© BELGAIMAGE - YORICK JANSENS

 » TOUTE LA BELGIQUE EST NATURELLEMENT ANTI-STANDARD « 

Le pilier danois du Standard fait son analyse des soubresauts des derniers mois. Par moments, ça décape.

Le temps d’une longue discussion sur la saison chahutée du Standard et sa vie d’aventurier toujours aussi zen et détaché des choses du foot, Alexander Scholz range sur un bout de table sa lecture du moment. Den hellige Atonio’s Fristelser. Traduction en allemand – pays de ses parents – de La tentation de Saint-Antoine. Par Gustave Flaubert. Il avoue qu’il a du mal à arriver au bout, que c’est  » un peu trop religieux  » pour lui. Mais, par principe, il ne range jamais un bouquin sans l’avoir lu jusqu’à la dernière page.  » J’aime bien Flaubert, pourtant. J’ai lu plusieurs titres de lui. Pas seulement celui qui vient immédiatement à l’esprit de tout le monde, Madame Bovary. J’apprécie les grands auteurs français en général. Je me suis farci plusieurs livres d’Albert Camus, par exemple.  » Il cite alors L’homme révolté et Le mythe de Sisyphe. Vous suivez toujours ? …

Dans le vestiaire et dans la salle des joueurs, il y a plus de journaux de sports et de magazines people que de livres de Camus et Flaubert. On te parle de tes lectures tout à fait décalées pour un footballeur ?

ALEXANDER SCHOLZ : Les nouveaux regardent un peu. Des joueurs français me disent qu’ils ont lu la même chose. C’était obligatoire, c’était à l’école.

Tu entretiens ta réputation d’intello…

SCHOLZ : Non, pas d’accord. Ce n’est pas parce que je lis autre chose que des journaux et des magazines que je suis un intello, un gars trop sérieux. Simplement, j’ai d’autres centres d’intérêt que la plupart de mes coéquipiers.

Tu arrives, comme eux, à parler surtout de smartphones, de filles et de voitures ?

SCHOLZ : Je ne m’y connais pas trop bien en bagnoles mais je peux parler de filles ! Il ne faut pas tout exagérer quand on parle de ma vie en dehors du foot. Je joue aussi à la PlayStation avec mes coéquipiers, hein ! Je n’ai pas de console chez moi mais j’y joue au club, c’est une manière d’être social… Je m’y colle surtout avec les nouveaux joueurs. Ils sont persuadés qu’ils vont me mettre la misère, ils ont probablement l’impression que je ne suis pas fait pour jouer à FIFA, mais je finis souvent par gagner.

Tu as encore beaucoup voyagé cet été ?

SCHOLZ : Pas trop, non. En fait, je bouge beaucoup moins depuis que je joue en Belgique. Je passe l’année à l’étranger, donc j’aime bien me poser pendant les vacances. Je suis retourné dans ma famille au Danemark. Et je n’ai pas pu m’empêcher de faire un saut en Islande. J’aime trop ce pays : l’espace, la nature, le côté sauvage, le peu de gens qu’on y croise. J’ai pris ma tente et je suis parti quelques jours là-bas avec un pote. On a fait pas mal de sorties, d’ailleurs… Dommage que je n’y étais plus au moment où ils ont épaté tout le monde à l’EURO.

 » YANNICK FERRERA NE NOUS PARLAIT PAS TROP DE SA SITUATION, POUR CONSERVER SON AUTORITÉ  »

Mets-toi dans la tête de Yannick Ferrera. Tu es soulagé d’avoir été viré ? Ou plutôt furieux ?

SCHOLZ : Je pense… (Il réfléchit). Question difficile… Je pense qu’il était conscient de la situation. Il a tout donné, tout essayé. Il peut toujours se consoler en disant qu’il est resté jusqu’au bout à 100 % dans le projet. Au Standard, ce n’est pas toujours facile ! Il a gagné la Coupe de Belgique, il a amené le club en Europa League. Mais on n’a pas gagné assez de matches avec lui cette saison, notre classement n’était pas normal.

A quoi sentais-tu que c’était difficile pour lui ? A son discours ? A une certaine nervosité ? A certaines réactions ?

