L’attaquant du Bayern peut devenir le meilleur buteur de l’EURO mais les Allemands ont encore du mal à croire en lui. Pourquoi ?

L’attaque est terrible, frontale :  » Mario Gomez est tellement statique qu’il risque des escarres si on ne le retourne pas de temps en temps !  » Des escarres, ces  » plaies de lit « , ces crevasses qui peuvent devenir énormes et qui frappent notamment les patients en fin de vie, incapables d’encore bouger…

La critique est d’autant plus cruelle qu’elle vient d’un ancien grand nom du Bayern et de l’équipe allemande : Mehmet Scholl, consultant télé sur l’EURO. Plus dur encore parce qu’il a prononcé ces mots après la victoire contre le Portugal : 1-0 et but de Gomez ! Il a fallu que Super Mario en claque deux autres face aux Pays-Bas pour que Scholl se calme :  » Je suis fier de lui, il a ce qu’il mérite.  » On reste dans les surnoms : Mario Gomez (26 ans) est aussi appelé TORero. Ça doit être expliqué : TOR, comme BUT en allemand, et TORero parce qu’il a aussi la nationalité espagnole, via son père. Une rue porte d’ailleurs son nom dans le village où celui-ci a grandi.

Les critiques sur l’attaquant de pointe du Bayern, ce n’est pas nouveau. Mais elles sont incompréhensibles quand on analyse son parcours : Stuttgart, Bayern et Mannschaft additionnés, Gomez, c’est 227 buts en 396 matches. Bitte ! Prends ça, toi qui me démolis ! Et encore ceci : deux titres en Bundesliga, une Coupe d’Allemagne, deux finales de Ligue des Champions, un trophée de meilleur buteur du championnat, un autre de Joueur allemand de l’Année, le statut de transfert allemand le plus cher de tous les temps (30 millions quand il est passé de Stuttgart au Bayern en 2009). A Munich, le transformateur attitré des caviars de Franck Ribéry et Arjen Robben, c’est lui. Ce n’est pas mal non plus avec l’équipe nationale : finaliste de l’EURO 2008 et troisième de la Coupe du Monde 2010.

Klose dans l’ombre, ça ne plaît pas

Le scepticisme des Allemands (médias, mais aussi supporters) a trois explications principales.

1. Ce manque de mobilité qui le rend transparent dès qu’il ne marque pas. Si Gomez ne met pas de but, on entend souvent qu’il a raté son match, qu’il n’a servi à rien parce que le travail défensif et lui, ça ne se marie pas.

2. Le fait d’avoir éjecté l’immensément populaire Miroslav Klose de l’équipe nationale alors que ce joueur ne doit plus marquer que cinq fois pour devenir le meilleur buteur de l’histoire de l’équipe allemande (63 goals, pour 68 à Gerd Müller). Depuis le début de l’EURO, le banc est la plaine de jeu du puncheur de la Lazio, deuxième meilleur réalisateur de l’histoire en Coupe du Monde. Malgré le bilan de Gomez dans les trois premiers matches, une partie de la presse allemande continue à signaler que Klose mérite plus que lui d’être dans l’équipe. Et Klose lui-même, qui a grandi en Pologne, semble mal vivre la situation. Dans toutes ses interviews, ces derniers mois, il répétait que ce tournoi était le plus important de sa vie, vu son passé sur ces terres. Joachim Löw est resté insensible à ses arguments.

3. Les lacunes de Gomez dans ses deux premiers tournois : en 2008 et 2010, il n’avait pas su marquer une seule fois alors qu’il avait régulièrement été sur la pelouse. Il avait même raté l’un ou l’autre but tout fait en 2008, notamment contre l’Autriche. Un loupé qui avait failli précipiter une élimination prématurée des Allemands. Il revient sur ce match maudit :  » La pression était trop forte. C’était mon premier EURO, tout n’était pas clair dans ma tête, je pensais que je devais être directement exceptionnel, que je devais déchirer l’adversaire dès les premières minutes. J’avais l’impression d’être au mauvais endroit, au mauvais moment, je courais dans tous les sens, sans réfléchir.  » Cette mauvaise prestation avait eu pour conséquence de l’éjecter du 11 de base et d’en faire un réserviste attitré durant la campagne éliminatoire puis la phase finale sud-africaine. On lui reprochait de ne pas savoir répondre présent dans les grands rendez-vous.

