Trop courts pour le top

Ils cartonnent dans les petits clubs mais se plantent dans les équipes du top. La faute à pas de chance ou simplement pas le niveau ?

« Avec les matches qu’il nous sort, il ne restera pas longtemps chez nous ! « ,  » Si j’étais coach d’Anderlecht ou du Standard, je le ferais signer les yeux fermés  » : des discours pareils, on en entend chaque semaine dans les tribunes des petits clubs de notre D1. Et à chaque mercato, c’est la même rengaine. Les meilleurs tentent leur chance un cran plus haut :  » Je fais un pas en avant « , se persuadent-ils.

Si pour certains cela fonctionne, la marche est parfois trop haute pour d’autres. Quelques matches pas vraiment convainquants, de courtes entrées au jeu, le banc voire même la tribune, l’aventure peut tourner en eau de boudin et le retour un cran plus bas n’en est que plus douloureux. Comment expliquer ces échecs ? Manque de talent ? Malchance ? Concurrence trop forte ? Blessures ? Pas la confiance de l’entraîneur ? Enquête sur ces joueurs qui cartonnent dans les petits clubs et se plantent au top.

Gregory Dufer, 29 ans, Saint-Trond, 258 matches de D1

C’est au Sporting de Charleroi que débute la carrière du petit gars de Marcinelle. Quatre belles années avec les Zèbres lui permettront même de jouer en équipe nationale et de tenter l’aventure à l’étranger avec un passage mitigé à Caen, relégué en fin de championnat. De retour en Belgique, c’est à Bruges que Greg pose son sac. Mais la sauce ne prend pas. Après une pige de six mois à Lokeren, il atterrit au Standard en 2007 avec qui il est champion dès la première saison. Greg est toutefois prêté à Tubize dans la foulée (où il connaît une nouvelle relégation), retourne à Liège avant d’aboutir à Saint-Trond il y a tout juste un an. Un parcours chahuté fait de hauts et de bas avec une constante : Greg ne parvient pas à faire son trou dans un grand club belge.

 » J’ai connu Greg en 2002, il avait 20 ans et était déjà en première à Charleroi « , raconte Etienne Delangre, ex-coach de Charleroi.  » Il avait du talent, de la vitesse, vraiment tout pour devenir un joueur du top. C’est un gars sérieux qui adore le foot mais le mental ne suit peut-être pas tout à fait. Il a sans doute un caractère moins fort que certains. Tout ça se joue sur des petits détails. C’était un des plus talentueux de sa génération mais d’autres ont fait une plus belle carrière que lui avec moins de qualités. Et puis quand on joue à un poste offensif dans un top club, on ne peut pas se permettre de ne pas être décisif pendant trois ou quatre matches de suite.  »

 » C’est vrai que Greg est assez effacé « , analyse Albert Cartier, son entraîneur à Tubize.  » C’est un gars timide dans un vestiaire, il compte sur son seul football pour s’imposer.  »

Robert Waseige, ancien sélectionneur national qui l’a connu à Charleroi, évoque aussi des explications plus  » footballistiques  » :  » Son style de technicien racé ne correspond pas à celui de la maison Standard. Il se donne, il fait des kilomètres mais ce n’est pas le genre de joueur qui va agresser un adversaire pour lui prendre le ballon. Au Standard, c’est la Furia Rouche. Dufer, lui, il joue plus dans la réflexion, dans la résolution des problèmes par la technique. C’est sûr qu’on n’a pas toujours le temps de s’adapter. On reçoit parfois une deuxième chance mais rarement une troisième. Greg a besoin de se sentir bien pour être performant. Dommage que ça n’ait pas fonctionné pour lui.  »

 » Il faut dire aussi qu’il a apporté beaucoup de choses lors de sa première saison au Standard, quand on est champion pour la première fois « , ajoute Siramana Dembélé, son coéquipier de l’époque à Sclessin.  » Il a vraiment fait des gros matches. Mais la saison suivante, le noyau a été étoffé ( ndlr, venue de Dalmat sur le flanc droit) et les attentes n’étaient plus les même au niveau du club : il a forcément rencontré davantage de difficultés. Ce qui explique son prêt à Tubize.  »

Hernan Losada, 29 ans, Beerschot, 112 matches de D1

Débarqué d’Argentine en 2006, le médian étale sa classe au Beerschot. Séduit, Anderlecht dépose un million sur la table pour l’embrigader. Résultat des courses : 21 matches dont 7 seulement comme titulaire et un seul petit but. Comment expliquer l’échec de ce Gaucho pétri de talent qui émoustille aujourd’hui Jacky Mathijssen au Beerschot (6 buts en 11 matches) ?

 » Losada est un joueur qui joue à l’intuition « , explique Paul Van Himst.  » Pour qu’il s’exprime au mieux, il faut qu’il ait un rôle libre comme au Beerschot et ça n’a pas été le cas à Anderlecht. C’est le choix de l’entraîneur. Mais c’est un joueur qui a tout de même de grandes qualités. Et puis Anderlecht est un club spécial.  »

Journaliste à Sporza, Filip Joos connaît bien l’Argentin et abonde dans le sens de Van Himst.  » C’est quelqu’un qui prend beaucoup de risques quand il joue. Il commet des erreurs et à Anderlecht, ça ne pardonne pas. Au Beerschot, on laisse passer parce qu’on sait qu’il n’y en a pas beaucoup dans l’équipe qui peuvent apporter cette petite touche de génie.  »

Un échec qui serait donc dû à son style de jeu ?  » Sans doute, mais pas uniquement « , estime Waseige.  » Il y a une chose importante en football, c’est qu’un entraîneur ne va jamais retirer de l’équipe, un gars qui donne satisfaction. On peut être un bon joueur mais s’il y a déjà un bon titulaire au poste où on évolue ce n’est pas évident de se faire une place, il faut savoir saisir sa chance et ce n’est pas facile en jouant peu. Il y avait sans doute trop de concurrence à Anderlecht « .

 » C’est vrai que la concurrence était forte, notamment avec Mbark Boussoufa « , acquiesce Joos.  » S’il pensait qu’ils pouvaient jouer de concert, Hernan a vite compris que ce n’était pas la priorité d’ Ariel Jacobs. C’est un joueur intelligent, c’est peut-être un défaut. Je ne dis pas qu’il est prof à Harvard, hein mais il se pose parfois trop de questions. Du coup, ça joue sur sa confiance et il commence à douter. C’est un trait de son caractère, c’est difficile à changer. Je pense aussi que l’environnement joue : à Anvers, il est chez lui et ce n’était pas le cas à Bruxelles. Il a aussi tendance à se mettre trop de pression. A Charleroi, il voulait sauver le club à lui tout seul et du coup, il jouait moins bien. Si j’étais son coach, je ne lui mettrais aucune pression et je le laisserais très libre. C’est comme ça qu’il est le plus performant. Evidemment, ce n’est pas possible dans un grand club.  »

Sasha Iakovenko, 24 ans, Anderlecht, 111 matches de D1

Fils de Pavel Iakovenko, international qui affronta avec l’URSS les Diables Rouges lors du mythique huitième de finale à Mexico 86, Sasha fait ses débuts chez nous au Lierse. Après un passage à Genk, il est enrôlé à Anderlecht par Ariel Jacobs. Rarement titulaire, il part en prêt à Westerlo deux saisons consécutives où il s’épanouit sous les ordres de Jan Ceulemans. De retour cette année au Sporting, l’élégant ukrainien reste en rade de temps de jeu avec seulement trois bouts de matches en championnat.

 » Je comprends difficilement qu’il n’ait pas déjà fait son trou « , dit Waseige.  » Il a du caractère car aller s’exiler à Westerlo en tant qu’étranger ce n’est pas facile. Il a brillé là-bas. A Anderlecht, il ne s’est peut être pas intégré rapidement avec sa nouvelle équipe, ses nouveaux partenaires. Il n’a sans doute pas eu le soutien nécessaire. L’ambiance dans le vestiaire n’est pas propice pour lui non plus avec toute cette concurrence. « 

 » Avec le potentiel qu’a Anderlecht, ce n’est pas facile de s’imposer « , estime Van Himst.  » Je pense qu’il est tout simplement un cran en dessous des titulaires du moment. « 

Benjamin Nicaise, 31 ans, Mons, 98 matches de D1

Après avoir transité par plusieurs clubs français de Ligue 1 et de séries inférieures (Nancy, Metz, Amiens), Nicaise vient se relancer à Mons début 2007. Valeur sûre des Dragons, il obtient un beau transfert au Standard où il ne parvient pas à s’imposer comme titulaire indiscutable. Après un passage foireux au Lierse et une pige en Grèce à Panthrakikos, le médian célèbre pour son franc-parler est désormais de retour dans la Cité du Doudou sous les ordres de Dennis van Wijk.

 » Au départ, Benja a été acquis pour un étoffer un groupe où il y avait déjà de très bons joueurs, particulièrement dans l’entrejeu avec les Steven Defour, AxelWitsel, etc. « , explique Sira Dembélé qui a côtoyé le Français au Standard.  » Et puis ce n’est pas forcément le temps de jeu qui compte. Je pense qu’au club, on était content de ce qu’il avait apporté. Maintenant, je peux comprendre qu’il y ait un goût de trop peu pour lui à ce niveau-là mais il a quand même été champion de Belgique ce n’est pas rien.  »

 » On ne peut pas parler d’un échec complet selon moi « , explique Albert Cartier qui l’a bien connu lors de sa première période montoise.  » On parle du Standard quand même. S’il était allé à Gand ou à Anderlecht, il aurait peut-être plus joué ? Il ne faut pas oublier qu’il y avait un gros noyau à Sclessin. Probablement le meilleur des quinze dernières années. C’est pas évident de s’imposer à ce moment-là. Je pense que maintenant il aurait plus facilement sa place. D’ailleurs, Benja m’a dit que José Riga l’avait sollicité pendant le dernier mercato. Est-ce une simple question de concurrence ? Non, Nicaise a beaucoup de personnalité, beaucoup de tempérament, parfois ça peut aussi porter préjudice.  »

 » Et puis, il y a aussi des choix de carrière « , ajoutera Sira.  » Est-ce que vous préférez jouer le maintien et être titulaire trente fois sur la saison ou évoluer dans un grand club qui vise le titre, la Coupe et l’Europe, et où vous jouez vingt matches en n’étant titulaire qu’une douzaine de fois ? C’est au joueur de répondre à cela. En fonction de son âge et de son vécu notamment. « 

Fabien Camus, 26 ans, Genk, 153 matches de D1

Formé en partie l’OM, Camus passe quelques belles années à Charleroi entre 2005 et 2009. Transféré à Genk, voilà bientôt deux ans et demi que le Minot cire le banc des remplaçants.

 » Je m’inquiète de ne presque plus le voir avec Genk « , nous dit Robert Waseige.  » C’est un garçon qui a montré ses qualités à Charleroi. Il a probablement un problème d’adaptation. Ce n’est pas facile pour un Français de s’imposer à Genk, dans le Limbourg, où on ne parle que le flamand. « 

 » Je ne sais pas s’il y a de ça « , répond Cartier.  » Il a du caractère. Quand on vient de Marseille, on sait s’imposer. Je pense qu’il ne s’est jamais vraiment remis de sa blessure, la rupture totale du ligament croisé antérieur du genou gauche qu’il s’est occasionnée en 2008. Pas spécialement au niveau physique mais plutôt mental. Quand on est blessé comme ça, il y a toujours un risque, par la suite, d’appréhender les duels, d’avoir peur dans les contacts et de craindre une rechute. Regardez le pauvre Ronald Vargas ! Chacun vit une blessure à sa façon. Je pense que celle dont Fabien a été victime lui a coûté beaucoup parce qu’il a le potentiel pour jouer dans un club du top belge, c’est certain. Il ne l’avouera sans doute pas mais je pense que ce n’est pas qu’à Genk qu’il ne sera plus compétitif mais dans tout le football en général « .

PAR JULES MONNIER

 » Dufer est un gars sérieux qui adore le foot mais le mental ne suit peut-être pas tout à fait  » Etienne Delangre  » Ce n’est pas forcément le temps de jeu qui compte. Je pense qu’au club, on était content de ce que Nicaise avait apporté.  » Siramana Dembélé

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