Trop grand pour Cagliari

L’année dernière, Radja (23 ans) était une découverte. Aujourd’hui, c’est un des milieux les plus demandés du Calcio.

A la sortie de l’aéroport de Cagliari, mettre le cap vers le nord. Une fois arrivé à Assemini, un petit panneau super propre signale que le centre sportif Ercole Cellino se trouve sur la droite. Emprunter le chemin asphalté et parcourir quelques centaines de mètres pendant lesquelles les voitures ont du mal à se croiser. Le détour en vaut la peine : on débouche sur un joli domaine hôtelier et arboré avec un ancien parcours de golf toujours entretenu mais où on ne frappe plus la balle. Devenu superbe zone d’entraînement pour l’équipe de Cagliari, le domaine sert de centre de stages d’avant-saison et mises au vert précédant les matches à domicile.

Quel contraste avec le stade Sant’Elia où des bâtiments délabrés entourent une superbe pelouse. Officiellement, l’arène peut accueillir 23.486 personnes mais pour des raisons de sécurité, on limite les entrées aux deux tiers. C’est ce qui permet à Cagliari d’obtenir une dérogation lui accordant le droit de jouer chez lui. Si cette autorisation tombe, aucun stade en Sardaigne n’est habilité à recevoir un match de Serie A. Voilà pourquoi le club a passé une convention avec… Trieste au cas où. En choisissant cet endroit, carrément de l’autre côté du pays, la direction du club a tenu à mettre sous pression la ville, propriétaire du stade, qu’elle accuse de ne rien faire. Le bras de fer entre le club et les autorités politiques dure depuis dix ans et ne semble pas sur le point d’être réglé.

Radja Nainggolan et ses équipiers ne se plaignent pas de leurs conditions de travail. Ils préparent sérieusement leur confrontation contre l’Atalanta. Plusieurs joueurs ne lâchent rien même à l’entraînement et parmi eux, celui que les supporters sardes ont surnommé le Lion d’Anvers.

Fidèle à sa réputation, Cagliari est bien parti pour rester en Serie A mais, la certitude mathématique tombera plus tard que l’année dernière. Il y a deux grandes raisons à cela : les nouveaux arrivés ont mis du temps à s’intégrer et n’ont pas toujours répondu aux attentes et quatre coaches se sont succédé. Dans ce contexte un peu plus difficile, comment Nainggolan juge-t-il son championnat ?

Radja Nainggolan : Pour moi, il s’agissait de la saison de la confirmation. Celle où je devais faire preuve de beaucoup de continuité dans mes prestations. Je peux dire que mon bilan est positif. Les supporters attendaient beaucoup de moi et me font comprendre que je n’ai pas déçu leurs espoirs.

 » Ma devise est : si tu donnes le respect, tu reçois le respect « 

Comme l’année dernière, tu figures dans le top 5 des joueurs ayant remporté le plus grand nombre de duels. Dans quels domaines as-tu progressé ?

J’ai gagné en méchanceté parce que je parviens à mieux me faire respecter en faisant moins de fautes méritant le carton jaune. Au niveau de la concentration aussi j’ai progressé : j’ai désormais moins de moments sans, ce qui est important dans un championnat comme celui-ci où un simple instant de déconcentration suffit pour te brûler. Enfin, sur le plan tactique, je tiens mieux ma place et cela me permet de garantir un meilleur équilibre à l’équipe soit quand elle est un peu trop balancée vers l’avant, soit en phase de récupération de ballon. En revanche, je dois encore travailler mon efficacité. Deux buts la saison dernière, un seul et deux assists après 29 matches cette année, c’est trop peu pour un joueur ayant mon abattage et qui tire très souvent au but. Et je le regrette d’autant plus que nous figurons parmi les équipes les moins productives.

Cette saison, tu as toujours joué dans l’entrejeu légèrement décalé vers la gauche, c’est devenu ta place de prédilection ?

Non, c’est simplement parce que les coaches m’ont aligné à ce poste et qu’ils m’y ont maintenu parce que je leur avais donné satisfaction. Cela ne m’aurait pas dérangé d’évoluer à toutes les places de l’entrejeu comme l’année dernière. Je suis convaincu que je mettrais toujours la même hargne et que je ferais tout pour que ma performance soit aussi valable si j’évoluais dans l’axe devant la défense. Je pense que, quand on est polyvalent, on possède un atout supplémentaire. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui se considèrent comme des bouche-trous.

Comment as-tu vécu les changements d’entraîneurs et surtout, ce qui semble être devenu une spécialité italienne : le retour d’un coach viré quatre mois plus tôt ?