Drogba ou Rooney ?

Le paradoxe Gomez fait l’actualité de l’équipe allemande depuis l’ouverture du tournoi. Löw s’est fait plus d’une fois cuisiner et justifie son choix :  » Gomez s’est relevé chaque fois qu’il est passé par une période de doute, c’est la marque des grands. Même ceux qui ne l’apprécient pas n’ont pas le droit d’ignorer ce qu’il a réussi contre les Pays-Bas : deux occasions, deux buts, et en plus des beaux buts. C’est la classe. « 

Plusieurs internationaux sont invités à donner leur avis sur la question qui divise tout un peuple, c’est un fil rouge des rencontres entre les Allemands et les médias. Philippe Lahm :  » S’il continue à inscrire des goals aussi beaux, sa place ne sera plus en Bundesliga mais dans le championnat du Brésil.  » Bastian Schweinsteiger :  » Gomez n’a pas besoin de grand-chose pour mettre le ballon au fond. Il me fait penser à Didier Drogba. Après la saison qu’il a réussie au Bayern, je n’aurais pas compris qu’il ne soit pas titulaire en début d’EURO.  »

Quand on le voit à la télé ou dans les magazines, Gomez (que Christoph Daum avait autrefois comparé à Wayne Rooney, Luca Toni et aussi Drogba) donne toujours l’impression d’être heureux. Une banane d’un goût douteux sur la tête, un sourire de gosse qui le quitte rarement, une insouciance apparente. Mais entre les coups, il lui arrive d’être mal dans sa tête. Et même de l’avouer. Il l’a fait après sa démonstration face aux Hollandais. Il a reconnu que ses ratés à l’EURO 2008 l’avaient longtemps traumatisé et qu’il avait vécu son but contre le Portugal comme une vraie délivrance parce qu’il lisait la presse et savait qu’il ne faisait pas du tout l’unanimité. Aussi parce qu’il n’était pas sûr qu’il commencerait l’EURO comme titulaire, malgré ses six buts en qualifications.

Après ce goal, il se croyait enfin parti, débarrassé des préjugés négatifs. Mais il dû à nouveau déchanter :  » Je pensais que ça allait signifier la fin de ma relation compliquée avec une partie de l’Allemagne mais ça n’a pas suffi. Qu’est-ce qu’on attend de moi ? L’entraîneur m’a dit que je devais arrêter de me poser des questions. Mais ce n’est pas simple. Les deux premiers matches, je les ai commencés avec une charge de 100 kilos sur les épaules. C’est grave de ressentir ça après ce que j’ai déjà prouvé. Contre le Portugal, je n’étais pas moi-même, trop tendu. Je n’ai pas joué un match libéré. Malgré cela, j’ai sauvé la Mannschaft. Et on continue à dire que je ne mérite pas ma place dans cette équipe. C’est pénible ! Après mes buts contre la Hollande, quand Scholl revient sur ses propos du début de tournoi, il lance qu’il a dit ça pour me motiver. Ouais… Je n’ai pas trouvé ça comique. Je suis plus apprécié en Espagne qu’en Allemagne, c’est étonnant. Chaque fois que Mesut Özil et Sami Khedira reviennent de Madrid, ils me disent qu’on parle beaucoup de moi dans ce pays. Et ma famille qui vit en Andalousie me parle d’une Gomez-mania là-bas.  »

La suite du parcours allemand passera par l’obstacle grec, vendredi à Gdansk. Un rendez-vous délicat parce qu’on sait déjà que la Mannschaft et Gomez se heurteront à un mur, à l’équipe de cet EURO qui fait le mieux déjouer ses adversaires. La qualification pour les demi-finales passera par une… quatorzième victoire d’affilée dans le cadre de l’EURO : 30 points sur 30 dans les qualifications, le maximum dans le groupe de la mort.

PAR PIERRE DANVOYE, EN UKRAINE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

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