TOUJOURS VIVANT

Il a failli se démolir définitivement mais l’inventeur de tant de dribbles magiques a survécu à ses frasques.

Les termes employés par Diego Armando Maradona durant l’été 1981 pour décrire l’avenir tel qu’il le rêvait sont, près de 25 ans plus tard, le résumé d’un espoir déçu. Le journal argentin El Gráfico associait l’étoile de 20 ans de Boca Juniors à Pelé, car tout le pays s’attendait à ce qu’il succède au Brésilien comme roi incontesté du football. Mais Maradona n’avait pas la moindre idée de ce que cela représentait comme ses propos, dans l’interview, le démontraient :  » J’adore le footballeur Pelé mais je ne veux pas devenir comme l’homme Pelé. Aujourd’hui encore, il n’a pas la moindre vie privée. Lorsque ma carrière sera achevée, je veux retrouver l’anonymat. Avec ma famille, mes parents et peut-être mes enfants. Je ne veux pas devenir le jouet d’une entreprise « .

Diego Maradona ne peut mener de vie anonyme. Il ne jouit d’une quelconque intimité que retranché derrière de hauts murs. Là, il peut se souvenir d’une carrière qui a été exploitée à fond, commercialement, par ses anciens managers Jorge Cyterszpiler et Guillermo Coppola. C’est le tribut, lourd, qu’il paie pour ses dribbles inégalés. Pourtant, Maradona, âgé de 45 ans, peut s’estimer heureux de vivre encore. Sa grave assuétude à la cocaïne, jointe à une obésité effrayante, a failli le tuer en 2000 comme en 2004. A la fin de l’année dernière, une sévère cure de désintoxication a enfin produit le résultat escompté, tandis que le rétrécissement de son estomac, en février 2005, lui a permis de maigrir.

L’amélioration de sa santé soulage sa patrie. De 1999 à 2004, nul n’avait oublié le plaisir footballistique qu’il avait offert à son pays mais durant ces années de crise, il devenait de plus en plus pénible de supporter la vue de cet homme gonflé et assujetti à la drogue. Délivré de sa dépendance, il retrouve des contours plus similaires à ceux du footballeur et ses performances sportives passées peuvent à nouveau être admirées sans arrière-pensées. Maradona a failli se détruire mais il demeure l’homme qui, dans les années 80, a conquis des millions de c£urs par ses dribbles.

Un but légendaire

Celui qui a la chance de demander à Maradona quel est le plus beau but de sa carrière n’entendra pas le moindre soupir de lassitude. Au contraire. Le médian évoque ce jour magique à Mexico, où le monde entier était à ses pieds. Le 22 juin 1986, l’Argentine affronte l’Angleterre dans le stade Aztèque de Mexico City, devant 114.000 spectateurs. L’enjeu, la qualification pour les demi-finales de la Coupe du Monde, mais en fait, aux yeux des Argentins, il s’agit surtout d’une revanche sportive à la guerre des Malouines, perdue au printemps 1982.

Maradona a raconté à son biographe :  » Nous voulions battre un pays plutôt qu’une équipe. C’était une sorte de revanche, comme si nous avions l’occasion de regagner une partie des Malouines. Nous jouions pour notre drapeau, pour les hommes tombés au combat « .

Le récit du but le plus célèbre jamais inscrit en Coupe du Monde commence à la 54e minute, quand Maradona reçoit le ballon, sur le flanc droit, alors qu’il se trouve dans son camp. Près de la ligne médiane, il se faufile un chemin entre Peter Reid et Peter Beardsley, puis fonce vers le but. D’une ondulation, il passe Terry Butcher, qui se lance à sa poursuite. Mais Maradona est intenable. Il dribble vers le but, place Gary Stevens à contre-pied et se retrouve face à Terry Fenwick, qui l’attend en bordure du rectangle. Maradona se joue aussi de Fenwick, il arme un tir magistral, trompe le gardien Peter Shilton et offre à l’Argentine une avance de 2-0.

Diego Maradona conquiert le titre mondial au Mexique, après avoir notamment battu la Belgique (2-0) et l’Allemagne de l’Ouest (3-2). Il est élu meilleur joueur du tournoi. La légende veut que ce soit la réalisation d’une prévision faite par un supporter resté anonyme de Cebollitas, l’équipe d’âge d’Argentinos Juniors pour laquelle Maradona avait joué de huit à 15 ans. Alors que le gamin avait éclaté en sanglots, au beau milieu du terrain, après un duel perdu, un supporter était venu le consoler :  » Calme-toi, gamin. Un jour, tu seras le meilleur numéro dix du monde « .

