TOUT SAVOIR

Pierre Bilic

Le nouveau coach fédéral se prépare : il recevra vendredi, à Montreux, les questions de son grand examen de football européen.

Alors que les cours de la Bourse n’ont jamais atteint de tels sommets en Belgique, la cote des Diables Rouges s’est totalement effritée de 2002 à 2005 (ils étaient 55e lors du dernier classement publié le 18 janvier). Leur patron de choc, René Vandereycken, doit requinquer cette action, rendre l’espoir aux joueurs, séduire les supporters, la presse et les sponsors. La tâche est immense. Il le sait et traverse pour le moment les 100 jours de grâce qui permettent aux heureux élus de s’installer dans leurs nouvelles fonctions. La semaine passée, le technicien limbourgeois eut ainsi l’honneur de remettre le Soulier d’Or à Sergio Conceiçao. Même si la prochaine mission des Diables Rouges, la qualification pour la phase finale de l’Euro 2008, est encore éloignée dans le temps, et ne sera à la une de toutes les préoccupations qu’après la Coupe du Monde, tout va cependant s’accélérer très vite.

La preuve : vendredi, après le tirage au sort des groupes qualificatifs de l’Euro 2008, le coach de l’équipe nationale sautera dans un avion à Genève, rentrera dare-dare en Belgique afin d’assister le soir même au match Germinal Beerschot-Anderlecht. Il n’est pas question pour lui de rater le moindre petit enseignement qui pourrait lui être utile. Peu d’entraîneurs tiennent à récolter autant d’informations à propos de tout ce qui touche au football.

Coacher l’équipe nationale : n’est-ce pas le summum en Belgique ?

René Vandereycken : Je ne sais pas mais je suis en tout cas très fier d’avoir été choisi. C’est une reconnaissance. Si j’examine mon palmarès, je n’ai pas remporté une collection de titres ou de coupes. En tant que joueur bien mais pas comme entraîneur. J’ai donc été choisi sur base de mes qualités ou de ma façon de travailler. La balance n’a pas penché de mon côté parce que mon club s’est distingué par la grâce d’un buteur ou en raison du brio d’un gardien de but et qu’il fallait contacter ce coach qui devait certainement bien travailler. Non, c’était bien plus profond et on n’a pas dû croire tout ce qu’on racontait à mon propos. Je suis heureux et enthousiaste. Quand je suis en contact avec un éventuel employeur, je m’informe toujours attentivement. Cela ne se termine pas toujours par la signature d’un contrat mais la collecte d’infos n’en demeure pas moins intéressante. Je n’ai pas négocié des mois avant de trouver un accord avec les Diables Rouges mais j’ai eu le temps de bien me documenter. J’ai cerné des potentialités que ce soit sur le terrain, surtout, ou en dehors. C’est pour cela que j’ai accepté ce défi. Je ne le fais pas pour découvrir ce que cela représente mais afin d’atteindre des résultats.

La griffe belge existe

Quelle image avez-vous des Diables ?

Il est question pour le moment de l’encadrement mais je ne peux pas être plus concret. Le centre de Tubize est présent aussi dans nos conversations. Je m’informe, je m’imprègne de l’ambiance. Je ne vais pas procéder à un rajeunissement pour le simple plaisir : ce n’est pas parce qu’un nouveau coach se retrouve au pied du mur, avant une campagne de qualification, qu’il est nécessaire de procéder de la sorte. Non, il faut d’abord prouver sa valeur et le groupe est déjà relativement jeune… Pas mal de jeunes joueurs belges évoluent à l’étranger. Je ne prône pas un départ de nos meilleurs éléments, ce n’est pas nécessairement une garantie de succès, mais on perçoit un apport intéressant. Il y a dix ans, le nombre de joueurs belges évoluant en dehors de nos frontières n’était pas aussi élevé. Ce n’est pas comparable avec nos voisins du nord qui ont des joueurs dans les clubs en vue des grands championnats. Ils présentent plus de talents en profondeur mais nous avons tout de même des joueurs qui pourraient en faire autant et les contacts sont alors importants. Les Hollandais ont ces relations. Mais le football belge a encore une griffe : nous possédons l’art de faire déjouer les autres et d’ainsi décrocher un résultat.

C’est un retour vers nos valeurs essentielles ?

