Tout pour sa fiole

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le chimiste de Mons a connu deux relégations et une faillite avec Malines.

La stature est impressionnante (1m93, 92 kg), la poignée de main est plutôt ferme : Ivan Willockx en impose. A 27 ans, il est parvenu à l’âge où un gardien de but atteint, généralement, la plénitude de son art. Ça tombe bien : le gaillard est bourré d’ambition. Il n’y a pas plus rouge et or que lui : il vient de passer 16 saisons au Club Malinois. Mais aujourd’hui, c’est à Mons qu’il veut écrire le deuxième chapitre de sa carrière. Il y est d’ailleurs devenu titulaire plus rapidement que dans ses rêves les plus optimistes. Certes, il a profité de circonstances favorables (une blessure de son concurrent), mais il a su saisir sa chance. Kris Van de Putte, en lutte avec Willockx pour la place dans la cage, est aujourd’hui condamné à attendre son tour mais ne lui en veut pas. La preuve : les deux hommes font, chaque jour, la route ensemble !

Ivan Willockx : Les choses étaient très claires dès que j’ai signé mon contrat. Marc Grosjean nous avait dit que nous entamerions la préparation sur le même pied. Nous devions jouer chacun le même nombre de matches amicaux. Mais Van de Putte a été contrarié par un pépin physique et j’ai joué toutes les rencontres. A moi, aujourd’hui, de ne pas lâcher ma proie. J’ai mon sort entre les mains. J’ai assez d’expérience pour savoir que la moindre erreur peut me valoir un séjour sur le banc mais je ne me mets pas la pression. Vous savez, j’ai déjà connu tellement de coups durs qu’il en faudrait plus pour me faire perdre mes moyens.

Vous faites allusion à ce que vous avez vécu à Malines ?

Evidemment. Avec ce club, j’ai connu deux relégations en D2. Avec Georges Heylens, puis avec Lei Clijsters. Ensuite, il y a eu la faillite. C’est pas mal, quand même… Mais je ne me suis jamais laissé abattre. Si, demain, mon entraîneur m’écarte, je saurai me retrousser les manches, travailler comme un fou pour revenir.

Qu’est-ce qui a été le plus dur : retourner en D2 ou voir son club disparaître ?

La faillite m’a fait beaucoup plus mal que les relégations, c’est clair. Chuter en D2 n’est pas une fin en soi car on sait qu’on peut remonter plus ou moins vite. En plus, Malines a continué à vivre, en deuxième division, sur le même pied qu’en D1 : mêmes salaires, assistances plus ou moins identiques, même rayonnement dans la région. Finalement, je n’ai pas été si malheureux en D2. Surtout que cela m’a permis de fêter des remontées. Par rapport à tout cela, une faillite est bien plus pénible. On tire carrément un trait sur le passé, c’est la fin d’une histoire. Et Dieu sait si celle de Malines avait été belle. Je garde des souvenirs très forts des années John Cordier… même s’il est à l’origine des problèmes de l’année dernière : dès qu’il a repris ses billes, les difficultés financières du club ont commencé. Et elles n’ont fait que s’aggraver, saison après saison.

Entraînements avec Preud’homme

Vous étiez déjà à Malines au moment des années folles !

Oui, j’y suis arrivé en 1987. La victoire en finale de la Coupe des Coupes, les exploits en championnat et en Coupe de Belgique, j’ai connu tout cela. Je n’étais qu’un des multiples gamins du club, mais je me sentais vraiment concerné par les performances de l’équipe Première. J’étais ramasseur de balles lors des matches à domicile. Et je suis allé à Strasbourg en car pour la finale européenne. Evidemment, j’avais une idole dans l’équipe : Michel Preud’homme. J’estimais qu’il constituait l’exemple plus que parfait pour un jeune gardien de but. Un jour, on m’a proposé d’aller sur le terrain d’entraînement avec les stars et Preud’homme m’a donné une petite leçon : je croyais rêver. Je n’avais qu’une idée en tête : me retrouver, à l’âge adulte, dans le but où je le voyais, tous les 15 jours, arrêter des ballons impossibles.

Vous étiez capitaine au moment où le club a coulé : vous sentiez-vous encore plus concerné que les autres joueurs ?

Peut-être, vu mon passé à Malines. J’ai en tout cas pris mes responsabilités. J’étais le relais entre les joueurs et la direction. Des équipiers venaient souvent me voir quand ils ne touchaient pas leur salaire. A la fin, les dirigeants me considéraient comme celui qui n’arrêtait pas de se plaindre. Mais je ne faisais que mon devoir.

Vous étiez assis entre deux chaises ?

Non : je suis toujours resté sur la chaise des joueurs ! Dès le début, j’ai choisi mon camp. Avec le recul, je me dis toutefois que j’ai été trop bon. Quand je vois le nombre d’anciens coéquipiers qui se souviennent encore de ce que j’ai fait pour eux, c’est en tout cas la conclusion que je tire. Le point positif, c’est que cette expérience m’a énormément appris sur le plan humain.

En tant que capitaine, quel était votre point de vue au moment où des joueurs ont décidé de faire grève ?

Au début, j’étais pour la grève. C’était, pour moi, une façon de mettre la pression sur les dirigeants. Mais, à partir du moment où il était clair que cela n’arrangerait rien, j’ai estimé qu’il fallait remonter sur le terrain. Chacun devait alors comprendre qu’il fallait sauver ce qui pouvait encore l’être : notre avenir personnel. Il fallait se mettre en évidence pour séduire d’autres équipes.

Y a-t-il eu des tiraillements dans le groupe ?

Jamais. Et c’est peut-être l’aspect le plus positif de toute cette histoire. Il y avait parfois des petites discussions. Normal : un groupe de 20 footballeurs, ce sont 20 personnalités différentes. Tout le monde ne pouvait pas avoir les mêmes idées. Mais je n’ai jamais eu l’impression que chaque joueur ne pensait qu’à sa petite personne, et c’était beau à vivre.

Avez-vous perdu beaucoup d’argent dans cette aventure ?

Oui, mais nous envisageons de poursuivre l’ancienne direction en justice. Nous pouvons prouver que des erreurs ont été commises. Nous savons toutefois que rien ne sera simple. Dans dix ans, l’affaire sera peut-être encore devant les tribunaux.

 » Gardien le plus troué de D1 ? Et alors ? »

Vous avez connu un autre type de mésaventure à Malines : en 1999-2000, vous avez été le gardien le plus troué de D1, avec 78 buts encaissés !

J’ai très bien vécu cet épisode. Nous avons terminé à la 11e place : l’essentiel était là. Gunther Jacob avait fait le pari d’un jeu extrêmement offensif, et encaisser pas mal de buts faisait partie de ses prévisions. Je préfère prendre 78 goals et terminer 11e qu’en encaisser seulement 40 mais chuter en D2.

En décembre de l’année dernière, vous avez quitté Malines pour Strombeek, en D2. Dimitri Habran vous a remplacé, a crevé l’écran et se retrouve aujourd’hui dans le but du Standard : pas de regrets ?

Aucun. A l’époque, personne n’était certain que Malines continuerait à jouer jusqu’à la fin de la saison. On vivait match par match et on savait que la faillite était de toute façon inévitable. J’ai opté pour la sécurité. Une seule chose m’a fait mal au cours des mois suivants : ne pas être pris dans l’ambiance incroyable que mettaient les supporters de Malines.

Vous êtes gradué en chimie : d’où vous vient cette passion ?

Les sciences m’ont toujours passionné. J’ai toujours voulu savoir comment on pouvait expliquer tout ce qui se passe autour de nous. Quand j’étais gosse, je demandais chaque année le même cadeau à saint Nicolas : des fioles, du matériel de petit chimiste. Il ne m’en a jamais apporté… Je me suis vengé plus tard, dans les labos de l’école. Beaucoup de gens ne m’ont pas compris quand j’ai reçu une proposition de premier contrat professionnel à Malines. Je ne l’ai pas acceptée directement. J’ai dit que j’allais d’abord discuter avec le directeur de l’école de graduat. Je lui ai demandé s’il était possible d’aménager mon horaire pour que je puisse combiner les études et le foot. Il ne l’avait jamais fait pour d’autres sportifs mais s’est dit que cela pouvait être une bonne expérience pour lui aussi. Il a collaboré à fond. Au bout du compte, ses deux footballeurs professionnels ont terminé premiers du cours : Johan Bal avec la grande distinction, et moi avec la plus grande ! Ce diplôme me permet d’appréhender l’avenir avec beaucoup de sérénité. Je suis conscient qu’un footballeur peut être un héros aujourd’hui, mais un indésirable demain. J’ai une autre corde à mon arc et, s’il le faut, je peux l’utiliser du jour au lendemain.

 » Pour les dirigeants de Malines, j’étais celui qui n’arrêtait pas de se plaindre « 

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