Trône royal

Vainqueur au Qatar, le Liégeois a réussi l’incroyable exploit de se hisser à la quatrième place mondiale.

Et porté par une spirale positive, dès son retour en Belgique, il mène son club, La Villette, à un impressionnant succès à Grenzau. Battus 2-3 à l’aller, les Carolos ne font qu’une bouchée de leurs rivaux (0-3). S’apprêtant ainsi à défendre jusqu’au bout leur couronne européenne.

Qu’est-ce qui vous frappe aujourd’hui?

Jean-Michel Saive: C’est fou ce que les gens peuvent tous poser la même question. A savoir si je pense reconquérir la première place mondiale. Faut pas rire. Même mathématiquement cela s’avère quasiment impossible. Wang Liqin, le seul Chinois que je ne sois jamais arrivé à vaincre, compte dix ans de moins que moi. En outre, il faudrait que je gagne quatre tournois d’affilée pour espérer le rejoindre.

On a l’impression que vous en aviez gros sur la patate.

Oui, j’ai souffert. La manière dont on m’a traité m’a blessé. D’accord, je suis descendu dans le tableau. Et alors? On oublie que j’ai été le numéro 1 mondial! Qu’attendait-on de moi? Que je reste éternellement assis dans ce trône? Ce n’est pas ça, la vie. Cela ne se passe pas de cette manière, dans le sport. Il convient d’admettre que le déclin intègre une carrière. Est-ce une raison pour me manquer de respect?

34.000 dollars

A Doha, vous paraissiez plongé dans une sorte d’état second.

J’en étais arrivé à me demander si j’étais encore en mesure de m’imposer dans une telle compétition. Je l’ai fait. Voilà actuellement la seule chose réellement importante à mes yeux. Qu’on ne vienne pas me parler de ce fameux chèque de 34.000 dollars. Je n’y ai pas pensé. En exécutant le Taïwanais Chuan, je retrouvais simplement mes sensations.

Des sensations de gagneur. Précisément, où allez vous puiser cette motivation?

Hors de question d’abdiquer. Puis si je veux participer à mes cinquièmes Jeux Olympiques, j’ai quand même intérêt à me maintenir en forme. Le meilleur moyen consiste à sans cesse se remettre en question. En visant des objectifs raisonnables, d’accord, mais élevés.

A peine revenu du Qatar, vous plongiez sur l’Allemagne sans le moindre bagage. Un périple de fou.

Sans bagage hormis un petit sac. L’expérience m’a appris à ne jamais quitter ma palette des yeux. Elle m’accompagne partout. Ainsi qu’un short, des chaussettes et un t-shirt de réserve. On ne sait jamais.

Une surprise vous attendait à Grenzau où vous avez demandé à jouer en troisième position.

Absolument. Nos concurrents ont camouflé le Chinois Chen Zhibin. Je le connais bien, celui-là. Nous avons joué ensemble à Bad Honnef il y a six ans. L’entraîneur de Grenzau savait ce qu’il faisait. Même à l’entraînement je n’étais pas à l’aise face à lui. Il m’en faisait voir de toutes les couleurs. Ici, j’ai gagné.

Parce que vous étiez euphorique?

Euphorique, je ne dirais pas. Par contre, chaud, oui. La Villette menait 0-2 et j’étais habité d’une absolue confiance. Gagner le match équivalait à offrir une sixième finale de Ligue des Champions à mon employeur. Ma main n’a pas tremblé et j’ai clôturé ainsi une semaine de rêve.

Maintenant, pour ce que l’on surnomme le Dream Team belge, il va falloir écarter Niederösterreich du chemin de la coupe. Sacré défi.

Une bonne phalange assurément. Le hasard n’entre nullement en ligne de compte si elle dispute sa troisième finale d’affilée. Pouvoir opérer lors du match-retour, fin avril à la Coupole, c’est à dire chez nous, soutenus par des milliers de supporters représente un indéniable avantage psychologique. L’année dernière, à Vienne, malgré le triomphe, nous avions éprouvé un manque. La chaleur, la ferveur, l’amour du public nous faisait défaut. Le bonheur, certes intense, n’était pas total.

Ici, il en ira autrement. Attention! Ne me faites pas dire ce que je ne prétends pas. Il ne suffira pas de paraître pour vaincre. Se laisser dominer par un excès de confiance représenterait une faute professionnelle grave. Ni plus, ni moins.

Triste novembre

Avez-vous le sentiment de devoir endosser des responsabilités particulières concernant votre sport? On a l’impression qu’après Jean-Michel Saive, le tennis de table aura du mal à motiver le public.

Hum. Ce n’est pas à moi à le dire. Cependant, je ferais preuve d’hypocrisie ou de fausse modestie si je prétendais que ce que vous dites est faux. La preuve, les instances fédérales me poussent à participer aux rencontres de l’équipe nationale. Ce qui ne sert pas toujours mon club, La Villette. Dans ces cas-là, chacun prêche pour sa paroisse sans trop se soucier de l’autre intervenant. Humain, évidemment. Je dois donc faire attention à ma santé physique. Avec l’âge, on apprend heureusement à mieux se gérer.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, vous sortez d’une mauvaise période.

C’est le moins que l’on puisse dire. En novembre, j’ai disputé le plus mauvais mois de ma carrière. Plus rien ne tournait rond. Je perdais en jouant mal.

Et là, vous n’avez pas songé à remiser votre raquette?

Non. Je fais partie de ces sportifs qui préfèrent disputer l’année de trop que d’arrêter prématurément. Le terrain représente un univers magique. Avec des périodes inoubliables. Ces bonheurs, je ferai tout pour les connaître, les savourer, le plus longtemps possible. Tant pis si je me traîne un peu sur la fin. Pas grave.

Comment vous apprêtez-vous à vivre l’instant fatidique où l’on dit: -C’est terminé?

Ce sera affreux. Une décision terrible que je repousse et continuerai à repousser. Je veux tellement jouir du privilège que représente le jeu que je me multiplie. Mon secret, il est là. Je joue beaucoup parce que j’ai l’impression d’effectuer des réserves. Je me gave de peur d’avoir faim.

Ne craignez-vous jamais la surcharge?

Je dois me surveiller, c’est sûr. Ainsi, je ne m’entraîne plus à la manière d’un forcené. C’est devenu impossible par ailleurs. Le circuit a muté. Réclamant une grande disponibilité. Là où je passais des heures à la table, je peaufine la musculation. Je suis très strict au plan de l’alimentation et des heures de repos.

Daniel Renard, ,

« Pour participer à mes cinquièmes J.O., je dois me maintenir en forme »

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