SCHOLZ : On sentait qu’il subissait une pression énorme. En fait, c’est tout le Standard qui est continuellement sous pression. Il y a la pression que la direction met sur son staff et sur le groupe des joueurs, mais aussi la pression mise sur tout le club par les médias, par les adversaires, par le public en général. Toute la Belgique a tendance à être naturellement anti-Standard ! Je le constatais déjà quand j’étais à Lokeren. Maintenant que je suis dedans, c’est encore bien plus visible. C’est un club controversé, je pense que la réputation de la ville de Liège y est pour beaucoup. Les Liégeois sont plus chauds que les Flamands, j’imagine que ça joue.

Yannick Ferrera vous parlait de la menace énorme qui pesait sur lui dès que la préparation a commencé ?

SCHOLZ : Il ne pouvait pas trop nous le dire. Si tu parles de ça à tes joueurs, tu perds une partie de ton autorité. Et comme il voulait rester autoritaire, il évitait le sujet.

Les joueurs savaient depuis longtemps que c’était une question de jours, de matches, de résultats. Vous abordiez parfois le sujet avec lui ?

SCHOLZ : Yeah… Tout le monde sait qu’un C4 en pleine saison, ça peut arriver à tous les coaches. Et le Standard n’a pas la réputation de garder ses entraîneurs très longtemps. Entraîner ici, c’est comme jouer ici : c’est un big challenge ! Je suis arrivé en janvier de l’année dernière, j’ai déjà bossé avec cinq coaches ! José Riga, Ivan Vukomanovic, Slavo Muslin, Yannick Ferrera, maintenant Aleksandar Jankovic. Je vois les côtés positifs de la chose : ils m’ont tous fait jouer, aucun ne m’a mis sur le banc, je n’ai eu de problèmes avec personne. C’est aussi une qualité de savoir prester à un haut niveau quand il y a plein de pression et autant de changements.

 » HORS DE QUESTION DE RESTER DANS LE FOOT APRÈS MA CARRIÈRE  »

Entraîneur, c’est un métier qui pourrait t’intéresser ?

SCHOLZ : Absolument pas. Ça c’est sûr. Je suppose que je n’aurai qu’une vie… Quand j’arrêterai, j’aurai passé près de la moitié de mon existence dans le foot. Ce sera bien assez. Je ferai autre chose, je ne sais pas quoi, mais un truc qui n’aura rien à voir avec le football. J’aime jouer. Le jeu. That’s it. Pas tout ce qu’il y a autour. Il y a des côtés attirants dans le boulot d’entraîneur. Etre le patron d’un vestiaire, mettre sa griffe sur un groupe, faire grandir des joueurs, ça doit être chouette. A côté de ça, il y a des frustrations énormes. Tu demandes à un gars de faire quelque chose et il fait exactement l’inverse dès que le match commence, ça doit être insupportable ! Je ne pourrais pas vivre avec ça. Je ne pourrais pas non plus dépendre éternellement d’un patron. Quand je me reconvertirai, je choisirai un métier dans lequel je n’aurai pas de boss. Je serai indépendant. Et il est peu probable que j’aille jusqu’à l’âge de la retraite en faisant un seul métier après ma carrière de footballeur. Je m’imagine par exemple dans le domaine des livres. Je ne sais pas du tout dans quel rôle, mais avec tout ce que je lis, j’ai un bagage. Ecrire moi-même ? Non, pas ça, je ne suis pas assez intelligent… (Il rigole).

Tu as certainement un avis très clair sur le métier d’agent de joueurs… C’est un autre boulot qui n’est sûrement pas fait pour toi.

SCHOLZ : Ils ont beaucoup de pouvoir, parfois beaucoup trop. Leur influence prouve que le football, c’est beaucoup de politique. A cause de l’argent. J’ai mon avis sur le métier d’agent, mais si je les critique, ça devient ambivalent puisque je profite du système. Je gagne très bien ma vie grâce au foot, et aussi grâce à toutes les personnes qui gravitent autour. Je sais que nos salaires ne sont pas toujours fair, quand on voit ce que des gens normaux doivent faire comme efforts pour pouvoir simplement vivre dans des conditions correctes. Mais est-ce qu’on peut nous demander de dire  » non  » si on nous propose toujours plus ? Si je critique le système, je me critique moi-même. Je n’avais pas forcément envie de quitter le Danemark, par exemple. Si j’ai abandonné ce pays où j’étais très bien, si je me retrouve en Belgique, c’est pour le salaire qu’on me donne.

 » LE PROBLÈME DE MENTALITÉ AU STANDARD, C’EST HISTORIQUE  »

Il y a dix mois, le Standard était très bon, plus fort que Bruges et Anderlecht. Comment expliques-tu votre début de saison raté alors que vous n’avez pas perdu grand monde ?

SCHOLZ : Il ne faut pas dramatiser. On a été punis sur quelques détails. Si, demain, ces détails tournent à nouveau à notre avantage, on parlera du titre ici. Je n’aime pas trop les discussions interminables quand il faut essayer de comprendre pourquoi l’équipe ne tourne pas. On a perdu Ivan Santini, on a raté des buts, on a fait des erreurs en défense : rien de grave, tout ça peut s’inverser très vite et le Standard redeviendra alors une grande équipe.

Il n’y a pas un problème de mentalité à certains moments ?

SCHOLZ : Dans la mentalité des joueurs, c’est sûr. Et les responsables du début de championnat raté, ce sont les joueurs, que ce soit clair. Ce n’est pas le coach qui est sur le terrain et qui rate des interventions à des moments clés. Je peux pointer un autre truc qui nous a coûté cher : le nombre élevé de jeunes joueurs dans le noyau. Il y a chez eux un manque d’expérience qui saute aux yeux. Quand je suis arrivé en équipe Première au Danemark, j’avais une trouille énorme, je tremblais de tout mon corps. Tellement j’étais impressionné. J’aurais accepté de nettoyer les godasses de tous mes coéquipiers pour me faire accepter et apprécier. Si tu mets un ou deux jeunes dans un groupe, ils seront prêts à porter les sacs de ballons et à nettoyer les chaussures. Si tu en mets six, sept ou huit comme au Standard cette saison, la situation est fort différente. Ils restent dans leur zone de confort, ils continuent à vivre comme ils l’ont fait en équipes d’âge. Ces jeunes ont des qualités mais ils ne connaissent pas encore les exigences du haut niveau. Ils ne comprennent pas encore la mentalité que tu dois avoir pour aller haut.

Et les anciens, ils ont toujours eu la bonne mentalité ?

SCHOLZ : Il y a parfois eu un problème de mentalité dans tout le club. Yannick Ferrera a beaucoup travaillé là-dessus, Aleksandar Jankovic continue à le faire. Mais c’est historique, je pense. Le Standard a toujours été plus relax, c’est fort différent de ce que j’ai connu en Flandre. Il faut changer ça. Il faut une base, du respect, une hiérarchie. Il n’y en avait pas au début de cette saison. Etre cool, ça a son charme. Mais tu dois arriver à trouver le bon mix concentration / plaisir.

Et l’année passée ?

SCHOLZ : On a utilisé énormément de joueurs, donc c’était déjà difficile. Plus il y a d’hommes impliqués, plus tu as du mal à créer une hiérarchie. C’est important que tout soit transparent, qu’il y ait toujours des leaders, que chacun connaisse sa place.

Comment expliques-tu la différence entre le mauvais Standard qui a joué à Westerlo et le bon Standard qui a joué à Bruges ? Vous avez l’art de n’être motivés que par les gros matches ?

SCHOLZ : C’est toujours la même chose depuis que je suis ici. A part la défaite 7-1 à Bruges la saison passée, mais c’était un moment très spécial puisque Slavo Muslin avait été viré deux jours plus tôt, on n’a jamais été balayés contre les grandes équipes. Quand on a une affiche, on sait tous à l’avance qu’on sera prêts, au taquet. Dans les autres matches, bien souvent, on a l’habitude d’être bons au début puis à la fin. Au milieu, pas, et on se fait punir !

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

 » Je suis arrivé en janvier de l’année dernière, j’ai déjà bossé avec cinq coaches ! C’est aussi une qualité de savoir prester à un haut niveau quand il y a plein de pression et autant de changements.  » ALEXANDER SCHOLZ

 » Les agents ont trop de pouvoir. Mais si je les critique, je me critique moi-même puisque je profite du système.  » ALEXANDER SCHOLZ

 » Etre entraîneur, moi ? Tu demandes à un gars de faire quelque chose et il fait exactement l’inverse dès que le match commence, ça doit être insupportable ! Je ne pourrais pas vivre avec ça.  » ALEXANDER SCHOLZ

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire