TROIS ANS D’ABSTINENCE

Il y a quelques années, son nom a été cité au Club Brugeois, qui cherchait un successeur à Bojan Jorgacevic. Aujourd’hui, Sinan Bolat (26 ans) débarque dans la Venise du Nord grâce à Luciano D’Onofrio, qui a servi d’intermédiaire entre la direction brugeoise et celle du FC Porto.

Il y a près de trois semaines, Juan Carlos Garrido recevait un appel de Valence qui voulait savoir ce que l’ex-entraîneur du Club Brugeois pensait de Mathew Ryan. Les Espagnols devaient trouver d’urgence un nouveau gardien pour remplacer Diego Alves, blessé, et ils s’intéressaient à celui qui avait été élu Gardien de l’Année en Belgique. Garrido a dit beaucoup de bien de l’Australien et, quelques semaines plus tard, Bruges perdait un de ses pions majeurs mais encaissait 7 millions, alors que Ryan n’avait coûté que 150.000 euros il y a deux ans. Il faudra y ajouter 700.000 euros car, à la demande de Graham Arnold, les Central Coast Mariners (club australien) avaient fait inclure au contrat une clause d’intéressement à la revente.

Ryan parti, le Club Brugeois n’a guère attendu avant de conclure le transfert de Sinan Bolat. Dès le mois d’octobre dernier, la cellule scouting du Club Brugeois envisageait un probable départ du gardien australien en fin de saison. Elle s’était donc déjà mise à la recherche d’un successeur. Par le passé, le Club a déjà essayé à plusieurs reprises de transférer Koen Casteels mais cette fois, ce n’était pas possible. Le gardien qui a manqué la dernière Coupe du monde à cause d’une fracture du tibia et qui a été prêté à Brême après le Nouvel An (il a joué les six derniers matches de Bundesliga) est retourné à Wolfsburg pour y être titulaire. Le Club pouvait aussi transférer Tomas Kaminski, sur qui Anderlecht ne compte plus. Ruud Boffin (ex-PSV et West Ham), qui joue en Turquie depuis plusieurs années, aurait également aimé revenir en Belgique mais Michel Preud’homme avait une autre idée en tête. Il a ainsi demandé à son vieil ami Luciano D’Onofrio de lui donner un coup de main pour aller rechercher Bolat à Porto.

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Bolat avait rejoint le Portugal en 2013 mais il n’a pas réussi à s’imposer chez les Dragons, où il n’était que troisième gardien derrière le vétéran Helton (37 ans) et un autre Brésilien, Fabiano. Après six mois, Porto s’est mis à le prêter. D’abord à Kayserispor (6 mois) puis à Galatasaray (une saison), où il était toutefois réserviste de l’Uruguayen Muslera. Bolat, qui aura 27 ans en septembre, sera donc resté deux ans sur le banc. Trois, même, si on tient compte d’une dernière saison manquée pour diverses raisons au Standard. L’été dernier, en prenant un café sur une terrasse, il avait confié à Guy Mertens, qui a été son entraîneur pendant 10 ans, qu’il était prêt à faire des concessions point de vue salarial pour rejouer. Le Club Brugeois lui lance donc une belle bouée de sauvetage.

Le deal est tout de même un peu risqué. Pas pour Porto, qui a fait inclure une option d’achat au contrat et se voit débarrassé d’un gardien dans lequel il ne croit tout de même plus. Mais bien pour Bolat qui, après trois ans d’inactivité, se voit propulser dans un club qui veut être champion et où il doit remplacer un monument. Bruges, pour sa part, doit se contenter d’une solution transitoire. D’un côté, cela limite le risque car si le gardien turc retrouve le niveau qui était le sien au Standard, il pourra lever l’option et disposer rapidement d’un gardien qui a encore une certaine valeur marchande. Et si Bolat échoue, le Club n’aura pas perdu trop d’argent et pourra chercher un autre gardien au mercato d’hiver ou l’été prochain. Cela lui permettra également de présenter un bilan en équilibre. C’est ce qui s’appelle de la bonne gestion. De plus, il peut compter sur Sébastien Bruzzese, transféré comme deuxième gardien mais dont les connaisseurs louent les capacités.

SINAN KEBAB

Quel genre de gardien le Club a-t-il acquis ? Sur le papier, c’est un bon, disent les connaisseurs. Il n’est pas aussi explosif que Ryan mais c’est pratiquement impossible car l’Australien est l’un des meilleurs au monde dans ce domaine. Bolat est athlétique, rapide et, comme l’Australien, bon à relance. Il est costaud et, cet été, il a fait appel à un préparateur physique personnel afin d’être prêt en cas de transfert. La grande question est désormais de savoir combien de temps il lui faudra pour retrouver le rythme.  » Car c’est important pour un gardien aussi « , dit Guy Martens.  » Il faut qu’il réapprenne la lecture du jeu. Physiquement, il sera prêt, je n’en doute pas. Il y a quelques années, il a joué trop longtemps avec une blessure au genou mais c’est terminé. Il s’est entraîné comme les meilleurs mais à l’entraînement, on joue surtout sur des espaces courts. En match, à onze contre onze, il y a beaucoup plus d’espace. Il devra s’y réhabituer.  »

Dans le vestiaire, Bolat est calme. Mais sur le terrain, c’est un leader et il a du caractère. Un jour, lors d’un match face au Club, il a traité Nabil Dirar de Petit Marocain. Et ça n’avait rien d’un compliment.

Bolat est né à Kayseri, ville dont il a donc représenté le club pendant six mois. Son père, Yasak, est arrivé en Belgique dans les années 70 pour y travailler dans la mine, comme son père. Ils habitaient Heusden et n’avaient pas la vie facile. Lorsque les charbonnages ont fermé leurs portes, Yasak est rentré en Turquie mais là non plus, la vie n’était pas simple et, après la naissance de Sinan, la famille est revenue s’établir dans le Limbourg. A Zonhoven, cette fois, avec un boulot dans l’industrie alimentaire. Depuis quelques années, Yasak exploite un kebab où ses enfants (Sinan a deux frères et une soeur) lui donnent un coup de main. Un jour, les fans du Lierse l’ont appris. Pas gênés pour un sou, ils ont déroulé une banderole Sinan Kebab à chaque fois que le gardien du Standard s’emparait du ballon.

Très vite, Genk a repéré le talent de Sinan Bolat. Il l’a formé pendant dix ans dans le but de succéder à Logan Bailly. Mais ça n’a jamais été le cas. Alors qu’il négociait son contrat, Bolat exigea une BMW X5 et Willy Reynders, directeur sportif du club limbourgeois à l’époque, crut bon de révéler cela à la presse. Le gardien considéra qu’on lui manquait de respect tandis que son agent de l’époque, Kismet Eris, parla d’une bagatelle de 150.000 euros qui était négociable. Jos Vaessen a bien tenté d’arrondir les angles, mais en vain. Fin décembre 2008, Bolat annonce son transfert au Standard. Il n’a donc joué que quatre matches de championnat pour le club qui l’a formé. Une affaire extrêmement regrettable, selon Guy Martens.

BLESSURE AU GENOU

De quelles qualités Sinan Bolat a-t-il fait preuve au Standard ? Avant tout, il a démontré qu’il était un battant. Car au début, Laszlo Bölöni ne le faisait guère jouer.  » Vous avez encore beaucoup à apprendre « , ne cessait de répéter le Roumain à Bolat et à Benteke, arrivé de Genk en même temps que le gardien. L’entraîneur préférait accorder sa confiance à Espinoza, qui connaissait déjà la maison.

Pas pour longtemps, cependant. Alors qu’il négocie un nouveau contrat, Espinoza commet plusieurs erreurs et, après une défaite à Charleroi, Bolat prend sa place. Le conte de fées pouvait commencer. Le Standard prend 22 points sur 24 et obtient le droit de disputer des matches de barrage contre Anderlecht pour le titre. Bolat joue bien et lors de l’avant-dernier match de championnat à La Gantoise, entraînée par Michel Preud’homme, il arrête un penalty de Bryan Ruiz. Lors des barrages, il se fait aussi remarquer par une intervention musclée qui laisse Mbark Boussoufa au sol : commotion cérébrale et fracture de la mâchoire. Le Standard est champion. Bolat va difficilement pouvoir faire mieux, conclut, à l’époque, un journaliste de De Morgen. Il avait malheureusement raison.

A la fin de l’année, Bolat va pourtant encore faire parler de lui dans le monde entier en inscrivant un but de la tête dans les arrêts de jeu du match contre AZ. Grâce à ce goal, le Standard arrache la troisième place de sa poule en Ligue des Champions. En Turquie aussi, on commente ce but qui lui permet de racheter de petites erreurs commises face à Olympiacos et à Arsenal. Bolat a pourtant déjà plusieurs fois fait savoir qu’il n’aime pas trop qu’on lui rappelle ce but.  » En rue, on m’en parle souvent « , dit-il.  » Mais moi, je veux tourner cette page. Je ne possède même pas le DVD du match. Je ne veux pas entrer dans l’histoire comme le gardien qui a inscrit un but de la tête en Ligue des Champions. Je préfère qu’on mette en évidence mes qualités de gardien.  »

Et ça n’a pas toujours été le cas. Par la suite, il est même fortement critiqué, au point de ne plus parler aux journalistes pendant un certain temps.

En 2011, Jean-François de Sart annonce que le Standard discute avec Bolat d’une prolongation de contrat. Le gardien estime, à juste titre, qu’il mérite une revalorisation salariale puisqu’il ne gagne toujours pas plus qu’à l’époque où il est arrivé comme deuxième gardien. Une nouvelle fois, les négociations sont difficiles. Bolat ne voulant pas resigner, il est convenu qu’il restera jusqu’à l’été 2012, après quoi le Standard l’aidera à trouver un nouveau club.

Mais le 22 avril 2012, à la fin d’un match de play-offs I contre Genk, il se tord le genou, victime d’une déchirure du ligament croisé. Afin de ne pas nuire à ses chances de transfert, il tente de s’en sortir sans opération mais, à la reprise des entraînements, il apparait que le genou n’est pas suffisamment stable. Bolat doit être opéré et faire une croix sur un transfert. Le Standard anticipe en achetant Kawashima.

La saison suivante est étrange. En pleine rééducation, Bolat demande au Standard l’autorisation de se faire soigner à… Fulham. Le club londonien cherche un nouveau gardien car l’Australien Mark Schwarzer approche la quarantaine. En faisant venir Bolat à Londres, Fulham peut suivre son évolution et décider par la suite de l’engager ou non. C’est en ce sens que le Standard conclut un accord avec le club anglais.

Mais malgré l’intervention de Pini Zahavi, Bolat ne signe pas. Il a l’impression que Fulham, qui reporte sans cesse l’échéance et pose de nouvelles conditions, cherche un autre gardien et ne le considère que comme une solution de rechange. Il décide donc de partir en stage avec le Standard.

C’est à ce moment que le Club Brugeois entre une première fois dans la danse. Vladan Kujovic est venu remplacer Bojan Jorgacevic mais Bruges cherche tout de même encore un gardien. Mais Vincent Mannaert n’arrive pas à obtenir un prix de transfert et, comme il est toujours dans l’incertitude concernant le genou de Bolat, il n’insiste pas.

Continuer au Standard, ce n’était plus possible. Même si, en coulisses, tout le monde n’était pas d’accord. Eric Deleu, l’entraîneur des gardiens, déclare même en conférence de presse que Bolat et Proto sont de loin les deux meilleurs gardiens de Belgique. Une gifle pour Eiji Kawashima, alors titulaire du club de Sclessin. Cela signifie en tout cas clairement que la décision de ne pas faire jouer Bolat, désormais totalement rétabli, n’a pas été prise par le staff technique. En fin de contrat, le gardien turc quitte Liège cet été-là. Dans le plus grand silence.

PAR PETER T’KINT ? PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je ne veux pas entrer dans l’histoire comme le gardien qui a inscrit un but de la tête en Ligue des Champions.  » SINAN BOLAT

 » Physiquement, il sera prêt, je n’en doute pas.  » GUY MARTENS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire