Triés sur le volley

D’un coup, voilà la Belgique devenue une terre de volley. Pour la première fois depuis 1978, les dames et les messieurs ont accumulé les succès et arraché un billet pour le Mondial. De quoi épater les sélectionneurs des deux équipes. Un tête-à-tête.

Pendant la séance photo, les entraîneurs de volley Dominique Baeyens (57 ans) et Gert Vande Broek (46 ans) ont arboré une mine sérieuse mais ensuite, les sélectionneurs belges des messieurs et des dames n’ont pas caché l’ampleur de leur soulagement, au terme de la double qualification pour le Mondial.  » Gert, j’ai lu une de tes déclarations « , affirme Baeyens.  » Tu dis que la précédente qualification de la Belgique date d’une époque où les animaux parlaient encore. Je compte t’en parler ce soir.  » Vande Broek éclate de rire : il y a 36 ans, Baeyens a joué en Italie.  » Quand mes joueurs ont appris que j’avais participé au Mondial 1978, ils m’ont regardé comme si j’étais un dinosaure.  »

Une question vicieuse pour débuter : des hommes ou des femmes, qui a réalisé le plus joli coup en se qualifiant pour le Mondial ?

Gert Vande Broek : Quand vos deux enfants reviennent de l’école avec la plus grande distinction, vous ne regardez pas qui a 91 % et qui a 90,5 %. Il n’y a pas que les journalistes qui posent cette question : les dirigeants se demandent s’ils doivent plutôt investir chez les dames ou chez les messieurs. Nous avons, par contre, toujours prôné l’égalité. Et les faits nous donnent raison.

24 nations participent au Mondial. Les hommes étaient 37e au classement mondial de fin d’année, les dames 22e. Que nous révèlent ces chiffres ?

Dominique Baeyens : J’adresse une critique majeure à ce classement : on n’a pas toujours l’occasion de gagner des points. Pour nous, la lutte commence à peine à devenir équitable.

Vande Broek : Pourquoi voulions-nous à tout prix participer au Mondial ainsi qu’à la World League masculine et au World Grand Prix féminin ? Parce qu’il y a des points à prendre. C’est pour ça que nous nous sommes inscrits à l’Euroleague. C’était la seule possibilité de forcer la porte de la World League et du World Grand Prix. Sans cela, nous pouvions faire une croix sur les Jeux olympiques.

 » Rio n’est plus seulement un rêve  »

On parle souvent de ces Jeux, depuis la qualification pour le Mondial. Faut-il en déduire que Rio est l’événement le plus important ?

Baeyens : Quand nous avons débuté en Euroleague, c’était avec la volonté d’essayer de nous qualifier pour les JO 2016. Essayer. Sans un Mondial, la chance de participer aux Jeux est quasiment nulle. Elle vient d’augmenter. Il est donc normal que nous parlions des Jeux.

Vande Broek : Maintenant, Rio n’est plus seulement un rêve vain. Cette qualification s’intègre dans une ambition ultime présente dans les deux groupes mais il ne faut pas minimiser le Mondial.

Baeyens : Participer à un Mondial est phénoménal. Il serait excessif de le considérer uniquement comme un tremplin vers les Jeux. Ceux-ci ne sont pas une obsession pour moi.

Vande Broek : Les Jeux sont l’événement sportif majeur. Ils ont lieu tous les quatre ans seulement. D’autre part, quel rôle joue le volley aux JO ? Un rôle annexe. En plus, se qualifier pour les Jeux dans un sport aussi mondialisé n’est pas une mince affaire car il y a encore moins de places qu’à un championnat du monde.

Il paraît évident que la Belgique devait participer à l’Euroleague si elle voulait obtenir des résultats. Quels étaient les obstacles ?

Vande Broek : Le prix s’élevait à 3 ou 400.000 euros pour les deux équipes. Cela représente une somme énorme pour notre Fédération. Dominique et moi hésitions : devions-nous franchir le pas cette année ou la suivante ? Nous avons finalement décidé de ne pas attendre. Ce sentiment s’est avéré crucial. Nous avons pris un risque et pas seulement en matière de finances. L’Euroleague implique un engagement. On demande aux joueurs et aux joueuses de se focaliser là-dessus pendant quatre mois. Les dirigeants veulent également l’assurance que nous sommes capables de convaincre notre groupe. Pour le moment, l’équipe nationale exerce un attrait énorme sur les joueurs mais dans une première phase, nous avons investi en nous-mêmes, en l’équipe, dans l’anonymat. Il s’agissait alors d’un engagement intrinsèque. Heureusement, nous avons été aidés par un fabuleux esprit de groupe.

 » On a progressé pas à pas  »

Baeyens : Nous aussi. Mes joueurs sont maintenant heureux de se retrouver. Une véritable dynamique de groupe s’est instaurée. Nous avons sué dans nos matches de barrage pour nous qualifier pour l’EURO. La semaine suivante, nous avons entamé la campagne en Euroleague et nous avons franchi le cap du premier week-end sans essuyer de revers. Nous avons progressé pas à pas. A posteriori, il semble évident de tout réussir car tout s’enchaîne mais c’est loin de l’être.

