« TOMBER PLUS BAS ÉTAIT DIFFICILE »

L’ex-grand gardien liégeois explique comment il s’y prend pour relancer sa carrière de coach malgré les suites de l’affaire Ye.

Après une longue période de purgatoire, Gilbert Bodart vient de retrouver un employeur. Il officie à Wevelgem City, pensionnaire de Promotion né de la fusion entre Wevelgem et Gullegem. L’ancien gardien du Standard reste inculpé par la juge d’instruction bruxelloise Sylviana Verstreken dans l’affaire des matches truqués. Malgré cela, Bodart essaie de garder la tête froide et de se concentrer sur son nouveau défi.

Il nous a accueilli à Wevelgem, petite ville flamande voisine de Courtrai et de la frontière française. L’accueil y est chaleureux. En plus de Bodart, le président, Tony Coorevits, sa femme et un membre du comité sportif, Erweg Huysegems, sont présents. Logique : la presse nationale débarque dans leur buvette. Cela contraste avec la Flandre vindicative décrite par les journaux. A Wevelgem, bon nombre de personnes parlent français. La main est tendue, les boissons et les tartines au pain de campagne sont prêtes. Bodart est dans son élément et revit.

 » J’étais gravement malade « , affirme- t-il.  » Je n’ai pas atterri chez un gros calibre mais cela m’a permis d’entamer mon rétablissement. J’avais presque un cancer ou une leucémie. J’ai été dans l’ombre pendant de longs mois et j’ai dû tant bien que mal essayer de garder la tête hors de l’eau. Je me sentais extrêmement seul. Je suis passé par tous les états d’âme. Mon cerveau est enfin libéré. Je trouve le sommeil plus facilement. Dans mon lit, je peux maintenant penser à la rencontre à venir et à l’équipe à composer. Au niveau de ma carrière de joueur, il n’y a rien à dire mais je veux encore faire mieux en tant qu’entraîneur et tout s’est presque écroulé. J’ai sans doute fait la plus grosse bêtise de ma vie. Cela trouve sa cause dans mon caractère : je n’ai peur de rien. J’ai tenté de lutter pour m’en sortir, mais je suis tombé dedans sans nier une petite part de responsabilité « .

Sur le sujet des matches truqués, Bodart est assez évasif et peu précis. Il nous explique alors qu’il aurait pu éviter tous ces problèmes en signant ailleurs qu’à La Louvière :  » Mon nouveau président, Coorevits, était directeur général à Courtrai. Il m’avait donné sa parole que j’y deviendrais entraîneur. Mais suite à des dissensions internes, il n’a pu imposer son choix au club et a fini par démissionner. J’étais (pour une fois !) en vacances, au Cap d’Agde, lorsque j’ai appris la nouvelle. Je pensais être sur la même longueur d’ondes que Coorevits et que tout allait s’arranger. Finalement, j’étais le pigeon dans cette histoire, même si ce n’est pas réellement sa faute. J’étais à la rue et je n’ai pas pu refuser l’offre des Loups « .

Coorevits corrobore ces propos :  » J’avais une dette envers Gilbert sur le coup de Courtrai. Je ne pouvais pas le laisser tomber. J’ai alors pensé à lui quand j’ai déménagé à Wevelgem. Je lui ai donc confirmé que je ne l’oubliais pas « .

 » Je veux que le coach dépasse le joueur que j’étais  »

Bodart n’était pas encore prêt mentalement :  » Coorevits m’a appelé une première fois et j’ai hésité. Puis, il m’a rappelé quand la saison avait commencé et j’ai accepté. Ce ne fut pas une décision facile à prendre. Tomber plus bas que moi était difficile. On a parlé de moi dans la presse de mes 17 à mes 44 ans et, d’un coup, je suis redevenu anonyme « .

On a pu lire dans la presse que Bodart était à ce point mal qu’il aurait pensé au suicide !  » Ce sont des conneries (sic) ! On écrit parfois n’importe quoi. Il est certain que j’ai broyé du noir mais jamais au point de laisser tomber ma femme et mes deux enfants. Je leur avais caché la vérité sur ma situation mais ils m’ont aidé à m’en sortir. Tout comme Coorevits, qui est devenu un ami. Sa proposition tombait à point car j’étais presque prêt à accepter une offre venant de Tunisie. Je peux à nouveau être le patron dans le vestiaire. Il est vrai, toutefois, que j’avais certaines appréhensions avant de reprendre. Heureusement, j’ai reçu l’entière confiance des dirigeants et supporters. Lors de notre premier match face à Gand-Zeehaven remporté deux à zéro, je suis sorti du vestiaire en regardant mes pieds jusqu’au moment où j’ai entendu les applaudissements. Alors j’ai levé la tête. Je m’attendais à de nombreuses critiques étant donné les remarques acerbes que j’avais lues dans les journaux flamands. Avoir retrouvé un club est aussi une grande satisfaction pour ma famille. Mon fils a aussi dû subir quelques commentaires négatifs de la part de ses camarades. Ces derniers mois, j’ai arbitré quelques-unes de ses rencontres. C’était anecdotique mais ça m’a fait du bien. J’ai distillé quelques conseils à de jeunes joueurs. Je dois avouer qu’actuellement, je me reconstruis. J’ai éprouvé de nombreuses difficultés à accepter ce que l’on a dit sur moi. Du jour au lendemain, je suis devenu un criminel. J’ai fait la une de plusieurs journaux. Dans certains, j’étais représenté avec une bande noire sur mes yeux. Devant chez moi à Verlaine, il y avait une multitude de photographes et de journalistes de télévision. C’était Hollywood ! Il y avait des singes dans les arbres. C’est plus facile de faire du mal que du bien. A ce moment-là, j’ai découvert mes vrais amis. Il était très important de m’entourer. J’asphyxiais et ils étaient ma bouffée d’oxygène. C’était trop aisé de s’attaquer à quelqu’un de connu pour le détruire. Pourtant, à La Louvière, j’ai tout fait pour éviter les problèmes. Les résultats étaient là. Au final, j’aurais préféré être hospitalisé et ne pas entraîner les Loups. J’aimerais tant revenir en arrière « .

