Toujours vert…

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le grand cru classé des caves du Tivoli a 36 ans!

La transformation mentale des Loups continue. On a vu, contre Westerlo, quatorze gars qui se sont battus de la première à la dernière minute comme si leur vie en dépendait. Daniel Leclercq avait raison de faire remarquer que cette victoire n’était pas seulement celle d’Ante Simundza, auteur de trois buts de la tête.

« Simundza n’a pas crevé l’écran », expliquait l’entraîneur français. « Il n’a fait que parachever le superbe travail de ses coéquipiers. Je vois aujourd’hui des visages heureux à La Louvière: en ville, dans le stade et surtout dans le vestiaire. C’est une sensation très agréable pour un entraîneur ».

Benoît Thans fut un autre Louviérois en vue de ce match, face à son ancien club. Ce touche-à-tout, qui « gère » entre 5.000 et 6.000 gamins par an via l’organisation de stages et tournois divers (dont le Sljivo), a toujours une précision diabolique dans les pieds. Il reste un des rares joueurs de D1 capables d’alerter un coéquipier démarqué à 40 mètres. La prestation 18 carats de Simundza ne l’a pas étonné: « C’est un attaquant très complet, il sait se débrouiller à la fois dans le jeu court et quand il a des espaces devant lui. L’entraîneur a eu raison de lui maintenir sa confiance après sa prestation en demi-teinte à St-Trond ».

Benoît Thans a dû attendre l’âge canonique de 36 ans pour connaître le stress du maintien.

Benoît Thans: C’est effectivement la première fois en vingt saisons que je joue dans une équipe obligée de se battre pour sa survie. J’avais connu une situation semblable lors de ma première année dans le noyau de Liège, avec Takac. Nous ne nous étions sauvés que d’extrême justesse. Mais j’avais 16 ans, je n’avais joué qu’un ou deux matches cette saison-là et je ne me sentais donc pas encore concerné comme les titulaires. Après cela, Liège n’a plus jamais été vraiment menacé. A Lens, au Standard et à l’Antwerp aussi, il y avait des ambitions élevées. Ensuite, j’ai joué la tête en D2 et en D3 avec Bellinzona et Tilleur-Liège. Et à Westerlo, j’ai connu des moments fabuleux. J’avoue que je découvre aujourd’hui quelque chose d’inattendu. Et le stress du maintien est certainement plus désagréable que l’obligation d’une qualification européenne ou la pression du titre.

Avez-vous été surpris par la mentalité que vous avez découverte à La Louvière?

Un peu, oui. Je n’ai pas eu l’impression que je débarquais dans une équipe de bas de classement. Le groupe n’était pas prêt, mentalement, à se battre chaque semaine pour assurer son maintien. Il faut une motivation de 200% quand on n’a pas les armes pour vivre une saison tranquille. Ce n’était pas le cas à La Louvière, où les joueurs n’arrêtaient pas de se donner bonne conscience: -Ça va aller, -On ne peut que s’améliorer au deuxième tour, -On ne descendra pas avec une ambiance pareille, etc. En se persuadant qu’ils finiraient par s’en sortir, en affichant cette mentalité plutôt « italienne », les joueurs ne faisaient que reporter les échéances. Le danger guette quand on se dit que tout ira bien. Ce groupe a beaucoup trop subi, il ne voulait pas se donner la peine d’aller au bout des choses. Heureusement, il a fini par se transformer mentalement et c’est pour cela que je crois toujours en notre maintien. Les joueurs ne disent plus seulement: -On va se sauver. Aujourd’hui, ils clament: -On veut se sauver. La nuance est importante.

Comment s’exprime la nouvelle force mentale du groupe?

Je prends un exemple récent. Nous avons été volés à St-Trond. L’arbitre nous a refusé un but valable. Evidemment, ça fait chier (sic). Tout le monde a pris un coup sur la tête. Le dimanche soir, nous ne pouvions nous empêcher de penser que si ce but avait été validé et si Harelbeke n’avait pas eu un bol monstre contre le Lierse, nous aurions déjà rejoint St-Trond au classement et nous serions revenus à un point de Harelbeke. Au lieu de cela, cette équipe se retrouvait avec cinq points de plus que nous. Nous aurions pu gamberger et penser sans arrêt à cette malchance. Mais j’ai au contraire senti que tous les joueurs de notre noyau se reprenaient directement en mains.

Quel a été l’impact du changement d’entraîneur?

