« Tu es sur le Central de Wimbledon, amuse-toi! »

La Rochefortoise raconte ses deux semaines de rêve à Wimbledon.

Pouvez-vous comparer votre joie à Paris et celle ici à Wimbledon?

C’est tout à fait différent. A Paris, j’étais une outsider. Ici, tout le monde m’attendait. Et puis, la première fois que l’on fait un truc en Grand Chelem, c’est spécial. Mais ce qui me réjouit, c’est que je démontre que je peux aussi bien jouer sur une autre surface.

John McEnroe a fait beaucoup d’éloges concernant votre jeu -disant que c’était le plus beau du circuit. Qu’est-ce que cela vous fait?

C’est très flatteur, surtout venant de John McEnroe, mais je ne m’arrête pas à de tels compliments. Si je devais réagir à chaque fois que quelqu’un me dit que j’ai un beau revers, on n’en sortirait pas. Je joue pour moi, pour me faire plaisir, pour gagner. Mon objectif n’est pas d’impressionner.

Qu’avez-vous appris lors de votre parcours à Roland Garros et qui vous a servi ici à Wimbledon?

Je pense que j’ai maintenant un peu plus d’expérience. Je profite plus de ce moment exceptionnel qu’à Paris, où je n’ai pas assez savouré. Je ne voulais pas faire deux fois cette erreur. Je monte donc sur le court juste pour en profiter. Je me dis: -Tu es sur le Central de Wimbledon, amuse-toi !

Et vous avez aussi gagné en confiance?

Oui, c’est évident. Quand on fait une demi-finale à Roland Garros, suivie d’une victoire à Rosmalen et que vous faites de nouveau un super parcours dans un autre Grand Chelem, on ne peut qu’être en confiance. Donc, je monte sur le court, et je fais de mon mieux.

Si quelqu’un vous avait dit au début de l’année que vous feriez de pareils résultats dans deux tournois du Grand Chelem, que lui auriez-vous répondu?

Je ne l’aurais pas cru. Parce que j’étais classée seulement 45e mondiale. Il y a un an, j’étais centième, quand je suis venue disputer Wimbledon et que j’ai perdu au premier tour. Tout va tellement vite pour moi, je joue si bien cette année. Mais je crois que ce n’est que le début de ma carrière: je suis encore jeune. Je n’ai que 19 ans et j’ai encore de nombreuses années pour atteindre mes objectifs. Donc, je prends mon temps.

Pourquoi cela va-t-il si bien cette année?

Je crois que, mentalement, je suis plus forte que l’année passée. Vous savez, j’ai été blessée pendant très longtemps et je n’avais donc pas la possibilité de jouer et gagner beaucoup de tournois. Mais maintenant, je suis en forme -touchons du bois- et je peux enchaîner les tournois sans le moindre problème. Donc, juste beaucoup de matches, beaucoup d’expérience. Cela change les choses.

Après avoir battu Anke Huber en huitièmes de finale, que pouviez-vous dire de votre parcours à Wimbledon, par rapport à celui qui vous a mené en demi-finale à Roland Garros?

Je pense que j’ai eu ici un parcours beaucoup plus difficile qu’à Paris. J’ai rencontré plusieurs spécialistes du gazon, comme Kristie Boogert, Lisa Raymond ou Anke Huber. J’ai donc dû batailler ferme pour arriver jusqu’ici et j’ai mérité ma place. Je crois que c’est bon pour la confiance, c’est important de passer par des moments difficiles.

Vous confirmez votre prestation parisienne… en mieux?

Oui, tout à fait. Et ce qui est bien, c’est que cela arrive très vite après. Quand je me suis fait éliminer à Paris par Kim, après deux jours de repos, j’ai tout de suite repris le collier, j’avais hâte de rejouer et on a donc repris l’entraînement. Maintenant, je confirme car j’ai fait ce que je devais faire contre des joueuses moins bien classées. Je suis dans le Top 10, et je montre que je suis présente. C’est cela qui compte, et tant pis si je n’ai pas toujours joué mon meilleur tennis. Je crois que Kim et moi, nous avons le niveau du top, et nous allons essayer de continuer sur notre lancée.

