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Tout le monde aime Wout

A part Remco Evenepoel, aucun coureur belge n’est plus applaudi que Wout van Aert (25 ans). Pourquoi tant d’amour ?

Dans son blog consacré au cyclisme, la chroniqueuse Bieke Purnelle déclare son  » amour  » pour Wout van Aert. Elle n’est pas la seule à s’intéresser à lui. Lorsqu’il a annoncé sa participation au Circuit Het Nieuwsblad, de nombreux journaux lui ont consacré des pages entières. Wout van Aert n’a jamais quitté l’actualité. Même pas au cours des mois qui ont suivi sa chute au Tour.

Il a souvent donné des nouvelles de sa rééducation, il s’est dévoilé dans une émission de télévision flamande regardée par 1,2 million de téléspectateurs, il a remporté le Flandrien 2019 (un prix décerné par ses pairs), a fait la couverture de tous les guides cyclistes belges (y compris le Spécial Cyclisme de Sport/Foot Magazine), a retrouvé les labourés (avec une victoire) et la route plus tôt que prévu. Même le journal français L’Équipe a raconté son histoire au lendemain du Circuit Het Nieuwsblad.

A chaque course, Van Aert adopte l’attitude d’un pitbull, comme si sa vie en dépendait.

Si le coronavirus ne paralyse pas davantage la course, il sera impossible d’échapper à Van Aert au cours des prochaines semaines. Même sa femme, Sarah, tient un vlog sur le site internet du quotidien Het Laatste Nieuws. Même sans gagner, Van Aert est le sujet à la mode du moment. Mais pourquoi ? Voici sept bonnes raisons.

Sa carrière de cyclo-crossman

Cela fait longtemps que les médias nationaux parlent du Campinois, qui brillait déjà en cyclo-cross bien avant que les meilleurs coureurs sur route actuels ne fassent parler d’eux. Nous l’avons littéralement vu grandir : du petit Woutje qui, en 2012, décrochait la médaille d’argent aux championnats du monde de Coxyde à l’athlète qu’il est aujourd’hui. Les fans de cyclisme, surtout les jeunes qui ont grandi avec lui, s’identifient davantage à lui qu’aux coureurs sur route qui ont éclaté plus tard.

De plus, depuis 2014, Van Aert est, avec Mathieu van der Poel, le roi des labourés. Il dispute trente à quarante cyclo-cross par saison, chaque fois devant des centaines de milliers de spectateurs flamands. Voire plus d’un million lors des championnats de Belgique et du monde. C’est comme ça qu’il est devenu la nouvelle star du cyclo-cross national, surtout depuis que Sven Nys a pris sa retraite, en 2016. Van der Poel l’a, certes, souvent battu mais cela ne l’a pas empêché de remporter trois fois le championnat du monde. Cette

rivalité l’a aidé à progresser et le Néerlandais peut en dire autant.

Pourtant, Van Aert n’est devenu extrêmement populaire que quand il est devenu coureur sur route et qu’il s’est immédiatement mis à rivaliser avec les meilleurs du monde. Avec une troisième place aux Strade Bianche en 2018, une course-poursuite fantastique à Paris-Roubaix en 2019, un titre de champion de Belgique contre-la-montre et une victoire contre le chrono au Dauphiné et, surtout, une victoire au sprint au Tour. Van Aert a ainsi fait parler de lui pendant toute l’année. Et il en sera encore ainsi au cours des prochaines années puisqu’il continue à faire du cyclo-cross, même s’il est un peu moins présent sur ce terrain.

Pour devenir un dieu comme Tom Boonen (qui est devenu une star alors que les réseaux sociaux en étaient encore à leurs balbutiements), Van Aert devra néanmoins ajouter de grandes victoires à son palmarès sur route. Et ne pas se laisser trop distancer par Mathieu van der Poel. Les héros ont droit à la défaite mais ils doivent aussi gagner.

Le Flandrien

La vidéo de Wout van Aert aux Strade Bianche 2018 a été vue des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux et sur YouTube. Victime de crampes en pleine via Santa Catarina, à Sienne, le coureur de Herentals descend de son vélo, se reprend et file vers l’arrivée où il ouvre les bras, tel Jésus sur la croix. Souvenez-vous aussi des images de l’an dernier après Paris-Roubaix où, victime d’une fringale, il s’écroule sur l’herbe du vélodrome et peut à peine parler à sa femme, Sarah.

Ces images ont contribué à sa réputation de Flandrien. D’autant qu’à chaque course, il adopte l’attitude d’un pitbull, comme si sa vie en dépendait. Comme l’écrit le chroniqueur et ex-coureur néerlandais Peter Winnen :  » Van Aert va tellement loin dans l’effort qu’il est constamment en rééducation.  » En matière de rééducation, Van Aert a été servi après sa chute au Tour. Des moments que ses fans ont pu suivre de près grâce aux paroles de son kiné, Lieven Maesschalck, et aux vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ( voir plus loin) ou à la télévision, dans l’émission Het Huis.

Tout le monde aime Wout
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Ce n’était pas le premier coup dur de la carrière de Van Aert. En 2018, il avait dû faire le deuil de son équipier et ami, Michael Goolaerts, décédé à Paris-Roubaix. Et un peu plus tard, il avait rompu avec son ancien directeur sportif, Nick Nuyens. A 25 ans, il porte déjà un  » lourd fardeau sur les épaules « , comme il dit. Mais ceux qui refont sans cesse surface suscitent l’admiration.

C’est ainsi que Johan Museeuw est devenu le Lion des Flandres. Lorsqu’il a gagné Paris-Roubaix, en 2000, il a montré son genou gauche. Un geste symbolique. Tout comme Van Aert a tapé de joie sur sa hanche droite en février, lorsqu’il a effectué son premier cyclo-cross depuis son retour.

La famille

Les héros doivent être des gens comme tout le monde, à qui chacun peut s’identifier. Et si, en Flandre, ils portent un prénom purement flamand, comme Wout, c’est encore mieux. Mais le plus important, c’est de rester simple. Wout est resté le fils de Henk, un homme d’entretien retraité du service jardinage de la Province d’Anvers, et d’ Ivonne, qui accompagne les stagiaires au VDAB (l’équivalent flamand du Forem).

Van Aert a toujours accordé beaucoup d’importance à la famille. Ses parents font même partie de son équipe de cyclo-cross : jusqu’à la saison dernière, son père était préposé au matériel tandis que sa mère se chargeait des tâches domestiques dans le mobilhome. Ce n’est pas pour rien que lors de son premier titre national chez les pros, en 2016 à Lille, devant son public, Van Aert a éclaté en larmes. Un peu à cause de la pression mais surtout parce que Henk luttait contre un cancer du rectum.

Deux ans plus tôt, après son titre de champion du monde Espoirs à Hoogerheide, Van Aert avait déjà pleuré dans les bras de sa copine Sarah, dont la grand-mère était à l’agonie. Cela l’avait encore motivé davantage, il tenait à lui montrer son maillot arc-en-ciel. Ces images pleines d’émotion ont suscité la sympathie et l’identification. Tout comme celles où on le voit éclater en larmes lorsque ses parents montent sur le podium lors de la remise du prix du Flandrien 2019.

Sarah fait aussi partie de la famille. Son amour de jeunesse est devenue son épouse et elle est présente lors de presque chaque course. Mais c’est surtout à la maison qu’ils partagent les joies et les peines. Elle aussi est une fille comme les autres, simple et sobre.

L’exemple à suivre

Jusqu’ici, l’image de Van Aert est immaculée. Il n’a pas eu d’accident en Lamborghini, n’a pas enfreint les limites de vitesse, on n’a pas trouvé de traces de cocaïne dans ses urines et il n’a pas multiplié les conquêtes, comme Tom Boonen à l’époque. C’est un homme parfait, un exemple à suivre en matière de comportement et de présentation. Il n’agite pas les billets de banque et ne roule pas en Ferrari. Sa coiffure n’est pas extravagante et il n’exhibe pas de tatouages impressionnants. En 2015, il nous avait raconté qu’il avait un jour songé à faire un geste de victoire excentrique à la Peter Sagan mais qu’il avait abandonné cette idée, estimant que c’était mauvais pour son image.  » Je ne voulais pas qu’on pense que j’avais le gros cou « , disait-il.

Depuis ses débuts chez les pros, Van Aert est également considéré comme un sportif très professionnel, méthodique et exigeant. Un leader – à l’âge de 19 ans, alors qu’il était néo-pro, c’était lui qui emmenait son équipe en stage – mais aussi un coureur toujours attentif à ses équipiers. Rappelez-vous qu’au Tour, après la victoire de l’équipe Jumbo-Visma lors du contre-la-montre par équipes, il avait attendu Dylan Groenewegen, lâché, sur la ligne d’arrivée. Et il y a dix jours, au Circuit Het Nieuwsblad, il a gentiment réconforté Mike Teunissen, qui avait été lâché par le groupe de tête.

Une meilleure communication

Au début de sa carrière de cyclo-crossman, Van Aert a souvent fait les gros titres des journaux en cherchant la controverse. Comme à Niel, en 2013, lorsque son passage de l’équipe Telenet-Fidea à l’équipe Vastgoedservice avait fait couler beaucoup d’encre. Deuxième derrière Sven Nys, qu’il affrontait pour la première fois, il avait franchi la ligne d’arrivée avec un doigt sur les lèvres avant de dire :  » Maintenant, taisez-vous.  »

Deux mois plus tard, il faisait à nouveau parler ses jambes et sa langue lorsqu’il était exclu du championnat de Belgique espoirs à Waregem pour faux départ. Il montait tout de même sur son vélo mais on l’arrêtait après un tour. Sur Twitter, il reconnaissait sa faute mais s’en prenait au jury et à ses confrères, à qui il reprochait un manque de collégialité. Ses mots dépassaient sans doute sa pensée mais suscitaient de nombreux commentaires. En 2015, il s’inclinait à Valkenburg après cinq victoires consécutives et lançait aux journalistes qu’ils pouvaient  » enfin le lâcher un peu.  »

Niels Albert, son directeur sportif de l’époque, qui n’avait pourtant pas sa langue en poche non plus, le mettait en garde. Depuis, il fait plus attention à ce qu’il dit et il fait preuve de plus de sérénité lorsqu’il y a matière à polémique. Sans tomber dans les clichés et sans rien perdre de son honnêteté et de sa spontanéité. C’est en partie grâce à cela qu’il se sent bien au sein de l’équipe néerlandaise Jumbo-Visma, où il peut appeler un chat, un chat.

Il communique également mieux avec ses supporters. En 2015, il nous avait raconté que lorsqu’il était espoir, il ne s’arrêtait jamais pour signer un autographe, qu’il faisait semblant de ne pas entendre les gens qui l’appelaient. Jusqu’à ce que Bart Wellens, très populaire à l’époque, lui fasse comprendre qu’il devait consacrer du temps à ses fans, d’autant plus qu’il était la nouvelle figure de proue du sport. C’est ainsi qu’après chaque course, Van Aert tente de faire plaisir à tous ses supporters.

Le Campinois a pourtant admis voici peu dans Het Nieuwsblad que l’attention sans cesse croissante dont il fait l’objet lui pesait. Plus moyen d’aller prendre un café ou de prendre l’avion pour l’Espagne sans se faire accoster. Les gens viennent même sonner à tout bout de champ chez lui, à Herentals. Mais il ne veut pas non plus  » s’enfermer  » en plaçant un portail. La solution ? Un vidéophone. Si ce sont des enfants qui sonnent, il ouvre.

Réseaux sociaux

 » Hey @chrisfroome , please don’t tell me you were just doing a little coffeeride ?  » Voici ce qu’a tweeté Van Aert voici peu lorsque les médias ont signalé qu’il avait fait mieux que le Britannique sur (une partie de) l’ascension du Teide à Tenerife. Froome avait répondu avec un meme  » It’s on like Donkey Kong ! « 

La preuve qu’on peut faire de l’humour avec l’info (peu nuancée, dans ce cas) et un bel exemple de l’interactivité que Van Aert crée avec ses suiveurs. Il partage également des photos et des vidéos de sa vie de coureur, comme lors de sa rééducation, l’an dernier. Ou de nombreuses données d’entraînement avec ses 65.000 followers sur Strava. Parfois avec humour, comme lorsqu’il a traversé la Corona Forestal (forêt) à Tenerife et a écrit en légende :  » Dos Corona (bière) por favor, dos….  » La semaine dernière, alors qu’il s’était entraîné pendant près de cinq heures dans les Ardennes, son équipe déclarait forfait en raison du coronavirus, il écrivait s’être entraîné  » for the dog his balls.  »

Il dévoile même parfois une partie de sa vie privée, comme lorsqu’il a partagé une photo de la première danse de son mariage, l’été dernier. Avec un message d’amour à son épouse :  » Je ne veux pas savoir comment danser sans toi.  »

Il pourrait être encore plus authentique mais il compte tout de même 126.000 followers sur Twitter et 241.000 sur Instagram, ce qui le place dans le top 25 des coureurs pros. Pas mal pour un champion issu d’un sport régional comme le cyclo-cross et qui ne roule encore sur route que depuis un peu plus de deux ans (il n’a pas encore remporté de grande classique).

Sur Instagram, parmi les Belges, seuls Philippe Gilbert (280.000), Greg Van Avermaet (259.000) et Remco Evenepoel font mieux que lui. Mais leur palmarès fait en sorte qu’ils sont plus connus à l’étranger. Ou ils sont tout simplement encore plus dans le coup, comme Evenepoel.

Pour le plaisir des yeux

Philippe Brunel, journaliste très apprécié de L’Équipe, décrit Van Aert comme  » un élégant routier.  » Son style plaît à l’oei l : le dos est à l’horizontale, le coup de pédale est souple, les cuisses, puissantes, moulinent avec une belle régularité.

Le casque et les lunettes de soleil en font aussi un coureur des temps modernes : il a une belle gueule, les pommettes saillantes, une mèche blonde naturelle qui lui donne un air de personnage de BD, le regard parfois mélancolique ou un large sourire qui fait pétiller ses yeux couleurs fauve.

Un charisme qui plaît aux jeunes comme aux vieux, aux femmes comme aux hommes. C’est pourquoi tout le monde aime Wout. Qu’il soit sur son vélo ou pas.

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