y a quand même beaucoup de gars qui y vont en touristes, pas en footballeurs. Et ils attendent leur fin de carrière pour tenter l’aventure. Moi, je me dis : pourquoi ne pas essayer pendant que je suis encore jeune ? Je fais deux ans. Si je ne me plais pas, je reviens.

Au risque de te faire oublier et de bousiller ta carrière !

TREBEL : Pas d’accord. Prends Belfodil : un joueur pareil, avec un CV pareil, il ne tombe jamais aux oubliettes. Lyon, Parme, Inter, Bologne, ça ne s’oublie pas. Il revient au Standard, il joue l’Europa League, il est directement considéré comme un des meilleurs joueurs du championnat. Bref, il n’a pas fait un mauvais choix en s’exilant pendant quelques mois. On n’est pas tous des Messi ou des Cristiano, on doit écouter tout le monde. Peu importe le club qui s’intéresse à toi, tu dois au moins prendre la peine d’écouter.

 » Je veux offrir le titre au Standard avant de m’en aller.  »

Tu dis que tu partiras en fin de saison, donc ça presse. Ce n’est pas utopique ?

TREBEL : C’est compliqué, le foot… Mais le titre avec ce club, c’est un truc que je voudrais tellement réussir. Maintenant, on va voir. Ce qu’il faut en priorité ? De la stabilité. Regarde Gand et Bruges. Ils ont été champions parce qu’ils ont su être stables, dans leur staff et dans leur noyau. Je suis ici depuis moins de deux ans et demi, j’en suis déjà à mon sixième entraîneur. Je trouve ça énorme. Peu importe la personne qu’on met à la tête de l’équipe, ce sont les joueurs qui doivent faire la différence au bout du compte. Pour le titre, je continue à me dire que tout est possible avec votre système de play-offs. Quand j’ai été contacté par le Standard, l’équipe devait avoir une dizaine de points d’avance, c’était avec Guy Luzon. J’ai regardé quelques matches, je me suis dit : -Putain, ils vont être champions à l’aise. Mais non. Ils ont craqué. Le foot est aléatoire, parfois.

 » S’il y a des gens qui veulent voir sauter Yannick Ferrera, ce ne sont pas les joueurs.  »

Tu ne vas quand même pas dire qu’il avait encore tout le vestiaire derrière lui ?

TREBEL : Ecoute bien ceci, c’est une règle essentielle du foot… Le joueur qui joue dira toujours que le coach est bien, que ses entraînements sont bons et tout ça. Celui qui ne joue pas dira que le coach est nul et que ses entraînements sont mauvais. J’entends la même chose depuis que j’ai 12 ans. On est tous des humains et il y a des moments où la frustration est plus forte. Moi, je dois beaucoup à Yannick Ferrera. En peu de temps, il a fait taire beaucoup de critiques. C’était dur pour lui de quitter Saint-Trond pour venir dans un club où ça ne se passait pas bien. Il a loupé le Top 6, OK. Mais derrière, il a gagné la Coupe et qualifié le Standard pour l’Europa League. Grâce à ses méthodes, à sa force de travail. La chance n’avait rien à voir là-dedans. Maintenant, il y a une autre réalité dans le foot : tu ne peux pas t’entendre avec tout le monde. Dans ce cas-là, c’est mieux de se serrer la main et de se dire au revoir. C’est ce qui s’est passé avec Yannick.

 » Jankovic insiste sur la rigueur et l’exigence. J’ai besoin de quelqu’un pour me pousser, c’est un grand motivateur.  »

On savait que Ferrera pouvait pousser de grosses gueulantes, apparemment Jankovic est pas mal dans le genre, lui aussi.

TREBEL : Je te confirme ! Il sait rentrer dedans. Quand ça ne va pas, il te dit que tu es nul. Clairement. Il ne passe pas par cinquante mille chemins. Et ça te fait avancer. Toujours chouchouter les joueurs, leur dire  » T’inquiète « , ça ne marche pas. Un coach est là pour que son vestiaire fonctionne et pour que les résultats suivent. Quand ça ne tourne pas, Jankovic ne nous donne rien du tout. C’est une approche qui colle bien au Standard. Mais, une fois de plus, il va falloir lui laisser du temps. Il est arrivé en cours de saison et on ne pourra pas le juger après six mois. Quel grand club juge son entraîneur après six mois ?

 » Les Liégeois me changent des Parisiens, toujours speedés : ici, les gens vous sourient et vous aident. J’ai aussi découvert les lacquemants et les boulets sauce lapin.  »

Vive la Belgique ?

TREBEL : Vive la Belgique, oui ! L’accueil que j’ai reçu à Liège m’a frappé. Je n’ai pas dû aller vers les gens, ils sont venus vers moi. Avec Paris, j’ai un souci. J’y étais au moment des attentats, et quand j’y retourne, je ne sens plus le Paris d’avant. Déjà que le Paris d’avant, je n’étais pas fan. Je trouvais les gens beaucoup trop speedés, ils courent de gauche à droite, ils se poussent. Je comprends, chacun travaille mais tout le monde doit avoir une vie, aussi. Maintenant, en plus d’être speedé, c’est chacun dans son coin. Quand tu prends le train ou le métro, tu as encore des gens qui te parlent, mais ça se limite aux contrôleurs, parce qu’ils n’ont pas le choix, ils ne font que leur boulot. Mais les passagers, ils sont fermés. C’est de la méfiance, de la peur, je ne sais pas exactement. On dirait parfois que les Parisiens ont tous les malheurs de la Terre sur les épaules. Il faut continuer à vivre, bon sang ! On n’est pas des super héros, on ne va pas tout changer, il y a des choses qu’on ne contrôlera jamais, mais il faut vivre. Tu travailles, tu es en bonne santé, c’est ça l’essentiel, profite !

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

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