Toujours facile pour les autres

Quatre anciens entraîneurs fédéraux racontent leurs souvenirs de la Coupe du Monde et pensent à Robert Waseige.

La prochaine visite de la Norvège à Bruxelles, le 13 février, sera importante car les Diables Rouges entameront la liste de leurs matches de préparation sur la route de la prochaine phase finale de la Coupe du Monde.

On verra si les gars de Robert Waseige ont déjà appris à manger des baguettes…

Au temps des amateurs

Raymond Goethals: On ne peut rien comparer car les époques sont totalement différentes. En 1970, nous étions encore des amateurs incapables de se préparer adéquatement pour une phase finale de la Coupe du Monde. Nous avons pris l’avion pour le Mexique six semaines avant notre premier match. J’avais prévu un stage d’oxygénation à Font-Romeu, dans les Pyrénées, comme les athlètes qui prirent part aux Jeux Olympiques de 1968 à Mexico, mais la Commission technique a coulé mon idée. Le médecin de l’Union Belge recommanda de partir longtemps à l’avance, de nous reposer durant trois semaines et j’étais là, sur place, avec vingt athlètes en pleine force de l’âge. Ils ne pouvaient pas bronzer, ne jamais piquer un nez dans la piscine de l’hôtel. Tout cela alors que l’Uruguay logeait dans le même hôtel, un étage plus haut. De vrais bohémiens qui faisaient la fête, se disputaient et avaient de temps en temps quartier libre. Moi, je devais faire le tour des popotes, surveiller…

Paul Van Himst: C’était dur mais Raoul Lambert n’a plus jamais été aussi bronzé de sa vie. Plus tard, durant le tournoi, la presse a tenté d’opposer Raoul à Goethals qui devait faire des choix. Alors, quand on parle de clans, je dis que c’était exagéré. Je m’entendais bien avec les Brugeois même si on a dit et écrit le contraire. La nostalgie a joué un rôle, le mal du pays, oui, le reste, c’était du vent. Trois semaines à l’hôtel sans rien faire, pas de journaux belges, des films uniquement en anglais. J’ai joué au Monopoly, ça oui, et j’ai appris comment acheter des maisons à ce jeu-là. Je continue, d’ailleurs.

Raymond Goethals: Après dix jours de repos forcé, j’en ai eu marre. On a commencé à faire de petits exercices avec la balle. La Belgique a gagné face au Salvador, été battue par la Russie (la grande, l’URSS pas celle qui est divisée par vingt depuis quelques années) et roulée dans la farine face au Mexique avec un penalty fantaisiste sifflé contre Léon Jeck. Tiens, qu’est-ce qu’il devient le « Polonais » du Standard? Quelle montagne, celui-là. Mais face au Mexique, c’est Odilon Polleunis que j’ai dû retenir sans quoi il faisait un malheur sur le terrain. Il aurait bien boxé l’arbitre qui avantageait le Mexique.

Odilon, c’était notre Mike Tyson, hein, tu saisis? En 1970, l’équipe nationale a rapporté 15 millions nets à l’Union Belge. Une fortune. Quand je vois Michel D’Hooghe ou Jan Peeters, je leur dit encore en rigolant: -Les nouveaux bâtiments de l’Union Belge? Il y a quelques murs qui m’appartiennent. Les joueurs ont gagné 50.000 francs bruts, pas un centime de plus. Après le match face au Mexique, Roger Petit a offert une prime de 5.000 francs et ajoutait : -Parce que vous avez été volés. A Bruxelles, le Comité exécutif s’est disputé: qui avait osé offrir la prime? Quand Petit a répondu que c’était lui, tout se calma. C’était un chef. Il ne faut pas oublier qu’on a déduit les coups de fil de la paye des joueurs…

Vandereycken élimine Antognoni

Guy Thys: En 1980, rien n’avait changé. Encore des amateurs qui sont arrivés en finale de l’ Europeo italien. J’étais à la tête de l’équipe nationale depuis 1976. Raymond Goethals m’avait recommandé, je crois. L’ambition était limitée. Puis, ce fut une suite de très bons résultats en Italie. En demi-finale, un nul était suffisant contre la Squadra à Rome. Un interprète nous demanda de quitter le terrain pour l’échauffement. Refus belge. René Vandereycken sidéra le public en jonglant et en saluant le stade. Pendant le match, Benetti sécha plusieurs fois Wilfried Van Moer. Lors d’une remise en touche, j’ai demandé à René d’en faire autant avec leur meneur de jeu, Antognoni. 30 secondes plus tard, ce dernier était évacué sur un brancard et était remplacé par Giuseppe Baresi, le médian de l’Inter et frère de Franco le libero de l’AC Milan.

