Tous perdants

Le meilleur buteur 2006-2007 est toujours au Germinal Beerschot. C’est la soupe à la grimace un peu partout. Le Standard décoincera-t-il le dossier dans les prochains jours ?

« Tiens, on t’offre un contrat de quatre ans dans le club phare de l’histoire du foot belge. Tu prends 620.000 euros brut par saison, primes comprises. N’oublie pas qu’il y a deux ans, tu étais encore à Oud-Heverlee Louvain. Ça, au moins, c’est un deal que tu ne peux pas refuser « … Voilà, dans les grandes lignes, le discours qu’a tenu la direction anderlechtoise à François Sterchele (25 ans) quand il est allé humer l’air du stade Constant Vanden Stock. Entre le Germinal Beerschot, où le meilleur buteur du championnat a encore trois ans de contrat, et Anderlecht, tout était réglé : les Anversois recevraient 3 millions, en quatre tranches de 750.000 euros.

Mais stupeur ! Sterchele n’a pas pris le stylo qu’on lui tendait pour signer ce contrat. Il a demandé 48 heures de réflexion. Inconcevable, pour les patrons du Sporting. Sterchele pouvait aller se faire voir ailleurs : le train anderlechtois ne passe qu’une fois. Quelques jours plus tard, il reprenait les entraînements avec le Beerschot. Un gâchis ? Une hésitation dictée par une offre subite du Standard ? On dit aujourd’hui que Sterchele jouera à Sclessin dès le mois d’août, que l’affaire ne fait plus un pli. Qu’il aurait noué des premiers contacts (très positifs et très concrets) avec le Standard lors du Gala du Footballeur Pro, dès la fin du championnat. Que les Liégeois attendraient simplement que la direction du Beerschot s’impatiente et finisse par baisser le prix du transfert. Que Sterchele serait impressionné par la réussite financière à l’étranger de joueurs passés par le Standard, comme Emile Mpenza et Daniel Van Buyten. Dernier bruit : dans quelques jours, tout sera ficelé et le buteur videra définitivement son armoire à Anvers.

Et si ce scénario ne se réalise finalement pas ? De quel club belge Sterchele peut-il encore rêver s’il ne va ni à Anderlecht, ni au Standard ? Genk ne s’est jamais montré intéressé et Bruges affirme avoir fini ses emplettes. Des gens gravitant autour du joueur ont bien essayé de l’aiguiller vers de bons clubs étrangers comme l’Ajax et Hambourg, mais il n’y eut pas de réponse positive. Le week-end dernier, Heerenveen a demandé au GB l’autorisation de discuter avec Sterchele : ce n’est pas le style de club qui fait rêver un joueur en plein boom. Et s’il entamait quand même la saison au Germinal Beerschot ? Cette solution n’arrangerait personne. Faisons le tour des cocus…

Sterchele :  » J’assume le clash  »

Jan Koller (1999, de Lokeren à Anderlecht), Ole-Martin Aarst (2000, de La Gantoise au Standard), Toni Brogno (2000, de Westerlo à Sedan), Cédric Roussel (2003, de Mons à Genk), Luigi Pieroni (2004, de Mouscron à Auxerre), Tosin Dosunmu (2006, du Germinal Beerschot à Nancy) : une tradition du foot belge contemporain veut que le meilleur buteur du championnat, s’il a marqué ses goals avec un club petit ou moyen, gagne directement un transfert dans une équipe où il multiplie son salaire par deux, trois, quatre, cinq… Sterchele a planté 21 roses en 2006-2007 avec le Beerschot : il mérite donc mieux que ce club qui a terminé à la septième place. Qu’il le veuille ou non, on devra parler de raté dans sa progression s’il ne change pas de club avant la fin du mois d’août.