Vous avez connu quelques difficultés à battre Huber. Pourquoi?

C’est une bonne joueuse sur gazon, très puissante. Et elle n’avait rien à perdre contre moi, qui suis mieux classée qu’elle. Au début du match, je n’étais pas bien en jambes et elle m’empêchait de trouver mon rythme. Ensuite, je me suis calmée, je l’ai fait jouer et elle a commis plus de fautes directes.

Vous n’avez pas su monter au filet très souvent contre l’Allemande?

Oui, c’est vrai, mais elle frappait fort. Avec elle, c’était tout ou rien, elle prenait la balle très tôt et m’empêchait de monter au filet. Je n’ai eu que très peu d’occasions d’aller à la volée.

Par contre, lors de votre quart de finale contre Conchita Martinez, ce fut expéditif. Avez-vous été surprise que cela se passe si facilement?

J’ai peut-être eu un match facile au niveau du score, mais je crois que j’ai dû jouer un très bon match pour gagner aussi facilement. Je m’attendais bien sûr à une rencontre plus dure, vu que c’est une joueuse d’expérience, qui a gagné Wimbledon en 1994. Mais j’ai joué tellement vite qu’elle n’a rien pu faire.

Pensez-vous que c’est plutôt vous qui avez bien joué ou elle qui jouait mal?

Je crois que c’était les deux. Quand vous jouez si vite, que vous ne faites pas de fautes directes, que vous mettez autant de pression sur l’adversaire, c’est difficile pour elle d’organiser son jeu. Elle n’a pas pu utiliser beaucoup son revers slicé parce que je jouais sur tout le court. Elle était sans doute un peu frustrée. Mais moi, j’ai maintenu la pression, j’ai fait mon boulot du début à la fin.

Que vous inspirait le fait de jouer contre Jennifer Capriati en demi-finale?

Capriati, c’était un mauvais souvenir pour moi, car c’est contre elle que je m’étais blessée à la cheville à Berlin. Mais, tout ce que je me disais, c’est que c’était déjà exceptionnel de confirmer ma demi-finale de Paris et que je voulais en profiter plus. Je n’avais rien à perdre contre Capriati, qui est la meilleure joueuse depuis le début de l’année. Je voulais juste m’amuser, jouer du mieux que je pouvais et je savais que, même si je perdais, je réagirais différemment par rapport à ma défaite contre Kim à Roland Garros. Je savais que je pourrais sortir la tête haute, en étant fière de moi. Jusqu’à ma demi contre Capriati, je n’avais peut-être pas battu de filles du Top 10 en Grand Chelem, mais je n’avais fait aucune contre-performance non plus. J’étais toujours là où on m’attendait. Le fait d’être au rendez-vous m’enlève une grosse part de pression. Je suis désormais plus régulière: c’est le plus important, pas seulement pour Wimbledon, mais pour la suite de ma carrière, à long terme.

Dans quelle mesure votre ampoule au pied droit vous faisait-elle mal?

C’est vraiment une belle ampoule. Elle me faisait très mal, me brûlait. Après le match contre Martinez, on l’a percée et soignée. La kiné m’a conseillé de déclarer forfait pour le double parce que sinon, ça ne guérirait pas pour la demi-finale. Mais de toutes façons, je savais ce que c’était de jouer avec une ampoule, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. On ressent la douleur bien sûr, surtout ici quand l’herbe est usée, mais cela n’empêche pas de jouer.

Considériez-vous la demi-finale contre Capriati comme une revanche par rapport à Berlin?

Non, pas vraiment. Tout ce que je voulais, c’était aller en finale. Je ne savais pas si j’allais être nerveuse ou pas, si j’allais être en forme ou pas, mais je voulais gagner. Mais je savais que ça allait être très difficile, parce que c’est une joueuse très complète, qui est forte sur toutes les surfaces, qui est très puissante. Mais je savais aussi qu’elle pouvait parfois être très nerveuse, comme au début de la finale contre Kim à Roland Garros, où elle s’énervait au moindre bruit dans le stade, et je me disais que je pourrais peut-être aussi jouer là-dessus. Je savais aussi qu’il fallait que j’essaie d’imposer mon jeu, que je tienne l’échange, comme je l’avais fait au deuxième set à Berlin. Si je parvenais à gérer sa puissance et son rythme, je pouvais faire quelque chose. Et vu que je l’avais accrochée à Berlin, c’était de bon augure pour ce match-ci. J’étais consciente de mes possibilités et je n’avais qu’un seul objectif : briser son Grand Chelem.

