Transferts et MUTISME

J’abhorre chaque année les troisièmes tiers de saison : le foot a beau être un sport prétendument collectif, ces périodes-là mettent cruellement en évidence les préoccupations strictement individuelles de l’ homo footballicus dit amateur ! Dans nos divisions provinciales, dès mars voire plus tôt, qu’un club soit dans le ventre mou ou en train de lutter pour un titre ou contre une relégation, qu’il soit déjà champion ou déjà condamné, tout le monde s’y croit obligé d’envisager déjà la saison suivante. Et ce par peur que les rivaux l’envisagent plus tôt et vous coupent sous le pied l’herbe des renforts potentiels !

Alors, les pauvres comitards commencent leur tournée de joueurs à conserver ou acquérir et c’est parti pour le grand cirque des exigences ! Ça veut dire quoi, demander des garanties ? Que le joueur demande cinq fois son cul dans le beurre, je m’explique.

Idéalement, le gars veut cinq choses : le pognon qu’il estime mériter ( » Si untel touche telle somme, j’en mérite au moins telle autre… « ), le niveau qu’il estime valoir ( » Si on descend, je m’en vais… « ), un noyau susceptible de jouer la montée et pas la descente ( » Qui d’autre allez-vous transférer pour que nous soyons à coup sûr compétitifs ? »), une place de titulaire dans ce noyau ( » Je n’exige rien, mais… « , et des gars qui sont ses potes ( » Si Machin part je reste, si Bazar vient je me taille, si Truc s’amène je reste… « ).

Rares seront les joueurs qui vont s’engager pour la saison suivante sans être rassurés sur, au grand minimum, trois de ces cinq revendications ! Face à celles-ci, toi, pauvre zig de coach ou de comitard, ne va pas t’imaginer que tu puisses raisonner les mecs : leur dire qu’il faut bien que certains s’engagent les premiers pour que s’amorce le processus ; ou leur exposer le budget du club (*) et les contraintes qui en découlent ; ou leur expliquer que plus on donne de pognon à l’un, moins il y en aura forcément pour les autres, donc pour un noyau compétitif ; ou que, plus le noyau est compétitif, plus la concurrence y sera âpre ! Tout ça, bernique : les gars veulent le cul dans le beurre et l’argent du beurre ! Face à eux, tu peux juste être diplomate, c’est-à-dire tergiverser : car jusqu’au 30 juin, ce sera la longue période imbécile des transferts. Et moins tu peux y consacrer de fric par rapport à tes concurrents, plus elle te paraîtra longue et imbécile.

Dans ce contexte, il arrive même qu’un entraîneur (souvent d’une province voisine) te contacte pour avoir des renseignements (technique, mentalité…) sur un de tes joueurs qu’il envisage d’acquérir, ça m’est encore arrivé récemment. Désormais, en pareil cas, je dis : – Joker et je ne renseigne plus rien : parce qu’il y a quatre cas de figure pour répondre à pareille demande, et qu’aucun ne me satisfait !

Dans les deux premiers cas, je refuse de dire la vérité parce que je ne suis pas plus catholique que Benoît XVI. Soit le joueur est bon et tu le dis à l’autre coach : en chantant ses louanges, tu construis toi-même comme un bleu le risque qu’un de tes hommes de base se barre pour aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, plus sonnante et plus trébuchante ! Soit le joueur est mauvais, et tu narres ses tares : là, tu cours le risque contraire, c’est-à-dire qu’il te reste sur le paletot alors que tu le verrais volontiers te filer entre les pattes ! Restent les deux autres cas, où tu choisis de mentir comme onze arracheurs de dents. Soit le gars est bon mais, pour le garder, tu racontes qu’il est nul en restant évasif sur ses qualités, en grossissant ses défauts, voire en en inventant : c’est dégueulasse, sans compter que ça peut se retourner contre toi si ton gars l’apprend ! Soit le gars est nul mais, pour qu’il se taille, tu le décris comme un joueur exceptionnel : c’est encore plus dégueulasse, j’aimerais pas qu’un autre coach me fasse un coup pareil ! Y’a donc pas 36 solutions, ma moralité m’impose le mutisme.

(*) Un tuyau : révélez au joueur le nombre d’entrées payantes en une saison, puis faites-lui calculer combien d’entrées représente la somme que lui seul revendique ; parfois, rarement, ça le dessille un peu…

par Bernard Jeunejean

Les gars veulent LE CUL DANS LE BEURRE et l’argent du beurre !

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