Toujours verts !

Les deux vainqueurs de Wimbledon ne se ressemblent pas, mais…

Premier samedi de juillet 1981 : Chris Evert (USA), qui était encore madame Lloyd à l’époque, se défait sans trop de difficultés de la Tchèque Hana Mandlikova. Le lendemain, sur le même central de Wimbledon, John McEnroe (USA) prend la mesure de Björn Borg (SWE) pour remporter son premier titre à Church Road. A peine un mois plus tard, sur les hauteurs de Bâle, naît un certain Roger Federer. Et, le 26 septembre de la même année, mais du côté de Saginaw, dans le Michigan, Serena, la dernière des cinq s£urs Williams, voit le jour.

28 ans plus tard, le Suisse et l’Américaine ont remporté le tournoi de Wimbledon. Peut-on pour autant comparer ces deux champions hors normes ? Oui, dans une certaine mesure, si on ne parle que de palmarès. Non, si on évoque leur caractère, leur style de jeu et, même, leur vie.

Deux origines sociales différentes

Issu de l’amour de Lynette, sa maman sud-africaine et de Robert, son papa suisse, Roger est venu au monde dans une famille aisée, ses deux parents travaillant dans l’industrie pharmaceutique et s’étant d’ailleurs rencontrés lors d’un colloque professionnel.

Serena n’est pas réellement née dans le ghetto mais sa famille nombreuse était loin d’être fortunée. Et, sans la géniale folie de son père, elle ne serait sans doute pas devenue ce qu’elle est. Pas plus, d’ailleurs que sa s£ur aînée, Venus. Après avoir eu ses trois premières filles, Richard Williams convaincra son épouse Oracene Price de donner naissance à deux enfants supplémentaires qu’il destinera, ni plus ni moins, à la première place mondiale de tennis. Il les entraînera comme un forcené sur les terrains publics de Compton, en Californie. Et, dès le plus jeune âge de ses deux dernières (Venus a un an de plus que Serena), il ne cessera de crier haut et fort que ses deux filles sont les meilleures espoirs américaines et qu’elles seront, toutes les deux, numéros 1 mondiales. Autant rappeler tout de suite que ce Richard omniprésent sera la cible de tous les quolibets et que, dans un monde tennistique dominé par les blancs, son franc-parler et ses frasques répétitives le mettront en quelque sorte au ban de cette société qui faisait encore semblant d’être policée.

Les parents de Roger sont bien moins présents. Ils n’apparaissent que lorsque leur fils est en passe de signer un exploit, de marquer l’histoire. Récemment, alors qu’elle inaugurait avec son mari une fondation soutenue par son fils et dont l’objectif est de venir en aide à l’Afrique, Lynette déclara :  » Roger a grandi en Afrique du Sud dans la simplicité. Par le sport, il a gravi le sommet de la pyramide, mais il est resté fidèle à lui-même. Il se dit très chanceux de sa réussite. Il veut rendre à la société un peu de son bonheur en soutenant les jeunes Africains par l’éducation, l’instruction et le sport afin que chaque individu puisse connaître une vie meilleure… « 

Serena sera donc nettement plus expansive que Roger. Plus encore que son aînée, elle saura se faire respecter et aimera, aussi, attirer l’attention du public, des médias et des noirs Américains. Peu aimée à ses débuts – sans doute pour toutes ces raisons -, elle est pourtant une personne à la fois très drôle et très attachante. Très intelligente, aussi. Elle saura par exemple se retirer du monde du tennis dès qu’elle en aura marre, mais tout en vivant ses autres passions (mode, cinéma, etc).

Roger Federer a réussi ce que peu de personnes le croyaient capable : se relever de sa cruelle déception du Wimbledon 2008. Contrairement à Serena, il n’a jamais quitté le circuit volontairement mais, l’an dernier, après sa défaite cuisante en finale de Roland Garros (il n’avait pris que quatre jeux face à Rafael Nadal) et son premier revers en finale de Wimbledon face au même Espagnol, on pouvait légitimement croire qu’il ne parviendrait plus à égaler, puis à battre, le record de Pete Sampras (USA).

On se trompait sur le compte de Federer

Non seulement, en fin de saison dernière, Federer s’imposa à l’US Open et surtout, il y a un petit mois, il réussissait l’incroyable exploit d’enfin triompher à Roland Garros avant d’entrer définitivement dans les annales en devenant le recordman des victoires en Grand Chelem. Tel, pourtant, n’était pas son but… C’est du moins ce qu’il disait avant la finale étincelante face à l’Américain Andy Roddick (ATP 6).

Là aussi, on retrouve une nouvelle similitude entre Serena et Roger. L’Américaine n’a certes remporté  » qu’onze  » levées du Grand Chelem (elle est bien loin de l’Allemande Steffi Graf et de ses 22 titres), elle s’est cependant également imposée au moins une fois dans les quatre villes mythiques. Elle doit d’ailleurs regretter amèrement de ne pas avoir pu se rendre à l’Australian Open en 2002 puisque, cette année-là, elle remporta les trois autres Majeurs. Elle aurait donc très bien pu décrocher le véritable Grand Chelem.