En 1982, en Espagne, c’était déjà plus pro et j’ai choisi l’hôtel, les terrains d’entraînements. Les joueurs pouvaient se baigner. Jean-Marie Pfaff a d’ailleurs failli se noyer. C’était plus pro mais avant le match contre l’Argentine, à Barcelone, Ludo Coeck oublia ses chaussures à l’hôtel. La police a été les rechercher: ce serait incroyable de nos jours. Plus tard, j’ai permis à Michel Renquin de régler son transfert d’Anderlecht au Servette Genève en recevant un dirigeant suisse dans un salon de l’hôtel des Diables Rouges.

Oui, il y a eu l’incident Pfaff-Gerets qui se sont téléscopés contre la Hongrie. Bilan: Eric dans le cirage et Jean-Marie qui demandait à être remplacé alors que j’avais déjà effectué tous mes changements. Pfaff a terminé et m’a dit qu’il ne pourrait plus jouer les autres matches. Je l’ai cru et je le crois encore, mais ça a provoqué pas mal de tensions internes et Théo Custers n’a pas tout à fait répondu à l’attente.

Au Mexique, en 86, René Vandereycken voulait jouer avec deux médians défensifs comme contre la Hollande en test match. René n’était plus de prime jeunesse. Avec Lei Clijsters à ses côtés, c’était plus facile pour lui. Je voulais être plus offensif lors du premier tour. Problème, j’en ai parlé longtemps à Eric Gerets et à Jan Ceulemans. Lors d’un match amical, René resta sur place, Franky Vercauteren ne quitta pas son flanc, sur une perte de balle d’Enzo Scifo: il fallait réagir.

René a eu mal au genou et est rentré blessé en Belgique. Il n’a pas été renvoyé : c’est la bonne version, à vous de l’interpréter comme bon vous semble… Tout peut parfois se jouer sur des détails.

Paul Van Himst: Ce fut le cas contre l’Arabie Saoudite, en Amérique. Un adversaire dribble un Diable, deux, trois, passe tout le monde en revue: 1-0, questions, doutes, voyage vers Chicago pour rencontrer l’Allemagne alors que nous aurions dû jouer face à l’Irlande. Georges Grün avait reçu un carton jaune contre la Hollande pour rouspétances et je l’ai épargné. Il m’a dit: « Parfait, cela me permettra de soigner mon genou ». J’en avais parlé à Guy Thys. Cela a mal tourné. Autre erreur: avant le tournoi, j’avais demandé à Alex Ponnet de nous expliquer les nouvelles directives contre le jeu dur. Après le discours de Ponnet, j’ai dit à Philippe Albert qui était derrière moi: -Reste à la maison, qu’est-ce que tu peux faire en Amérique? C’était exagéré, je ne le referais pas…

Guy Thys qualifié de fou, Weber naturalisé

Guy Thys: A mon époque, tout le monde jouait pour le groupe. En 2002, l’aspect financier est devenu important et le collectif ne prime plus; l’individu oui. Chacun pense d’abord à sa cote, à ce qu’il représente. Georges Leekens a été la première victime de ce changement de mentalité. Quand j’ai retenu Philippe Albert pour la première fois, en 1990, on m’a qualifié de fou. J’avais quatre gars pour deux places: Grün, Clijsters, Demol et Albert. Jan Ceulemans ne voulait pas venir, j’ai insisté et l’ai préféré à Luc Nilis. J’avais besoin de profondeur, Jan convenait mieux et Aad de Mos m’avait dit au téléphone: -Laisse Luc à la maison, tu ne pourras rien en faire lors de la Coupe du Monde. Nilis ne joua d’ailleurs pas la finale de la Coupe des Coupes contre la Sampdoria et j’avais Scifo, Degryse et Ceulemans pour un poste d’attaquant en décrochage.

Si Nilis n’a pas été retenu, il doit finalement s’en prendre à Aad de Mos, pas à moi. La presse exploita cela à la sauce régionale. Il m’est arrivé d’écarter Didier Beugnies ou Alex Czerniatynski. La presse de son coin était assez furax mais certaines personnes ont reconnu que s’ils avaient joué à Lokeren ou à Waregem, la presse locale n’aurait rien dit mais qu’il lui fallait songer à son lectorat. Tout est dit sur le changement de mentalité, ces soucis communautaires me hérissent.

Paul Van Himst: Je n’ai jamais demandé à Josip Weber d’opter pour la nationalité belge. Quand Alain Courtois m’en a parlé, c’était une bonne idée car j’avais besoin d’un attaquant de pointe et Josip était un cadeau du ciel. On peut penser tout ce qu’on veut de lui mais il savait marquer un but. J’ai dit à d’autres qu’ils étaient de meilleurs technciens mais moins aptes que lui à jouer à cette place.