Un monde cruel

Cet enfant surdoué a été découvert par Francisco Cornejo, l’entraîneur des jeunes de Cebollitas. Dès 1968, il veille sur son pupille comme un père et l’encourage à donner le meilleur de lui-même. En fait, il ne doit pas faire trop d’efforts. Le gamin du puant ghetto de Villa Fiorito, une banlieue de Buenos Aires, semble rapidement comprendre que le football peut lui permettre de sortir de l’enfer de la misère. Maradona dispose déjà d’une merveilleuse technique en 1970. Ce sont peut-être les années les plus heureuses de son existence. Aucune pression ne pèse sur lui, il ne doit pas se soucier de tactique. La tactique, c’est lui.

L’idylle ne dure pas longtemps. A 15 ans, Maradona signe son premier contrat à Argentinos Juniors. Il est désormais financièrement responsable de sa famille, déménage dans un quartier ouvrier plus agréable et demande à son ami Jorge Cyterszpiler de le représenter. D’un coup, Maradona est extirpé de l’insouciance de la jeunesse mais il répond aux attentes. Il effectue son début en championnat le 20 octobre 1976. Un journal écrit :  » Maradona entend des applaudissements à l’âge où les autres écoutent des contes de fées « . Dans les semaines qui suivent son seizième anniversaire, le jeune Argentin est exposé à une véritable folie, qui débouche sur une sélection en équipe nationale, le 27 février 1977. Il entre au jeu pendant un match amical contre la Hongrie (5-1).

Le footballeur connaît aussi des revers. Un an plus tard, le sélectionneur Cesár Luis Menotti le dédaigne pour la Coupe du Monde qu’organise l’Argentine.

Maradona est touché par une première dépression début 1981, après son transfert à Boca Juniors. Il ne peut plus résister à la pression : impossible de sortir en rue sans protection. La star se sent de plus en plus seule. Il se retire dans une somptueuse villa, entouré de ses parents et d’un bataillon d’amis et de conseillers. C’est le clan qui fera sensation pendant le séjour de Maradona à Barcelone mais l’Argentin lui-même considère ces gens comme sa protection face au cruel monde extérieur. Au terme d’une longue saison pendant laquelle il aide son club à conquérir le titre, sa décision est prise : après le Mondial 1982, il quittera son pays. Il veut se produire pour le FC Barcelone et y retrouver le bonheur.

Le Messie

Son aventure espagnole s’apparente plutôt à la chronique d’un cauchemar. Il commence pendant le Mondial. En quarts de finale contre le Brésil, Maradona est exclu. L’Argentine est éliminée. Boca et Barcelone trouvent un terrain d’entente pour son transfert mais Maradona constate rapidement que ses rêves de succès espagnol ne sont que chimères. Il entre en conflit avec la culture locale en refusant de s’adapter et en formant avec son clan son propre univers, dans l’enceinte d’un luxueux château. Les activités commerciales de Maradona Productions, la société dirigée par Jorge Cyterszpiler, soulèvent l’aversion générale.

Malheureusement pour Maradona, cela ne va pas mieux sur le terrain. Durant sa première année, il accumule les blessures, souffre d’une hépatite et ne joue que 20 matches. Il espère rétablir sa réputation après avoir conquis la Coupe d’Espagne en 1983 mais une faute d’ Andoni Goikoetxea brise cet espoir le 14 septembre 1983. Le défenseur de l’Athletic de Bilbao fracture la cheville gauche de Maradona. Il remonte sur le terrain après trois mois seulement mais en fin de saison, il veut quitter Barcelone. L’Espagne ne lui vaut que des malheurs.

Il n’avouera qu’en 2000 avoir été en faillite en 1984. En cause, son luxueux train de vie mais aussi le fait que Cyterszpiler dépense plus avec Maradona Productions que le joueur ne peut gagner. Il ne peut donc pas faire le difficile dans le choix de son nouveau club et est bien content que le modeste Naples débourse dix millions d’euros pour lui. Juste après la signature de son contrat, il a la peur de sa vie. Maradona apprend que Naples a lutté pendant des années contre la rétrogradation et qu’il ne l’a évitée, quelques mois plus tôt, que d’un petit point. Où donc se retrouve-t-il ?

Le président Corrado Ferlaino rassure sa nouvelle vedette. Il veut mettre fin à l’hégémonie des riches clubs du nord et est prêt à réaliser de solides investissements. Il convainc l’Argentin, conquis par la chaleur avec laquelle les supporters napolitains l’accueillent. Il est le Messie. On le place sur un piédestal, on le vénère. La suprématie du nord a induit un solide complexe d’infériorité chez les Napolitains. L’arrivée de Maradona balaie celui-ci. 80.000 tifosi sont présents dans les tribunes du stade San Paolo pour sa présentation officielle. Maradona est résolu à ne pas commettre la même erreur qu’en Espagne. Il fait l’effort de s’intégrer au plus vite et apprend l’italien d’emblée, s’adapte de son mieux et est exemplaire à l’entraînement.

MaGiCa

Naples entame une prodigieuse progression en janvier 1985. Au second tour, le club rafle 24 points en 15 matches et rattrape ainsi son médiocre premier tour, durant lequel il n’a pris que neuf unités. Un an plus tard, bien renforcé, Naples termine troisième. En 1987, pour la première fois depuis sa fondation, 53 ans auparavant, il conquiert le titre. Les Napolitains déifient Maradona. Il devient un personnage sacré. Il a 26 ans et semble devenu un footballeur adulte, mûr. Il n’est plus l’artiste trop amoureux du ballon qui privilégie le beau geste ou pousse trop loin ses actions. Il travaille pour l’équipe, distille des passes précises. Il a conservé la forme qu’il avait au Mondial mexicain. Il s’est séparé de Cyterszpiler. Son nouveau manager est Guillermo Coppola et il semble comblé. Coppola parvient à conclure des dizaines de contrats publicitaires juteux en son nom.

Après 1987, Maradona participe de plus en plus fréquemment aux fêtes de la Camorra, la mafia napolitaine. Cela n’émeut personne à Naples, tant ce milieu est intégré à la vie sociale. Le clan du médian ne se fait pas remarquer non plus. Dans le sud de l’Italie, les grandes familles sont légion et nul ne s’offusque que Maradona se retranche du monde, avec sa famille et ses amis, compte tenu de son statut.

Dès la saison 1987-1988, le niveau de l’Argentin diminue, sans qu’on le remarque. Son jeu reste phénoménal, par moments, et ses grigris avec le ballon continuent à susciter l’admiration. De plus en plus souvent, il n’est pas affûté, sans doute parce qu’il a le droit de ne s’entraîner que quand il en a envie.

En mai 1988, Naples perd le titre au profit de l’AC Milan. L’équipe ne prend que deux points lors des cinq derniers matches. Une saison plus tard, Maradona jouit d’un crédit nettement moins grand dans les tribunes napolitaines. Dans ses moins bons matches, il est même hué. Le petit Argentin prend quand même sa revanche. Le 17 mai 1989, il remporte sa seule Coupe UEFA face au VfB Stuttgart. Pourtant, Maradona épuisera encore son crédit l’été suivant. Il n’apparaît pas au premier entraînement et déclare vouloir quitter l’Italie. Finalement, en prévision du Mondial qui approche, il revient sur sa décision et se motive une fois encore. Il va livrer une dernière belle saison, comme s’il voulait prouver que le meilleur footballeur du monde ne se laissait pas chasser ainsi. Naples est encore sacré champion avec sa célèbre attaque MaGiCa, dont font aussi partie Bruno Giordano et Antonio Careca.

Gênant

Maradona et l’Argentine atteignent la finale du Mondial alors que l’équipe a l’air fatiguée et médiocre. Il entame bien la saison suivante et semble délivré de toute blessure mais il doit malgré tout faire l’impasse sur une série de matches. On saura pourquoi en avril 1991. Maradona dépend de la cocaïne. Le 17 mars, après un match à domicile contre Bari, il subit un contrôle antidopage. Deux semaines plus tard, le résultat est positif : on a découvert des traces de cocaïne dans l’échantillon. La contre-expertise est également positive. L’Argentin subit une humiliation publique et est immédiatement suspendu, dans l’attente du jugement.

Il restera écarté des terrains pendant 15 mois, jusqu’au début de la saison 1992-1993. Maradona semble brisé. Son statut lui vaut malgré tout de l’aide. Séville, qu’entraîne son compatriote Carlos Bilardo, est prêt à l’embaucher une fois sa suspension purgée. Maradona va jouer pour Séville mais ce n’est pas une période heureuse. Il reste dépendant de la cocaïne. Son talent lui permet de poursuivre sa carrière plusieurs années : le 25 octobre 1997, il dispute son dernier match professionnel pour le compte de Boca Juniors.

MARTIJN HORN, ESM

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