L’équipe nationale peut être comparée à une équipe moyenne d’un championnat de clubs. Il faut se mesurer à des adversaires plus forts, d’égale valeur ou inférieurs. Chaque match a un autre caractère et il faut s’adapter. Cette évidence a un côté négatif aux yeux de certains mais il faut s’appuyer sur ses potentialités. La différence se forge dans les détails. Nous entretiendrons des contacts étroits avec les clubs de nos internationaux, que ce soit en Belgique ou à l’étranger. C’est essentiel. En tant que coach de clubs, cela m’a souvent manqué. Or, les échanges d’informations sont utiles. Quel est le plan de travail d’un joueur ? Où en est-il ? Que lui faut-il ? Ne devrait-il prendre part qu’à une partie d’un match amical de l’équipe nationale ? La semaine passée, j’ai vu qu’un jeune joueur belge, jamais retenu en équipe nationale jusqu’à présent, était remplacé suite à une blessure. Un quart d’heure après la fin du match, j’avais le délégué de son équipe au téléphone. Je voulais en savoir plus à propos de ce joueur. Nous voulons tout savoir. Des contacts ont été pris en ce sens avec tous les clubs où se retrouvent nos internationaux et ils ont quasiment tous réagi. En plus de cela, je suivrai des entraînements, des matches, etc. Je ne me tourne pas trop vers le passé. Je suivais plus l’équipe nationale en tant que supporter. J’ai trop peu d’informations sur les choix, les adversaires, les problèmes du passé. Mon analyse ne serait pas correcte et ce serait de l’énergie perdue. Je préfère m’intéresser à l’avenir, au travail à accomplir, au scouting. Nous aurons une bonne équipe nationale. Dans les années 80, les clubs belges brillaient plus sur la scène européenne mais on ne peut pas comparer les époques. A ce moment-là, il y avait peu de joueurs belges à l’étranger. Tout est tellement différent. Le contexte n’est plus comparable. Quand j’étais joueur à Genoa, les clubs italiens ne pouvaient aligner qu’un étranger. Il ne faut pas tirer trop rapidement l’une ou l’autre conclusion.

Trévise-Lazio, le 29 janvier

Mudingayi sera-t-il dans votre viseur ?

Je le connais, évidemment. Dans quelques semaines, il y aura un certain Trévise-Lazio au programme. Il faudra suivre cette rencontre tout comme ce sera le cas pour Wolfsburg-Mönchengladbach. J’ai découvert récemment Auxerre-Monaco via Megasport, une chaîne turque en zappant vers 23 h 30. J’étais étonné car cette retransmission n’avait été annoncée nulle part. Je râlais car cela pouvait être très instructif. Or, c’était le moment de suivre Pieroni. Il ne restait que quelques minutes de jeu. Trop tard ? Non, c’est à ce moment-là qu’il est monté sur la pelouse… Ces derniers mois, à part Brussels-Standard, je ne m’étais pas rendu souvent au stade. Je perdais quatre ou cinq heures et pas mal de football sur le petit écran où je suis parfois deux matches en même temps.

Aimé Anthuenis se plaignait de la faiblesse de sa division offensive. Etes-vous rassuré à propos des objectifs qu’Emile Mpenza poursuit au Qatar ?

Lui non plus ne cerne pas encore tous les contours de son job au Qatar. Il vient à peine d’y arriver. Nous avons encore un peu de temps devant nous afin d’approfondir ce sujet. On verra tout cela quand je communiquerai ma première présélection. Avant cela, nous nous informerons. Les premiers matches pour l’Euro 2008 sont prévus pour le mois de septembre. Le but ne sera pas de retenir un Emile Mpenza en condition pour chaque rencontre. Il y a beaucoup d’autres possibilités. Si un élément atteint le niveau requis pour le premier match de qualification, il sera sélectionné. Mais cela ne signifie pas qu’il sera déjà dans le coup en mars. Et je dialoguerai avec ceux sur qui je compte mais qui ne seront pas là au premier rendez-vous. Il y a des joueurs de qualité et j’ai confiance en eux. La Belgique aura une bonne équipe. J’en suis certain. Sans cela, je ne me serais pas lancé dans cette aventure. La Belgique n’a pas d’étoiles dans des clubs en vue mais elle détient un groupe de joueurs de valeur qui peuvent composer une équipe capable de faire la différence.

Un boulimique de l’information

La Belgique n’a gagné que trois fois en dix matches de qualification pour le Mondial 2006, deux succès contre Saint-Marin, un face à la Bosnie-Herzégovine : pauvre, non ?

Je connais le niveau de certains. Je ne me base pas sur la sélection de mon prédécesseur. Je compose un groupe en fonction du match à venir, pas en tenant compte des événements passés. Il en allait déjà ainsi dans mes clubs : j’oubliais qui avait pris part à la rencontre précédente.

Proposerez-vous aussi un flot d’informations sur les adversaires à vos internationaux comme vous le faisiez dans vos clubs ?

Je procédais de la sorte afin d’éveiller l’intérêt en fonction d’un match. En semaine, je donnais la composition adverse en ajoutant parfois une inexactitude pour tester leur attention. Cela permet de gagner du temps, de ne pas se concentrer sur les atouts adverses avant le match. En équipe nationale, les joueurs connaissent moins bien leurs adversaires qu’en championnat. Ils devront être informés. Je ne sais pas encore si cet intérêt devra être régulièrement aiguisé, on verra.

Travaillerez-vous avec des schémas tactiques très stricts ?

Je travaille dans le sens contraire. Des entraîneurs partent d’une conception très précise. Tout est planifié, organisé, orchestré et si cela ne tourne pas, ils offrent plus de liberté à leurs joueurs. Je ne crois pas que ce soit rentable si on ne stimule pas tout de suite le désir de création. Je préfère leur offrir ce terrain d’expression et si leur créativité est limitée, ils peuvent faire appel à leurs automatismes, à leur culture tactique.

J’ai dû le faire dans des clubs où les atouts offensifs me semblaient légers. Ils n’avaient pas assez de qualités pour faire la différence. Ce sont les places les plus éprouvantes dans une équipe. Tout le monde veut bien les soutenir, les ravitailler mais pas se retrouver à leur poste. Alors, quand on ne détient pas ces arguments percutants, il faut partir de plus loin, créer la surprise au départ de la deuxième ligne. Une équipe de D1 le fait à la perfection : Zulte Waregem. Cette équipe est bien organisée avec une reconversion très rapide.

Leur attaquant, Salou, assume un grand rôle. Anderlecht le piste et il obtiendra bientôt la nationalité belge : intéressant ?

Je n’en suis pas encore là. J’essaye toutefois de savoir combien de joueurs disposent par exemple d’une double nationalité. Combien de jeunes jouent-ils à l’étranger ? Où sont-ils exactement ? Nous ne pouvons pas être étonnés en apprenant qu’untel ou un autre avait marqué deux fois. Il faut être sur leur piste avant que la presse n’affirme qu’ils possèdent assez de qualités pour rendre service à l’équipe nationale… Il faut un maximum d’infos. Cela exige beaucoup de temps et d’énergie. Mais c’est propre à cette fonction.

Allez-vous chercher l’effet de surprise sur le terrain ?

Peut-être. Mais quand on aligne un joueur à une place qui n’est pas la sienne pour surprendre l’adversaire, il faut tout calculer et tout prévoir. Un joueur ne va peut-être pas atteindre le niveau international s’il ne milite pas à sa place habituelle et l’entraîneur devra prendre ses responsabilités. Mais la faute ne doit alors pas être attribuée au joueur.

L’importance de la direction technique

Roger Vanden Stock affirme souvent :  » Nous avons besoin de plus de salopards…  »

Vous me visez ?

Non, c’est en général : pensez-vous aussi que les Belges soient trop braves sur les terrains ?

Je ne sais pas. Je le répète : je n’ai pas analysé les derniers matches des Diables Rouges. J’étais spectateur sans plus. Mais si un joueur tient le coup durant un Celtic-Rangers, il a le c£ur bien accroché. C’est quand même autre chose qu’un match moyen de D1 en Belgique ou en Hollande. Si ce n’est pas le cas, cela se travaille. Sans exagérer car un excès d’enthousiasme peut aussi être dangereux. Une motivation excessive a parfois un effet contraire avec une carte rouge en guise de conclusion.

Vous demandez un adversaire moyen pour le premier match des Diables Rouges le 1er mars…

Exact.

Pourquoi ?

Le Brésil s’est décommandé. Je préfère un opposant d’un autre niveau.

Pourquoi ? Robert Waseige avait entamé son règne par un 5-5 de légende en Hollande. Cet exploit historique lui fut très utile.

Non, ici le groupe se réunira le lundi précédant ce match. Il ne nous restera alors que trois jours pour faire connaissance avec les joueurs et négocier une rencontre face à un adversaire que nous ne connaîtrions que partiellement. Comment devrais-je axer ma théorie ? Non merci, je préfère aborder un adversaire moyen début mars et une équipe plus forte en mai.

La présence de Michel Preud’homme comme directeur technique à vos côtés est-elle importante ?

Oui. J’ai apprécié toute la discrétion qui a précédé ma nomination. Michel Preud’homme a tout connu comme joueur avant d’occuper des fonctions dirigeantes. Son avis est d’autant plus intéressant que cela se double par des responsabilités. Il a un pouvoir de décision et on n’échange pas nos idées sans finalité.

PIERRE BILIC

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