« Tôt ou tard, on affronte tous le malheur »

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

A 30 ans, le défenseur a accumulé les honneurs avec Genk (champion en 1999, vainqueur de la Coupe en 98 et 2000) et les deuils familiaux. Son père puis son épouse se sont suicidés.

Chris Van Geem: « Genk ne m’a pas bien traité. Il a agi si froidement, sans coeur… Je lui dois énormément, mais nos adieux se sont produits sans le moindre respect. Jamais je n’ai reçu ma chance la saison dernière, à moins qu’un autre ne soit blessé ou suspendu. Durant les trois derniers mois, j’ai été obligé de m’entraîner avec le noyau B alors que j’avais disputé mon dernier match à un bon niveau. On prétendait que l’entraîneur ne voulait pas de moi mais en fait, il s’agissait de tout autre chose. D’affaires d’ordre privé. Ma femme et moi étions en instance de divorce et à leurs yeux, je n’étais donc plus un modèle de professionnalisme.

Je ne comprends pas qu’on juge vos performances à l’aune de votre vie privée. Ils l’ont toujours nié mais j’ai été témoin d’une conversation, par hasard. C’était très clair. Comme ma femme et moi nous étions quittés, ils s’imaginaient que je sortais tous les soirs. Ces ragots ont pris vie alors que je continuais à vivre comme un pro. Je suis furieux que ces racontars aient été pris pour la vérité. Et aussi qu’on ne m’ait jamais donné la chance de me défendre.

Je n’ai pas eu le moindre entretien avec le nouvel entraîneur Sef Vergoossen. J’ai même l’impression qu’il m’éviterait si je revienais à Genk et que je me mêlais aux autres joueurs. C’est dommage car j’aurais aimé tâter du football que pratique Genk sous ses ordres. Au terme de cette saison, je serai encore lié contractuellement à Genk pour un an. On verra ce qui se passera. Pour l’instant, je me plais beaucoup au Fortuna Sittard. Je n’ai que vingt minutes de trajet, en voiture, mais je joue quand même à l’étranger. Je vois d’autres équipes, d’autres stades, le niveau est meilleur qu’en Belgique. Je rêvais d’un tel défi.

J’ai débarqué à Genk il y a quatre ans. Isabelle et moi revenions de notre voyage de noces en Crète. Tout a commencé à ce moment. Elle ne voulait pas quitter Gand où nous vivions. Moi, j’estimais qu’il le fallait. Je pouvais progresser, améliorer notre existence commune, assurer l’avenir de mon fils. Je le lui ai dit: -Serre les dents. Ou bien c’était ça et je jouais pour l’argent ou bien nous continuions à habiter Gand, je jouais à Waregem, en D2, et nous n’avions pas un sou à la fin de ma carrière. J’ai choisi la première option.

Mon grand rêve était en train de se réaliser. Durant mes deux premières saisons, nous n’avons cessé de gagner, un prix après l’autre. Malheureusement quand je rentrais à la maison… ce n’était plus marrant. Isabelle ne s’est jamais amusée dans le Limbourg. Je le savais. Mais je savais aussi ce que je faisais. Je n’ai jamais bâclé mon travail ».

Son fils naît, sa femme déprime et s’enfonce. Il la quitte.

« A peine étions-nous champions que Jonathan est né. Je voulais des enfants depuis longtemps. Isabelle, elle, estimait que c’était prématuré. Elle voulait sortir, s’amuser. Puis elle est tombée enceinte. J’étais ravi car je l’aimais et je désirais un enfant d’elle. C’est peut-être bizarre, mais nous pensions que nous vivrions côte à côte jusqu’à ce que la mort nous sépare. La naissance de Jonathan représentait beaucoup pour moi. Isabelle a fait une dépression. Elle s’est enfoncée. Elle a décliné alors que moi, je devenais plus fort.

Je l’ai quittée alors que Jonathan avait sept mois. Le voir aussi peu était épouvantable et inévitable. Quand nous nous sommes séparés, je lui ai tout laissé: la maison, les meubles, l’argent. Je ne voulais pas que mon fils manque de quoi que ce soit. Un an plus tard, elle était de nouveau à ma porte. Avec Jonathan. Je pouvais l’élever, m’a-t-elle dit. Elle voulait renouer avec moi. Ce que nous avions vécu m’avait rendu méfiant. Pourtant après deux semaines, nous avons repris notre vie commune. J’étais tellement heureux de la voir.

Puis, j’ai compris qu’elle n’avait plus un sou, qu’elle se droguait et souffrait d’anorexie. Il lui arrivait de disparaître pendant plusieurs jours. Je me levais en pleine nuit, je roulais parfois trois heures en la cherchant. Par-dessus le marché, Jonathan faisait des cauchemars et je ne dormais pratiquement plus. Parfois, elle passait la journée au lit. Elle ne mangeait presque plus, elle maigrissait à vue d’oeil. J’avais son corps, c’est tout. Durant les quatre mois que nous avons vécu ensemble, elle a tenté à deux reprises de se suicider et a été admise trois fois en psychiatrie.

J’avais déjà vécu ça. Quatre ans auparavant, mon père s’était suicidé. Après sa deuxième tentative, j’ai dit à Isabelle que je ne pouvais plus le supporter. Je ne voulais pas rentrer, un jour, et la voir pendue. Elle m’a répondu que Jonathan et moi étions tout dans sa vie, qu’elle voulait vivre avec nous. Pendant une semaine, tout s’est parfaitement passé. Tellement bien que j’ai cru que nous étions repartis du bon pied ».

Elle se suicide alors qu’il est au chevet de son fils, à l’hôpital.

« Jonathan a attrapé une inflammation glandulaire. J’ai passé deux nuits avc lui, pendant mes vacances, jusqu’à ce que les entraînements reprennent. Le dimanche, j’étais libre. J’ai relayé Isabelle. Je lui ai dit d’aller se reposer à la maison. Elle s’en est allée, tout heureuse.

C’est arrivé cette nuit-là. La police judiciaire ne m’a pas trouvé tout de suite, puisque j’étais au chevet de Jonathan. Imaginez-vous; j’étais leur principal suspect, ne serait-ce que parce que c’est ma voiture qu’ils avaient trouvée dans les bois. En feu. Sans ma femme, m’ont-il dit, mais ensuite, on a découvert des restes de lingerie. Lorsqu’ils m’ont annoncé la nouvelle, c’est comme si le sol s’était effondré sous mes pieds. C’était horrible.

J’ai eu beaucoup de chagrin, car je l’aimais, mais je pensais encore plus à Jonathan. Ce petit bonhomme adorait sa mère, même quand elle passait sa journée au lit, à la fin. Il lui donnait un bisou, matin et soir, quand il rentrait à la maison. Puis il jouait avec moi jusqu’à l’heure du coucher, avant de lui donner un dernier baiser.

La maison est remplie de photos d’elle, pour donner l’impression à Jonathan que sa maman est toujours là. Car elle est et reste sa mère. Elle lui manquera tout le reste de sa vie. Les premiers soirs, il allait chaque soir à son lit, avec une photo. Jonathan et maman vont dormir, disait-il. Vous ne pouvez imaginer ce qui vous passe par la tête dans de tels moments. Vous voyez votre fils déposer la photo de sa mère entre les coussins et répéter: -Jonathan et maman vont dormir… C’est indescriptible.

Jonathan m’a aidé à surmonter ça, personne d’autre. Un ami et une amie m’ont beaucoup soutenu, comme mes trois frères et quelques personnes de Genk mais Jonathan m’a vraiment aidé à surmonter ça. A lui tout seul, tant il était fort.

Ma pire faute a été de tout dissimuler en moi. Je n’en discutais avec personne. Cette leçon me servira pour le reste de ma vie. Elle m’a complètement changé. Au point même que je suis devenu difficile à vivre, je crois. Ça a l’air dur, mais dorénavant, je veille à me protéger. Comme ça, au moins, on ne me blessera plus ».

Il sent qu’il n’aimera plus jamais quelqu’un comme Isabelle.

« Ma femme était extrêmement intelligente. Elle avait effectué des études supérieures en obtenant toujours des distinctions. Sa famille était très aisée. Je me sentais inférieur, je l’admirais. Durant l’année de notre séparation, je me suis demandé quelles erreurs j’avais commises. Si c’était à refaire, peut-être notre relation serait-elle une réussite. En mon for intérieur, j’ai toujours su que que je n’aimerais jamais personne autant qu’Isabelle. Maintenant, j’ai pu faire mon deuil, mettre un point final à notre histoire. J’en aurais été incapable si elle avait rencontré quelqu’un d’autre et refait sa vie.

Parfois, je pense que si elle était toujours là, nous serions peut-être heureux, en ce moment, avec notre famille.

J’étais le cadet d’une famille de quatre frères. Nous habitions dans un quartier de la banlieue de Gand. Mon père travaillait dans une société métallurgique, ma mère, une Allemande, était femme au foyer. Un famille banale. Nous ne menions pas grand train, parfois les fins de mois étaient difficiles. Peut-être est-ce pour cela que je tenais tant à épargner afin d’assurer l’avenir de ma famille. J’ai interrompu ma scolarité en cinquième année et j’ai commencé à travailler comme couvreur à 18 ans. C’était trop dur pour être compatible avec le football au Racing Heirnis Gand, en Promotion. J’ai donc opté pour le football et travaillé à mi-temps dans un snack. C’est là que j’ai rencontré Isabelle. Au bout d’un an, j’ai été transféré à Waregem, qui était toujours en D1.

Ma mère était fière que son fils soit un si bon footballeur. Je ne trouvais pas ça si chouette, pas plus que le fait d’être son chouchou. Parce que je jouais, j’obtenais tout ce que mes frères aînés n’avaient pas eu. Ils devaient jouer avec des chaussures bon marché, j’en avais de plus chères. Ma mère était opposée à ma relation avec Isabelle. Du jour au lendemain, j’ai quitté la maison paternelle. Nous n’avions rien, nous avons d’abord logé chez des amis puis chez son frère. Enfin, nous avons déniché un petit appartement bon marché. C’est pour ça que quand j’ai vu ce que je devais faire pour gagner la même chose que ce que j’allais obtenir à Genk, j’ai foncé. »

Il a mieux compris le suicide de son père que de sa femme.

« Je revois ma mère depuis deux mois environ. Parce que je veux que Jonathan ait une grand-mère. Après le décès de mon père, je n’ai plus eu le moindre contact avec ma mère. Ça a duré quatre ans. Mais qui d’autre Jonathan peut-il avoir? Mes frères, oui, mais sinon? Plus la mère d’Isabelle et encore moins son père qui vit à Paris sans donner de nouvelles.

Mes frères et moi avons toujours eu un bon contact avec notre père. Il était un peu comme moi: tranquille mais quand c’en était trop, il explosait. Comme cette ultime fois. Je suis comme ça mais une chose pareille ne m’arrivera jamais. Si on y réfléchit, sa mort n’était pas imprévisible car il n’avait pas de vie. Mais un enfant n’imagine jamais que son père commette pareil acte. Son suicide m’a fait très mal, bien plus que celui de ma femme.

Oui, je lui en ai voulu d’avoir fait ça. Toujours maintenant, d’ailleurs. Je n’éprouvais pas ce sentiment à la mort de mon père. Je la comprends, évidemment, elle a traversé des moments difficiles. mais elle aurait aussi pu mener une belle vie. Ce n’était pas le cas de mon père, pas du tout. Si je revois ses vingt-cinq dernières années et que je me rappelle ses lettres d’adieu, je me dis: je le comprends. Mais ma femme… Tout le monde doit traverser une période difficile dans sa vie, tôt ou tard.

Je m’en veux aussi. Pendant quatre mois, j’ai tout fait pour elle mais j’ai échoué. Elle était trop bas pour que je puisse l’aider. Pourtant, j’avais le sentiment que j’aurais dû essayer une fois de plus. Ce n’est pas un sentiment de culpabilité, non, enfin… Les choses auraient-elle tourné différemment si je ne l’avais pas quittée? Je n’en sais rien. Peut-être aurais-je moi-même perdu les pédales. Beaucoup de gens ont estimé qu’en fait, j’abandonnais mon enfant, mais je sais que si ça avait duré un mois de plus, j’en aurais été la victime. J’ai voulu me protéger.

J’étais probablement plus fort que ma femme, même si parfois, des idées me trottaient dans la tête, du style: ça ne sert plus à rien. Inlassablement, je relevais la tête. Je ne sais pas pourquoi. Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne peux rien faire de travers. En plus, je devais veiller à verser la pension alimentaire tous les mois, pour que mon fils puisse vivre. Peut-être était-ce en soi un motif suffisant pour tenir le coup ».

Le chagrin l’a rendu plus fort, plus adulte, meilleur.

« Tout le monde pensait que je ne parviendrais pas à élever Jonathan tout seul mais jusqu’à présent, ça se passe très bien. J’en suis quand même fier. Le matin, je me lève à 6 heures 30, je l’apprête et je le conduis à la crèche. Le soir, après l’entraînement, je l’y reprends. Jouer, manger, prendre son bain, aller au lit. La plupart du temps, je me couche avant 9 heures car j’ai de longues journées.

Le football était ma vie mais je lui ai trop donné. Maintenant, c’est mon travail. A Sittard, les gens font montre de beaucoup de compréhension pour ma situation. Ça me réconforte. J’ai compris que le monde du football ne m’appartenait pas. Je suis un homme tout à fait banal et je veux qu’on me traite comme tel. J’ai profité du football mais jamais comme Branko Strupar ou comme Wesley Sonck maintenant.

Selon moi, tous ces événements tendaient à une seule chose: m’endurcir. Car l’avenir peut me réserver un coup dur et j’aurai besoin de cette force. Je ne crains pas l’avenir. Au contraire, j’ai retrouvé le goût de vivre. J’espère qu’Isabelle est enfin heureuse. Grâce à elle, j’ai acquis une personnalité et je lui en suis reconnaissant. Le chagrin m’a rendu plus fort, plus adulte. Je suis même devenu un peu meilleur.

Si je suis heureux? Je suis heureux que mon fils vive à mes côtés mais le football ne me procure plus ce sentiment. C’est ainsi. Je ne pense pas que je puisse jamais trouver le bonheur en Belgique. J’ai des économies, je peux prendre des risques au terme de ma carrière. M’expatrier, en Asie peut-être. Plus rien ne me retient en Belgique. Mon fils, oui, mais je peux l’emmener avec moi. Si je venais à le perdre, je n’y survivrais pas. J’ai lu ce qui était arrivé au fils de Johnny Bosman. Cinq ans, mort dans un accident de vélo. Si ça arrivait à Jonathan, ma vie s’arrêterait » .

Jan Hauspie

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