Toujours au stade Wenger

Les Gunners ont investi leur nouvel Emirates Stadium qui fait enfin naître de nouvelles ambitions, après un sevrage de trophées.

Pour aller à Arsenal ?  » Vous suivez la file.  » Pas compliqué : les soirs de matches, une partie de Londres se pare de rouge et blanc et met le cap vers le nord. Sortie : Arsenal, la seule station de métro du monde à porter le nom d’un club sportif. Cela date des années 30. A l’époque, le club avait réussi à imposer sa popularité et la station Gillespie Road avait été rebaptisée. Pendant que la grande dépression frappait l’Europe, Arsenal florissait et construisait un stade aux halls en marbre et à la décoration art déco.

A peine sorti de la rame de métro, vous empruntez un long couloir sombre que certains journalistes n’ont pas hésité à comparer au long tunnel de vestiaires. Même ambiance, même adrénaline. Ici, sur la commune d’Islington, vous vous trouvez au centre de l’univers d’Arsenal, à Highbury. Petites maisons victoriennes, un peu usées par le temps, habitées par une working class. Celle-ci est davantage habituée à user son temps au travail qu’à s’occuper de ses petits jardins qui, les jours de matches, servent d’emplacement pour les échoppes de bonbons ou d’écharpes toutes tenues par des riverains. Par habitude, les plus anciens tournent à gauche pour rejoindre l’ancien stade d’Highbury. Les plus jeunes et les étrangers savent, eux, qu’il faut virer à droite pour rallier l’ Emirates Stadium. Et pour ceux qui ne le savent pas, il suffit de suivre la foule.

Arsenal a eu la mauvaise idée de quitter Highbury mais la bonne de rester dans le quartier, à dix minutes à pied, à Ashburton Grove. En 1910, Henry Norris, promoteur immobilier, n’avait pas eu autant d’états d’âme, n’hésitant pas à quitter les quartiers du sud-ouest pour poser Arsenal sur le terrain qu’il venait d’acquérir dans le nord. Et tant pis si les ouvriers de l’usine d’armement de Woolwich, véritables fans de la première heure d’Arsenal (c’est de là que vient le surnom les Gunners) ne pouvaient pas se farcir les 16 kilomètres entre Woolwich et Highbury ! Alors, aujourd’hui, on se dit que s’il suffit de marcher cinq minutes en plus. On prend à droite, un virage à gauche et apparaît la nouvelle cathédrale des Gunners. Un peu froide et austère. Les courants d’air s’engouffrent sur la large esplanade qui borde le stade. La façade en verre est recouverte d’une immense toile représentant les légendes d’Arsenal, toutes époques confondues, de dos, qui se tiennent par le bras. Ici, on cultive sa légende.

 » Il fallait habiller cette enceinte « , explique MikeSimon, fan de la première heure.  » Il fallait trouver ses marques dans ce stade gigantesque. Je pense que tout le monde regrette un peu l’ambiance d’Highbury. Là-bas, on se sentait en famille. Un peu moins ici. Quand la presse a annoncé qu’on allait quitter Highbury, on a pensé – What a shame ! Mais il fallait bien se rendre à l’évidence. Nous n’aurions pas pu rivaliser avec les meilleures équipes sans passer par un déménagement. Ce stade, c’est notre avenir doré, notre bouteille d’oxygène. Et puis, le club a eu la très bonne idée de rester dans le quartier. Ici, on se sent chez nous. On peut même se recueillir devant l’ancien stade avant d’aller dans le nouveau. Quand je vois que Chelsea peine à trouver un terrain ou que Tottenham et West Ham se battent pour investir le stade olympique, je me dis qu’on a de la chance.  »

Pourtant, pendant des années, on l’a maudit, ce stade. Ou plutôt l’argent qu’il a fallu pour le construire (390 millions de livres, soit 475 millions d’euros) et qui n’était donc plus destiné à l’équipe première.  » Arsenal a porté sa croix « , résume Simon Johnson, journaliste au London Evening Standard.  » Le financement du stade a freiné toutes les ambitions sportives. Pendant des années, les supporters se sont demandés pourquoi on le construisait. Ils auraient préféré continuer à aligner les titres. Ils ne percevaient pas la portée à long terme du projet. Or, rester à Highbury signifiait clairement la mort d’Arsenal. Cependant, la traversée du désert fut bien moins éprouvante que prévue. Certes, Arsenal n’a plus gagné un trophée depuis six ans mais le club a continué à lutter pour les premières places et a même atteint la finale de Ligue des Champions en 2006. Si Arsenal a pu continuer à lutter, à armes inégales, avec Chelsea, Liverpool et Manchester United, il ne le doit qu’à un homme : Arsène Wenger.  »

Wenger, la révolution lente

Le nom est lâché. Et il reviendra dans toutes les conversations. Le nom de celui qui a modifié le style et l’image du club. Au début des années 80, comme le raconte très bien Carton jaune, le livre du romancier Nick Hornby, Arsenal était réputé pour son jeu triste. Boring Arsenal (ennuyeux Arsenal) avait-on coutume de surnommer cette formation qui gagnait souvent ses matches sur le score de 1-0. George Graham avait certes ramené le goût du succès et des titres, fin des années 80 et début des années 90 grâce à Allan Smith et Ian Wright mais l’arrivée de Wenger en 1996 bouleversa toute la philosophie du club.

