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TOUS FADAS !

Les supporters du club français le plus populaire se sont remis à espérer avec le rachat de l’OM par l’Américain Franck Mc Court. Comme à chaque fois qu’un grand magnat investit de l’argent dans l’institution phocéenne.

La parenthèse Louis-Dreyfus s’est refermée en août dernier dans les derniers jours du mercato, après une mandature de vingt ans. Après des mois d’attente, l’Olympique de Marseille a été vendu à Franck Mc Court, un homme d’affaires de Boston, ancien propriétaire controversé des Los Angeles Dodgers, la franchise de base-ball. Margarita, la veuve de Robert, n’a conservé que 5 % des parts pour faire plaisir à son fils Kyril, dingue du club phocéen, avant de passer la main.

 » Ce club embrase toutes les passions et même les personnes les plus équilibrées deviennent un peu fadas après l’avoir dirigé. Margarita est restée au club pour perpétuer la mémoire de son mari (mort en 2009) mais elle n’avait pas la flamme. Il était temps de passer à autre chose « , jauge un élu de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

En octobre 2016, Jacques-Henri Eyraud, le président-délégué nommé par Mc Court, semble avoir retenu les leçons du passé. Il la joue  » profil bas « , promet – comme à chaque fois – de s’appuyer sur la formation et développe une communication au cordeau, ambitieuse mais humble.

Il se laisse même aller lors d’une rencontre avec des journalistes :  » En venant ici, un chauffeur de taxi m’a donné un conseil que je compte bien suivre pour diriger l’OM : ‘Dire, c’est faire rire ; faire, c’est faire taire ! ‘  » Las, quelques mois plus tard, en février 2017, peu avant la réception du Paris Saint-Germain, Mc Court et Eyraud déploient les grands moyens pour faire la promo de l’OM  » Champions Project « , leur plan pour que le club retrouve les sommets, en France et en Europe.

A l’automne, ils ont enrôlé Rudi Garcia en rupture de ban(c) avec la Roma comme T1 et Andoni Zubizarreta (ex-Barcelone et Athletic Bilbao) pour le poste de directeur sportif. En janvier, ils ont fait chauffer la carte Gold pour signer Dimitri Payet (30M?, rapatrié de West Ham un an et demi après l’avoir vendu aux Anglais pour la moitié), Patrice Evra (en fin de cycle à la Juve), GrégorySertic (Bordeaux) et MorganSanson (Montpellier).

En ce 26 février, pile entre les deux matchs du club de la capitale contre le Barça en Ligue des champions, le PSG ramène le club phocéen à la réalité du haut niveau en lui infligeant une défaite historique sur ses terres (1-5).  » Ici, il faut toujours envisager le pire « , promet Bernard Bosquier, un international français passé par Marseille dans les années 70.  » La folie qui entoure l’OM est à double tranchant. Les dirigeants doivent garder la tête froide mais ça n’a rien d’évident. On ne sait pas être mesuré…  »

À la Pagnol

A chaque fois qu’un entrepreneur d’envergure s’empare du club, généralement après une période de crise, c’est la même romance. Début 1965, alors que le club des bords de la Méditerranée végète en deuxième division, MarcelLeclerc, un homme de médias (Télé Magazine, But…) s’empare de la présidence avec la bénédiction de GastonDefferre, le maire de la ville (1953-86).

L’OM touche même le fond en avril de la même année avec la pire affluence de l’histoire au stade Vélodrome : 434 spectateurs dans un match contre Forbach. Une rencontre que la moitié de la ville jure avoir vue peu après. La saison suivante, Leclerc envoie l’OM au stade de l’Huveaune, la seconde enceinte de la ville, mais le club retrouve l’élite dès la saison suivante.

Son règne sera celui d’un président de la République française. Sept années, de bruit et de fureur. En 69, il tient parole et prend un bain dans le Vieux-Port quand l’OM regagne la Coupe de France, la spécialité locale (6 victoires), vingt-quatre ans après.

Quand il ne fanfaronne pas dans les médias, Marcel Leclerc s’assure les transferts des joueurs majeurs de Saint-Etienne (Carnus, Bosquier, Keita), qui domine l’Hexagone à l’époque. Marseille monte en puissance : deuxième du championnat en 1970, sacré la saison suivante puis le doublé en 1972.

En octobre 71, l’OM tombe même les armes à la main contre l’Ajax de Johan Cruyff (1-2, 1-4) à son meilleur. A l’été 72, Marcel Leclerc est contraint de démissionner par le bureau directeur pour avoir détourné l’argent du club. Trois ans plus tard, il est condamné par la justice à verser 3,3 millions de francs français à l’OM.

 » C’était un personnage à la Pagnol, à l’image de la ville « , assure Jacky Novi, qui évoluait à Marseille entre 1967 et 1973. Un gars qui parlait fort, haut en couleurs, malin, passionné de football et qui s’arrangeait parfois avec la réalité. Une fois, il a même dirigé un entraînement et trouvait ça tout à fait normal.  »

Malgré une nouvelle Coupe de France en 1976, l’OM va connaître une nouvelle grande dépression dans les ressacs de l’après-Leclerc. En 1980, malgré l’apport de quelques internationaux (Trésor, Berdoll…), le club descend en deuxième division. Un an plus tard, il est même placé en liquidation judiciaire. Le futur champion d’Europe reste finalement quatre ans au purgatoire.

