Tout Teddy

Encore une attraction française à Zulte Waregem…

Le monde est petit et Denain minuscule. Une ch’tite ville du Nord un peu morne et typique, à deux pas de Valenciennes. Un Denaisien vous dit trois mots et vous savez d’où il vient ! Teddy Chevalier (22 ans), le nouvel attaquant vedette de Zulte-Waregem, nous a donné son adresse : Boulevard de Verdun, 7. On sonne à la porte. Un monsieur vient ouvrir :  » Chevalier ? Teddy ? Le joueur de foot ? Non, c’est la deuxième à droite après le rond-point. Je le connais bien, le gamin. J’ai été son entraîneur en Cadets. Un sacré joueur mais rin din s’tièsse… (rien dans sa tête). Un jour, il a dit à son coach : -Tu me retires ou je marque contre mon camp. Il a dû rester sur le terrain et il a marqué dans son but. A Valenciennes, on l’a viré parce qu’il avait craché sur son entraîneur. Et à Gueugnon non plus, il n’était pas du tout sérieux. Dommage, avec autant de qualités. Mais bon, il s’est peut-être un peu amélioré avec l’âge.  »

Direction deuxième à droite après le rond-point… Résidence Jacques Brel. C’est la bonne. Le père, Freddy, employé à la mairie, offre un accueil chaud et vrai comme dans le Nord. Madame est très sympa aussi. Et ennuyée parce qu’il manque quelqu’un. C’est la mère Michèle qui a perdu son fils :  » Ah vous savez, Teddy, il est parfois difficile à localiser. Vous le croyez à Paris mais il est à Versailles. Entrez, il va sûrement arriver. « 

On commence donc par un rapide portrait parental de la nouvelle star. D’abord, pourquoi ce prénom très original ?  » J’avais vu un feuilleton américain avec un gosse qui s’appelait Teggy « , explique Freddy.  » Je trouvais ça chouette et j’ai voulu appeler le mien comme ça. Mais à la mairie, ils n’ont pas accepté. Il fallait faire une demande au tribunal. J’ai laissé tomber et j’ai dit que ce serait Teddy.  » Frère de Frédéric (qui lui a fait faire ses premiers tirs de footballeur), Pascaline, Emeline et Ruddy. Le père poursuit :  » Il y a un club à quelques dizaines de mètres d’ici. Teddy est allé s’y inscrire tout seul, il ne nous avait rien demandé. Et il est revenu à la maison avec des papiers qu’il fallait signer. « 

Michèle :  » C’était un gamin turbulent mais pas méchant. Un solitaire, aussi. Tout ce qu’il aimait, c’était rester dans son coin. Il détestait qu’on se mêle de ses affaires. Mais il a besoin de se retremper régulièrement dans la famille. Quand il était à Gueugnon, ce n’était plus possible parce que c’était à 600 km et il a beaucoup souffert. Aujourd’hui, ça va bien. Il nous dit toujours qu’il y a du moral à Waregem. On voit qu’il est heureux. « 

Teddy se pointe. Il était parti prendre la pause avec notre photographe. A quelques kilomètres, le long de la tranchée de Wallers-Arenberg, passage mythique de Paris-Roubaix. Découverte du gosse qui monte.

 » Je connais aussi des gentils qui font carrière « 

Alors comme ça, ton entraîneur des Cadets dit que tu n’as rien dans la tête…

Teddy Chevalier : C’est vieux, ces trucs-là. Il a raison, j’aimais bien faire des petites conneries quand j’étais gamin. Il y a parfois eu des bagarres sur le terrain, des matches arrêtés parce que ça s’insultait de tous les côtés, j’aimais bien faire des parties de sonnettes aussi… Mais rien de bien grave. J’ai eu mon diplôme de soudeur, j’ai travaillé un peu dans ce domaine-là, mais je n’avais qu’une envie : devenir pro en foot. Et un jour, je me suis dit que j’allais bosser comme un fou pour y arriver.

Et ce but que tu marques volontairement contre ton camp ?

(Il rigole). Ce jour-là, nous étions dominés, écrasés. Je ne recevais pas un ballon. J’en avais ras-le-bol et j’ai dit au coach de me sortir. Il a refusé. Alors, il y a eu un coup franc pour l’adversaire et j’ai dit au gars qui allait le tirer : -Centre pour moi. Il m’a expédié un super ballon et j’ai marqué dans mon but. Après ça, je suis sorti de moi-même. Mais le coach m’a ramené de force sur la pelouse. J’ai encore marqué trois fois, mais dans le bon goal. Nous avons gagné 3-1 et j’ai donc mis tous les buts ! C’était mon match d’adieu. Je ne le savais pas. Quand je me suis pointé à l’entraînement la semaine suivante, on m’a dit que j’étais définitivement viré. Je dois leur dire merci : sans cela, je serais peut-être encore dans ce petit club aujourd’hui.

Tu penses qu’il faut un caractère fort pour réussir ?

Non, on ne peut pas généraliser. Je connais aussi des gentils qui font carrière. Moi, je suis doux dans la vie mais je me transforme complètement dès que j’ai mes godasses aux pieds. Je suis un nerveux, un dur. Je deviens un vrai guerrier. Et quand j’ai envie de dire quelque chose, je le dis. Si ça ne plaît pas, c’est pareil.

C’est peut-être à cause de ton caractère trop fort que tu restes rarement plus d’une saison dans tes clubs !

Il faut remettre les choses dans leur contexte. J’ai explosé à Cambrai, je jouais en CFA2 alors que j’aurais encore dû être en -18. Valenciennes est venue me chercher là-bas. Et j’ai fini meilleur buteur de l’équipe en CFA : 18 goals. Mais comment Valenciennes m’a récompensé ? Antoine Kombouaré a refusé que je monte dans le groupe pro. Alors que je pensais vraiment être très proche de mon rêve : vivre du foot. Je rêvais surtout de Lens… mais je n’aurais quand même pas craché sur un contrat à Valenciennes.

 » Valenciennes n’a pas cru en moi. Pourtant, je vaux largement Pieroni « 

Et donc, tu as craché sur ton entraîneur…

Mais pas du tout. Elle vient d’où, cette histoire ?

De ton entraîneur en Cadets… Passons. Tu as ressenti une vraie injustice quand Valenciennes ne t’a pas fait confiance ?

Oui, vraiment. Quand je vois d’autres attaquants qui ont eu leur chance…

Tu vaux bien Luigi Pieroni ?

Ah, largement ! Le Ballon de Plomb, c’est lui, pas moi. Enfin bon, Kombouaré ne prenait même pas la peine de venir voir les matches de la Réserve. Un jour, il avait plein de blessés dans ses attaquants et il a déclaré : -Je vais devoir remettre mes godasses. Quel affront pour les jeunes qui auraient pu dépanner !

Tu as joué pour la première fois cet été à Nungesser, sur la pelouse de Valenciennes. Avec Zulte Waregem !

Oui, puisqu’on ne m’avait pas donné l’occasion de le faire quand j’étais dans ce club. Quand on a reçu notre programme de préparation, j’ai découvert qu’il y aurait un match là-bas et j’ai directement coché la date. S’il y en avait bien un que je ne voulais pas rater, c’était celui-là. Quand on est arrivé, j’ai entendu des supporters parler de moi. Le président était là. J’avais une obsession : montrer à tous les décideurs de Valenciennes qu’ils s’étaient trompés sur mon compte. Je suis entré en deuxième mi-temps et j’ai marqué. Un moment d’extase.

Comment expliques-tu ton échec à Gueugnon ?

L’entraîneur qui m’avait fait signer, Alain Ravera, a été dégagé après deux semaines. Alex Dupont l’a remplacé, et comme l’équipe était très mal classée, il a surtout fait appel aux anciens. Il m’a repris une quinzaine de fois dans le groupe en fin de saison, j’ai fait quelques apparitions mais je n’ai jamais marqué. Pas une seule fois avec Gueugnon en un an et demi ! Je n’avais plus du tout la tête au foot. J’étais jeune, loin de ma famille, ça n’allait pas sur le terrain. J’ai même failli résilier mon contrat et arrêter définitivement le foot. J’avais fini par me dire que je n’avais pas le niveau. Quand tu ne marques pas une seule fois en autant de mois dans les championnats de Ligue 2 et de National, il y a un problème.

