TRAVAIL D’EMPRISE

Le coach bruxellois est globalement satisfait du premier mois de championnat des Blauw en Zwart mais exprime des nuances.

Entrons de plain-pied dans le vif du sujet : Emilio Ferrera est-il surpris que son frère, Manu, ait été engagé au Standard ?  » Non, j’étais au courant (il grimace). Les Liégeois m’ont en effet appelé pour avoir son numéro de téléphone « .

Bienvenue dans le monde du foot pro : tout un staff dehors après quatre journées de championnat seulement.  » En effet, il y a toujours des excuses « , dit Emilio.  » Je ne veux faire le procès de personne mais je pense que, quand la presse parle d’un limogeage, elle prend toujours un point de vue à géométrie variable. Lorsque j’ai été viré du Brussels, on n’a jamais cherché à connaître la véritable raison, on ne s’est pas demandé quel avait été le rôle des autres ni si on s’était suffisamment renforcé. Dans chaque limogeage, c’est la presse qui détermine la façon dont les choses sont traduites. Il ne faut donc pas seulement dire : – Bienvenue dans le monde du football professionnel mais aussi : -Bienvenue dans le monde des médias. Les joueurs, les clubs et les entraîneurs sont déjà suffisamment sous pression, la presse n’a pas besoin d’en rajouter. Je me demande à quoi ça sert de toujours noircir le tableau, de toujours vouloir critiquer. Nous savons suffisamment si c’était bon ou pas. Vous, les journalistes, ne deviendrez de toute façon jamais des spécialistes du football. Il ne faut donc pas donner ses impressions, style -Je pense ou -Je crois « .

Claude Monet, l’impressionniste, est-il son peintre favori ? (il rit).  » Tous les peintres de cette époque avaient quelque chose de bien « .

Et que pense-t-il du Bruges d’aujour-d’hui ?  » La première conclusion de la saison, c’est que nous jouons mieux et que nous sommes mieux organisés. Nous n’avons eu qu’un couac, à Roulers, et nous en payons encore les conséquences. Dans les statistiques et dans les médias… Le 5-0 contre La Gantoise, par contre, on l’a vite oublié… Et nous ne méritions pas d’être battus à Anderlecht. J’estime que la prestation de mes joueurs n’a pas été reconnue à sa juste valeur. Nous jouions en déplacement, nous avons eu plus d’occasions, nous avons davantage contrôlé le jeu… Cela veut dire que c’était bon. Je crois qu’en matière de jeu, nous sommes sur le bon chemin « .

Contre Beveren, le public a pourtant trouvé que c’était moins bon.  » Beveren a joué comme Anderlecht : très défensivement « , affirme Ferrera.  » Contre nous, le Sporting a évolué avec cinq défenseurs tandis que LucasBiglia et YvesVanderhaeghe étaient souvent derrière le ballon. Cela veut dire qu’on a peur de nous. Nous ne sommes pas spectaculaires mais les autres nous craignent. Quand on sait d’où on vient, ce n’est pas si mal « .

Quel spectacle ?

Spectaculaire, c’est quoi ?  » De l’impressionnisme, encore une fois « , répond Ferrera.  » Si une équipe laisse beaucoup d’occasions à l’adversaire, c’est que les joueurs et l’entraîneur ont mal travaillé pendant la semaine. Mais les journalistes n’osent pas nous poser la question. C’est mon interprétation du spectacle : vous y voyez beaucoup d’occasions mais, pour un entraîneur, c’est une catastrophe. Vous êtes sur un plan, nous sommes sur un autre. Plus haut on place la barre en défense, moins il y a d’occasions. Et au plus haut niveau, on transforme la plus petite possibilité. On l’a vu lors de la Coupe du Monde : très peu d’occasions mais 70 ou 80 % d’entre elles transformées en but. Si j’analyse le match au sommet, je dis qu’Anderlecht a bien fait son travail et nous aussi « .

C’est peut-être beau pour les connaisseurs mais c’est dommage pour le public.  » Au départ, j’étais un amateur. Comme tout le monde « , raconte Ferrera.  » Mais il y a une différence entre le football de rue et le football professionnel. Pour moi, le spectacle, c’est se ménager plus d’occasions que l’adversaire. Je suis récompensé si le travail effectué pendant la semaine porte ses fruits. Vous pouvez comparer cela à une pièce de théâtre : c’est parfois lent mais ce n’est pas pour cela que les acteurs sont mauvais. On peut tout de même apprécier un joueur sans qu’il soit Ronaldinho. Pour son placement, son travail sans ballon, ses appels…  »

Lorsqu’il était joueur, Emilio Ferrera a lâché prise à Anderlecht parce que tout y était trop strict, trop peu amusant. Pourrait-il aujourd’hui travailler sous la conduite… d’Emilio Ferrera ? Il ne pense pas :  » Je suis peut-être devenu l’entraîneur que je suis aujourd’hui parce que, comme joueur, je manquais d’esprit de compétition. Mais si je devais un jour diriger une école des jeunes, je mettrais plutôt l’accent sur le football de rue que sur la championnite « .

Le système

Gaëtan Englebert et Jonathan Blondel sortent d’une traversée du désert. Des satisfactions personnelles pour Ferrera ?  » Certainement. Englebert était un exemple ici mais on ne savait plus qu’en faire. Pareil pour Blondel. Outre l’aspect collectif, il faut tenir compte de l’individu. Et si l’un d’entre eux éclôt, c’est bien pour lui « .

Les joueurs qui éclatent sont souvent ceux dont on exploite au mieux les qualités. Ferrera ne demande pas à Englebert de faire tout le flanc. Et il aligne Blondel au centre du jeu, pas comme extérieur ou arrière. Pourquoi des entraîneurs essayent-ils autre chose coûte que coûte ?  » Parce qu’ils ont un système et qu’ils veulent s’y tenir « , assure Ferrera.  » A Bruges, on a joué en 4-3-3 pendant des années et on estimait que c’était la seule formule possible. Je pense que nous avons très vite changé les choses. Pour les journalistes, c’est-à-dire les gens qui informent le public, le 4-3-3, le 4-4-2 ou le 4-5-1, c’est de la tactique. Pas pour moi. L’important, c’est de déterminer comment on va se créer des occasions et empêcher l’adversaire d’en avoir. Une de nos plus grandes victoires, c’est d’avoir pu démontrer qu’il y avait plus qu’un système. Je trouve important de demander à un joueur de faire des choses qu’il aime, de jouer à une place où il se sent bien. J’essaye de m’en tenir à cette logique « .

Pendant l’entretien, il affirme que Blondel démontre cette saison qu’il a le niveau pour jouer en Ligue des Champions. Des déclarations pareilles ne risquent-elles pas de nuire au joueur ? Ferrera fait remarquer qu’il le dit sciemment et qu’il est bon que les journalistes y fassent écho :  » Vous faites mon jeu sans savoir que je vous utilise. Je le dis parce que tout le groupe doit avoir pour ambition de se qualifier pour la Ligue des Champions et d’y obtenir des résultats. Mon but n’est pas de motiver Blondel pour un match, je pense vraiment ce que je dis. Il a des possibilités énormes. Le problème, c’est qu’il ne s’appelle pas Blondelinho et qu’il est Belge. S’il était Brésilien ou Argentin, on en aurait déjà fait un grand depuis longtemps « .

Peut-être mais il n’a pas encore souvent démontré ses qualités.  » Quand il ne se comportait pas bien ou ne jouait pas bien, on ne s’est jamais privé de le lui faire remarquer « , rappelle Ferrera.  » Alors, maintenant que ça va bien, je fais le contraire « .

La stabilisation de la défense

Ferrera a aussi trouvé à Birger Maertens des qualités de défenseur italien.  » Il a des possibilités. Il est encore jeune mais a déjà de l’expérience. Il a joué en Ligue des Champions, a remporté le cham-pionnat et fut l’un des joueurs les plus réguliers la saison dernière. Il doit maintenant passer à la vitesse supérieure, ne plus se contenter d’être champion une fois de temps en temps et de disputer quelques matches de Ligue des Champions mais vouloir atteindre le deuxième tour de cette compétition. Il doit être le leader d’une équipe ambitieuse. Il n’est pas international mais ce n’est que temporaire. C’est dû au fait qu’un coach ne croit pas en lui. Moi, si j’étais entraîneur fédéral, je le sélectionnerais. Enfin, chacun a ses idées au sujet des défenseurs. (Il s’approche de l’enregistreur). Dites le clairement : ceci n’est pas une critique à l’égard de l’équipe nationale « .

Pourquoi Ferrera a-t-il voulu conserver pratiquement la même défense ?  » Quand une défense ne fonctionne pas, ce n’est pas seulement la faute des joueurs. C’est même un des domaines où l’entraîneur a le plus de responsabilités. Sur le plan offensif, c’est moins le cas. La saison dernière, en analysant les cinq matches que j’ai coachés et les chiffres, j’ai constaté que nous n’avons pratiquement pas encaissé et que nous avons réussi à conserver le nul pendant trois rencontres. Je me suis donc dit qu’il y avait d’autres priorités. Mes défenseurs ne sont pas spectaculaires mais ils ne tentent pas de choses qu’ils ne sont pas capables de faire. Mon duo central s’est très bien débrouillé à Anderlecht. Je n’en ai jamais douté « .

Devant, Bruges cherche encore le meilleur duo.  » Salou Ibrahim joue bien en fonction de l’équipe mais il n’est pas encore décisif « , décrit Ferrera.  » Un attaquant doit être dangereux et Ibrahim ne l’est pas. Il joue bien entre la ligne médiane et le rectangle mais il lui manque encore quelque chose dans les derniers mètres. Que les choses soient claires : nous voulons lui laisser du temps, il ne doit pas être au top aujourd’hui ou demain. Un attaquant a toujours besoin d’un peu de temps et Ibrahim a tout de même beaucoup progressé au cours des dernières saisons. De Turnhout à Bruges en passant par Courtrai et Zulte, il n’a guère eu le temps de respirer « .

Les choix offensifs

Ne devrait-il pas, dans un premier temps, servir de fournisseur aux médians infiltreurs ?  » C’est un peu la phobie de Bruges « , avance Ferrera.  » L’an dernier, avec JavierPortillo et BoskoBalaban, nous avions deux attaquants incapables de garder le ballon. Bruges estimait qu’il était nécessaire d’acquérir un tel joueur et c’est pourquoi, avant même mon arrivée, les dirigeants s’étaient intéressés à Ibrahim « .

Ne partage-t-il dès lors pas cette vision des choses ?  » Si on n’a ni profondeur, ni joueur capable de garder le ballon, il faut combler une de ces deux lacunes « , répond Ferrera.  » C’est ce qui s’est passé ici. On voit que les choses peuvent changer très vite car, entre-temps, Kevin Roelandts s’est fait remarquer en pointe. Et il sait garder le ballon. Sans oublier Daniel Chavez, qui possède une bonne technique « .

A propos, ne s’était-il pas juré de rendre Bosko Balaban plus efficace ? (Surpris)  » Il l’est, non ? Il a déjà prouvé la saison dernière qu’il pouvait remplir certaines tâches défensives et il a déjà inscrit deux buts en quatre matches. Nous sommes contents de lui. Son caractère ? Je ne suis pas éducateur, je suis entraîneur. Je n’ai donc ni la prétention, ni la volonté de changer le caractère de mes joueurs. Il est normal qu’il accepte difficilement d’être sur le banc. Et avec son caractère, il le montre. Un joueur doit rester lui-même. Cela ne me tracasse pas et n’influence de toute façon pas mes choix « .

Il dit que, grosso modo, chaque équipe a ses caractéristiques et qu’un entraîneur doit apprendre à les apprécier. Il y a une différence entre Bruges et Anderlecht.  » Au Sporting, un ou deux joueurs peuvent faire la différence tandis que nous formons un bloc « , dit Ferrera.  » Si nous voulons être dangereux, nous devons attaquer à plusieurs. Mais c’est un risque car, plus on envoie de joueurs vers l’avant, plus on laisse d’espaces derrière « .

Juste avant le stage, il a donné son feu vert au départ de Gunther Vanaudenaerde. Pour Roelandts, notamment, il envoyait ainsi un signal aux jeunes.  » Un entraîneur doit faire des choix « , tranche Ferrera.  » Hon- nêtement : je n’étais pas au courant de ce qui se racontait au sujet de bagarres et cela n’a joué aucun rôle. C’était un choix purement sportif « .

Ses défenseurs latéraux doivent être capables de se débrouiller balle au pied, aussi bien offensivement que défensivement. C’est pourquoi il a essayé Gregory Dufer à cette place. C’est un joueur capable de centrer et qui était tout de même international lorsqu’il est arrivé à Bruges. Comme les médians doivent plutôt passer par le centre et que ce n’est pas sa spécialité, il était possible de le faire reculer d’un cran.  » Mais les tests ont démontré qu’il n’avait pas suffisamment de qualités défensives et n’en aurait jamais « , prétend Ferrera.

Le titre

Bruges est-il candidat au titre ?  » Nous en avons l’ambition « , rétorque Ferrera.  » Un sportif qui n’est pas ambitieux doit changer de métier. Je suis content de la façon dont le travail effectué pendant la semaine se traduit en match. (Il grimace). Je n’ai pas exigé de nouveaux joueurs. Ce n’est pas parce qu’on va ajouter un élément que tout va soudain s’emboîter. (Il désigne le terrain d’entraînement) Le travail, c’est là qu’il faut le faire. Si on n’a pas de vision, cela n’ira pas en match non plus « .

Il n’a donc pas insisté pour bénéficier du concours de Karel Geraerts :  » Nous faisons le plein à chaque match : 25.000 personnes. Dans ce cas, même si c’est difficile, un joueur doit montrer qu’il a envie de venir « .

Geraerts l’a-t-il trop peu fait ? (Il hésite).  » Peut-être. En tout cas, je n’ai lu nulle part qu’il voulait venir à tout prix « .

Ne trouve-t-il pas que, comparé à Anderlecht, son équipe manque de talent individuel ? Il avale de travers :  » Ne commencez pas non plus à faire de l’impressionnisme. Ça veut dire quoi, le talent individuel ? (Il rit) Nous avons des qualités et le noyau travaille très bien, très dur « .

Ce qui manque encore à certains joueurs, selon lui, c’est l’esprit brugeois, une mentalité de gagneurs.  » Je peux difficilement le leur transmettre « , dit Ferrera.  » Cela doit venir d’eux. Il y a quelques années, l’esprit était plus présent. Bruges ne produisait sûrement pas le plus beau football, en tout cas pas le football que j’aime, mais, psychologiquement, il imposait ses vues à l’adversaire. C’était une sorte d’emprise morale. J’espère que le fait de porter ce maillot rendra un jour mes joueurs comme cela aussi « .

PETER T’KINT

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