Vande Broek : Nous avons un an d’avance sur notre meilleur scénario. La courbe était croissante pour les dames comme pour les messieurs mais elle est vraiment haute, maintenant. Nous ne nous y attendions pas. Pendant le week-end du Final Four en Euroleague, Bruce Springsteen s’est produit dans mon jardin, au Rock Werchter. Évidemment, j’avais des billets mais j’ai pu les jeter : nous sommes allés à Varna.

Quand on cherche les ingrédients du succès, on ne peut que citer l’école de volleyball de Vilvoorde, où les jeunes peuvent combiner depuis vingt ans les cours et des entraînements intenses.

Baeyens : Il faut insister sur l’importance de l’école de sport de haut niveau mais il est difficile d’expliquer le succès actuel, tant il comporte de facettes différentes. Toutes les pièces du puzzle se sont intégrées. Joueurs et staff ont investi beaucoup d’énergie, ils ont beaucoup travaillé. C’est important, au même titre que la chimie dont nous avons déjà parlé. Et puis, il faut tout simplement du talent. Il ne faut pas minimiser ni exagérer le rôle des sélectionneurs.

 » L’école de sport de haut niveau n’explique pas tout  »

Vande Broek : Le talent est la base de tout. Tout le monde attribue maintenant ce succès à l’école de volley mais il a de nombreux pères. Je me rappelle d’ailleurs qu’il y a trois ans, le cabinet du ministre flamand des Sports, Philippe Muyters, au sein duquel je travaille, a été confronté à la demande de la suppression de ces écoles. Des études ont calculé le pourcentage d’athlètes issus de ces établissements. C’est un non-sens scientifique. Par exemple, Lise Van Hecke, un de nos fers de lance, n’a jamais fréquenté l’école de volley mais cela ne l’a pas empêchée de participer aux sélections des jeunes via cette école. Dans son cas, le lien est indirect. L’école a aussi professionnalisé la Flandre, elle a eu un impact sur les clubs. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’école de sport de haut niveau mais on ne peut la mesurer sur base des seuls sportifs qui ont émergé ni d’un code binaire : celui-là émerge, celui-là pas. Ce que nous avons compris en volley, c’est qu’il faut s’unir, que les clubs et l’école doivent travailler de concert.

Dominique, vous avez préparé votre match contre la France pendant des mois. Pourtant, il paraît que vous avez poursuivi vos analyses jusqu’à quatre heures du matin, avant le match.

Baeyens : À notre arrivée à Paris, nous avions déjà une bonne connaissance de cette équipe mais il se passe des choses pendant un tournoi. Nous nous sommes d’abord occupés de l’Espagne, notre premier adversaire. Puis de la Biélorussie, la première nuit. Durant la dernière soirée, nous avons analysé ce qui s’était passé chez la France les deux premiers jours. Ces analyses sont décisives, selon moi, surtout pour une qualification, car nous disposons d’un temps de préparation réduit. On n’a pas l’occasion de tout mettre tranquillement au point avec le groupe. Je pensais donc qu’il fallait faire la différence pendant le match. L’intervention d’un coach peut être cruciale. Je vais vous expliquer ça concrètement. Earvin Ngapeth est une figure-clef de la France. L’Espagne avait logiquement pensé lui compliquer la vie à la réception. C’est le meilleur moyen de le faire douter sur le plan offensif, à première vue. Mais quand on commence à creuser, on remarque que plus il est sollicité, plus son rendement augmente. Nous en sommes donc arrivés à une conclusion qui peut paraître illogique : nous allons servir vers Julien Lyneel, qui possède une meilleure réception mais qui est notre meilleure cible, compte tenu de sa position.

 » Notre banque de données sur les adversaires est énorme  »

Ngapeth a craqué pendant le match. Une question s’est posée : allons-nous déplacer notre contrôle en bloc défense sur Antonin Rouzier, qui était plus présent dans le match, ou rester sur Ngapeth ? Sur base des faits, j’ai jugé que Rouzier allait commettre des erreurs et qu’il n’aiderait pas la France à surmonter des moments difficiles. Nous n’avons donc pas modifié notre stratégie. Je me suis également dit que le distributeur français jouait avec Ngapeth depuis les catégories d’âge et qu’il allait donc constamment le chercher, même si Rouzier était meilleur. De fait, le distributeur a fait ce que j’avais prédit.

Vande Broek : La Polonaise Malgorzata Glinka a été notre Gnapeth. L’Espagne et la Suisse ont montré comment on ne gagnait pas contre la Pologne. Glinka est fragile à la réception mais toute l’équipe est conçue pour minimiser ce manquement. D’autres faiblesses n’apparaissent jamais mais on peut les deviner en observant les joueuses dans leurs clubs, où elles évoluent selon un autre concept. Cela permet d’établir une stratégie différente. Notre banque de données sur les joueuses est énorme et forme la base de notre travail. Ensuite, en cours de match, il y a le feeling, la foi que l’équipe a en votre stratégie. C’est pour cela que nous avons besoin de ces données : elles nous aident à convaincre notre groupe. Souvent, la confiance dans les décisions de l’entraîneur est au moins aussi décisive que la stratégie en elle-même. Car après, vous ne pouvez jamais dire que vous n’auriez pas gagné avec une autre tactique.

PAR KRISTOF DE RYCK – PHOTOS: KETELS/ IMAGEGLOBE

 » Quand mes joueurs ont appris que j’avais participé au Mondial 1978, ils m’ont regardé comme si j’étais un dinosaure.  » Dominique Baeyens

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