 » Je me suis retrouvésur le banc à Boussu.En D3 belge ! « 

Et tu te retrouves alors à Boussu Dour : en troisième division belge !

Je connaissais le président de Boussu Dour, André Arbonnier. Il a joué à Denain. Déjà quand j’étais à Valenciennes, il m’avait proposé d’aller en Belgique. C’est difficile d’exprimer tout ce que je lui dois. Sans lui, je serais peut-être encore à Gueugnon. Et je ne sais pas ce que j’aurais comme perspectives aujourd’hui.

Tes premières impressions quand tu découvres la D3 belge ?

Je sais, ce n’était pas le top niveau. Mais quand tu n’es pas bien du tout, tu dois faire des choix. Quand j’ai signé à Boussu, Arbonnier m’a dit : -Tu t’engages pour un an et demi mais je suis sûr que tu n’es plus chez moi dans six mois. Tu seras en D1. Il avait vu juste.

Tu as beaucoup souffert pendant tes premiers entraînements à Boussu : étonnant quand on a connu la Ligue 2 !

Je sortais aussi d’une pubalgie, ça n’a pas facilité les choses. C’est clair que la D3 belge, c’est dur physiquement. C’est un championnat de morts de faim. C’est comme en National. C’est à cause de ça que je n’ai pas explosé directement en Belgique. Au début, j’ai raté des occasions faciles. J’ai baissé la tête : ce n’était pas moi, ça prouvait que le traumatisme de Gueugnon était toujours là. Michel Wintacq m’a mis sur le banc : en D3 belge ! Terrible ! Il voulait me faire réagir et c’était la bonne approche. Je me suis adapté petit à petit puis j’ai vraiment éclaté dans le tour final qui a envoyé Boussu Dour en D2. Quatre personnes de Zulte Waregem m’ont vu dans le tour final. Puis on m’a dit que Francky Dury allait m’appeler. Mais moi, je ne voulais pas lui parler au téléphone. J’exigeais de discuter en face à face, savoir exactement ce qu’il attendait de moi. Nous avons pris rendez-vous et il m’a dit qu’il me voulait absolument. Les négociations ne semblaient pas faciles parce que je n’étais pas libre mais Arbonnier a tout fait pour que le transfert se réalise. Nous sommes toujours en contact. Nous allons encore voir des matches de Lens ensemble.

Encore Lens…

Dans la région, c’est toujours Lens qui m’a fait flasher. Je l’ai dans la tête depuis l’âge de six ans. Je ne suis pas gourmand, je n’ai jamais rêvé de Manchester. Un bon contrat pro au Racing, ça aurait déjà été très bien. Un aboutissement.

Villa ou Papin ?

Tu as pris ton contrat à Zulte Waregem comme une dernière chance ?

Je ne me suis pas posé autant de questions. Je me suis mis des objectifs réalistes, progressifs : être dans le groupe pro, puis être sur le banc, ensuite rentrer une fois de temps en temps. Je ne savais rien de la D1 belge. Mais je suis vite devenu titulaire et c’était parti.

On t’avait présenté comme un pur attaquant de pointe mais c’est à droite que tu brilles chaque semaine.

Parce que c’est à droite que je suis rentré dans mon premier match. C’est là qu’il fallait quelqu’un. Ça a bien marché, j’y suis resté, et aujourd’hui, je me préfère à droite plutôt qu’en pointe. On se fait vite à un nouveau rôle quand on bosse avec Dury parce qu’il travaille continuellement les automatismes et les passes. Il ne veut que des passes propres. Aussi longtemps que ce n’est pas le cas, on recommence. Encore et encore. Le passing, c’est son dada. Et il exige des joueurs intelligents, pas des types qui courent partout comme des idiots.

