Train d’enfer

Une journée avec le coach liégeois qui fait usage de toute sa science pour aider son nouveau club à rester au paradis.

Cela fait maintenant sept semaines qu’il a repris du service au Brussels. A 65 ans, Robert Waseige a répondu aux sirènes de la capitale qui le pressaient de venir sauver le petit-fils d’un Racing White où il avait évolué dans sa prime jeunesse (de 1963 à 1970). Pour remplir sa mission, Waseige a mis toute sa sagesse dans la balance. S’il a pris le train bruxellois en marche, c’est à l’arrêt qu’il monte dans le wagon de l’IC Liège-Bruxelles.

Tous les jours, pour éviter les embouteillages de la capitale, c’est en train que le mage de Rocourt se rend aux entraînements. L’occasion pour nous de suivre pas à pas le nouvel entraîneur du FC Brussels.

8 h 59

Une heure après avoir démarré de la gare de Liège-Guillemins, Robert Waseige arrive à la Gare du Nord de Bruxelles. Un délégué vient le chercher tous les jours pour l’amener au stade Edmond Machtens. Dix minutes plus tard, il arrive à bon port. Les joueurs commencent à affluer au stade. Il les salue et en profite pour prendre des nouvelles de l’évolution de certaines blessures ( Kristof Snelders). Bjorn Helge Riise lui demande de faire l’impasse sur l’entraînement car sa femme est malade. Il accepte.

 » Parfois, un entraînement brossé peut servir le joueur qui va revenir avec plus de confiance. Ce qu’il aura perdu en travail, il l’aura compensé en se disant qu’il est compris « , explique notre guide d’un jour.

Après avoir pris une tasse de café dans le local des joueurs, Waseige passe dans le bureau qu’il partage avec son adjoint Frédéric Renotte et l’entraîneur des gardiens Luc Duville. Il met sur pied le programme d’entraînement selon le nombre de joueurs présents.  » Je veux trois groupes de 6-7 joueurs. Dans un carré de 25 sur 25, un groupe chasse le ballon monopolisé par les deux autres équipes. Cela permet d’améliorer le pressing. J’aimerais aussi terminer par un match, où, après trois passes, la tentative au but soit obligatoire. Cela leur donnera un avant-goût de la façon de procéder de La Gantoise û NDLA : adversaire du week-end passé. Demain, il faudra réserver une bonne part de la séance aux phases arrêtées « .

L’entraîneur des gardiens parle de Frédéric Herpoel qui pourrait faire son retour face au Brussels. Ce à quoi Waseige réplique :  » S’il savait ce qui l’attend, il réfléchirait à deux fois « . C’est cela l’humour de l’ancien sélectionneur des Diables Rouges. Humour qu’il a manié tout au long de sa carrière et qui lui a parfois valu quelques antipathies.

 » Ce qui fait que je sois encore vivant, que je sache me protéger de tout, c’est cette faculté de me faire comprendre par mon humour « , dit-il.

10 h 20

Briefing dans la salle des joueurs. Fidèle à sa réputation, Waseige manie le langage pour motiver ses hommes.

 » Nous ne sommes encore nulle part « , clame-t-il à l’assemblée.  » Dans la lutte qui nous occupe, la mentalité sera primordiale. Si une équipe craque, elle ne revient plus. Il faut donc éviter d’être cette équipe. Et il ne faut pas croire que le calendrier va jouer en notre faveur. Ce sera à nous de nous sauver « . Après une brève explication de l’occupation de la matinée, tout le monde se dirige vers le terrain de la Banque Nationale, qui ne peut être utilisé que lorsque le temps est sec.

L’entraînement durera presque deux heures. En spectateur attentif, tantôt au milieu de ses hommes, tantôt sur le bord du terrain, Waseige note ce qui ne va pas.

 » Il y en a qui mettent le pied. C’est bien, mais le problème, c’est qu’ils ne font pas preuve de cette saine agressivité en matches. C’est pour cette raison qu’ils demeurent réservistes « . Les consignes de trois passes maximum ne sont pas toujours respectées mais il insiste car c’est, pour son équipe, le seul style de jeu possible :  » Le football indirect qui consiste à ne pas donner la balle à l’adversaire, c’est beau, mais cela ne peut être appliqué que par les bonnes équipes « …

12 h 30

Retour au stade. Après un passage aux vestiaires, les joueurs prennent congé de leur entraîneur. L’après-midi est consacré aux soins individuels. Robert Waseige peut reprendre le chemin de la gare. En partant, on croise la voiture du président Johan Vermeersch.  » Tu vois, il est partout ! « , rigole Waseige.

13 h 04

Le voyage retour vers Liège lui permet de se confier. Quelques navetteurs reconnaissent l’ancien coach national. Il sourit et ne se montre nullement agacé par le fait qu’ils viennent lui serrer la main. Il est temps pour lui de nous expliquer ce qui l’a amené à répondre positivement à une énième sollicitation.  » J’étais au basket avec mon fils, à Pepinster, lorsque mon téléphone a sonné. Au bout du fil, c’était Johan Vermeersch. Cela faisait une semaine qu’ Emilio Ferrera avait été limogé. Vermeersch voulait me demander mon avis et savoir si je connaissais quelqu’un qui aurait le profil de l’emploi. Dans un premier temps, je lui ai conseillé mon ami Henri Depireux.

Mais le président n’en a pas voulu. Il m’a dit : -Bruxelles, c’est spécial. Si tu ne parles qu’une seule langue et qu’il s’agit du néerlandais, cela peut encore passer. Mais uniquement le français, pas.

Je lui ai alors dit que je réfléchirais.

Quand il m’a rappelé le lendemain, je lui ai annoncé que j’avais trouvé un candidat et j’ai lancé le nom de Marc Wilmots qui venait de perdre son emploi à Saint-Trond. Vermeersch m’a répondu : -Oui, mais à Molenbeek, ce n’est pas possible.

Il y a fort à parier qu’il y avait derrière cette phrase une incompatibilité politique.

Et c’est alors qu’il a dit : – Oui mais toi ? C’est à toi que je pensais. Je lui ai rappelé que j’avais 65 ans et que j’avais arrêté. Mais Johan Vermeersch est quelqu’un qui sait se montrer parfois très persuasif. Il a ajouté : ûMais qu’est- ce que c’est, trois mois ?

Or, c’est un club qui réveille en moi des sensations agréables. J’aime ce qui est typiquement bruxellois. Mais replonger sur le terrain me posait quand même un peu problème. Il m’a proposé un rôle de manager à l’anglaise. Il y a une époque où je trouvais ce terme attirant, mais commencer à 65 ans ? Je lui ai demandé quelques jours pour réfléchir. Après avoir consulté ma femme, j’ai donné une réponse positive « .

Pourtant, Waseige restait sur trois expériences mitigées (Algérie) voire ratées (Standard et Charleroi) :  » Je n’ai jamais réfléchi en termes de carrière. Si tu acceptes un boulot parce que c’est facile, alors tu peux arrêter tout de suite. A l’Union Belge, j’étais le cul dans le beurre mais je voulais relever un nouveau défi. Or, après le Mondial, c’eût été trop tôt pour arrêter. J’éprouvais encore de l’envie. C’est pour cette raison que j’ai donné suite à la proposition du Standard. J’ai téléphoné à Luciano D’Onofrio pour voir si cela tenait toujours. Et cela s’est décidé la veille de notre départ pour le Japon. J’ai des principes que j’essaie de respecter. Je joue cartes sur table. Ainsi, quand j’ai su que j’allais au Standard, j’ai immédiatement prévenu la Fédération belge qui a jugé plus opportun de prévenir la presse via un communiqué. Je l’ai annoncé de vive voix aux joueurs qui n’ont eu aucune réaction négative. Certains m’ont reproché d’avoir annoncé cela trop tôt. On a eu la même réaction lorsque j’ai accepté l’offre de la Fédération algérienne alors que j’étais encore occupé à Charleroi. Mais moi, je préfère le dire.

Dans le même ordre d’idées, je ne fais pas croire à un joueur que son football me séduit quand cela n’est pas vrai. Il y a des moments où il faut sortir des remarques générales pour toucher le particulier. Il faut être clair et ramener le fautif à l’ordre. Mais tout le monde ne supporte pas cette manière d’agir. J’ai compris assez tôt qu’on ne savait pas faire d’omelettes sans casser d’£ufs. Si tu as affaire à quelqu’un de superficiel sur le plan psychologique, cela peut poser problème. De même, je veux bien encourager les jeunes mais quand il y en a qui roulent des mécaniques, il faut les refroidir. Il arrive que l’on se trompe mais ce qui est important, c’est de se tromper le moins possible « .

13 h 24

Le train passe la gare de Louvain. Et le verbe continue à se manifester. Notamment sur sa dernière expérience belge à Charleroi.

 » J’ai reçu un SOS du président Abbas Bayat. Il s’agissait de sa deuxième sollicitation. Je voulais qu’il me précise mes prérogatives, où elles s’arrêtaient et où commençaient celles des autres. Mais bien vite, cela ne fut pas respecté. J’ai rapidement entendu le bruit de la lime sur les barreaux de ma chaise. Les neveux du président voulaient rogner ma zone d’influence. Et ils se montraient à tous niveaux. J’avais déjà vu tellement de singes sautiller pour passer à la télévision que cela ne m’a pas surpris outre mesure. A partir du moment où LaGazette des Sports a ouvert ses colonnes, cela fut évidemment la curée. La Fédération algérienne m’a alors proposé une aventure qui ne se refusait pas. Si elle ne s’était pas manifestée, je n’aurais de toute façon pas continué à Charleroi. Le fil était rompu. J’ai ressenti de la tristesse mais elle fut atténuée par les causes. Il ne s’agissait pas d’une question de fautes commises dans ma profession mais une question de personnes « .

Puis ce fut la découverte de l’Algérie :  » La défaite face au Gabon 0-3, contre un adversaire théoriquement inférieur, m’a fortement porté préjudice. Si elle n’avait pas eu lieu, je serais peut-être toujours là-bas. Mais après cette défaite, le président de la Fédération m’a dit : – Il y a deux hommes qui sont en danger : vous et moi. Alors, évitez d’aller en ville pendant deux ou trois jours. J’avais compris. Je lui ai demandé de régler ce qu’il fallait régler et cela s’est terminé comme cela avait débuté : par un souper d’amitié « .

Pourtant, Robert Waseige n’en avait pas fini de son approfondissement du football belge. Et le voilà de nouveau sur les rails au Brussels :  » J’ai évité de parler d’Emilio Ferrera aux joueurs. Je n’avais pas envie d’entendre les griefs que l’on pouvait avoir envers mon prédécesseur. Je ne voulais pas non plus connaître toutes les rumeurs qui avaient émaillé les premiers mois de la compétition. Je ne voulais pas me mêler de toutes ces histoires. J’ai appliqué le système qui est le mien depuis de nombreuses années en évitant de tout bouleverser. Car je ne voulais pas tomber dans le piège de  » ce qui était bon sous Ferrera est mauvais sous Waseige et inversement « . Le match à Beveren (0-1) a constitué une évolution vu les circonstances. Je ne disposais pas de l’entièreté de mon noyau suite aux blessures de quelques-uns et au voyage de Bertrand Crasson. J’ai donc pu rencontrer les desiderata de deux, trois joueurs qui se plaignaient de ne pas être alignés à leur place de prédilection. Seul Davy Theunis n’a pas eu gain de cause. Il est trop précieux dans l’axe de la défense. Après le match, j’ai dit à Alan Haydock : –Tu as pleurniché mais tu m’as prouvé que tu avais un bon rayon d’action pour jouer comme médian central. Le rappel de Patrick Nys fut tout aussi capital. J’avais assisté à un match de Réserves où il m’avait frappé. Il sort aussi bien dans les pieds que sur les ballons en profondeur. Vu son âge, Isa Izgi doit maintenant faire une pause pour digérer ses débuts afin de revenir en étant plus complet. Je vois qu’il râle parce qu’il n’est plus titulaire mais l’entraîneur des gardiens me dit que c’est positif. A lui de travailler, d’observer Nys à l’entraînement et de se servir de ce qu’il voit pour devenir plus complet « .

Si la victoire à Beveren a remis de la confiance dans le groupe, celui-ci en avait besoin. La défaite à domicile face à Saint-Trond, une semaine plus tôt, avait soulevé quelques vagues.

 » J’ai lu dans la presse que certains joueurs avaient été appelés dans le bureau présidentiel. On a également beaucoup écrit sur mon entrevue avec Vermeersch mais n’est-ce pas le signe d’une collaboration intelligente ? Moi, je n’ai pas fait un fromage de ce contact. Et jamais dans le discours du président, il n’y eut d’allusion à une quelconque fin de collaboration. On sait tous que Vermeersch vit pour son club. Il le porte. Il a besoin de connaître tout ce qui s’y passe. Ce n’est pas un président de parade. J’aime son authenticité et son goût de dire les choses telles qu’elles sont « .

Il est 14 h 00. Le train entre en gare de Liège Guillemins, placée en chantier par l’érection du nouveau site TGV…

Stéphane Vande Velde

 » Les jeunes qui roulent des mécaniques, IL FAUT LES REFROIDIR  »

 » A l’Union Belge, j’étais LE CUL DANS LE BEURRE  »

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