Culture de la gagne

Après deux ans de survie dans l’élite, Gaston Defferre veut refaire le coup de 1965 et cherche un homme d’affaires pour reprendre l’institution phocéenne. Fin 85, sa femme, l’écrivaine Edmonde Charles-Roux rencontre BernardTapie à l’ambassade d’… URSS à Paris qui se montre intéressé. Six mois plus tard, l’OM sauve sa place en Ligue 1 de justesse et se hisse en finale de la Coupe de France, le début de la baraka Tapie.

Gaston Defferre ne voit pas l’équipe de sa ville retrouver les sommets, il meurt en mai 86.  » Dès le départ, Bernard Tapie nous a inculqués la culture de la gagne. C’était nouveau en France. Il voulait qu’on batte tout le monde en Europe. Ce n’est pas un hasard si après la victoire en Coupe du monde en 1998, Deschamps et Desailly lui ont rendu hommage là-dessus « , se souvient Eric Di Meco, au club entre 1981 et 1994, à l’exception de deux saisons en prêt.

Le futur patron d’Adidas restera huit ans, une saison de plus que Marcel Leclerc et un même sentiment de tourbillon absolu. En 1989, l’OM redevient champion de France dix-sept ans après le dernier sacre. En huit saisons, le Marseille de Tapie gagne cinq titres (dont un, celui de 1993, lui sera retiré suite à l’affaire OM-VA), une Coupe de France (plus trois finales), une Ligue des champions (plus une finale) ainsi que deux demi-finales continentales.

Au départ du natif du Bourget, Marseille est doublement rétrogradé et passe deux saisons en deuxième division. L’éternel recommencement.  » Il est écrit que, pour exister, l’OM doit connaître des très hauts et des très bas. Minot, je me souviens de l’époque Leclerc et j’ai connu celle de Tapie. C’est à croire que pour réussir à Marseille, le président du club doit épouser les contours de la ville et s’approprier la folie des supporters. Même un gars structuré comme Robert Louis-Dreyfus s’y est un peu laissé prendre « , soutient Eric Di Meco.

L’héritier de la dynastie familiale des Louis-Dreyfus arrive sur la Canebière au printemps 97. Il n’a pas la faconde de ses prédécesseurs mais un sens du business bien plus avisé. Cela ne l’empêchera pas d’y laisser près de 200 M?. Une goutte d’eau à l’échelle de ses affaires. Pour un bénéfice somme toute famélique : une Coupe Intertoto en 2005, deux finales de Coupe de France et deux autres en Coupe de l’UEFA (1999, 2004).

Pire : il est même condamné à trois ans de prison avec sursis (puis dix mois avec sursis en appel) et 375 000? d’amende pour  » abus de biens sociaux « , suite aux entrelacs financiers conçus par des dirigeants phocéens.

Bayern du Sud

Agents, intermédiaires, conseillers du prince veulent se nourrir sur la bête, la fortune de RLD.  » Robert n’a jamais compris comment il pouvait être condamné pour un club qui lui avait déjà coûté si cher. C’était absurde « , assure Rolland Courbis, coach du club de 97 à 99. A son arrivée, Louis-Dreyfus rêvait de faire de l’OM, un  » Bayern du Sud « . Au bout de cinq ans à Marseille, il confessait son erreur :

 » Avec le temps, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de l’objectif d’un type qui n’avait pas compris l’environnement marseillais. Je pensais qu’en débarquant dans le Sud, il me suffisait de me mettre à la bouillabaisse pour me faire accepter comme je me serais mis à la choucroute en Alsace. Même si j’ai beaucoup voyagé dans le monde entier, mon seul choc culturel a été Marseille. C’est pour cela sans doute que je m’y suis tant attaché.  »

RLD se fait tellement aux us et coutumes locales qu’il utilise dix-neuf entraîneurs entre 1997 et 2009, date de sa mort. Même s’il connaît les deux titres du Standard de Liège en 2008 et 2009, dans lequel il était devenu actionnaire en 1998 via Luciano D’Onofrio, le destin continue d’être cruel. Huit mois après son décès, l’OM de DidierDeschamps gagne son premier trophée depuis la Champions League de 1993, une Coupe de la Ligue, avant d’être sacré champion de France deux mois plus tard.

 » La vie est injuste « , poursuit Courbis  » et les supporters, qui l’ont souvent critiqué, ne se sont aperçus qu’après son décès de son apport, gigantesque.  » Entre 2010 et 2012, le club glanera cinq titres avant de connaître de nouveau des turbulences. Deschamps part en 2012 sous le feu des critiques, une sale habitude à Marseille où on brûle aisément les idoles d’hier.