Il a déjà dit que si Thierry Henry et David Villa avaient su passer de la pointe au flanc, tu devais aussi en être capable !

Il me compare souvent à David Villa, c’est vrai. Et à Jean-Pierre Papin.

Qu’est-ce qu’il te voit comme points communs avec Papin ?

Il dit que, comme Papin, je frappe de partout. Et que je fais les mêmes appels.

Dury t’apprécie mais il t’a quand même appelé récemment dans son bureau pour te recadrer !

Je me reposais un peu sur mes lauriers. Il m’a mis deux fois sur le banc. C’était correct de sa part mais j’étais vexé, énervé. Le public scandait mon nom mais il ne m’a pas fait rentrer. Difficile à vivre. Après cela, il m’a convoqué, on a discuté et j’ai compris qu’il avait eu raison. Il m’a fait remarquer que je devais bouger, travailler pour l’équipe. Il se fout des noms, il ne voit que le collectif. Chevalier ou un autre sur le banc, pour lui, ça n’a aucune importance.

 » Pas de pression à Zulte Waregem ? Mon £il. On parle de l’Europe « 

Dury est un ancien policier : ça se sent ?

Il ne relâche jamais la pression. Jamais ! A chaque match, à chaque entraînement, il faut tout donner. Il sait que c’est indispensable si on veut concrétiser l’objectif de tout le club : le Top 6. Dury me fait fort penser à Guy Roux : il a une très forte personnalité, il est proche de ses joueurs et peut être aux petits soins pour eux, mais il sait aussi être extrêmement sévère. Il nous fait comprendre que quand il a pris une décision, c’est comme ça et pas autrement. Quand il parle, tout le monde se tait. Dès qu’il me dit quelque chose, je mets mon caractère de côté. C’est le seul patron.

C’est un avantage de débuter en D1 dans un club où il n’y a pas trop de pression ?

Pas de pression… Pas de pression… Je peux te dire que quand on perd à Roulers, on se fait méchamment remonter les bretelles ! Les objectifs sont là. On parle de Top 6 mais aussi d’Europa League. Alors, ça ne plaît pas du tout au coach quand on perd un petit match. A Roulers, on ne l’a pas pris par le bon bout. On s’est dit :- C’est contre le dernier, ça va aller. Mais ça n’a pas été ! On a pris une claque et elle a réveillé tout le monde.

Pour toi, l’exemple à suivre dans le noyau, c’est Franck Berrier ?

Quand je suis arrivé, on m’a lancé : -Berrier a donné 15 assists. Waouw ! Je me suis dit que j’allais essayer de faire les mêmes chiffres, mais en remplaçant les  » passes D  » par des buts.

Ton jeu de tête, c’est ton gros point faible ?

Ben non, j’ai déjà marqué trois goals de la tête cette saison. (Il rigole). Personne n’a fait mieux dans l’équipe.

Quand tu marques de la tête à Gand, c’est seulement ton deuxième but comme ça… depuis que tu joues au foot !

Oui, évidemment, j’admets que c’est un gros point faible. Mais je ne le travaille pas. Chez nous, les duels sont plus pour Ernest Nfor.

Les duels avec les coudes…

Ah, ah, ah… Nos qualités sont différentes. Par exemple, il est très, très fort pour garder un ballon. Comme il joue en pointe, ça lui est bien utile. Et nous sommes complémentaires.

C’est quoi, le salut militaire que tu fais après tes buts ? On m’a parlé d’un code avec une copine gendarmette…

(Il se marre). C’est assez compliqué.

Explique quand même…

Je sortais avec cette fille mais j’ai cassé quand j’étais à Gueugnon parce que je ne savais pas trop ce que je voulais. J’ai compris entre-temps que j’avais fait une erreur. Et elle est entrée à la Gendarmerie. Alors, pour lui faire un petit coucou après mes buts, j’ai inventé cette façon de les fêter. Maintenant, je ne fais plus ce signe mais je vais peut-être recommencer. Mon père m’a dit : -Continue, c’est TON geste.

par pierre danvoye – photos : reporters/gouverneur

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