» Tout n’est pas rose ! « 

Le patron sportif de Courtrai se frotte les mains après la qualification pour les play-offs 1. Même si il y a encore tellement de travail…

Un cadre de prestige dans la périphérie de Courtrai : Georges Leekens (60 ans) est sous le charme de ce D-Hotel, connaît très bien son patron et voudrait y emmener ses joueurs dans les prochaines semaines.  » Le club n’a pas d’argent pour faire des mises au vert, et pourtant… « , rigole-t-il.  » Nous en avons fait une avant le match de Coupe au Standard et nous l’avons gagné. J’ai à nouveau réclamé une retraite avant de rencontrer Roulers en quarts de finale : on me l’a refusée et nous avons été éliminés. Tu vois bien que ça sert à quelque chose… La direction de Courtrai doit encore comprendre qu’il faut parfois investir un peu d’argent pour en récolter beaucoup. Je dis ça pour que les gens ne croient pas que tout est rose dans ce club. OK, les résultats sont là, la qualification pour les play-offs était inespérée pour tout le monde. Mais il reste pas mal de boulot. Ce serait déjà bien si, dans un premier temps, je pouvais faire venir mes joueurs ici pour quelques heures dans un sauna, un jacuzzi ou un bain turc. Parce que dans notre stade, il n’y a encore rien de tout cela.  »

Le décor est saisissant. Au pied d’un moulin du 19e siècle, une imposante infrastructure hyper moderne aux multiples baies vitrées surdimensionnées. Chambres futuristes, espace de relaxation dernier cri, lounge bar et petites salles aux ambiances incomparables. Ce serait le seul hôtel I-phone du monde. Les clients reçoivent leur appareil lors du check-in et en font ce qu’ils veulent : téléphoner, surfer, commander des boissons, consulter un plan de Courtrai, dérouler l’énumération des choses à voir dans les grands centres touristiques de la région, etc. Le vent est une des principales sources d’énergie de l’établissement et c’est un programme informatique qui gère l’arrosage des jardins suspendus !

 » Verbauwhede et Blondel, dangereux récidivistes « 

C’est encore l’heure du petit-déjeuner. Leekens s’installe, arrache un croissant sur une table XXL dans laquelle un mini-feu ouvert est inséré, sirote un café et déguste la mousse d’avocat qui l’accompagne. Et toujours un sourire par-ci, et une poignée de main par-là. C’est com’ ça… Au fait, ce bilan de fou avec un club qui passa à un cheveu de la chute en D2 il y a moins d’un an ?  » Il est super mais je garde un goût de trop peu. Notre élimination en Coupe, je ne l’ai toujours pas avalée. Enfin bon, voyons le positif. Notre classement d’abord. Et des petits détails qui ont beaucoup d’importance pour moi : par exemple, Courtrai est la seule équipe qui n’a pas pris une seule carte rouge. J’en suis fier, cela veut dire que mes joueurs ont toujours conservé le contrôle d’eux-mêmes. « 

Sur le terrain en tout cas. Dans la presse, par contre, il y en a qui dérapent. Comme Glenn Verbauwhede qui a tout récemment traité les Standardmen d’imbéciles… Leekens l’a vite repris de volée :  » Avec quoi il vient, maintenant ? Je l’ai remis à sa place. Je lui ai dit de s’occuper de son métier de gardien au lieu de chercher des ennuis avec d’autres clubs et leurs joueurs. Il s’est frotté à Axel Witsel dans les couloirs après notre match de Coupe contre le Standard. Il y a carrément eu une petite bagarre. Je ne sais pas qui l’a déclenchée mais je ne veux même pas le savoir. C’est du passé, on n’en parle plus. Je ne comprends pas pourquoi Verbauwhede vient encore de cracher dans la soupe. Maintenant, il peut se préparer à un fameux accueil chaque fois qu’il retournera à Sclessin ! Je lui ai dit, en résumé : -Arrête des ballons et tais-toi. Il est trop extravagant, c’est l’opposé de Simon Mignolet. Et c’est énervant qu’il ait toujours Bruges en tête. OK, il appartient encore à ce club, mais moi, j’essaye de lui faire comprendre qu’il y a autre chose que le Club dans la vie d’un footballeur. Même Philippe Vande Walle a fini par comprendre ça ! Tous les jeunes font des erreurs, mais dans le cas de Verbauwhede, ça commence à faire beaucoup. Quand on a dérapé une fois, on doit pouvoir en tirer les leçons. Il ne l’a pas fait. Sa dernière connerie me fait un peu penser à la faute de Jonathan Blondel sur Bram Vandenbussche dans le match contre Roulers : ça peut arriver une fois, pas trois. Là aussi, Blondel est un récidiviste. Comme Verbauwhede, il doit se remettre en question.  »

Courtrai dans le top 5 de ses exploits de coach

Courtrai dans les play-offs 1, c’est un exploit qui restera sur sa carte de visite. Mais pas à la première place :  » La qualification des Diables Rouges pour la Coupe du Monde 98, c’était quand même autre chose, hein ! Là, on est au plus haut niveau international. A la deuxième position, je mettrais le parcours de Mouscron lors de sa première saison en D1 : quand je pars pour l’équipe nationale, l’équipe est en tête et on peut aller au bout si la direction ne m’interdit pas de cumuler avec les Diables. Derrière ça, je citerais le titre avec le Club Bruges. En novembre, nous sommes éliminés de la Coupe de Belgique et de la Coupe d’Europe, et nous sommes plus ou moins largués en championnat. Il y a des doutes énormes dans le noyau. Je change les mentalités et nous sommes sacrés. Il fallait être un vrai coach pour réussir un truc pareil. Il y a encore eu la victoire en Coupe avec le Cercle. Et puis, seulement, la qualification de Courtrai pour les play-offs 1. « 

L’objectif ?  » Essayer de gagner chaque match en sachant que ce sera impossible… Tout le monde doit se souvenir d’où on vient. Il y avait une seule ambition en début de saison : éviter les deux dernières places. J’avais un vestiaire qui ne ressemblait à rien, il n’y avait pas de programme et je n’avais pas dix joueurs confirmés. J’ai débarqué dans le désert ! Le premier jour, je me suis dit : -Reste calme, Georges. Le club était plus dans l’amateurisme que dans le semi-professionnalisme. Aujourd’hui, on pense que tout va bien mais les problèmes risquent seulement de commencer. Quel va être l’état d’esprit de tous les piliers de l’équipe qui n’ont été loués que pour une seule saison ? Il y a Verbauwhede, Laurent Ciman, David Vandenbroeck, Brecht Capon, Christian Benteke. Et à quoi pensent ceux qui arrivent en fin de contrat, comme Sven Kums ? S’ils se mettent à jouer pour eux-mêmes en espérant se faire remarquer, c’est foutu pour Courtrai. Le risque est réel parce que le succès peut changer les gens. Pour réussir nos play-offs, il faudra que mon équipe reste ce qu’elle a été depuis le début de la saison : pas la meilleure de la bande mais un team assez hot et sexy. Ce serait bien aussi que la direction bouge au plus vite. Il faut essayer de prolonger certains prêts et négocier avec ceux qui sont en fin de contrat. Jimmy Hempte a déjà signé à Roda pour la saison prochaine : ça devrait être un signal d’alarme et inciter les dirigeants à discuter au plus vite avec Kums. Faire un parcours pareil avec une équipe composée aussi tard, c’est miraculeux et ça ne se reproduira pas chaque année. Tu travailles encore de la même façon au niveau du recrutement l’été prochain, et pour le même prix, tu es en D2 dans un peu plus d’un an. Je tiens ce discours-là depuis décembre mais rien ne bouge et ça m’énerve un peu.  »

 » Entre Luciano D’Onofrio et moi, ça doit pouvoir coller « 

Aïe, ça sent le départ anticipé. Le pourcentage de chances qu’il soit toujours à Courtrai en début de saison prochaine ? Leekens a signé jusqu’en 2012 mais on connaît le personnage :  » Je ne sais pas « . Et une clause de son contrat lui permettrait de partir plus tôt en cas de belle offre de l’étranger. De toute façon, on ne lui propose plus rien dans le top belge depuis la fin de son aventure chez les Diables…  » Qui dit ça ? J’ai été fâché sur Anderlecht après mon limogeage à la fin des années 80, mais c’est loin tout et il n’y a plus de problème aujourd’hui. Chaque fois que je pense à Anderlecht, je me dis : -Nom de dieu, c’est le seul club auquel je n’ai pas offert tout ce que je pouvais donner. Je n’étais tout simplement pas prêt, le Sporting non plus. J’étais jeune, nerveux, trop gourmand, j’ai voulu révolutionner la grande maison mauve en quelques mois. Je m’occupais des jeunes, des terrains, je voulais directement faire dix pas en avant. J’ai évolué entre-temps. Ce serait malheureux de bosser encore de la même façon qu’il y a 20 ans… Je pourrais retravailler là-bas. Au Standard aussi : entre deux gars intelligents comme Luciano D’Onofrio et moi, ça doit pouvoir coller ! On verra. Autrefois, j’avais des obsessions : entraîner les Diables Rouges, coacher à l’étranger. C’est fini. J’ai mes certitudes, je suis assez sûr de moi et de mes méthodes. Mais raisonnablement : je ne suis pas un Hollandais qui se définit comme une garantie de succès dès qu’il met le pied dans un nouveau club. Je ne suis pas stressé et je ne stresse pas mes joueurs : ressentir du stress, ça veut dire qu’on n’est pas sûr de soi. Accabler les autres quand ça ne tourne pas ? Non. Faire une fixation sur les arbitres par exemple ? Non. Si tu te dis : -On va souffrir aujourd’hui parce que c’est Paul Allaerts ou Jérôme Nzolo, tu te trompes et tu t’imposes un stress néfaste. Si tu penses au crash dès que tu montes dans ta voiture, tu as beaucoup de chances d’aller dans le décor.  »

Parler de révélations individuelles à Courtrai, mettre quelques joueurs en haut de l’affiche, Leekens n’aime pas :  » Tout le groupe fait une saison d’enfer. Mais c’est clair que certains ont joué un rôle énorme. Kums sortait d’un deuxième tour catastrophique et a complètement retrouvé son niveau. Nebojsa Pavlovic stabilise toute l’équipe. Vandenbroeck et Ciman étaient frustrés à Charleroi et à Bruges mais ont mis les choses au point. On voit les matches que fait Verbauwhede. Capon est une révélation à l’arrière droit : je le vois bien un jour chez les Diables dans ce rôle-là ! Un garçon comme Damien Lahaye n’a joué qu’un match dans le but, contre le Cercle : il a sorti tout ce qu’il devait et si on perd ce jour-là, les play-offs s’envolent sans doute. Mais la plus belle surprise, c’est Davy De Beule : il a retrouvé son niveau de Lokeren. Et Tom Soetaers m’a sidéré par sa classe. Il n’a pas joué au premier tour parce que j’avais beaucoup de joueurs pour peu de places, mais il est toujours resté positif alors qu’il a quand même un chouette petit palmarès. Il est parti à Malines à la trêve et les adieux se sont faits dans une très bonne ambiance.  »

 » Avec moi, les Diables allaient en Afrique du Sud « 

La discussion bifurque tout naturellement vers les Diables.  » Avec moi, la Belgique allait en Afrique du Sud. Sûr et certain. Il y a au moins 20 % de talent en plus qu’à l’époque où nous sommes allés à la Coupe du Monde en 1998. Jamais, on n’a eu autant de qualités individuelles. C’est plein de problèmes positifs avec tous ces choix à faire entre deux très bons joueurs pour une même place. On peut faire deux défenses et deux lignes médianes terribles. « 

Et ce journaliste anglais qui a affirmé la semaine dernière qu’il voyait les Belges remporter la Coupe du Monde 2014 ? Un homme à soigner ?  » Pas du tout. Si Courtrai s’est qualifié pour les play-offs 1, la Belgique peut gagner le Mondial. Il suffit de savoir gérer les stars du noyau et de prendre parfois des décisions osées. Quand j’étais chez les Diables, j’ai eu le cran d’écarter Enzo Scifo. J’ai rappelé un Frankie Van der Elst de 36 ans qui était dégoûté. J’ai parlé avec Marc Wilmots pour qu’il enterre ses problèmes avec la Fédération. Entraîner, c’est aussi trancher. Dick Advocaat devra le faire, écarter dans certains cas le joueur qui est le plus doué à son poste mais n’entre pas dans le moule de la mentalité. Ceux qui acceptent leurs sélections parce que ça leur permet de revenir voir la famille et l’agent, il faut les oublier.  »

par pierre danvoye – photos: reporters/ gouverneur

« Courtrai est hot et sexy. »

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