Tout s’explique

Voici comment Frankie Vercauteren a modelé l’équipe championne.

Sef Vergoossen :  » Tous ses joueurs ont fait un énorme pas en avant « 

Conseiller à Venlo (Pays-Bas). Champion de Belgique 2002 avec Genk.

 » J’ai vu tous les matches à domicile, j’ai aussi fait quelques déplacements. J’ai constaté que Genk avait pratiqué un jeu reconnaissable du début à la fin. Il n’y a jamais eu d’improvisation. Et ça, c’est la patte du coach. Il y avait rarement une part de hasard dans les actions, dans la circulation du ballon. L’équipe a proposé deux visages assez différents. Au premier tour, c’était extrêmement offensif, les buts pleuvaient, Genk en marquait trois par match en moyenne. A partir du mois de janvier, Frankie Vercauteren s’y est pris autrement. L’équipe a beaucoup plus joué dans sa moitié de terrain, c’était un bloc compact, difficile à bouger, et l’objectif était clairement d’encaisser le moins possible. Le jeu était plus réfléchi, plus mature. C’était moins spectaculaire, mais pas moins intéressant quand on regardait cela avec l’£il d’un entraîneur parce que c’était hyper bien organisé. Il y a eu peu de matches où on voyait des failles dans l’ensemble. Je pense connaître l’explication. Vercauteren a certainement vu que pendant la période où son équipe jouait fort vers l’avant et marquait beaucoup, elle offrait aussi pas mal d’occasions à l’adversaire. Et il s’est sans doute dit que le jour où les ballons n’entreraient plus aussi facilement, et quand sa défense n’aurait plus la même réussite, il y aurait des couacs. Il a davantage misé sur la sécurité et il a remarqué aussi que la contre-attaque lui réussissait bien. Genk a marqué plusieurs fois des buts importants en partant de derrière à des moments où l’équipe subissait les événements. Sur toute la saison, Genk est en tout cas le club qui a proposé le football le plus agréable.

Ce titre a quand même un côté miraculeux. C’est normalement impossible de transformer rapidement une équipe moyenne en un bloc qui remporte le championnat. Dans n’importe quel pays, c’est un processus qui prend quelques années. En début de saison, personne à Genk ne s’attendait à jouer le titre. Le club n’avait pas touché beaucoup d’argent puisqu’il n’avait vendu pratiquement personne. Et donc, il n’avait pas pu acheter. Il n’y avait plus qu’une solution : faire confiance à des jeunes. Mais qui pouvait prévoir qu’ils allaient progresser à ce point-là ? Personne. Cette progression a été la clé du succès. Tous les joueurs ont fait un énorme pas en avant : Jelle Vossen, Marvin Ogunjimi, David Hubert, Thibaut Courtois, Kevin De Bruyne. Dans les anciens, Eric Matoukou et Elyaniv Barda se sont également métamorphosés. Et ça aussi, c’est la patte d’un coach.  »

Dirk Degraen :  » Beaucoup plus souple qu’on le dit « 

Directeur général de Genk.

 » Le plus grand mérite de Vercauteren ? Ses résultats ! Je ne retiens pas une décision géniale ou un moment exceptionnel dans son travail sur l’ensemble de la saison. Plutôt son état d’esprit particulier qu’il a su rapidement transmettre au groupe. Il avait un noyau jeune et a dressé un constat : ces joueurs manquaient d’expérience, mais aussi, ils n’étaient pas suffisamment professionnels. Il leur a inculqué son professionnalisme et la différence de mentalité saute aux yeux par rapport à ce que ces joueurs étaient il y a un an et demi, à l’arrivée de Vercauteren. Bien sûr, ils ont pris de l’expérience en jouant et ils ont mûri dans la tête, mais l’impact du coach a été déterminant, il leur a fait passer plusieurs étapes en peu de temps. Genk avait un amoncellement d’individualités, c’est maintenant un vrai groupe, très soudé.

Je suis toujours étonné par l’image que les médias donnent de lui. On le fait passer pour un gars qui a des problèmes de communication ? Moi, je vois qu’il communique énormément avec ses joueurs. Et il est aussi extrêmement souple. Beaucoup plus qu’on le dit. C’est un entraîneur qui se met toujours sur la même longueur d’onde que sa direction. On lui reproche de se plaindre régulièrement du contenu de son noyau ? C’est faux. A chaque moment de la saison, il s’est mis à notre place, il raisonne plus comme un gestionnaire que comme un coach qui voudrait tout, et tout de suite. Il propose, il n’exige pas. Il nous a dit plusieurs fois : -S’il n’est pas possible de renforcer le groupe, je m’adapte. Mais sachez seulement qu’il y a des risques. Il ne nous a jamais lancé : -Je veux, j’exige ceci ou cela, c’est scandaleux si on ne transfère personne. Il fait des constats, il ne se plaint pas.  »

Bertrand Crasson :  » Il a connu le foutoir chez les Diables, ça l’a servi « 

Consultant Belgacom TV.

 » Je ne me souviens pas d’un autre entraîneur du championnat de Belgique qui soit parvenu à donner autant de plus-value à son équipe en aussi peu de temps. D’une équipe à la rue, il a fait en un an et demi un club champion. La valeur de presque tous les joueurs de Genk a doublé ou triplé en un an. Quelle était la cote de Daniel Pudil avant cette saison ? Qui voulait encore de Vossen ? Torben Joneleit avait encore l’étiquette d’un joueur moyen avec Charleroi. De Bruyne était loin de son niveau actuel. On ne connaissait pas Courtois : j’ai rarement vu un gardien aussi fort à son âge, il est phénoménal. Daniel Tözser ne sortait jamais du rond central avec Hein Vanhaezebrouck, il était encore pire que le Walter Baseggio des dernières années ! Anele est revenu transfiguré de la Coupe du Monde. Ogunjimi a complètement explosé. Matoukou était habitué à faire deux ou trois couilles par match : c’est maintenant un des trois meilleurs défenseurs centraux du championnat. Si on avait dit il y a un an que Hubert serait aux portes de l’équipe nationale, tout le monde aurait été écroulé de rire.

Ce qui me frappe aussi, c’est l’état d’esprit des réservistes. Sur le banc, je ne vois plus des gars qui tirent la tronche. Barda râlait toujours quand il n’était pas titulaire. Maintenant, c’est à peine s’il ne rigole pas. Il passe pour un sale caractère mais il ne se morfond plus. Thomas Buffel est aussi un exemple révélateur. Le gars a joué à un haut niveau aux Pays-Bas, en Ecosse et chez les Diables. A Genk, il n’est pas titulaire mais il l’accepte. Et quand il monte au jeu pour une vingtaine de minutes, il galope comme un fou, il ne montre pas qu’il en a plein le cul d’être une roue de secours ! Il y a sans doute moins de têtes brûlées, de sales caractères à Genk que dans d’autres grands clubs, mais Vercauteren a su les recadrer.

J’ai souvent discuté avec lui avant et après les matches. Il m’a par exemple expliqué qu’il avait remis de l’ordre autour de l’équipe. Il y avait plein de monde qui gravitait, des gens qui n’avaient rien à faire là. Il a fait le ménage dans les agents qui venaient au club, il a éjecté des personnes qui accompagnaient sans raison l’équipe dans le car. Sa gestion humaine du noyau et de tout l’environnement frise la perfection. Et ça, c’est la moitié du travail d’un entraîneur. Je suis persuadé que ses deux dernières expériences, qui s’étaient mal terminées, l’ont énormément servi, lui ont permis de progresser. Il a tiré les bonnes leçons de son limogeage à Anderlecht, il a pris du recul par rapport à la mentalité de ce club où ce n’est jamais assez bon. Alors que là-bas déjà, il donnait tout ce qu’il avait dans les tripes. Il y a moins de pression à Genk, mais il y en a quand même, et si les résultats ne suivaient pas, il serait sifflé comme ailleurs. Mais c’est moins pesant qu’au Sporting.

Il sent aussi davantage de respect à Genk. Anderlecht lui avait promis pendant plusieurs années un poste de directeur technique : il ne l’a jamais eu. A Genk, il a déjà ce contrat après un an et demi de présence. Peut-être que ce club a compris plus vite que le Sporting ce qu’il valait vraiment dans un rôle pareil. Son passage mouvementé chez les Diables lui a aussi apporté de la maturité. Son approche me semble plus humaine aujourd’hui. Il a connu une terrible désillusion en équipe nationale où il travaillait avec des gars qui ne le respectaient pas, vu qu’il était là simplement en transit, en attendant l’arrivée de Dick Advocaat. On se moquait de lui, il m’a confié qu’il n’avait aucun impact sur le groupe. C’était un foutoir pas possible, ça lui a fait très mal mais il en est sorti plus fort. Il s’est adapté. Ses méthodes ne sont aujourd’hui plus les mêmes qu’à Anderlecht et chez les Diables. Il ne matraque plus ses joueurs avec des séances tactiques interminables. Il est devenu plus souple au niveau des présences des joueurs au club. Le team building, avec du saut à l’élastique et des machins pareils, il y croit encore mais il le fait maintenant à doses homéopathiques.  »

David Hubert :  » Une carpe après les claques « 

Capitaine de Genk.

 » Quand Frankie Vercauteren est arrivé en décembre 2009, il y a deux éléments qui ont permis de bâtir le redressement de Genk. Le groupe a directement manifesté un respect énorme envers lui, vu sa carrière de joueur et d’entraîneur. Personne ne l’a pris à la légère, c’était un grand nom qui débarquait. L’autre élément, c’est le discours qu’il nous a tenu : -Ecoutez les gars, si je suis venu ici, c’est parce que je crois en vous. Je me suis engagé parce que je suis certain qu’il y a un potentiel énorme dans votre groupe.

Pendant les premières semaines, jusqu’à la trêve, il n’a pratiquement rien changé, il nous observait, il parlait beaucoup et on sentait que ça phosphorait beaucoup dans son esprit. Il étudiait les meilleurs moyens pour redresser la barre, il se demandait comment il allait nous faire jouer. Puis, il nous a dit : -On y va, on va mener cette équipe beaucoup plus haut et on le fera en 4-4-2. Il nous a expliqué quel type de joueur il avait en tête pour chaque position. Il a été clair : -Le back droit doit faire exactement ceci, le médian défensif doit s’occuper de cela, l’attaquant de pointe doit courir de telle manière, etc. Il n’y a plus aucune improvisation dans le jeu de Genk, les passes et les lignes de course sont programmées avec précision pour chaque situation de jeu. Il y a énormément de coaching à l’entraînement. Et nous savons exactement à quels moments, dans quelles circonstances nous devons basculer vers un 4-5-1 en perte de balle ou passer par exemple en 3-4-3 quand nous avons le ballon. Vercauteren veut que ça bouge, beaucoup et tout le temps.

Après les matches, il n’est pas du tout bavard. Surtout si nous avons perdu. Quand nous nous sommes inclinés après avoir montré des bonnes choses quand même, il met l’accent sur ce que nous avons réussi, sur la supériorité de l’adversaire et sur le fait que nous sommes toujours très bien classés. Si nous avons été mauvais, il ne dit rien. Après le 3-0 à Bruges, par exemple, on ne l’a pas entendu. Il a peur de regretter ses paroles. Le lendemain, il est très serein en arrivant au stade. Il nous rassemble en cercle pendant deux ou trois minutes, il nous fait un mini-discours et nous dit qu’il ne sert à rien de s’encombrer l’esprit avec une défaite. Il faut directement penser au match qui suit. « 

Aimé Anthuenis :  » La clé, c’est le duo Hubert-Tözser « 

Entraîneur sans club. Vainqueur de la Coupe de Belgique 1998 et champion 1999 avec Genk.

 » Quand tu as trois joueurs dans le top 10 des buteurs, tu mérites d’être champion. La force offensive de Genk est une des images fortes que je retiendrai. Quand j’ai été champion avec ce club, j’avais Branko Strupar et Souleymane Oulare pour conclure nos actions : ça partait de l’arrière et le ballon était près du rectangle adverse en huit ou neuf secondes. Vercauteren a carrément trois attaquants de haut niveau : Vossen, Ogunjimi et Barda. Je peux faire une autre comparaison avec l’équipe de mon époque. J’avais deux relais dans l’entrejeu, deux joueurs qui étaient mon prolongement, les coaches sur le terrain : Besnik Hasi et Wilfried Delbroek. Aujourd’hui, il y a Hubert et Tözser pour jouer le même rôle. Aucun des quatre n’était ou n’est une star, mais ce sont des maillons essentiels dans le fonctionnement d’une équipe qui joue la tête. Vercauteren fait des rotations avec De Bruyne, Barda, Buffel et d’autres, mais son duo Hubert-Tözser est systématiquement sur le terrain. Tu dois aussi avoir un excellent gardien, et là, Courtois est exceptionnel. Il a gagné au moins six ou sept points, c’est énorme. Je le considère déjà comme un des meilleurs gardiens d’Europe. Retire Courtois du but et laisse Mbark Boussoufa à Anderlecht jusqu’à la fin de la saison : je ne suis pas sûr, alors, que le titre serait allé au Racing. Vercauteren s’est parfois plaint d’avoir un noyau étriqué mais je ne l’ai jamais suivi sur ce coup-là. Il n’a peut-être que 15 ou 16 joueurs capables d’évoluer à un très haut niveau, mais c’est mieux d’avoir 16 gars très bons que 25 types moyens. Maintenant, il faut voir si Genk sera en mesure de conserver tout le monde. Ce sera compliqué car les offres affluent. Mais Vercauteren, lui, il est tranquille pour des années. Quand tu es champion avec ce club, tu marques tout le Limbourg et tu peux y revenir quand tu veux, tu y es accueilli en héros. Encore maintenant, quand je vais là-bas, on me considère comme un dieu. Il faut du temps pour séduire les Limbourgeois, mais une fois que tu as franchi cette étape, tu conserves très longtemps leur affection.  »

PAR PIERRE DANVOYE

 » La valeur de presque tous les joueurs a doublé ou triplé en un an.  » (Bertrand Crasson)

 » Il nous a observé pendant quelques semaines puis a dit : -On y va, on va mener cette équipe beaucoup plus haut et on le fera en 4-4-2. « 

(David Hubert)

 » Vercauteren s’est parfois plaint d’avoir un noyau étriqué mais je ne l’ai jamais suivi sur ce coup-là. Il a 15 ou 16 cracks.  » (Aimé Anthuenis)

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