Trois fois deuxième

L’entraîneur du Bayer Leverkusen a quand même apprécié sa deuxième place en championnat et ses défaites en finales de la Coupe d’Allemagne et de la Ligue des Champions.

Il y a cinq ans, Klaus Toppmöller, entraîneur du modeste VfL Bochum, adversaire du Club Brugeois en Coupe d’Europe, ne manquait pas de temps pour les interviews. Il en a moins maintenant mais reste accessible. Sous sa houlette, Leverkusen a dominé le dernier championnat d’Allemagne, sans oublier la Ligue des Champions, mais il a loupé tous les trophées à sa portée: deuxième en championnat, finaliste malheureux de la Coupe d’Allemagne et de la C1.Leverkusen reste un club convivial et humain. Son entraîneur bavarde à bâtons rompus. Demande si Wesley Sonck va quitter Genk cette année. « Il peut devenir un second Wilmots ». Lorsqu’il jette finalement un coup d’oeil à sa montre, il a un choc: il est presque en retard pour l’entraînement!

Vous êtes le seul entraîneur à avoir vu six de vos joueurs en demi-finales du Mondial. Sans le départ de Ballack et de Zé Roberto au Bayern, ça ferait même huit.

Klaus Toppmöller : J’en suis très fier. C’est la preuve que nous avons livré une bonne saison. Comme chez nous, ces joueurs ont eu un rôle clef. Pourtant, ils ont disputé un nombre record de matches en une saison. Leverkusen a livré 63 matches depuis juillet 2001. Alors que les autres participants se reposaient, nous avons encore joué la finale de la Coupe et celle de la Ligue des Champions. Sur ces entrefaites, sept d’entre eux ont rejoint leur équipe nationale. Neuville n’était pas en forme quand il est arrivé et Ballack a joué tout le Mondial avec une blessure. Leurs performances n’en ont que plus de valeur.

Ils ont fait preuve de beaucoup de caractère, ce qui n’est pas évident quand on n’a obtenu aucun prix avec son club.

Même s’ils ont terminé trois fois deuxièmes, ils ont tout gagné. Ils sont en tête de tous les classements individuels. Le club reste sur une année fantastique, la plus belle de son histoire.

Avez-vous perdu ou gagné trois premières places?

Gagné. La fierté prédomine la déception. On ne saisira la portée des performances de Leverkusen en Ligue des Champions qu’avec le recul. Elle a eu plus d’impact qu’un titre national. Les joueurs pourront raconter qu’ils ont affronté Liverpool,Manchester United et le Real. »On jouait pour le titre »

Vous avez surpris tous les observateurs car on vous prédisait tout au plus une place dans le subtop.

Ils se sont tous trompés. Pourtant, je les avais prévenus que nous jouerions le titre. Je savais que mon équipe était meilleure qu’on ne le pensait. Les gens se sont focalisés sur la saison précédente, médiocre. Après-coup, ça n’a pas empêché ces mêmes personnes d’être déçues que nous n’ayons terminé « que » deuxièmes.

Maintenant, vous vous proclamez favori au titre.

Nous devons essentiellement notre dernière saison aux performances de Ballack et de Zé Roberto. Sans eux, confirmer sera plus délicat. Nos rivaux ont beau jeu de nous muer en favoris alors qu’ils sont au moins aussi forts. Dortmund et le Bayern n’ont pas perdu de joueurs alors que deux des nôtres renforcent le club bavarois. Ne vous faites pas de souci: je leur abandonne volontiers le rôle de favori mais ça ne nous empêchera pas de terminer très haut.

Et si vous aviez eu le choix entre trois deuxièmes places et un trophée?…

Personnellement, je préférerais trois deuxièmes places, pour prouver que notre succès n’était pas un coup sans suite mais Leverkusen rêve depuis longtemps du titre national, donc, je choisirai celui-ci. L’intérêt du club prime celui de l’entraîneur.

Quelle a été la part de Ballack dans votre succès?

Un individu n’est important que s’il place ses qualités au service de l’équipe, ce que Ballack a fait sans sourciller. Il n’a même pas hésité à pallier le forfait de nos médians défensifs, alors que ça l’empêchait de marquer.

Son départ était connu avant même le début de la saison. N’avez-vous pas craint que ça n’entame sa motivation?

Si, d’autant plus que l’année précédente, le public l’avait sifflé à plusieurs reprises. Son départ annoncé au Bayern ne lui simplifiait pas la tâche. J’ai discuté avec les supporters. J’ai certifié qu’il se livrerait sans réticence jusqu’au bout, j’ai expliqué pourquoi il partait. Tout dépendait des prestations de l’équipe: si nous avions sombré, on aurait prétendu qu’il pensait déjà au Bayern. Michael a été un modèle dès la préparation. Il s’est blessé lors du dernier match amical mais il était là trois jours après pour l’ouverture de la saison, contre Wolfsburg. La saison passée, il a marqué trois buts de plus que lors des 96 matches de championnat qu’il avait disputés jusque-là. Il s’est présenté plus souvent dans le rectangle. C’est comme ça qu’il a marqué 15 de ses 17 buts. Il était déjà une personnalité mais n’était pas toujours accepté comme tel. Quand il donnait des consignes aux autres,il n’était pas toujours écouté. C’est fréquent avec les jeunes. éa a changé il y a un an. Avec Jens Nowotny, il a été le leader de l’équipe. Je le lui avais demandé. Au repos, après m’être adressé au groupe, je les prenais à part pendant trois minutes, afin qu’au moindre changement, ils puissent informer leurs coéquipiers du comportement tactique à adopter. »Mes stars sont mes jeunes »

Vous faites progresser vos joueurs. Il y a Ballack mais aussi Schneider et Bastürk, deux des révélations du Mondial. Comment faites-vous?

Je n’ai pas de secret. Je les couvre, je leur fais confiance. Schneider a toujours été un bon footballeur mais peut-être avait-il besoin d’être soutenu. En échange, il doit livrer le meilleur de lui-même, y compris quand ses jambes sont lourdes. Même dans un jour sans, je l’aligne. Il le sait. J’ai remarqué Schneider alors qu’il évoluait en D2, à Iena. Il était un des meilleurs de sa division, grâce à sa technique et à sa vista. L’histoire de Bastürk est assez similaire. En le découvrant à Wattenscheid, je n’en croyais pas mes yeux: comment un joueur aussi jeune pouvait-il être aussi avancé? Son dribble, son jeu défensif… Pour l’arrêter, il fallait commettre une faute. Pourtant, il n’était pas titulaire. Bochum a douté de lui à son arrivée aussi.

Vous transférez des joueurs de D3.

Ce qui compte, c’est qu’un footballeur soit mobile et sache jouer. Quand je visionne quelqu’un, je m’intéresse à ce qu’il tente de développer, qu’importe s’il échoue: peut-être est-il dans un jour sans ou son équipe ne lui convient-elle pas. J’essaie de former une équipe dont tous les éléments pensent. Je ne demande pas des vedettes mais des joueurs qui veulent progresser et qui donnent du plaisir aux gens. Mes stars, ce sont eux.

Vous aviez déclaré que vous pourriez achever votre carrière à Bochum mais vous l’avez quitté.

Le noyau changeait trop souvent. C’était frustrant. Quand nous avons éliminé Bruges, j’ai cru que nous étions sortis de ce cercle vicieux. A tort. Leverkusen est un autre monde. Je peux m’appuyer sur une organisation impeccable. A Bochum, je devais parfois commander un car quelques heures avant le match ou établir moi-même la liste des blessés. Ici, c’est mon adjoint qui me la fournit. Le staff médical est supérieur aussi. Je ne suis pas seul. La seule chose qui me demande plus de temps, c’est l’entretien des contacts avec la presse.

Avez-vous trop tardé à rejoindre un grand club?

Non. Je serais volontiers resté à Bochum mais je n’y décelais plus de marge de progression. En mai, j’ai reçu une offre intéressante de Trabzonspor mais j’ai préféré Sarrebruck, qui a téléphoné le lendemain. Oui, une équipe de Regionalliga, qui végétait mais qui était proche de mon domicile. Nous sommes montés. « J’exige de l’autocritique »

Quand Leverkusen vous a contacté, Sarrebruck n’a pas voulu vous céder. Huit mois plus tard, vous avez quand même succédé à Berti Vogts.

J’ai été déçu de ne pouvoir rejoindre Leverkusen. Je pouvais aussi signer à Kaiserslautern mais j’ai renoncé à cause de sa rivalité avec Sarrebruck. Le président m’a alors promis de me libérer si je recevais une offre d’un grand club, style Bayern, Leverkusen, Hertha, Dortmund. Il n’a pu ravaler sa parole quand Calmund a téléphoné. Leverkusen avait perdu toute confiance, les joueurs se demandaient quel entraîneur ils allaient devoir supporter. Nous avons brisé la glace durant notre stage en Suisse: un camp d’entraînement permet de discuter, de faire connaissance.