 » Wenger s’est montré très malin en arrivant « , explique Johnson.  » Sa révolution fut d’abord très discrète. Il a proposé un nouveau centre d’entraînement, il a introduit la diététique dans le club et il a réalisé quelques transferts judicieux comme ceux de Patrick Vieira, Thierry Henry, Robert Pires ou Denis Bergkamp. Mais il n’a pas bouleversé l’équipe. Il a d’abord fait confiance au vestiaire qu’il avait sous la main en sublimant le back four ( NDLR : Une défense, composée de Nigel Winterburn, Lee Dixon, Martin Keown et Tony Adams, qui compensait son manque de technique par une combativité et une intelligence tactique), en sortant de l’alcool et de la dépression certains joueurs comme Adams et Paul Merson. Quand on voit le niveau technique de l’équipe actuelle, composée uniquement de joueurs choisis par Wenger, on se demande comment la génération précédente a pu gagner autant de titres ! Pour moi, Wenger aura réussi deux prouesses : faire de cette équipe besogneuse une machine de guerre, et par après, mener une vraie politique de jeunes en lançant des joueurs qu’il avait façonnés.  »

Cependant, le culte voué à Wenger a connu quelques bémols ces dernières années. De nombreuses personnes se sont demandé si sa philosophie correspondait encore aux réalités d’un club de foot moderne. En gros, l’Alsacien n’était-il pas trop romantique, lui qui allait chercher aux quatre coins du monde des jeunes promesses et qui leur inculquait la méthode Arsenal ?

 » Je ne pense pas « , analyse Johnson,  » Mettre sur pied un scouting mondial et attirer les meilleures jeunes de la planète, c’est être en phase complète avec la réalité et la mondialisation du football. Là où il dénotait, c’est dans sa fidélité envers certains jeunes. Il les a toujours privilégiés par rapport à des joueurs plus confirmés. Je me souviens, il y a deux ans, qu’il avait avoué qu’il ne voulait pas acheter de médian récupérateur de peur de bloquer la progression d’ Alexandre Song.  »

Les supporters, pourtant sevrés de titres, ont toujours soutenu leur manager emblématique.  » Wenger n’avait pas le choix et aujourd’hui, on se rend compte qu’il avait raison « , martèle Mike Simon.  » Il n’avait pas d’argent pour acheter les meilleurs joueurs. Il a donc décidé de les former. Il a dû se montrer ingénieux et a combattu fermement son projet. Chaque année, on voit cette équipe mûrir et combler le fossé, petit à petit, qui la sépare du titre. « 

Un président bien peu médiatique

Aujourd’hui, si on qualifie le club d’ Arsènal, c’est en raison de l’importance et de l’omniprésence de Wenger. Ici, pas de présidents omnipotents, ni de directeur général trop médiatique.  » Si on produit un des footballs les plus séduisants du monde, on le doit à Wenger « , lâche Mike Simon.  » Si on s’est qualifié chaque saison pour la Ligue des Champions en attendant les recettes du nouveau stade, on le doit à Wenger. Le président n’est qu’un maillon d’une tradition. Mais aujourd’hui, l’architecte de la culture Arsenal, c’est Wenger !  »

Contrairement aux autres grands clubs anglais, Arsenal fait, lui, de la résistance, en refusant de céder face aux avances des propriétaires étrangers.  » C’est un peu comme un barrage en bois. Si le courant est trop fort, il finira par céder « , relate Johnson.

L’actionnariat est à ce point partagé que toute cessation d’actions fait débat et devient source de marchandage acharné. Les deux principaux actionnaires sont étrangers (l’Ouzbek Alisher Uzmanov détient 25 % de l’actionnariat et l’Américain Stan Kroenke 29,9 %) mais les historiques font barrage. Lady Bracewell-Smith (15 %) a toujours refusé de vendre ses parts qui se sont transmises de génération en génération, depuis que le grand-père de son mari ait présidé aux destinées du club entre 1949 et 1961. Le président Peter Hill-Wood les détient également de son grand-père. Des anciens joueurs comme Liam Brady et Ian Wright (soutenu par le fonds des supporters d’Arsenal) détiennent aussi des parts.  » Ce fonctionnement permet, jusqu’à présent, de faire passer le bien du club avant les rentrées financières attendues par les actionnaires. Ce qui se passe à Manchester United, où la famille Glazer ne se préoccupe pas des dettes tant que l’argent rentre, est impensable à Arsenal « , assure Johnson.

Mais cette politique a également ses désavantages. La multiplication des opinions et des attentes des actionnaires ralentit toute prise de décision. En attendant, depuis son entrée dans l’ Emirates, la santé financière du club est florissante. Selon Forbes, Arsenal occupe, en termes de valeur financière, le troisième rang des clubs du monde derrière Manchester United et le Real. En septembre dernier, le club a annoncé un bénéfice record de 65 millions d’euros.

Retour à l’ Emirates Stadium. Le soir même, Arsenal battra Everton (2-1). La foule s’en ira satisfaite du devoir accompli. Certains feront même un détour par Highbury, en signe de pèlerinage. Ils s’inclineront devant ce qui constituait leur phare. Sur Avenell Road, les tribunes et le terrain ont été remplacés par des immeubles de luxe, sertis derrière l’ancienne façade, conservée et classée patrimoine national. C’est le seul stade anglais considéré comme monument historique et son look art déco tranche avec les maisons délabrées situées sur le trottoir d’en face mais rappelle un passé glorieux et doré. A l’époque, le futur Edouard VIII était venu l’inaugurer et durant la dernière guerre, on se servait des toits des tribunes comme poste d’observation afin de prévenir l’arrivée d’un raid de la Luftwaffe. Ce passé est révolu. Et l’ Emirates Stadium est là pour rappeler que si le football a bien changé de monde, il n’en demeure pas moins chargé de promesses pour les supporters des rouge et blanc.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » La philosophie d’Arsène Wenger était la bonne. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il n’avait pasle choix. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire