TOUT DROIT

Pierre Bilic

Le jeune avocat liégeois s’est battu afin de s’imposer dans un milieu qui ignorait les lois.

Les Liégeois sont à l’image du fleuve qui irrigue leurs c£urs et le centre de la Cité ardente : la Meuse file vers l’horizon et l’étranger pour y proposer les produits de leur travail, leurs innovations, leur savoir-faire industriel.

Jean-Louis Dupont (39 ans) a passé son enfance à Vivegnis avec vue sur ce cours d’eau qui est toujours le rein économique de la Principauté. Il a tâté du ballon, très maladroitement, selon ses propres dires, dans les équipes de jeunes de son village animées par un gamin plus doué que les autres : Didier Frenay.  » Il était évident que ce jeune-là ferait son chemin « , se souvient Jean-Louis Dupont.  » Didier fila à Seraing et a signé une belle carrière en Belgique et à l’étranger « . L’arrière-grand-père de l’avocat liégeois possédait une ferme qui appartient désormais à AxelLawarée.

 » C’est évidemment le fruit du hasard « , souligne Dupont.  » Je me suis rapidement tourné vers le football en salle. Je fréquentais beaucoup les mouvements de jeunesse qui m’ont énormément apporté. Je ne fais pas partie des hagiographes du football. Même si c’est important, il n’y a pas que le sport qui permette à l’individu de bien se fondre dans la société. D’autres activités incitent aussi à découvrir l’esprit d’équipe, le goût du travail, le sens des responsabilités, la discipline. J’ai pratiqué des tas de sports avec beaucoup de joie « .

Avocat, avec quelques diplômes américains à la clef, Jean-Louis Dupont travailla à la Commission européenne, assista le responsable des relations avec le Mexique et Cuba. Il eut notamment l’occasion de rencontrer Fidel Castro. Une phrase revient souvent dans son discours quand il doit parler de lui :  » L’avocat n’est pas la vedette « . C’est avec des pieds de plomb que Dupont raconte sa propre histoire. Il préfère évoquer ses clients et ses grands dossiers. Ce polyglotte s’exprime et plaide en français, en anglais, en espagnol et manie déjà le portugais. L’arrêt Bosman l’a marqué et a influencé ses choix de carrière.

 » Je ne voudrais plus revivre cela  »

 » Nous avons vécu cinq années éprouvantes « , rappelle-t-il.  » Avec Luc Misson et le troisième avocat de ce dossier, Marc-Albert Lucas, nous avions le sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel. Mais c’était aussi la lutte d’une personne, Jean-Marc Bosman, avec ses problèmes, contre des institutions n’ayant pas d’états d’âme. C’est long pour une personne. La somme de travail fut très importante. Je suis très heureux d’avoir participé à cela mais ce fut lourd à porter, très éprouvant. Je ne voudrais certainement plus revivre cela. C’était marche ou crève avec une lumière au bout du tunnel. Malgré notre foi et un dossier impeccable, nous nous demandions si nous allions l’atteindre. J’ai été admirablement soutenu par mes proches. Sans cela, tout aurait été encore plus rude, plus dur. En 1991, à mon retour d’un voyage à Cuba, je suis resté quelques jours à New York. Je voulais rencontrer des avocats, des représentants de la NBA et d’autres fédérations de sports professionnels. En 1953, il y avait eu aux Etats-Unis un cas comparable à celui de Jean-Marc Bosman. Internet n’existait pas encore et je suis revenu avec un maximum d’informations (quelques milliers de pages) juridiques et économiques intéressantes pour nous. Cela nous conforta dans nos certitudes de pouvoir gagner le combat « .

Après la proclamation de l’arrêt, Jean-Louis Dupont reçut une belle offre. Il pouvait rejoindre le cabinet du président de la Commission européenne. Un rêve, une promotion que peu de jeunes avocats auraient repoussée. Lui, il refusa gentiment cet honneur.  » J’avais décidé de me consacrer uniquement au droit du sport « , précise-t-il.  » L’arrêt Bosman m’avait permis de faire ce choix que je ne regrette pas. Je pouvais exercer mon métier comme je le voulais. Je n’ai jamais estimé que le monde est noir ou blanc. Je n’ai jamais mené un combat idéologique. Je voulais être un avocat normal dans un milieu qui avait exclu le droit, donc les avocats. Il y a eu des années difficiles : 1996, 1997, 1998. Ce ne fut pas simple car si l’on a des certitudes, il faut aussi être consulté. Le bouche à oreille joue, c’est sûr. A mon avis, l’étiquette de l’avocat de Bosman a probablement éloigné de possibles clients et n’était pas de nature à rassurer divers intervenants du secteur. Mais loin de moi l’idée de renier la victoire de Luxembourg, pas du tout. Je n’utilisais toutefois pas l’arrêt Bosman comme une pancarte. C’était un fait et il fallait regarder devant soi, aborder d’autres problèmes et dossiers. Les choses ont bougé à partir de 1999-2000. Le pari était gagné : le droit du sport, j’en avais fait ma profession. Sans Bosman, je n’aurais probablement jamais travaillé dans ce secteur « .

 » La Belgique n’est pas un marché en soi  »

Dupont travailla à Bruxelles avant de rejoindre à Liège le cabinet Elegis, le plus grand bureau d’avocats indépendants en Belgique. Sa carrière prendra de plus en plus une dimension internationale.  » La Belgique n’est pas un marché en soi « , lance-t-il.  » En Angleterre, en Italie, en Allemagne ou en France, un avocat peut vivre du droit du sport sans quitter son pays ; pas en Belgique. Mon activité ne pouvait s’inscrire que dans la sphère européenne. Ma seule prétention est de l’exercer au mieux et au plus haut niveau possible. Je suis obligé de dépasser le cadre des frontières de notre petit pays. C’est caractéristique pour les Belges. Nous sommes forcés de nous positionner sur les marchés internationaux. J’exporte mes prestations de conseils « .

Jean-Louis Dupont est devenu l’avocat du G14, les plus grands clubs européens. Il est leur conseil dans le désormais fameux dossier Majid Oulmers qui fait trembler la FIFA sur ses bases. On rappellera que Charleroi exige un dédommagement suite à la blessure de son joueur lors d’un match international. D’autres clubs, et non des moindres, suivent le mouvement. Quand Dupont a un os à ronger, il ne le lâche plus. Sepp Blatter devrait le savoir. L’avocat est le conseiller de nombreuses stars, dont les galactiques du Real Madrid. A une époque où on parle sans cesse des pronostics truqués, Dupont s’intéresse de très près aux paris sportifs via Internet. Les leaders de ce marché utilisent sans vergogne l’image des grands clubs et de leurs stars. En France, la Française des Jeux a trouvé un accord avec les clubs. Ailleurs, c’est le désert alors que ces sociétés amassent des fortunes considérables. Au rythme de 300 millions d’euros par an, Ladbrokes s’enrichit plus vite que la chaîne des hôtels Hilton qui la contrôle. Ce problème est d’autant plus important depuis que des mafias ont décidé de remplir, à leur façon, les grilles de résultats à travers le monde. Il y a 10 ans, un jeune avocat liégeois se distinguait dans le cadre de l’arrêt Bosman. Ce n’était que le début de son ascension.

PIERRE BILIC

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