Tout le monde connaît l’amitié qui me lie à Marc Grosjean et ça m’énerve un peu qu’on me demande sans arrêt de faire des comparaisons. Marc s’est peut-être laissé envahir par la peur de mal faire et il a eu le tort de vouloir faire plaisir à tout le monde. Ce sont les seuls reproches qu’on peut lui adresser. Il ne faut surtout pas perdre de vue que le classement délicat de ce club incombe avant tout aux joueurs. Marc a été trahi par le manque de professionnalisme de son noyau et par le fait que trop de monde a découvert la D1 au même moment: lui-même, les dirigeants et une bonne partie des joueurs.

Daniel Leclercq a apporté ses méthodes de travail à la française, symbolisées par le plaisir du jeu et un football fait de risques. C’est un perfectionniste -Marc l’était aussi- qui peut être très dur avec nous mais refuse que les engueulades sortent du complexe d’entraînement. Il nous fait comprendre qu’il y a des moments pour travailler et d’autres pour rigoler, et il ne mélange jamais les deux. Il a apporté beaucoup de maturité et son sens du football offensif à La Louvière. Pour lui, le respect est une notion essentielle. Nous discutons régulièrement à deux et nous échangeons notamment nos souvenirs lensois. Il m’a fait remarquer que les footballeurs du championnat de Belgique étaient beaucoup moins gâtés que les Français au niveau des infrastructures et des salaires, mais que la mentalité était bien plus respectueuse chez nous. Cela lui plaît. Il aime que ses joueurs respectent tout le monde et soient disciplinés.

A Westerlo aussi, vous aviez débarqué dans une équipe qui découvrait la D1: pourquoi les Loups n’ont-ils pas su directement afficher la même mentalité que les Campinois il y a trois ans?

Ce n’est pas normal car il n’y avait pas plus de qualités à Westerlo en 1997 qu’à La Louvière aujourd’hui. Quand j’étais arrivé là-bas, tous les entraîneurs et capitaines de D1 étaient unanimes pour nous prédire un retour immédiat en deuxième division. Or, nous étions en tête du classement après une dizaine de matches. Avec une majorité de joueurs qui avaient tout à prouver mais qui montaient chaque semaine sur le terrain pour s’amuser et donner du plaisir au public. Des gars qui avaient tout compris: le foot, c’est un jeu avec certains enjeux. Ils avaient saisi, plus vite que les joueurs de La Louvière, que la D1 était un défi exaltant et que leur carrière subirait un terrible coup d’arrêt s’ils retombaient en deuxième division. Tous les jeunes avaient directement pris la roue des trois ou quatre joueurs d’expérience que comptait le noyau. Il faut aussi reconnaître que nous avions eu quelques éléments favorables avec nous: un bon départ qui nous avait lancés dans une spirale de victoires et la possibilité de travailler sereinement. Même après nos plus beaux résultats, il n’y avait pas 25 journalistes à l’entraînement du lundi. D’un point de vue médiatique, Westerlo était beaucoup plus calme que La Louvière.

Le pire, pour nous, serait d’oublier que la D1 est une fantastique vitrine. A part les gens qui suivent le foot de très près, qui peut citer quatre joueurs de chaque équipe de D2 et les cinq meilleurs buteurs de cette série? Par contre, la moitié de la Belgique sait sans doute que Frédéric Tilmant a égalisé pour nous à St-Trond. Il vaut mieux jouer cinq bons matches sur la saison en D1 et se sauver que réussir une vingtaine de bonnes prestations en D2 sans monter.

Les renforts arrivés en cours de saison font la différence…

Bien que je le dise moi-même, il aurait fallu que La Louvière réalise plus tôt les transferts de Domenico Olivieri -je ne comprends toujours pas comment Genk a pu le laisser partir- , celui d’Ante Simundza et le mien. Ce club manquait de joueurs de caractère. La présence de quelques joueurs de l’ancienne génération est indispensable dans n’importe quel noyau, car ceux de la génération actuelle n’ont pas la même mentalité.

Vous êtes arrivé à La Louvière en novembre et vous en êtes déjà le capitaine: parce que vous avez ça dans le sang?

Je crois pouvoir dire que je suis un gars sociable. Je m’entends bien avec beaucoup de monde dans le noyau et j’essaye, chaque fois que c’est possible, de faire le lien entre les joueurs et la direction. Mon rôle de capitaine s’exprime moins sur le terrain qu’en dehors. Personne ne m’a encore reproché d’avoir hérité du brassard: j’en déduis que ça ne dérange pas mes coéquipiers.