 » J’ai été le premier des imbéciles  »

Revenir en arrière, d’accord. Mais que s’est-il réellement passé ? Bodart se fait souvent passer, à tort ou à raison, pour celui qui s’est fait rouler dans la farine du début à la fin.  » Je ne souhaite plus parler de l’affaire. Une page de ma vie est tournée. J’ai été le premier des imbéciles. J’aurais dû suivre ma première intention et partir dès que j’ai senti les problèmes. Je me considérais comme un battant. Après deux semaines, j’ai observé certaines pratiques louches. J’ai lutté, je me suis battu… J’étais naïf surtout ! Je n’avais peur de rien et ne souhaitais absolument pas jeter l’éponge. Je savais plus ou moins ce qui se tramait et j’aurais dû tout révéler. Lorsque j’ai donné ma démission, il était beaucoup trop tard ! J’étais quand même soulagé. Je souhaitais principalement éviter à ma famille de rester sous le feu des projecteurs. J’en veux à énormément de personnes mais je ne citerai aucun nom. J’étais comme un soldat au front sans munitions. Je voulais sauver la RAAL. J’avais obtenu un 16 sur 24, ce qui n’était pas si mal mais pas encore suffisant. Il fallait continuer. Je désirais également protéger mes joueurs qui n’étaient au courant de rien. C’était une grosse erreur. Je suis tombé dans un piège. Honnêtement, qui m’aurait cru ? Je voulais être crédible. Je ne parvenais même plus à trouver le sommeil tellement j’étais stressé. C’était épouvantable. Maintenant, il faut que la vérité sorte du procès. J’ai fauté sans vraiment le vouloir. J’ai été pris dans un engrenage et à aucun moment, je pouvais en échapper « .

Le procès n’a pas encore eu lieu. L’instruction est en cours. On peut légitimement se demander comment Bodart appréhendera-t-il une éventuelle sanction ?  » Ma sanction, je l’ai déjà obtenue. Depuis février, je suis dans le trou. Je n’ai fait que souffrir. Et mon image en a pris un coup, c’est sûr. Mais d’autres s’en sont rétablis. Les gens oublient vite et ont compris ma situation. Eric Gerets et Michel Preud’homme avaient aussi été décriés dans l’affaire Standard-Waterschei. Ils ont été suspendus 18 mois et leur carrière reste quand même exceptionnelle. J’espère juste que je n’aurai pas une suspension. Mais il est certain qu’il y aura des suites à cette affaire « .

 » J’ai appris à faire preuve de relativisme  »

Bodart semble vraiment affecté par cette affaire. Stressé même. A aucun moment, il ne paraît jouer la comédie. Il déballe tout ce qu’il a sur le c£ur. Cela contraste avec l’homme toujours sûr de lui :  » Je suis beaucoup plus méfiant qu’avant. Je fais attention au moindre petit détail suspect. Dans une discussion, j’analyse tout ce que l’on me dit. On m’a véritablement planté un couteau dans le dos. J’ai toujours souhaité le bonheur de tout le monde. Et je ne pensais pas que des gens pouvaient faire du mal à ce point. Il est vrai que d’habitude, j’ai une grande gueule dans tout ce que je fais : c’est un peu une couverture. Je n’ai jamais été méchant pour le plaisir. J’aime donner de mon temps aux autres. Il est certain maintenant que je dois assumer une perte de crédit. Pour imager mon histoire, j’étais bien lancé en ligne droite. Puis j’ai fais un malencontreux tête-à-queue. Maintenant, j’ai repris la bonne direction : sur le terrain ! Je ne pensais pas que la vie pouvait changer à ce point du jour au lendemain. Tout est beau et d’un coup, tout s’écroule. J’ai appris à faire preuve de relativisme. Je n’ai pas vécu un drame non plus. Il n’y a pas eu mort d’homme ! Quand je lis ce que peuvent faire certains psychopathes à des jeunes filles, je me dis que ce qui m’est arrivé est beaucoup moins grave. Heureusement que j’ai pu continuer mes cours pour la Licence pro à l’U.B. Quand je leur ai appris que j’avais retrouvé un club, tout le monde m’a félicité « .

Bodart doit faire face à un nouveau défi. L’objectif est clair pour le président : la D3. Il repart donc à zéro. Après avoir entraîné Visé, Ostende, Alost et La Louvière, il se retrouve en Promotion. Mais ce n’est pas l’envie qui manque. Faire la route chaque jour de Verlaine à Wevelgem ne lui pose pas trop de problèmes. C’est une sorte de résurrection pour le Liégeois :  » Lors de la première rencontre, j’étais très nerveux. Je n’avais pas droit à l’erreur. Nous devions gagner. Je me suis fait au moins 25 fois le film du match dans ma tête. Que ce soit la D1 ou la Promotion, c’est le même stress. Le président était encore plus nerveux que moi. Il n’a pas pris une décision facile en optant pour moi. Le comité sportif était pourtant unanime. Je lui ai répété au moins 50 fois que l’on gagnerait deux ou trois zéro. Ce n’était pas chinois de trouver le résultat (Il rit… enfin !)  »

 » Je reste un homme de terrain  »

 » J’ai presque tout connu dans ma carrière et pourtant, je me sens bien à Wevelgem. L’ambiance y est excellente. Au début, je me suis quand même demandé si opter pour ce club était la bonne solution. Verlaine- Wevelgem, c’est près de 200 kilomètres. Mais je ne regrette absolument rien. L’ambiance est fantastique. Ça fait parfois du bien de retrouver un club familial. Les infrastructures sont exceptionnelles pour un cercle amateur. Après l’entraînement, je dois me forcer pour rentrer chez moi tellement je m’amuse. Ça parle foot dans tous les coins. Les supporters sont très enthousiastes. Il y avait près de 100 personnes lors de mon premier entraînement. Mon président est également très présent. De temps en temps, il passe dans les vestiaires pour nous encourager. Mais au niveau sportif, j’ai carte blanche. Par contre, j’ai un tout petit noyau. Il ne comprend que 15 joueurs dont seulement deux gardiens. Je devrai peut-être remettre mes crampons (il rit à nouveau). Je débarque à nouveau dans un club flamand. Cela ne me pose aucun problème. Au niveau de la compréhension, ça marche. Je parle même français de temps en temps à l’entraînement. J’espère rester à Wevelgem une ou deux saisons. Le club a énormément d’ambitions. Cela se comprend au vu des infrastructures. Il y a sept terrains d’entraînement et une magnifique pelouse pour les rencontres. On va donc essayer de se hisser en D3. Mais on a encore beaucoup de travail car la Promotion est une série très serrée. Il faut aussi jongler entre l’amateurisme et le professionnalisme. Je reste simple malgré que je sois ambitieux. Mon job est le même qu’en D1 avec d’abord le plaisir comme objectif.. On reçoit également des subsides de la commune et on a 400 jeunes « .

Coorevits abonde dans le même sens, sauf qu’il ne se fait pas trop d’illusions :  » Gilbert est très ambitieux. Il nous aidera énormément mais je reste persuadé que dans un an, il entraînera à nouveau un club de l’élite. Si on reçoit une proposition pour Gilbert, je le conduis moi-même à l’entraînement, où que ce soit en Belgique. C’est un véritable ami et cela le restera même si un jour nos chemins doivent se séparer. J’ai vraiment tout fait pour qu’il aboutisse chez nous. Je lui devais ça : je n’ai pas supporté de ne pouvoir tenir ma promesse. Je travaille dans la laine et je ne signe presque jamais de contrats. Une parole donnée est un engagement pour moi ! Je suis vraiment content que mon public ait accepté la venue de Bodart. Ce sont des supporters exigeants et j’ai été soulagé lorsque j’ai entendu les applaudissements. Tout le monde le respecte au club. N’importe qui placé dans sa situation aurait commis les mêmes erreurs. Quand j’ai proposé sa candidature au comité sportif, tout le monde était un peu étonné, mais positivement ! Je dois encore donner un petit coup de pouce à Gilbert : lui trouver quatre ou cinq joueurs. On reste un petit club et cela nous coûte de l’argent pour monter. On a déjà goûté à la D3 et c’est agréable. Cette saison, notre plus grand transfert, c’est lui ! Le niveau de notre équipe va augmenter de 30 %, surtout tactiquement. Les sponsors affluent depuis sa venue. D’autres, qui nous avaient quittés, reviennent. Nos joueurs sont à nouveau motivés « .

A Bodart de conclure :  » Ma nouvelle mission est un combat de tous les instants. J’ai fait un sacrifice financier ? Quoi de plus normal ! J’ai retrouvé du travail et l’odeur du gazon. Lors de mon premier entraînement, je sentais déjà le stress monter. J’ai envie de créer quelque chose à Wevelgem. On ne pourra jamais m’enlever le fait que je suis avant tout un homme de terrain « .

TIM BAETE

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