Margarita Louis-Dreyfus entretient (mollement) la flamme en mémoire de Robert et pour complaire à Kyril, son fils, raide dingue du club. Certains présidents-délégués, agents et dirigeants sont entendus par la police et parfois inculpés. Près de 65M? auraient été détournés entre 2009 et 2012 lors d’opérations frauduleuses qui concernent 18 transferts. Business as usual.

En coulisses, Margarita cherche à se sortir de ce guêpier. Elle veut 100 millions, elle aura beaucoup moins. Peu importe puisque l’OM rend fou.  » A Marseille, tout est remis en question en permanence. La pression est déraisonnable. Je connais la liste des dirigeants qui se sont suicidés (Jean Carrieu, 1981-86), ont été en prison (Tapie, suite à l’affaire OM-VA), ont été ruinés ou ont fini lessivé. Fort heureusement, j’ai échappé à ça « , explique Christophe Bouchet, l’un des six-présidents délégués (2002-04) de l’ère RLD.

Projet Dortmund et Séville

En 2013, Vincent Labrune, l’homme de confiance de Robert puis de Margarita Louis-Dreyfus, sort de ses cartons le  » projet Dortmund  » pour faire rêver le peuple marseillais. Une chimère qui met en avant la formation et la revente avec plus-value des meilleurs joueurs phocéens, restée sans effet.

Depuis leur arrivée, Franck Mc Court et Jacques-Henri Eyraud affirment que leur référence se trouve en Espagne et s’appelle le FC Séville. Peu ou prou, la même histoire.  » L’OM a fait signer Rudi Garcia à cause de sa connaissance de la Ligue 1 et pour sa capacité à lancer des jeunes. Il a commencé avec Maxime Lopez (19 ans) qui se languissait avec la réserve et qui a fait son trou. D’autres vont suivre « , avance un agent.

Fort de l’argent de Mc Court, Marseille veut mettre en avant ses jeunes (il vient de promettre une énorme prime à la signature de son premier contrat pro à Boubacar Kamara (17 ans), le meilleur prospect de son centre) et rapatrier des internationaux français, en échec ou en fin de cycle à l’étranger. L’OM avait commencé à le faire dès l’été dernier avec Thauvin (Newcastle), Payet (West Ham), Gomis (Swansea), Vainqueur (Roma) ou Evra (Juventus).

Il promet de le refaire cet été – Rami (Séville), Koscielny et Giroud (Arsenal), Amavi (Aston Villa) – et de s’intéresser aux meilleurs jeunes de Ligue 1 (Rongier (Nantes) voir Diehdiou ou Pépé (Angers).  » Tout va dépendre des contours de l’équipe définis par Zubizarreta et Garcia et de l’enveloppe accordée par Mc Court, 100, 150 millions ? Pour l’instant, il est difficile de connaître ses véritables intentions « , explique un observateur du marché.

Les derniers bruits concernant le Bostonien promettent qu’il lâchera des dollars pour un avant-centre de renom. On parle de Morata (Real) ou d’un retour de Michy Batshuayi, pourtant peu probable pour remplacer Gomis en partance pour l’étranger. La fortune de Franck Mc Court est estimée à 1,3 milliard de dollars, dont une partie vient de la culbute réalisée au moment de la vente de la franchise des Los Angeles Dodgers (achetée 430M$, revendue cinq fois plus cher huit ans plus tard).

 » A ce niveau-là, c’est une sorte de performance, estime un membre éminent de la Ligue professionnelle française. Maintenant, s’il est venu pour gagner de l’argent dans le foot ici, ça va être un peu plus compliqué mais sait-on jamais ? On ne sait pas où il va mais laissons-lui la chance de s’affirmer.  »

Planète Mars…eille

Considéré comme le deuxième pire propriétaire de l’histoire du sport US derrière Donald Sterling, l’impayable patron des Clippers, obligé de démissionner après des propos racistes, Franck Mc Court va donc passer de La La Land (un des surnoms de L.A) à la planète Mars…eille. Deux villes à sa démesure. Il aurait pu tomber plus mal.

Le championnat de France vient de connaître sa plus belle saison depuis quinze ans et une des plus belles de son histoire. Des Russes (Monaco), des Sino-Américains (Nice), des Qataris (Paris), un Luxembourgeois (Lille) investissent dans le foot hexagonal. Lyon développe son propre modèle avec son stade. Strasbourg et Lens, deux bastions historiques, sont à deux doigts de remonter et un nouvel opérateur télévisuel (SFR Sport, qui vient d’acquérir les droits de la Champions League) promet de faire – de nouveau – exploser les droits cathodiques.

On a connu de pires augures.  » Quoi qu’il arrive, Franck Mc Court a rendu le sourire aux Marseillais, s’emballe Eric Di Meco. Mieux, il leur donne de l’espoir et ça, ça n’a pas de prix !  »

PAR RICO RIZZITELLI – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Même si j’ai beaucoup voyagé, mon seul choc culturel a été Marseille. C’est pour cela sans doute que je m’y suis tant attaché.  » Robert Louis-Dreyfus

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