TOTALEMENT acharnée

Lorsqu’on lui a demandé avant les Jeux si elle ne trouvait pas dommage que toute l’attention se focalise à nouveau sur Gella Vandecaveye, Ilse Heylen a secoué la tête et s’est mise à rire. Cela tombait bien, disait-elle, que l’on ne se focalise pas plutôt sur elle…

La judoka belge trouvait déjà chouette d’entrer en action le deuxième jour des J.O. :  » Alors je ne ressens pas la pression de devoir absolument remporter la médaille espérée. Mais je me bats pour une place sur le podium « . Et cela lui a bien réussi, grâce à un combat acharné jusqu’aux prolongations.

Sa médaille athénienne ne surprend pas les connaisseurs, même si Heylen est restée dans le subtop international jusqu’à l’an dernier. En un an, elle a vécu un développement phénoménal.

 » Comme un réserviste qui devient subitement titulaire « , explique l’ex-coach national Jean-Marie Dedecker.  » Elle a toujours été confrontée à quelqu’un qui était incontournable : d’abord en moins de 48 kg, Ann Simons, médaillée de bronze à Sydney. Entre autres à cause de problèmes de poids, Heylen changea de catégorie pour passer chez les moins de 52 kg. Et même dans cette catégorie, elle a du mal à maintenir un niveau de poids optimal. C’est un phénomène connu et naturel : en vieillissant, le corps élimine moins d’eau, ce qui complique le problème « .

Dedecker ne trouve pas que la différence de talent soit si grande entre les deux athlètes :  » Il y avait peu de différence. Nous les envoyions aux mêmes tournois et celle qui remportait le plus de combats pouvait aller à un championnat d’Europe ou du monde. Simons gagnait tout simplement plus souvent, a éclos plus vite, déjà chez les Juniors. Ilse est comme Gella Vandecaveye : je l’ai découverte chez les Juniors mais elle a tardé à affirmer son talent, alors qu’ Ulla Werbrouck et Ann Simons étaient déjà à leur top niveau à 15 ans. Ni Simons ni Heylen ne sont des talents purs, mais plutôt des caractères forts, très combatives, qui n’ont pas épargné leurs efforts depuis très jeunes. Elle ne fait pas partie des techniciennes du judo mais a très vite travaillé à fond son travail au sol, comme les athlètes moins douées. Il est possible de compenser ce manque de technique par de l’engagement et de la combativité. Elle vit pour le judo, c’est en elle « .

En changeant de catégorie, le même sort lui semblait promis que dans celle des moins 48 kg où elle ne semblait pas à même de dépasser Inge Clement. Sa chance sonna lorsque Clement mit un terme à sa carrière en 2002. Ensuite, Heylen continua à rivaliser avec Kristel Taelmans. Mais auparavant aussi, elle avait participé à des tournois internationaux, d’où elle revenait régulièrement avec une médaille. Dedecker estimait alors qu’elle faisait partie du subtop international :  » Elle comptait parmi les membres de l’équipe nationale mais il lui manquait un accompagnateur personnel comme Gella avec Eddy Vinckier, ou Ulla avec moi. Elle l’a à présent trouvé en la personne de Danny Belmans « .

Intelligente !

Dedecker décrit Heylen comme très introvertie, réservée :  » Une fille sympathique et intelligente, puisqu’elle a décroché un diplôme en éducation physique à la KUL. Ilse est à ranger du côté des travailleuses silencieuses, typiquement flamandes. Avec de la sueur et de la force. C’est la preuve qu’en travaillant dur, on peut aussi obtenir une médaille. Ces six derniers mois, elle a gagné en force pure. Les résultats, comme sa deuxième place aux Championnats d’Europe, ont suivi. Si elle avait davantage cru en elle, elle serait même devenue championne d’Europe. Mais elle est apparue satisfaite d’être en finale, bref le complexe belge en quelque sorte. J’espère que cette médaille de bronze va lui insuffler plus de confiance et qu’elle va poursuivre sur cette voie. Je suis certain que comme personne, elle ne changera pas. Elle ne quittera pas le canevas qu’on lui connaît actuellement « .

Sur base de son expérience du judo belge, Dedecker s’attendait au bronze pour Heylen, mais contrairement à tout le camp belge, il ne jubile pas : » Je ne suis ici que depuis un jour et je sens déjà une sorte d’autosatisfaction. Parce qu’ils vont utiliser cette troisième place comme prétexte pour ne rien changer au judo belge. La panique d’avant le départ est comme effacée par ces deux médailles décrochées en deux jours. On peut fêter de manière libérée, comme s’il n’y avait aucun problème structurel… Tout le monde, grand public compris, va penser que le sport belge se porte bien, alors que le judo ne s’est jamais aussi mal porté dans notre pays. Ces médailles ne sont pas glanées grâce au système en place mais malgré ce système « .

 » A part Ilse Heylen, on peut parler d’un drame du judo « , dit Dedecker qui met du sel sur la plaie.  » Quatre années de suite, nous n’avons pas ramené une seule médaille d’un championnat de jeunes. Mais qui voit cela ? Il n’y a pas de relève, il n’y a rien à l’horizon. On ne doit pas me reprocher de n’avoir rien fait à la situation. Lorsque j’ai arrêté, nous avions Catherine Jacques, Sissi Veys, Brigitte Olivier, Koen Sleeckx : ils avaient tous une médaille à un championnat européen ou mondial. Lorsqu’ils avaient 17 ou 18 ans, on aurait dû investir en eux, les emmener en stage. Sinon, ils ratent le train. Le fait de manquer de moyens ne peut être une excuse. Je n’ai jamais connu autre chose. De mon temps, il n’y avait pas d’argent non plus. Alors je me suis mis moi-même en quête d’un parraineur pour financer un stage. Maintenant, c’est le désert. Il faudrait demander à Jacques Rogge de postposer les prochains Jeux pour rattraper notre retard. Le succès d’Ilse Heylen ne peut pas être la raison de ne rien faire à la situation « .

Geert Foutré

 » Pas un talent pur mais quelqu’un de COMBATIF QUI TRAVAILLE  » (Jean-Marie Dedecker)

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