Goethals préfère Weber à Wilmots

Raymond Goethals: Si j’avais dû choisir entre Josip Weber et Marc Wilmots avant un Mondial, je n’aurais pas hésité: c’était Joske, qui n’a pas eu de chance à Anderlecht. Ce gars marquait comme il respirait. Quand j’étais à l’OM, je l’ai suivi lors de Club-Cercle. L’OM devait jouer en Coupe contre Bruges. Weber marquait comme à la parade. Marseille pouvait l’avoir pour 40 ou 50 millions de francs belges. Une paille mais c’était pas un nom à l’OM qui a opté pour un Rudi Völler quand même plus fort.

Paul Van Himst: Josip aurait pu être notre héros aux Etats-Unis si l’arbitre n’avait pas oublié le penalty du gardien allemand sur lui à Chicago. La campagne a été bien organisée mais j’en ai gardé un goût amer car on aurait pu aller plus loin.

Georges Leekens: La Belgique est un petit pays. Nous avons de bons joueurs mais pas des étoiles du Real ou du Barça. La Belgique se qualifia via les barrages pour la France, en 1998. J’ai vécu la même chose que Robert Waseige lors de l’EURO 2000: une bonne préparation mais des attentes trop grandes. Trois nuls en France, éliminé et une tonne de critiques après Belgique-Hollande (0-0): nous avions adapté notre jeu à l’adversaire, un des favoris de la Coupe du Monde, comme tous les petits pays le font. Nous n’avons pas été assez chauvins face à la presse hollandaise qui critiqua notre style de jeu. Puis, à Bordeaux, on a mené 2-0 face au Mexique avant d’être remonté dans une fournaise jamais vue.

J’espérais qu’Enzo Scifo fasse la différence dans les petits matches malgré un problème médical -NDLA: la hanche? mais cela n’a pas eu lieu. Si nous avions tenu le coup à Bordeaux, je crois qu’on aurait vaincu la Corée à Paris. Le nul de Bordeaux a été le point d’arrêt.

Il y a eu l’incident de Paris avec Enzo, mais il a trop apporté à l’équipe pour réouvrir le débat. Cela dit, la suite et ce qu’on a raconté, écrit, même dans un livre, était scandaleux. C’est le passé mais quand on dit que la presse a changé, et exploite tout, c’est vrai. J’ai tenté de canaliser tout cela, c’était difficile. Un fait évident : on ne peut pas multiplier sans cesse les interviews lors d’une Coupe du Monde.

Raymond Goethals: Georges Leekens a été liquidé sur fond de débat communautaire.

Pas de problèmes sexuels

Raymond Goethals: En 1970, les Uruguayens étaient de grands voyageurs, passaient souvent six mois loin de chez eux, avaient des adresses, peut-être des familles. Quand j’ai demandé au coach national comment cela se passait pour les problèmes sexuels, ça ne posait pas de problèmes.

Georges Leekens: Un Belge a besoin de sa famille autour de lui. Il ne peut passer six mois seul.

Guy Thys: Il faut être souple. Pour tout. En 82, j’ai croisé Michel Renquin tout nu dans un corridor et je lui ai lancé: -Fais chaud, ce soir, mon garçon… En 1986, les femmes sont venues au Mexique. Les joueurs logeaient en famille trois fois par semaine. Ma femme s’occupait d’elles pour les excursions, les matches, les réceptions: on l’appelait l’entraîneuse. Le budget doit permettre de les inviter au Japon quand même… Il faut prendre les femmes, cela évitera pas mal de problèmes.

Georges Leekens: Six semaines ensemble, c’est pas rien. Filip De Wilde est le meilleur gardien de mon époque de coach fédéral mais un tournoi, c’est long pour lui. Il faudra éviter les caractères difficiles. Je choisirais vite mon groupe pour éviter le problème des déceptions par la suite. Marc Wilmots est important mais tous les joueurs veulent l’être. Robert Waseige a un avantage: il n’a pas de supervedettes. Les joueurs connaissent l’Asie, y ont été durant la Keirin Cup, il ne fera pas aussi chaud ou aussi lourd qu’en Amérique ou en France. Et le tirage au sort du premier tour est favorable.

Raymond Goethals: C’est pas les taxis verts mais il faut passer. Japon, Tunisie, la Russie en morceaux: y a pire quand même comme tirage au sort. On n’aura plus jamais un groupe aussi facile. S’ils ne se qualifient pas pour le deuxième tour, ils feraient mieux de rester là-bas, au Japon, et de ne pas rentrer à Bruxelles.

Pierre Bilic et Peter T’Kint.

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