Sterchele :  » Je reste très calme, je ne suis pas du tout stressé. La période de transferts est encore très longue, rien ne dit que je serai toujours à Anvers quand le championnat commencera. De toute façon, je ne suis pas malheureux ici et j’ai repris les entraînements en étant concentré à 200 % sur ce club. J’assume complètement ma décision de ne pas avoir signé le contrat qu’Anderlecht me proposait. Un très bon contrat, je n’en disconviens pas. Mais je voulais réfléchir. Anderlecht avait bien pris son temps pour négocier avec le Beerschot, et moi, je devais me décider en deux heures. Je demandais un délai de deux jours : ce n’était quand même pas la mer à boire. C’était mon avenir qui se jouait. Les quatre prochaines années de ma carrière. Un tournant dans ma vie. Je ne pouvais pas trancher à la légère. Vous me dites que le train d’Anderlecht ne passe qu’une fois ? Moi, je ne monte dans un train que si je m’y sens en confiance, si j’y sens un vrai respect mutuel. Aujourd’hui, c’est terminé avec ce club. Je le savais déjà en quittant le stade, après avoir demandé mon délai de réflexion. Ils n’ont pas accepté mon raisonnement, j’avais compris qu’ils n’avaient plus besoin de moi. Herman Van Holsbeeck avait été très clair : j’étais le premier choix, Cyril Théréau était le deuxième. Maintenant, ils ont Théréau. Je ne m’inquiète pas et je ne suis pas d’accord quand on dit que le Standard a bousculé les choses. L’intérêt du Standard n’existe que dans les gazettes. Ce club a demandé l’autorisation au GB pour négocier avec moi, mais il y en a eu d’autres, et pour moi, cela ne veut pas dire grand-chose. C’est faux de dire que je suis déjà pratiquement Standardman « .

Vanden Stock :  » Théréau est aussi fort, si pas plus fort  »

Roger Vanden Stock a transféré Théréau mais on devine que si son club a noué des rapports avec Sterchele avant de contacter le Français, c’est qu’il préférait le meilleur buteur du championnat à Théréau. Le transfert ne s’étant pas concrétisé, on peut penser que le président d’Anderlecht est donc, lui aussi, un perdant dans l’histoire :  » Sterchele a allumé une polémique dans la presse en déclarant que le Sporting n’avait pas été correct vis-à-vis de lui. Je n’en remettrai pas une couche, je ne joue pas dans ce jeu-là. Nous avons maintenant Théréau sous contrat, c’est très bien. Nous n’avons pas essayé d’avoir ce joueur plus tôt parce que Bruges était sur lui et que nous ne voulions pas embêter le Club. Nous sommes des concurrents, nous ne nous faisons pas de cadeaux sur le terrain mais ce n’est pas pour cela que nous nous mettons inutilement des bâtons dans les roues. Dès que Bruges a abandonné cette piste, nous l’avons activée et je suis très satisfait d’être parvenu à un accord avec le joueur et Bucarest. Pour moi, Théréau est aussi fort que Sterchele, voire meilleur.

Je suis déçu par l’attitude de Sterchele. Quand il est venu chez nous, il savait ce qu’il pouvait gagner : trois fois plus qu’au Germinal Beerschot. Il ne pouvait plus faire semblant d’être étonné par nos conditions financières, il savait que nous nous intéressions à lui depuis un mois et ce que nous allions lui proposer. Je ne comprends toujours pas son hésitation. Anderlecht, c’était quand même une sacrée progression sportive et financière pour lui. Il ne l’a pas compris. En cherchant, je vois deux explications possibles. Soit il s’est laissé influencer négativement par rapport à notre club, soit il a eu peur de ne pas pouvoir percer, de ne pas pouvoir soutenir la concurrence de Nicolas Frutos et Meme Tchité. Il a pris un risque en ne signant pas notre contrat, ça a mal tourné pour lui, maintenant le match est terminé : Anderlecht ne cherche plus de centre-avant « .

Anthuenis :  » Mieux d’attendre pour toucher beaucoup plus  »

Au Germinal Beerschot aussi, on fera une sale tête si Sterchele finissait par rester. Le département sportif du club se féliciterait de cette issue mais on doute que les financiers se frottent les mains. Sterchele vaut 3 millions aujourd’hui, mais quelle serait sa valeur dans un an s’il se blessait et/ou passait à côté de sa saison ? Aimé Anthuenis, le boss sportif du GB, affirme que le joueur est toujours le bienvenu :  » Nous ne sommes pas demandeurs pour un transfert. Je trouve même que nous avons tout intérêt à le conserver. Sterchele va au feu, il marque facilement, il a une bonne technique, il est rapide. Il est déjà mûr pour un club du top mais sa marge de progression est encore énorme. Donc, nous pourrions en tirer encore beaucoup plus d’argent dans un an ou deux. Je suis persuadé que s’il reste chez nous, il marquera à nouveau beaucoup de buts la saison prochaine. Nous l’avions payé cher à Charleroi, il y a un an : près de 750.000 euros. Aujourd’hui, sa valeur a déjà explosé. Dans le passé, le Germinal Beerschot a dû laisser filer beaucoup de perles parce qu’il n’y avait pas d’autre choix financier : Moumouni Dagano, Wesley Sonck, Jelle Van Damme, Jan Moons, Moussa Dembélé, etc. Le club était au bord de la faillite et il fallait vendre tout ce qui pouvait faire rentrer de l’argent. Mais tous ces joueurs ont ensuite rapporté encore beaucoup plus aux clubs qui nous les avaient achetés. Aujourd’hui, la réalité financière du GB est complètement différente : le club a été assaini et n’est plus dans l’obligation de boucher des trous. Nous recherchons à recréer une équipe pour le Top 5 à Anvers et ce sera plus facile avec des joueurs du niveau de Sterchele. Nous avions un deal avec Anderlecht mais il fallait l’accord de trois parties et il en manquait une : pas de problème, François peut continuer avec nous « .

Selak :  » Le Standard a perturbé Sterchele et Anderlecht  »

L’agent FIFA Jurica Selak a déjà réussi quelques jolis coups : il est allé dénicher Eduardo au Brésil pour l’amener à Charleroi, il a transféré Vedran Runje du Standard à Marseille, etc. Si Sterchele ne quitte pas le Germinal Beerschot, il ratera l’occasion d’ajouter une belle ligne sur sa carte de visite.

Selak :  » Si François n’a pas accepté sur-le-champ la proposition d’Anderlecht, c’est parce qu’il n’a pas eu un bon feeling. Je lui ai dit : -Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Je lui conseillais de signer. Mais il ne le sentait pas et il a demandé un délai de réflexion. Il n’était pas certain d’être une priorité pour ce club et remarquait que tout le monde parlait énormément de Frutos et de Tchité. Il est possible, aussi, que les rumeurs faisant état d’un intérêt soudain du Standard aient perturbé tout le monde : Sterchele mais encore plus Anderlecht. Une semaine avant le fameux rendez-vous qui a débouché sur la séparation, il devait rencontrer Herman Van Holsbeeck et Frankie Vercauteren. Il a vu le coach, mais le manager était parti visionner en Amérique du Sud. S’ils avaient pu discuter comme prévu, Sterchele aurait directement reçu une première proposition, qu’il aurait pu analyser à tête reposée, et tout se serait peut-être mieux terminé. Il n’aurait pas subitement découvert un contrat qu’on lui demandait de signer immédiatement. Aujourd’hui, beaucoup de gens s’étonnent qu’un joueur belge qui reçoit une bonne proposition d’Anderlecht demande un délai de réflexion. Comme si c’était ahurissant. Mais c’est son droit. Je regrette surtout que cette affaire lui fasse une mauvaise réputation. On le qualifie maintenant d’excentrique, on dit qu’il fout le bordel dans le vestiaire. Adressez-vous au Beerschot, à Charleroi, à Oud-Heverlee, à La Calamine : on vous dira partout que c’est archi-faux.

Quand le Standard a demandé au GB l’autorisation de négocier avec Sterchele, le club a d’abord refusé. Trois ou quatre jours plus tard, Aimé Anthuenis a rappelé pour donner le feu vert. Heureusement ! On est quand même libre de négocier avec qui on veut, non ? Mais de là à dire que mon joueur ira au Standard… Il s’est retrouvé dans un resto de Liège avec Lucien D’Onofrio et on en a tiré des conclusions. Mais Liège, c’est tout petit, il n’y a que trois ou quatre restos là-bas (sic)… Il n’y a pas de contact concret mais c’est clair que le meilleur buteur du championnat intéresse inévitablement un club comme le Standard « .