Pourtant, comme son collègue, Serena se refuse de parler de bilan.  » Je suis encore jeune « , disait-elle après sa finale.  » Je sais que j’ai maintenant gagné onze tournois du Grand Chelem et je sais que je suis au même niveau que ma compatriote Billie Jean King. Mais je ne veux pas que l’on me parle de comparaison, que l’on me demande si je suis la meilleure joueuse de tous les temps. Ce que je sais, c’est que je suis fière que mon nom soit inscrit à côté de ceux de Martina Navratilova (USA), Steffi Graf (GER) ou Billie Jean King. C’est un grand honneur. En fait, ce qui m’intéresse réellement, c’est de poursuivre ma carrière et de prendre du plaisir.  »

Un Grand Chelem, identique à ceux de l’Australien Rod Laver en 1963 et 1969, Federer aurait pu lui aussi le réaliser en 2004, 2006, 2007 et cette année… Mais on ne va pas chicaner sur ce type de records. Plus que jamais, Federer est un monstre de régularité. Depuis Wimbledon 2005, il n’a manqué qu’une finale dans les Majeurs. Quant à Serena, bien que souvent absente du circuit en raison de ses activités extra-tennistiques, elle a disputé pas moins de 14 finales de Grand Chelem depuis l’US Open 1999… Une longévité qui fait regretter le départ prématuré à la retraite de deux numéros 1 mondiales belges qui posaient bien des soucis aux deux s£urs.

Même mental au style opposé

Comment expliquer cette constance toute helvétique et cette puissante domination américaine ? Force est de constater que, de ce point de vue là, il n’y a aucune comparaison possible entre Federer et Williams.

Le premier est ce qu’il est convenu d’appeler un chevalier du tennis. Son jeu est à la hauteur de son caractère, chevaleresque, lui aussi. Il sait tout faire, le Suisse. Mais il le fait à merveille. Comme Stefan Edberg (SUE), il peut jouer service-volée sans arrêt. Comme Sampras, il peut, s’il le désire, se contenter de servir une première balle et collecter les points gratuits. Comme Andre Agassi (USA), il lit les trajectoires à la perfection et, comme John McEnroe (USA), il a une vista impressionnante. Au niveau du comportement sur le terrain, il n’a pourtant strictement rien à voir avec le bouillant Big Mac. Il est davantage réservé, comme l’était… Sampras. A certains moments, on aimerait d’ailleurs qu’il sorte un peu de ses gonds, qu’il se fâche. Mais tel n’est pas son tempérament. Tel n’est plus son tempérament, devrait-on écrire.  » Quand j’étais ado, je lançais ma raquette plus souvent qu’à mon tour. Elle frôlait les hélicoptères. Mais, dès que j’ai eu l’occasion de jouer sur des courts centraux, je me suis dit qu’il était temps de me calmer et de moins parler sur un terrain… « , rappelle-t-il.

Ses nerfs, il les contrôle désormais pour conserver son énergie et l’utiliser pour que ses frappes soient limpides et irrésistibles. Son revers croisé grâce à un poignet flexible fait les délices de tous les observateurs, tout comme sa volée de revers le long de la ligne. Mais la grande force de Federer, comme celle de tous les grands champions, c’est de se montrer capable d’augmenter la pression quand la balle est capitale et qu’il faut reprendre le contrôle. C’est d’ailleurs ce qu’il a réussi à faire en finale lorsque Roddick bénéficia de… quatre balles de deux manches à rien et de deux balles de break à 8-8 dans cet incroyable et fabuleux dernier set qui se solda par un 16-14 historique.

A ce sujet, voici ce que disait Serena Williams après avoir sauvé une balle de match face à la Russe Elena Dementieva (WTA 4) en demi-finale.  » Quand je suis dos au mur, je me dis que je dois être une kamikaze, que je dois y aller à fond. Je n’ai plus rien à perdre et je me retrouve donc dans la peau d’une héroïne ou quelque chose comme cela. C’est à ce moment que je suis la plus forte puisque je sais que je n’ai pas d’autres choix.  »

C’est bien la seule ressemblance de jeu entre ces deux lauréats. Le Suisse est tout en aisance et fluidité, l’Américaine est tout en puissance et âpreté. Contrairement à sa s£ur, Serena ne développe pas un beau tennis mais elle pratique un jeu conquérant, sans craindre quoi que ce soit. Chaque frappe est censée mettre l’adversaire KO. Face à elle, il faut être capable, d’une part, de recevoir les coups sans broncher et, d’autre part, de faire durer l’échange. C’est plus aisé sur terra que sur gazon et ciment. D’autant que cette puissance, Serena l’utilise également sur son service qui part régulièrement à 200 à l’heure. Plus vite que celui de beaucoup de joueurs. Ce qui apparaît comme inné chez Federer se veut donc très travaillé chez Williams.

Que l’on ne s’y trompe cependant pas : en tennis, comme en sport en général, le véritable talent réside dans la faculté à se remettre en question, à travailler ses points forts plus que ses points faibles, à se rendre compte que seule la progression permet de se maintenir. Le talent, c’est aussi savoir puiser dans les défaites les plus cuisantes la force de poursuivre sa carrière. De se dire que le nouveau défi, le plus beau, peut-être, consiste à revenir au sommet après l’avoir quitté quelques mois, quelques années. Et là, Roger Federer et Serena Williams se rejoignent. Au sommet.

patrick haumont – photos: reporters

Le nouveau défi, le plus beau, peut-être, consiste à revenir au sommet après l’avoir quitté quelques mois.

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