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TSAR SANS ROYAUME

Demain, Nicolas Lombaerts (31 ans) se produira à Anderlecht. Du moins, s’il est titularisé. Sa dixième et dernière saison à Saint-Pétersbourg se déroule en mode mineur. Il en avait espéré davantage.

En juin 2007, c’est un président Ivan De Witte très heureux et un manager Michel Louwagie qui l’était tout autant qui annoncent le départ de l’arrière gauche Nicolas Lombaerts (âgé de 22 ans à l’époque) au Zenit Saint-Pétersbourg. Ils se réjouissent surtout du montant que le club russe leur versera pour l’acquisition de l’international Espoir : près de cinq millions d’euros. Cette somme doit permettre à La Gantoise d’apurer ce qui lui reste de dettes.

La transaction ne s’est pas faite sans mal, car Lombaerts avait d’autres projets que le Zenit. Le Dynamo Kiev ne l’intéressait pas davantage, au contraire du troisième club qui l’avait contacté. Un club qui avait été cité, quelques mois plus tôt, lors d’un reportage réalisé avec les amis du défenseur brugeois.  » Si j’avais pu choisir, j’aurais opté pour Berlin « , avait-il admis.  » Une ville cosmopolite et un bon club de Bundesliga.  » Le Hertha avait terminé 10e du championnat allemand et venait d’engager le Suisse Lucien Favre comme nouvel entraîneur. C’est l’entraîneur néerlandais Dick Advocaat qui voulait à tout prix attirer Lombaerts au Zenit : il l’avait remarqué lors du Championnat d’Europe Espoirs organisé aux Pays-Bas. La Gantoise a dû intervenir auprès du père de Lombaerts pour convaincre son fils d’accepter, car il avait déjà la tête à Berlin.  » La Gantoise a beaucoup insisté pour que j’accepte le challenge de Saint-Pétersbourg « , a expliqué Lombaerts peu après son arrivée dans la capitale des tsars. C’est accompagné de son père et de sa petite amie – devenue sa femme entre-temps – qu’il s’envole pour la Russie où un petit bus spécialement affrété l’attend à l’aéroport. Après une balade en bateau sur les canaux, sous la direction d’un guide anglophone, il est invité par le président du Zenit à un dîner gastronomique au restaurant FlyingDutchman.  » Mais lorsque j’ai demandé, en plus, quelques billets d’avion, il a sourcillé : Avec ce que tu vas gagner, tu auras largement les moyens de les payer toi-même. En fait, il n’avait pas tort.  »

Car son salaire net en Russie est largement supérieur au salaire brut qu’il aurait perçu au Hertha. Et, sur le plan sportif, c’est un pas en avant également. Il remporte rapidement un premier titre avec le Zenit. Cette année-là, le Hertha terminera 4e de Bundesliga, mais sera relégué l’année suivante.  » Si j’avais signé au Hertha, j’aurais probablement fait la culbute avec le club et je serais tombé dans l’anonymat « , concède Lombaerts aujourd’hui.

Il ne tarde pas à se sentir chez lui à Saint-Pétersbourg, la ville la plus occidentale de Russie. Il adore le Musée de l’Hermitage, qui possède l’une des collections d’art les plus impressionnantes du monde. Il trouve rapidement sa place dans la société également. Quand on a des cheveux blonds et des yeux bleus, ça aide. Et encore plus quand, après quelques années, on parvient à se débrouiller en russe. Oubliées, les premières semaines durant lesquelles il aurait voulu faire découvrir son nouveau stade à ses visiteurs venus de Belgique, mais avait été refoulé à la porte d’entrée. Ses explications en anglais n’y avaient rien changé : I’m a player, Lombaerts, number six. Un coup de fil au manager bilingue fait office de sésame, mais un peu plus loin, la concierge reste tout aussi imperturbable. Jusqu’à ce que le manager trouve également la clef.

OPÉRA

Neuf ans et demi plus tard, Lombaerts est toujours à Saint-Pétersbourg. A une exception près – Alexander Anyukov – il est le plus ancien de l’équipe. Il y a quelques années, on voyait même sa tête sur les panneaux publicitaires qui vantaient l’opéra de Piotr Tchaikovski :Eugène Onéguine, basé sur l’oeuvre d’Alexandre Pouchkine. Les Russes lui ont même demandé s’il ne voulait pas être naturalisé, car l’équipe nationale avait besoin de bons défenseurs.  » Si je n’avais pas joué pour la Belgique, j’aurais peut-être accepté « , reconnaît-il. Il connaissait déjà l’hymne national russe par coeur : on le joue systématiquement avant chaque rencontre.

Il aurait pu plus mal tomber, il s’en rend compte aujourd’hui. Lui, l’ancien Espoir du Club de Bruges auquel le directeur sportif de l’époque, Marc Degryse, refusait de donner un contrat. C’est la raison qui l’a poussé à opter pour La Gantoise, entraînée par Georges Leekens qui était prête à lui offrir sa chance. Il se souvient alors qu’un entraîneur des équipes nationales de jeunes – Bob Browaeys pour leciter – lui avait prédit qu’il ne devait pas se faire trop d’illusions à propos de ses chances d’évoluer en D1. La D2, à la limite, mais pas plus haut. Et, pour être honnête, c’est ce que Lombaerts lui-même pensait également. Même lorsqu’il a disputé le Championnat d’Europe Espoirs avec les Diablotins, il observait avec envie Maarten Martens qui était déjà titulaire à l’AZ et se mettait fréquemment en évidence.  » À l’époque, je me disais que ce serait déjà très bien si je pouvais, un jour, évoluer dans un club du niveau de l’AZ.  » Et, lorsqu’on lui demande quel est le joueur qui l’a le plus surpris de tous ceux qui ont participé aux Jeux olympiques de Pékin de 2008, il répond :  » Moi-même. Je n’aurais jamais pensé que je deviendrais un jour Diable Rouge.  »

Il l’est devenu lorsque René Vandereycken a appelé le jeune arrière gauche de La Gantoise en 2006 pour un match amical à Sittard contre l’Arabie saoudite. Lombaerts est monté au jeu en cours de partie. Parmi ses coéquipiers, figuraient des joueurs comme Nathan D’Haemers de Zulte Waregem, Pieter Collen, Tom Caluwé et Kevin Vandenbergh.  » On perdait contre tout le monde, même contre des petits pays. La plupart des internationaux évoluaient en Eredivisie.  »

Avec l’arrivée d’Advocaat, Lombaerts sent que les Diables Rouges peuvent franchir un pas. Dick dit ce qu’il pense, ne regarde pas les noms et sait comment se comporter avec des joueurs du top. Il ne tourne pas autour du pot, comme ça arrivait parfois auparavant. Advocaat savait que les internationaux qui évoluent dans un grand championnat et qui doivent se farcir un déplacement en avion pour rejoindre le lieu de stage des Diables Rouges n’ont pas besoin de deux entraînements intensifs tous les jours. Le Néerlandais est l’un des deux entraîneurs qui ont compté dans la carrière de Lombaerts. Le deuxième est l’Italien Luciano Spalletti, qui lui apprend à se défaire de sa nonchalance pour devenir un défenseur intransigeant et fort tactiquement. Lombaerts n’hésite pas à le qualifier de meilleur entraîneur avec lequel il a travaillé.  » Spalletti m’a appris à me déplacer en fonction de mes partenaires et à utiliser mon corps en toutes circonstances.  »

EURO

Au terme de la Coupe du Monde au Brésil, Daniel Van Buyten tire sa révérence. Une place se libère donc en défense centrale chez les Diables Rouges aux côtés de Vincent Kompany. Comme Thomas Vermaelen est blessé, elle est attribuée à Lombaerts. S’il était passé à côté de cette chance, il aurait envisagé d’arrêter sa carrière internationale, affirme-t-il.  » J’avais tout connu. Je jouais dans un grand club européen, je disputais quasiment chaque année la Champions League, je remportais un titre sur deux. La plupart des Belges ne s’en rendent pas compte, car les matches du Zenit ne sont pas diffusés à la télévision. Et donc, mes performances passent inaperçues.  »

Cela reste sa grande frustration des dix années passées en Russie. Par le passé, il a envisagé de tenter sa chance dans un championnat plus médiatisé, mais il n’a pas pu mettre ce projet à exécution.  » Le Zenit n’a pas besoin d’argent et refuse de me laisser partir. Et, pour ma part, je n’ai pas trop envie de consentir de gros sacrifices financiers pour évoluer ailleurs.  »

Le Zenit n’a pas été champion en 2016, mais ce devait pourtant être l’année de Lombaerts. Il s’apprêtait à être titulaire à l’EURO et à fêter la naissance de son premier enfant. Lorsque sa petite amie lui confie qu’elle envisage de rentrer dans sa famille en Belgique pour l’accouchement, l’envie de se rapprocher du pays se fait plus pressante : la Jupiler Pro League, ou à défaut l’Eredevisie ou la Bundesliga.