Tout n’était pas rose. Zé Roberto boudait parce qu’il voulait signer à La Corogne. Nous l’avons écarté pour un match de Ligue des Champions. Il était tellement fâché que nous avons dû l’empêcher de prendre le premier avion pour le Brésil. Je suis ouvert à la discussion, d’autant plus que le joueur est doué. Parfois, j’échoue, comme avec Paulo Rink. J’en suis triste car il a un énorme potentiel.

Sans Ballack et Zé Roberto, vous devez modifier vos plans.

De toute façon, je ne m’appuie pas sur un schéma intangible. Nous ne jouons pas de la même façon contre le Real que face à Cottbus. Mes joueurs doivent assumer diverses tâches. Parfois, nous jouons à quatre en ligne derrière, parfois à trois. éa requiert de la flexibilité et de nombreux entraînements. Pendant la préparation, nous avons mis Galatasaray et Brême sous pression,presque sans un seul titulaire de l’année dernière. En trois semaines, nous avons posé de nouveaux jalons. Les joueurs doivent être capables de s’interroger sur leur fonctionnement. Au début de l’exercice précédent, certains n’appréciaient pas vraiment notre tactique défensive mais elle a fait ses preuves dans quelques matches et ils ont revu leur opinion.

Ulf Kirsten reste dans le noyau!

Comme cinquième avant. Il accepte de ne pas jouer tant que les autres sont en forme mais à l’entraînement, il est un modèle. En plus, les joueurs qui ont un problème et n’osent pas m’en parler vont le trouver. Dans tous mes clubs, j’ai impliqué des joueurs sur le retour dans mon travail.

Vous exigez des résultats mais aussi un football de qualité.

Absolument. Il faut jouer, pas se battre avec le ballon. J’essaie de me mettre à la place du spectateur qui est là pour le football. S’il voit un jeu destructeur, il ne reviendra pas. Evidemment, quand on entraîne une petite équipe et qu’on peut assurer le point en alignant un attaquant de moins… Mais ça n’offre aucun plaisir. Je n’ai pas envie de dresser une muraille devant notre but et je ne me satisfais pas d’un nul blanc. éa ne correspond pas à ma vision du football. »Des buts avant tout »

La saison passée, Leverkusen a inscrit 77 buts. Est-ce important à vos yeux?

Oui, même s’il nous a manqué un but pour être champions. C’est quand même un record de club. Je veux continuer à produire un football offensif. Certains estiment que mon style n’est pas assez allemand. C’est un compliment à mes yeux. Au Portugal, j’ai rencontré le directeur de Bordeaux puis le deuxième entraîneur de Manchester United. éa me fait quelque chose que des gens pareils me disent que mon style de jeu ramène les gens au stade. Après la finale de la Ligue des Champions, les joueurs du Real se sont dirigés vers moi. Ils m’ont dit que nous avions produit le meilleur football. C’est évidemment facile à dire quand on a gagné mais seuls les grands vous font ce genre de compliments.

Le football allemand est-il remis en selle?

On en a l’impression en entendant les commentaires TV de la saison passée et du Mondial. Entendre Gunther Netzer dire que tout va bien et que nous avons retrouvé notre créativité me fait froncer les sourcils. Pendant le Mondial, j’ai attendu en vain une belle action de l’équipe allemande. Evidemment, son rendement tactique est optimal. Sinon, je n’ai rien vu de spécial de personne pendant le Mondial. Je viens d’en parler avec Bastürk. Il partage mon avis: ce n’était pas un bon Mondial. Ceci dit, le résultat de l’Allemagne va avoir un effet positif sur le football national, déjà rien qu’en prévision de la prochaine Coupe du Monde. Tous mes concitoyens ont hâte de voir le prochain match international. Ils se sont réconciliés d’un coup avec l’équipe. Les performances du Bayern, de Dortmund et de nous-mêmes en coupes d’Europe ont aussi revalorisé la Bundesliga. Beaucoup de vedettes reviennent au pays. Au moins y reçoivent-elles les sommes promises.

Geert Foutré,, Envoyé spécial à Leverkusen.

« Evidemment que mon approche est anti-allemande »

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