Frenay :  » Je resterai dans le jeu  »

Autre perdant si Sterchele finit par rester au Germinal Beerschot : Didier Frenay. Il n’a aucun lien direct avec Sterchele mais est l’agent mandaté par le club anversois :  » Il y a un an, j’ai traité son passage de Charleroi au Germinal. Un peu par hasard. Je venais de faire passer Dosunmu du Germinal à Nancy, et quand les dirigeants du club m’ont dit qu’ils tenaient à le remplacer par un autre bon buteur, je leur ai conseillé de prendre Sterchele. Cette fois, j’ai traité avec Anderlecht, toujours au nom du GB. Quelle que soit la prochaine équipe sur ses rangs, je participerai aux négociations. Mais je ne représente en rien le joueur : je dois lui avoir parlé tout au plus trois fois dans ma vie « .

D. D’Onofrio :  » L’alternative idéale à Jovanovic  »

Si personne ne l’affirme de façon catégorique, ces témoignages montrent quand même que le Standard est plus qu’intéressé par Sterchele. Et donc, les Liégeois seraient d’autres cocus de la saga si le buteur restait à Anvers. Dominique D’Onofrio, le directeur sportif des Rouches, confirme à demi-mot qu’il est (très) intéressé :  » Un Liégeois qui démontre de très belles choses depuis deux ans, qui a terminé meilleur buteur et qui peut encore beaucoup progresser dans un club du top, cela ne peut pas nous laisser indifférents. Tous les bons joueurs intéressent les grandes équipes. François Sterchele serait le renfort idéal pour notre ligne d’attaque, mais il y a une condition : nous devrons d’abord vendre un attaquant. Nous en avons cinq actuellement avec Igor de Camargo, Ali Lukunku, Milan Jovanovic, Dieumerci Mbokani et Serhiy Kovalenko. C’est suffisant. Si nous avons demandé au GB l’autorisation de négocier avec Sterchele, c’était seulement dans l’optique du départ éventuel de Jovanovic. Il a envie de changer d’air mais nous n’avons reçu aucune offre concrète, donc je considère qu’il sera toujours chez nous en septembre. On a parlé d’un intérêt italien pour de Camargo mais nous n’avons rien vu venir. Mais la campagne des transferts ne fait que débuter et plein de choses peuvent encore se passer dans les prochaines semaines. Le dossier Sterchele ne concerne pas le Standard pour le moment mais tout peut aller très vite « .

Lichtenstein :  » J’ai quitté Sterchele dans son intérêt  »

Dernier perdant de cette histoire : Jacques Lichstenstein, très proche du Sporting mauve puisqu’il est le beau-fils de Philippe Collin, le secrétaire général du club. Après le clash Sterchele-Anderlecht, il a publié un communiqué de presse dans lequel il annonçait sa décision de ne plus être l’agent du joueur, qu’il partageait avec Selak. Il reprochait à Sterchele d’avoir été injoignable en pleines négociations pour son avenir. Son écurie perd un bon poulain, mais pouvait-il faire autrement alors que le joueur a vexé Anderlecht ?

Lichtenstein :  » C’est rarissime qu’un agent lâche un joueur, et c’est pour cela que ma décision a étonné beaucoup de monde. Mais j’ai estimé que c’était dans l’intérêt de Sterchele. J’entretiens d’excellentes relations avec Jurica Selak, je suis conscient de tout ce qu’il a fait pendant plusieurs années pour ce footballeur, et j’estime qu’il pourra mieux travailler seul qu’en duo avec moi. Quand on veut aider un joueur, c’est parfois mieux de se retirer du jeu. Je ne peux en tout cas que me féliciter de ma collaboration avec François et je lui souhaite tout le bonheur du monde « . l

par pierre danvoye – photos: reporters/beddegenoodts

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