Le 29 mars, lors du match amical au Portugal, il est titularisé. Il ne le sait pas encore, mais ce sera sa dernière apparition sous le maillot des Diables Rouges. Une blessure contrarie ses projets. Il se rétablit plus vite que prévu, espère un come-back miraculeux, mais Marc Wilmots le renvoie à la maison sur avis médical juste avant l’EURO. Il peut faire une croix sur cette vitrine, importante dans l’optique d’un transfert, et n’a pas davantage l’occasion de parfaire ses automatismes avec Jason Denaeyer, avec qui il doit en principe former la paire centrale en défense, et qui, sans les conseils de Lombaerts, perdra tous ses repères en France.

Les projets de transferts au PSV ou à l’Ajax tombent à l’eau également. Lorsque les deux clubs néerlandais prennent connaissance des exigences financières de Lombaerts, ils renoncent rapidement. À quelques heures de la clôture du mercato, le joueur du Zenit apprend qu’Anderlecht jette l’éponge à son tour. Le Sporting a longtemps hésité, et lorsque HermanVan Holsbeeck s’est enfin décidé à jouer la carte Lombaerts à fond, les prix avaient augmenté et le nouvel entraîneur Mircea Lucescu avait opposé son veto à un départ. Car, entre-temps, un autre défenseur, Ezekiel Garay, était parti et il n’avait pas trop confiance en son suppléant russe Ivan Novoseltsev, qui fait d’ailleurs régulièrement banquette. Le Zenit semble être le seul club russe qui n’a pas besoin d’argent. Malgré la crise financière qui sévit en Russie, il a toujours les moyens de s’opposer à un départ. Axel Witsel l’a aussi appris à ses dépens, lorsqu’il a commandé une pizza à Turin en pensant déposer ses valises à la Juventus.

TRIBUNE

Même si Lucescu refuse de laisser partir Lombaerts, il le relègue sur le banc pour le premier match de championnat contre le Lokomotiv Moscou, le 30 juillet. Il n’en décollera pas jusqu’à la 7e journée de championnat, contre le Rubin Kazan. Et il devra attendre le match de Coupe contre Tambov, le 22 septembre, pour jouer 90 minutes. Il sera aussi aligné lors du match d’Europa League contre l’AZ.

Cela n’empêche pas Roberto Martinez de le convoquer pour le match contre la Bosnie-Herzégovine, mais il doit alors renoncer parce que son épouse est sur le point demettre la petite Victoria au monde. Pour sa fille, il a choisi un prénom familier dans tous les pays du monde, mais l’enfant reste en Belgique auprès de sa mère tandis que lui-même retourne seul en Russie, pour jouer deux minutes contre le Spartak Moscou. Ce n’est qu’à la mi-octobre qu’il est de nouveau titularisé pour un match de championnat, contre l’Oural Ekaterinbourg. Jusqu’à la trêve hivernale, il joue au total quatre matches complets en championnat, quatre en Europa League et deux matches de Coupe. Lors du dernier match de championnat, contre Rostov, il était de nouveau sur le banc. Son nom n’a circulé qu’à Ostende pendant le mercato.

Aujourd’hui, personne ne peut dire où Lombaerts jouera la saison prochaine. René Weiler a déjà fait savoir, l’été passé, que l’engagement d’un défenseur âgé et expérimenté n’était pas une priorité à ses yeux. On ne peut être plus clair.

Lombaerts doit donc espérer que le Zenit tiendra sa promesse de le laisser partir dans le club de son choix l’été prochain, mais il n’a aucune garantie à ce sujet. Son contrat à Saint Pétersbourg court encore jusqu’en 2018. Il est resté populaire auprès des supporters, mais un joueur qui ne joue pas, c’est un peu – en Russie comme ailleurs – un tsar sans royaume.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

Lombaerts espère pouvoir quitter le Zenit au prochain mercato.

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