Qu’est-ce que cela vous fait de figurer maintenant à la cinquième place au classement mondial?

C’est fantastique, inespéré. Ce n’est pas irréaliste, mais presque, quand on voit où j’en étais il y a un an, et même au début 2001. Pour la première fois de ma carrière, j’ai été épargnée par les blessures depuis le début de l’année, et les résultats suivent logiquement. Pourvu que ça dure. D’ailleurs, plutôt que de retenir l’un ou l’autre résultat, c’est l’ensemble de ma saison que je veux souligner: quatre victoires en tournoi et mes deux parcours en Grand Chelem.

Contre Capriati, c’était la première fois que vous jouiez sur le Centre Court?

Oui, et c’était le dernier Court Central du Grand Chelem que je découvrais. Je ne savais pas comment fonctionnait le protocole. Nathalie Tauziat m’avait expliqué un peu comment faire la révérence, mais je me disais que je serais peut-être un peu perdue.

Votre parcours est assez différent par rapport à celui de l’année dernière.

Oui, l’an passé, je reprenais la compétition et j’avais perdu au premier tour contre Arantxa Sanchez. Maintenant, j’apprécie plus Wimbledon, le gazon, l’ambiance. Il faut dire que c’est quand même le plus beau des quatre sites du Grand Chelem, du moins quand il fait beau -mais ça, c’est valable pour les quatre tournois- et les fraises sont vraiment bonnes, j’en ai mangé des tonnes. Néanmoins, pour moi, ça n’a pas la même saveur que Roland Garros.

Cela vous a-t-il surpris de battre Jennifer Capriati en demi?

Bien sûr, parce que j’étais menée 6-2 2-1, j’étais très nerveuse, Capriati jouait si bien dans le premier set et je ne pensais pas que je pourrais gagner comme cela. Mais par la suite, je suis revenue. Je suis restée très cool. Je me suis dit : -On va bien voir ce qui se passe. J’ai juste essayé d’améliorer mon jeu par rapport au premier set. Et après, c’était si bon. Pour moi, c’était incroyable de battre Jennifer comme cela.

Etiez-vous nerveuse au début du match?

C’est toujours difficile de jouer sur un Central qu’on ne connaît pas. Le Centre Court est vraiment très grand. Au début, j’étais donc nerveuse. De plus, le rebond était différent par rapport au Court n°1. Mais quand j’ai eu la possibilité de gagner le match, je l’ai négocié différemment par rapport à ma demi à Paris.

C’est mentalement que vous avez gagné ce match?

Oui, c’est une grande victoire mentale pour moi. Après Roland Garros, je me suis remise au travail et je me suis dit que la prochaine fois que j’aurais cette opportunité, je la saisirais. J’ai ensuite gagné Rosmalen. Je suis donc plus forte qu’à Paris, au niveau mental.

Qu’est-ce qui a le plus gêné Capriati dans votre jeu?

Dans le second set, j’ai essayé d’être plus patiente. J’ai fait beaucoup de revers slicés et elle n’aimait pas ça. Je suis ensuite devenue plus agressive, j’ai servi beaucoup mieux. Je crois que Jennifer n’aime pas jouer contre moi parce que je reste dans le court et que je l’agresse.

Votre blessure au pied vous a gêné dans cette demi-finale?

Oui, c’était horrible. En début de rencontre, c’était vraiment difficile parce que je ne pouvais pas bouger très bien. Puis, après le passage de la kiné, ça allait déjà mieux. Ce n’est pas une blessure très dangereuse, mais cela fait très mal. Mais j’ai eu beaucoup de courage, pour continuer. Je n’y pensais plus. Je me disais : -Tu es en demi-finale, vas-y, essaie. Mais le problème, c’est que la blessure s’aggrave au fur et à mesure que la match avance.

Avez-vous pensé à abandonner à un moment?

Quand j’ai fait appel à la kiné, je n’étais pas loin d’abandonner.

Qu’est-ce que cela vous faisait d’être en finale à Wimbledon?

Cela signifie beaucoup. Vous ne pouvez pas imaginer. Surtout après ma demi-finale perdue à Paris. Ce n’est pas vraiment un rêve, mais c’est quelque chose que je ne pouvais pas imaginer quand je suis arrivée à Wimbledon.

Vous souvenez-vous de votre deuxième tour contre Kristie Boogert?

Oui, bien sûr. J’étais à deux jeux de me retrouver en dehors du tournoi. Mais ça, c’est le tennis. A Roland Garros cette année, Gustavo Kuerten avait sauvé une balle de match contre Michael Russel avant de gagner le tournoi. Je pouvais espérer que cela se passe un peu comme ça pour moi aussi.

Quand vous jouez contre ces joueuses de grande taille, vous dites-vous : « Plus elles sont grandes, plus bas elles tombent ».

Oui, tout à fait. Cela ne me gêne pas de jouer ces grandes joueuses. J’ai déjà battu Venus Williams, Jennifer Capriati… Je ne m’en fais pas de jouer contre ce type de joueuses, parce que je sais que je bouge bien sur le court et, quand je le veux, je peux aussi devenir une joueuse très forte.

En finale, avez-vous pris du plaisir, malgré la défaite?

Oui, bien sûr. Quand on dispute une finale de Grand Chelem, c’est toujours un grand moment. Et quand je suis revenue à un set partout, c’était fabuleux. Mais je dois dire que dans la troisième manche, c’était vraiment difficile: Venus était plus forte que moi.

C’est surtout son service qui vous a gênée?

Oui, son service était incroyable, durant tout le match. Je ne suis parvenue à la breaker qu’une seule fois sur toute la rencontre. Et une fois qu’elle m’a breakée dans le premier set, j’avais beaucoup de pression sur ma propre mise en jeu. Son service est vraiment étonnant: il est rapide et précis. Avec un service pareil sur gazon, elle sera très difficile à battre dans les années à venir.

Est-ce que votre ampoule vous a handicapée pendant la finale?

Non: j’étais à 100 % de mes possibilités.

Est-ce que Venus est la meilleure joueuse au monde?

Sur ce tournoi, elle l’était. Sinon, il y a d’autres joueuses très dangereuses, comme Capriati, Davenport, Serena,…

Pourquoi avez-vous reçu le soutien du public pendant la finale?

Les Anglais apprécient mon jeu. Mais j’ai toujours eu de bons contacts avec les spectateurs. Je n’ai jamais eu le public contre moi. La Duchesse de Kent, qui m’a remis le trophée, m’a aussi félicité pour mon jeu. Elle m’a dit qu’elle n’en avait jamais vu un comme le mien. Quant à Venus, elle m’a dit que je ne devais pas être déçue, qu’avec le jeu que j’ai, j’aurais sûrement de belles victoires à l’avenir.

Quel est votre programme pour les prochaines semaines?

Je vais d’abord rentrer chez moi. Ma maison me manque et j’ai besoin de me reposer car, depuis Roland Garros, j’ai vraiment beaucoup joué. Je vais prendre quelques jours de congé. Ensuite, nous allons faire une solide préparation physique pour la suite de la saison. Je serai probablement forfait pour le tournoi de Knokke et je reprendrai la compétition à Toronto à la mi-août. Puis, ce sera New Haven et l’US Open.

Que retiendrez-vous de ce Wimbledon 2001?

J’ai passé ici deux semaines magnifiques. Alors que j’étais à deux doigts de perdre au second tour, j’ai disputé la finale. C’est magnifique. C’était un rêve.

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Malheureusement, ce rêve allait mal se terminer pour Justine. Après avoir fait face aux obligations d’après-match, elle allait apprendre le décès de son grand-père maternel, des suites d’un accident cardiaque. Il était décédé la veille au soir, mais l’entourage de Justine n’avait pas voulu la perturber avant sa finale.

Laurent Gérard, à Wimbledon.

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