TOUT SEUL

Deux ans et demi après Knysna, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France revient sur son long parcours à la tête des Bleus à travers un livre. Entretien.

Au départ, votre livre ne devait-il pas être un journal de bord ? Et pour la date de sortie, vous avez fait attention ?

Raymond Domenech : Un journal aurait été quelque chose de spécifique qui se serait adressé aux spécialistes ; je voulais élargir, toucher tout le monde. Les retours qu’on a maintenant que le livre est sorti, c’est que l’opinion publique était curieuse de savoir ce qui s’était passé. Retranscrire un journal de bord avec des dates aurait été rébarbatif. J’avais jeté plein de notes sur l’ordi, il fallait une forme plus romancée mais tous les mots sont ceux du journal. La date de sortie n’est pas anodine, elle se situe pendant une période de quatre mois sans match des Bleus, dont je reste un fervent supporter. Je ne voulais pas être un facteur déstabilisant. Ce n’est pas un règlement de comptes contre les joueurs de l’équipe de France ou la sélection, c’est une histoire de mes six années à sa tête, ma vision, la manière dont je l’ai vécue. Après, on peut toujours le voir différemment…

Beaucoup de fans de foot vous reprochent les échecs de 2008 et 2010 et presque aucun crédit au sujet de la finale de 2006. Vous n’argumentez même pas là-dessus…

Des détracteurs, j’en ai eu tout le temps. Des gens qui trouvaient que ça ne devait pas marcher comme ça, que ce que je faisais n’était pas bien, c’est le poste qui veut ça, ça a toujours été ainsi… Je n’ai jamais eu de soucis avec ces critiques-là. J’ai été plus touché quand on mettait en cause mon intégrité, des trucs persos. Sur le plan sportif, rien, c’est la loi du genre. Dans le livre, si j’étais rentré là-dedans, cela aurait été un règlement de comptes. Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire…

Vous vous livrez à une autocritique plutôt mesurée…

Encore une fois, j’ai juste essayé en reprenant mes notes de traduire mes sentiments et mes émotions de l’instant. Après, si j’attends que tout soit fini et que je fasse mon bilan, j’aurais pu dire :  » Voilà, ça s’est passé comme ci ou comme ça. Il y a les résultats puisqu’il n’y a qu’eux qui font le jugement final… Vous pouvez penser que, etc…  » Ce n’est pas ce que j’ai fait. Je détaille le moment, comment je le vis, comment je l’explique, comment je le ressens… Toutes les explications que j’ai subies a posteriori pendant longtemps, je ne vais évidemment pas me livrer au même jeu. Ce n’est pas mon registre, pas mon truc.

Ce ne sont pas que les résultats qui font la réputation d’un coach. Après 2006, vous ne faisiez toujours pas l’unanimité…

C’est leur problème, pas le mien…

Pas le sauveur du monde

N’y a-t-il pas un côté autodestructeur chez vous avec cette sorte de défi contre le reste du monde ?

Moi, j’ai le sentiment du collectif, moi contre le reste du monde, non. C’était l’équipe entière contre le reste du monde, les adversaires. Mon métier c’était de les protéger de tout le reste et de dire :  » On joue et on doit vaincre les gars d’en face « . En l’occurrence, il fallait se battre pour essayer de gagner la Coupe du Monde. Mon job, c’est d’essayer de faire gagner des équipes ou de les faire jouer le mieux possible avec les moyens qu’elles ont sur le moment. Parfois, ça fonctionne, d’autres fois ça fonctionne moins bien, d’autres fois encore, ça ne fonctionne pas du tout. C’est un dur métier puisqu’on peut y mettre la même intensité, faire les mêmes choses et avoir des résultats complètement différents. Je ne suis pas le justicier, le sauveur du monde ou un redresseur de torts… j’étais juste un sélectionneur.

En 2008, vous écartez Landreau et Cissé qui sont proches de vous alors qu’en 2010, vous gardez Henry alors que vous allez à Barcelone pour lui dire qu’il n’y sera pas…

(Il coupe). Non. Quand je pars là-bas, je sais que je vais le garder…

Ce n’est pas ce que vous dites dans le livre…

A peu près. Je suis hésitant…

Vous écrivez que cela va dépendre de la discussion…

C’est pour me rassurer moi, mais je sais que je vais le prendre…

Quand vous évincez Landreau et Cissé, vous choisissez la justice contre votre mère pour paraphraser Camus. Deux ans après, c’est le contraire. Qu’est-ce qui a changé ?

Peut-être l’expérience. J’ai fait là un choix affectif alors que j’avais écarté Cissé et Landreau par justice sportive deux ans auparavant. On m’a reproché de toujours faire les mêmes erreurs. Là, j’ai fait l’inverse et Titi ne méritait pas d’y être. S’il n’y avait pas eu l’épisode de la main, où il en a pris plein la gueule, alors qu’on se qualifie grâce à lui, je ne l’aurais sans doute pas pris. J’ai allumé les joueurs au rassemblement suivant parce que personne n’a pris sa défense, à part Sagna et Malouda. Après, je ne peux pas le tuer en suivant, il a tout donné. C’était plus que de l’affectif, une forme de reconnaissance… Lui me disait qu’il allait être le remplaçant idéal (ironique), je le savais (que ça n’allait pas être le cas) mais je ne pouvais pas… D’un point de vue psychologique, oui, j’ai été faible psychologiquement pour ne pas aller au bout de ma démarche mais en y réfléchissant bien, même maintenant en me disant que je suis costaud (sic), je l’emmènerais quand même, je le traiterais différemment mais je l’emmène quand même.

Anelka, génial ou dramatique

Anelka ?

J’ai essayé de retrouver le fil conducteur des quatre dernières années. Toutes les remarques, je les ai gardées telles quelles pour rendre la dimension du joueur : comment il peut être génial, comment il peut être dramatique sans explication d’aucune sorte. Mon grand tort, c’est d’avoir cru être mieux que les autres qui n’avaient pas réussi à le rendre constant. C’est le problème de tous les entraîneurs, on croit toujours qu’un joueur qui a eu des problèmes pendant des années avec les uns, avec les autres, on va réussir à en faire quelque chose de bien. C’est un péché d’orgueil. Ces joueurs-là, quelque part, quel que soit leur talent, on sait que l’issue est improbable. En fait, il ne faut pas y aller, je ne suis pas plus intelligent que les autres, ni plus fort, et il va m’arriver la même chose…

Ce qui revient à dire que Blanc ne pouvait pas changer Nasri. Pourtant, Mourinho a réussi, lui, à transformer Benzema…

Non. Au Real, Benzema est en concurrence, réelle. Il l’a foutu dehors, il l’a traité de tout dans la presse et l’autre (sic), il a été obligé de se bouger. C’est lui qui a changé. Sportivement. Pour le reste, il ne chante toujours pas la Marseillaise.

Platini, non plus, ne la chantait pas…

C’était une autre époque, un autre moment, d’autres conditions, ça ne posait pas de problème…

A l’automne 2005, vous vous entendez avec Zidane pour qu’il ne participe pas à la tournée aux Antilles et prétendre qu’il est blessé. Les joueurs hors-normes ont-ils droit à un statut particulier, aux petits arrangements ?

Lilian Thuram me l’aurait demandé, j’aurais dit oui. Thierry Henry me l’aurait demandé, j’aurais dit oui aussi.

Ils sont antillais, ils n’allaient pas vouloir ne pas en être…

Comme j’imagine que si on avait joué l’Algérie, Zidane aurait été certainement du voyage et que Henry et Thuram ne seraient peut-être pas venus.

Donc…

Un entraîneur s’adapte aux situations et il y a des moments où il faut équilibrer entre ce qu’on voudrait, ce qui est jouable et ce qui n’est pas possible. Quand on donne quelque chose, on sait qu’on va avoir un retour avec certains types de joueurs. De vrais leaders, de vrais joueurs de haut niveau, on sait que c’est du donnant-donnant. C’était une tournée amicale en plein coeur de la saison, c’était sympa pour les Antillais des Bleus et pour amener l’équipe de France aux Antilles…

L’équipe de France, une vitrine

A part l’Espagne tout récemment, comment expliquer que tous les champions du monde depuis l’Angleterre en 1966 aient tant de mal à se renouveler, à prolonger le succès…

C’est déjà plus difficile parce qu’on devient l’équipe à abattre. Surtout, une sélection arrive, en général, à gagner quelque chose quand elle parvient à maturité. Après, derrière, elle ne fait que vieillir, tout devient plus compliqué. Ce qui permet de connaître le succès, cette expérience, devient un handicap. En 1998 et 2000, la France a eu cette maturité sur deux ans. Ensuite, elle a pris le bouillon en 2002 et 2004 avec pratiquement les mêmes joueurs. C’est une équipe qui s’est vidée, dégradée, qui n’a pas conservé cette capacité de concentration, de motivation, qui croyait qu’elle allait gagner le Mondial en Corée et au Japon en faisant la fête tous les soirs…

Dans Tout seul, vous expliquez qu’en équipe nationale, les joueurs perdent tout droit, ils n’ont que des devoirs. Ce n’est pas une vision un peu old school de la sélection ?

Si, si mais je le maintiens. Les mecs arrivent, ce sont des vitrines. La sélection leur permet de gagner très bien leur vie ailleurs. C’est une exposition incroyable, ils doivent quelque part un retour, surtout un retour d’image. Qu’on soit battus par meilleurs que nous, ça n’a jamais été un problème, mais qu’on se donne en spectacle comme on l’a vu ces derniers temps, c’est inadmissible. Ils n’ont aucun droit à ce niveau-là, ils n’ont que des devoirs d’exemplarité dès lors qu’ils sont en Bleus. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent chez eux, dans leur club, mais l’équipe leur donne trop. De visibilité, de possibilités pour améliorer leur contrat, pour qu’ils déconnent…

A quel moment l’équipe de France est-elle entrée dans la spirale de la déroute ?

J’ai compris que quelque chose avait basculé en 2008 quand j’ai vu comment les jeunes se comportaient avec Thuram, avec Sagnol, avec Makelele. Je me suis dit :  » Tiens, un nouveau monde se met en place.  » Il n’y avait plus les mêmes règles et honnêtement, je n’ai pas su m’adapter à ça… Je suis resté… old school… Bien sûr, il y a l’inconscience de la jeunesse, j’ai eu vingt ans, des conneries j’en ai fait, autant qu’eux, si ce n’est plus. Ça se voyait moins à l’époque…

Les querelles de générations, cela existe depuis toujours, pourtant. Sylvain Wiltord, quand il arrive à l’hiver 1998-99, il tranche avec les autres…

Oui, bien sûr, mais il ne faut pas qu’ils soient trop nombreux et les vieux doivent être dominants. On trouve l’équilibre quand les jeunes sont encore en dessous et qu’ils doivent ramer pour y arriver. Il faut d’abord gagner quelque chose, que l’argent qu’on gagne soit justifié par une performance. Il ne faut pas que la feuille de paie d’un joueur soit juste la possibilité pour un club de faire un contrat mirobolant en transférant le mec. Longtemps, le joueur devait d’abord être performant pour être rémunéré en conséquence. C’est devenu l’inverse. On fait des projections sur des jeunes de même pas vingt ans en les payant très cher pour réaliser des transferts, qu’ils aient gagné ou non… Les titres, tout le monde s’en tape. Ils sont dans cette logique jusqu’à ce qu’ils arrivent vers vingt-sept, vingt-huit ans et qu’ils se disent qu’il serait temps de gagner enfin quelque chose…

Tout seul, Flammarion, 360 pages, 19,95 euros

PAR RICO RIZZITELLI – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » J’ai voulu une histoire, pas un règlement de comptes.  »

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