Personnellement, je n’ai eu aucun problème avec aucun des coaches. Que ce soit avec Roberto Donadoni avec qui nous avons effectué la préparation d’avant-saison, ou avec Massimo Ficcadenti ou encore avec Davide Ballardini arrivé en novembre et limogé en mars après cinq matches sans victoire. Ma devise est : si tu donnes le respect, tu reçois le respect. Et je la mets en pratique avec les coaches. Ballardini a tenté quelque chose et ça n’a pas marché. En plus, il n’a pas eu la chance avec lui : quand on voit de quelle manière on a dominé Lecce, c’est difficile de comprendre comment on a pu s’incliner à domicile face à un candidat à la descente. J’ajouterai aussi qu’il n’est pas le seul responsable du couac à Sienne (3-0) et de la leçon reçue à Naples (6-3), qui lui a valu sa mise à la porte.

 » Je suis fier de voir que tous ces grands clubs s’intéressent à moi « 

L’année dernière, tu étais une découverte ; aujourd’hui Cagliari est devenu trop petit pour toi.

Je suis à Cagliari et je m’y sens bien. Et si je devais rester ici jusqu’à la fin de mon contrat en 2014, cela ne me poserait pas de problème.

Tu te décris têtu, généreux, respectueux et susceptible comme les Sardes mais tu es ambitieux et aujourd’hui, Cagliari ne peut pas t’aider à passer un nouveau palier.

C’est vrai que c’est un club dont l’objectif est le maintien. Et lorsqu’après les premières journées nous nous sommes retrouvés près des positions européennes, j’y ai cru. Je me suis dit qu’il y avait moyen mais j’ai dû déchanter : nous avons enregistré trois nuls d’affilée.

Le Sant’Elia risque de ne pas être homologué par l’UEFA. En revanche, il n’y a pas de problème pour le nouveau stade de la Juventus qui accueillera la finale de l’Europa League en 2014. Cet hiver, on a longuement parlé de ton transfert là-bas.

Je n’y pense pas. A l’heure actuelle, je songe aux objectifs que j’ai à atteindre avec Cagliari. Il n’est pas question de lever le pied d’ici la fin de la saison, même lorsque le maintien sera mathématique. Maintenant, je ne nie pas que c’est un challenge qui me plairait bien de relever.

Mais quand le président Massimo Cellino fait le compte rendu de sa réunion avec les dirigeants turinois, on n’a pas affaire à du blabla d’agent de joueurs.

Effectivement, il aurait bien voulu effectuer la même opération qu’avec Alessandro Matri, notre attaquant parti là-bas en janvier 2011 ( NDLR : acheté définitivement pour 15,5 millions après six mois de test sous forme de prêt). Mais si je suis encore à Cagliari, c’est sans doute parce que la proposition de Cellino ne convenait pas à toutes les parties.

Le club a aussi confirmé l’existence d’une offre écrite du CSKA Moscou. Et la rumeur sur le net a couru que tu y toucherais 2 millions par an. On a également parlé de Manchester City et du Zenit Saint-Pétersbourg.

C’est vrai que l’argent ça compte mais, pour le moment, je n’ai pas absolument envie de partir. On verra à la fin du championnat. Je sais que le président n’a pas pour habitude de retenir les joueurs contre leur gré, surtout s’il peut en retirer de l’argent. Et puis, je suis fier de voir que tous ces grands clubs s’intéressent à moi. J’ai très tôt tout misé sur le sport parce que j’avais compris que l’école, ce n’était pas pour moi. En Italie, tout n’a pas été rose notamment parce que mon pays, ma famille et mes amis me manquaient. J’ai trinqué mais je ne voulais pas laisser passer cette occasion qui s’offrait à moi.

 » J’ai souvent pensé à Gillet, qui a dû attendre ses 30 ans pour être appelé chez les Diables « 

Tu as connu une baisse de régime fin janvier : facile de faire le lien avec tous ces bruits de transfert.

Là non. Si des gens ont pensé ça, ils sont carrément dans l’erreur. Désolé mais je me suis toujours donné à fond. J’ai traversé une période moins top, comme tout footballeur en connaît une sur la saison. Si j’avais vraiment eu la tête ailleurs, j’aurais déclaré que j’étais perturbé par le fait que ma femme allait accoucher dans ces jours-là. Jamais personne ne m’a entendu m’en servir comme excuse.

En novembre 2011, tu avais été ravi d’être rappelé chez les Diables.

J’ai toujours rêvé de porter le maillot de l’équipe nationale parce que j’ai été sélectionné dans toutes les sélections de jeunes. Je râlais parce que j’avais du mal à comprendre que l’on m’ait sélectionné pour une tournée en Asie alors que je jouais en Serie B… et qu’on ne venait plus me visionner alors que je faisais mes matches en Serie A. Chaque fois que je voyais les sélections, je remarquais que des joueurs évoluant en Belgique ou ayant longuement joué en Belgique recevaient au moins une occasion de se mettre en évidence. J’ai souvent pensé à Jean-François Gillet, qui avait disputé plus de 20 matches avec les U21, mais qui a dû attendre ses 30 ans pour être appelé en équipe A. Sans compter qu’à chaque fois, mes équipiers me charriaient : – Comment ça se fait que tu n’es pas repris avec la Belgique, ils ont tellement de bons milieux là-bas ?

Comment as-tu été averti de ta sélection ?

J’ai été surpris. Avant cela j’avais déjà reçu une ou deux présélections et le club m’avait demandé de me tenir prêt à y répondre mais mon nom tombait à chaque fois. Alors quand la direction m’a confirmé que je figurais dans la liste pour les matches contre la Roumanie et la France, j’ai presque cru que c’était une blague. Ce qui m’étonne encore plus c’est que Georges Leekens m’a dit qu’il m’avait vu jouer à plusieurs reprises et qu’il avait apprécié mes prestations. Est-il venu à Cagliari ? J’en doute. Evidemment, ici, il peut se balader tranquille, personne ne le reconnaîtra. Mais au club, ils auraient su que le sélectionneur de la Belgique avait demandé d’assister à un match et je crois qu’ils m’auraient averti. Peu m’importe s’il m’a vu en live, s’il s’est basé sur le rapport d’un scout ou si c’est après avoir visionné un DVD, je dois saisir ma chance pour rester dans le noyau et participer à l’aventure de la Coupe du Monde 2014.

 » Contre la Roumanie, je n’ai pas voulu trop en faire « 

Tu te souviens de ta montée au jeu à la 78e ? Tu as débuté par un assist à l’adversaire !

Oh là, et la Roumanie a même failli égaliser ! Difficile de comprendre une erreur pareille. Certains ont prétendu que j’avais voulu trop en faire : c’est faux. J’ai revu les images de l’action, le geste est un de ceux que l’on effectue plusieurs fois à tous les matches. La vraie raison est que je n’étais pas serein et que depuis, je me suis dit que je devais aborder les matches de l’équipe nationale avec la même tranquillité d’esprit que celle que j’ai quand je joue avec Cagliari.

Tu n’étais pas serein mais pourtant tu n’étais pas dans l’inconnu et tu avais vécu des situations plus angoissantes dans ta carrière.

C’est une question de contexte. J’ai été bien accueilli dans le noyau où je connaissais pratiquement tout le monde à commencer par Moussa Dembélé, Jan Vertonghen et Toby Alderweireld avec lesquels j’ai joué au Beerschot.

Fin février, tu as été rappelé contre la Grèce où tu as de nouveau eu droit à quelques minutes seulement. Cela ne t’a pas empêché de te présenter à la reprise des entraînements au club avec le polo de l’équipe nationale belge.

Huit minutes ce n’est pas beaucoup mais l’important est que Leekens m’a demandé de rester calme et m’a annoncé qu’il voyait à quelle position il allait m’aligner. Je me sens prêt à relever le défi. Malgré tout le respect que j’ai pour un garçon comme Timmy Simons, auquel le coach tient et dont il a annoncé qu’il l’amènerait avec lui à la Coupe du Monde, je pense que je suis en mesure d’apporter quelque chose à l’équipe. Je crois pouvoir prouver que je représente une bonne alternative et donc figurer dans le noyau.

Qu’est-ce qu’il manque à cette équipe pour gagner un match à enjeu contre un adversaire de qualité ?

Je ne sais pas. Je m’interroge. Ce n’est pas le talent mais c’est sûr que cela ne suffit pas. L’excuse de l’âge ne me convainc pas non plus. Quand je vois ce qu’un Vincent Kompany fait avec Manchester City, c’est pas mal. D’ailleurs, quand il n’est pas là, l’équipe prend plus de goals. On peut penser aussi à un excès de confiance contre des équipes comme l’Azerbaïdjan. Mais tous les joueurs sont des pros avides d’arracher une qualification pour un grand tournoi.

Pour rester en Belgique : Avec quel joueur es-tu régulièrement en contact ?

Vadis Odjidja.

Qui va être champion ?

Celui qui a terminé en tête de la saison régulière même si avec ces play-offs tout peut arriver. Je dois reconnaître que je suis le championnat de Belgique via internet, rarement des matches entiers. Je ne connais plus personne dans le noyau du Beerschot où tout a changé. Et quand je rentre en Belgique une ou deux fois par mois, je me consacre à autre chose. Mon temps est compté : je quitte Cagliari le lundi matin et je suis de retour le mardi pour la reprise des entraînements.

PAR NICOLAS RIBAUDO À CAGLIARI – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ HAMERS

 » J’ai mis deux buts la saison dernière. Un seul et deux assists après 29 matches cette année, c’est trop peu ! « 

 » J’ai traversé une période moins top, comme tout footballeur en connaît une sur la saison. Mais je n’étais pas perturbé. « 

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