Je suis très sensible à mon image et je fais tout ce que je peux pour m’intégrer le plus vite possible. Je n’ai pas eu besoin d’une période d’adaptation à La Louvière: cela veut sans doute dire que j’avais des atomes crochus avec ce club. Partout où je suis passé, j’ai laissé des souvenirs positifs: ça me procure une vraie fierté. Je peux retourner dans tous mes anciens clubs, j’y suis toujours accueilli à bras ouverts. Même à Beveren: j’ai eu un conflit avec Emilio Ferrera et les dirigeants, mais les supporters m’appréciaient. Le plus touchant c’est à Westerlo où il y a toujours, dans le bar, un magnum de champagne avec ma photo sur l’étiquette… Lors du match de samedi dernier, des supporters de Westerlo avaient accroché au grillage une banderole qui m’était destinée:  » Benoît 4-ever in our hearts« . Ça m’a donné des frissons. Je n’ai aucune dette morale vis-à-vis des clubs par lesquels je suis passé: c’est très bien comme ça.

Votre image de footballeur n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui…

C’est vrai. Chez les jeunes, tout me réussissait. J’ai fait partie de plusieurs sélections nationales, et je me suis retrouvé en équipe Première de Liège à 16 ans. Tout le monde m’encensait, on me promettait une grande carrière. Puis, il est arrivé une période où on m’a reproché de ne pas suffisamment travailler sur un terrain. On affirmait que je misais trop sur ma technique. A raison. J’en ai tiré les leçons, j’ai appris à tackler, à assumer ma part de travail défensif. Aujourd’hui, à 36 ans, je suis beaucoup plus complet et régulier qu’il y a dix ans.

Le vétéran est toujours bien là…

Je n’ai vraiment pas l’impression que la fin de ma carrière approche. Je me sens toujours bien physiquement, et surtout, ma passion est encore totale. Si elle n’était plus là, je me contenterais de jouer une fois par semaine avec des copains.

Certains joueurs en vue du Standard m’ont fait perdre quatre ans de ma vie de sportif. Je les dérangeais, il fallait que Thans s’en aille. Je me suis retrouvé en D2 suisse, puis à Tilleur-Liège. Je dois beaucoup à Jos Heyligen, qui m’a relancé à Westerlo alors que je risquais de disparaître définitivement. J’étais convaincu que j’avais encore le niveau de la D1. Je crois que je le prouve bien aujourd’hui. J’ai donné plusieurs assists et marqué quatre buts cette saison alors que Beveren et La Louvière sont loin de jouer les premiers rôles. Je reste concret dans mon football et j’en suis fier. Je ne me suis pas fixé un âge pour arrêter. Les quatre années que j’ai perdues dans les divisions inférieures, je veux les rattraper. Je suis toujours là et plus personne ne parle des Standardmen qui ont essayé de m’enterrer. Comme quoi la logique est parfois respectée…

Serez-vous toujours à La Louvière la saison prochaine?

La direction aura les cartes en mains. J’ai signé un contrat de deux ans qui prévoit que je serai libre à la fin de cette saison si le club chute en D2. Mais j’ai moi-même proposé au président d’y inclure une option qu’il pourra lever s’il souhaite me garder. Si le club est en D2 l’année prochaine mais compte toujours sur moi, je resterai, avec un contrat revu à la baisse. Je n’ai jamais été un opportuniste ou un homme d’argent. Si j’avais voulu en mettre le maximum en poche, j’aurais fait d’autres choix. J’ai suggéré cette option par respect pour La Louvière, qui pensait au départ me transférer gratuitement alors que Beveren a finalement exigé un dédommagement. Quand j’ai proposé de venir ici, j’étais convaincu que je pouvais quitter Beveren pour rien, puisqu’on me l’avait promis. Ce club a finalement renié sa parole et je trouvais illogique que La Louvière en paye les conséquences. Il n’empêche que je n’ai jamais regretté une seule seconde d’avoir quitté la pétaudière de Beveren.

Si vous restez à La Louvière en D2, ce sera sans doute la fin de votre carrière au plus haut niveau?

Ce n’est pas certain. Qui dit que je m’arrêterai dans un an? Dans le pire des cas, je pourrais rester ici et nous essayerions de remonter directement. Mais il est clair que mon ambition est de toujours jouer en D1 la saison prochaine. De préférence avec La Louvière.

Pierre Danvoye

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