Tombé du nuage rose

La mort horrible de son père a éclipsé ses misères sportives.

Récemment, Bob Peeters a déclaré au magazine néerlandais Voetbal International qu’il se sentait plus heureux que jamais sur un terrain. C’était durant la préparation. Mike Snoei, le nouvel entraîneur de Vitesse, lui rendait sa confiance. Depuis lors, Peeters a de nouveau perdu sa place de titulaire dans l’équipe d’Arnhem.

« Si l’année dernière m’a appris quelque chose, c’est bien que tout, dans la vie, n’a qu’un temps. D’un instant à l’autre, un événement peut tout bouleverser. Bien que je ne sois pas encore au sommet de mes moyens, je sens que je suis sur le bon chemin. Il ne me manque plus que ma vraie confiance en moi, celle que j’avais quand je jouais à Roda. C’est dans la tête, peut-être à cause de tout ce qui s’est passé la saison dernière ».

Comment avez-vous vécu les moments où vous ne jouiez plus, à Vitesse ?

Bob Peeters : C’est indescriptible. On se croit fort mentalement mais j’ai chuté si vite, d’un coup, que j’ai commencé à douter de moi. C’était vraiment étrange car j’ai toujours débordé d’assurance. Quand j’ai été transféré de Roda à Vitesse, j’avais l’impression de pouvoir affronter le monde entier. Je vivais sur un petit nuage rose. J’en suis tombé brutalement. D’un coup, je n’avais plus de plaisir à aller au club, à m’entraîner, à jouer. C’est le pire qui puisse arriver à un footballeur.

éa a duré presque un an. Une saison pendant laquelle j’ai été seul. Ma fille Saar est née durant cette période. éa m’a distrait de mes soucis mais je les ramenais quand même à la maison. Sans m’en rendre compte, j’ai fait supporter mes ennuis à mon amie. Elle s’en est lassée. Elle me répondait : -Tu voulais quand même rejoindre Vitesse, non? Alors, bats-toi. J’aurais dû avoir le culot de m’adresser à Koeman, à ce moment, mais quelque chose me retenait. Etrange. A Roda, je n’hésitais pas à aller trouver l’entraîneur. Mais à Vitesse, je n’osais plus, vis-à-vis de Koeman.

Que reprochez-vous à Ronald Koeman?

Rien, au fond. Sur le plan humain, il m’a charmé. J’ai rencontré peu de gens qui, au terme d’une telle carrière de footballeur, sont restés aussi simples. Ce que je me reproche, c’est de ne pas m’être disputé avec lui. J’aurais dû taper du poing sur la table et dire: -Trainer, je ne me sens pas bien dans ma peau, je n’obtiens aucun rendement dans le système que nous pratiquons. éa a l’air simple, maintenant, mais ça représentait une fameuse démarche. Je ne dis pas que je ne sais pas faire du foin, car je me suis souvent heurté à Eric Gerets, Martin Jol et Sef Vergoossen, mais on n’entre pas aussi facilement dans le bureau de Koeman.

Tout le monde s’imagine que je suis heureux maintenant que Koeman soit à l’Ajax mais ce n’est pas le cas. Je peux le regarder dans les yeux. J’ai été parmi les premiers à lui envoyer un SMS quand on a annoncé son départ à Amsterdam. Et, après son dernier match avec Vitesse, contre Utrecht, je me suis dirigé vers lui et je lui ai dit : -Merci pour tout, trainer. Il a d’abord cru que j’étais fâché sur lui. Ce n’était absolument pas le cas. Qu’y pouvait-il si je ne m’épanouissais pas dans son système? Humainement, il ne m’a jamais déçu.

Koeman savait-il quel type d’avant il avait transféré de Roda à Vitesse?

Je pense que oui car pendant les quatre premiers mois, Amoah et moi avons été fantastiques. Les journaux parlaient d’un duo magique et j’ai marqué cinq buts en sept matches. Le tournant a été notre match à domicile contre l’Inter, en Coupe de l’UEFA. Nous menions 1-0 mais à sept minutes de la fin, l’Inter a égalisé et nous a éliminés. Depuis ce match, Koeman a joué plus prudemment, avec l’accent vers l’arrière dans l’entrejeu. Ce changement de système nous a de fait valu de bons résultats mais je me suis retrouvé trop isolé devant. Le public était mécontent et il m’a hué.

Comprenez-vous que vos propres supporters vous sifflent?

éa m’a causé des problèmes mais j’ai rapidement compris que les gens voulaient voir le Bob Peeters de Roda. Mes relations avec les supporters ont été très difficiles mais c’est le résumé de ma carrière. Partout où j’ai joué, les supporters ont dû s’habituer à moi. Maintenant, quand je retourne au Lierse ou à Roda, on déroule le tapis rouge. J’étais un dieu à Kerkrade. Vitesse m’apparaissait comme un pas en avant, financièrement et sportivement, mais j’admets avoir regretté ma décision. Un moment donné, j’aurais voulu revenir en arrière, remonter dans le temps. Mon Dieu, comme je regrettais mon choix! Si Roda m’avait demandé de revenir, j’y serais retourné les yeux fermés, à pied.

Au terme de cette saison pourrie, vous avez raté le Mondial. N’est-ce pas votre plus grande déception?

Le Mondial constituait mon grand objectif, en fonction duquel je planifiais tout. Sans cette blessure, j’aurais certainement pris l’avion à destination du Japon. Médicalement, j’étais apte à jouer. Mais je manquais de rythme.

Après coup, j’ai toutefois été heureux d’avoir raté ce rendez-vous. Mon père est subitement décédé le 6 juin. Il était bûcheron. Le câble auquel il était attaché s’est brusquement rompu, il est tombé sur la nuque et est mort sur le coup. Je n’ose pas imaginer m’être trouvé au Japon à ce moment-là. Je serais devenu fou. Je le suis devenu mais au moins, j’étais dans les environs. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je regardais France-Uruguay quand mon frère m’a appelé. Papa venait de tomber d’un arbre et était mort. Il m’appartenait de transmettre cette terrible nouvelle à ma mère. Mon petit monde s’est effondré.

Le football ne compte plus, dans ces cas-là.

Que représente encore une saison perdue à Vitesse, en effet? Ce n’est pas comparable à la mort d’un parent. Avant, quand ça arrivait à une connaissance, je trouvais ça triste mais je rentrais chez moi et je buvais une tasse de café avec mes parents. Là, c’est à moi que c’est arrivé. J’ai pensé: -Personne n’est décidément à l’abri!

A la mort succèdent les questions. J’aurais tant aimé lui dire une dernière fois que j’avais eu un chouette père, mais ce sont des choses qu’on ne dit jamais. éa ne se produit que dans les films alors que ce n’est pas compliqué à exprimer. Pourquoi ne pourrait-on pas dire à ses parents qu’on les aime? Maintenant, je me dis: -Fais-le, sinon, il sera trop tard. Programmer les événements n’a aucun sens. Mes parents venaient d’acheter une caravane. Ils voulaient l’installer sur un camping proche du club pour me voir jouer pendant la préparation.

Ah, le football… J’ai compris que tout pouvait basculer du jour au lendemain. Mon frère travaillait avec mon père, qui l’avait formé. Une semaine après son décès, il a dû retourner au bois. Ils se voyaient quatre fois par jour. Et que ressent ma mère, qui se retrouve seule, d’un coup? Je sais que mon père est heureux, même s’il est mort 30 ans trop tôt. Il avait trois superbes petits-enfants et ses deux fils avaient fait leur chemin dans la vie, chacun à leur manière. Mon père était mon ami. Parfois, nous passions trois ou quatre heures à pêcher et à parler du bon vieux temps. Perdre son meilleur ami du jour au lendemain, c’est impossible à comprendre. La vie est dure. J’ai été très déçu de rater le Mondial, mais après le 6 juin, j’ai pensé qu’il devait en être ainsi.

Croyez-vous que certaines choses soient prédestinées?

Le contraire n’est pas possible. Le fait que j’aie perdu ma forme, que je me sois blessé, la mort de mon père… J’ai vécu une année de merde et je n’en saisis pas les raisons, mais c’en est trop pour que ce soit l’effet du seul hasard. J’ai changé. Je suis maintenant plus fort. Je ne comprends toujours pas comment j’ai pu annoncer à ma mère que mon père était mort. Dans des moments pareils, on devient très fort, c’est incroyable. Et on le reste. Tout cela devait arriver. Comme il s’agissait d’un accident, le parquet a fait une descente, il a fallu organiser l’enterrement. Je n’ai pas eu le temps de faire mon deuil. Le coup vient après, à la maison. Je le ressens toujours. Je le subirai encore à la Noël. Il faut profiter de la vie. Mon père et moi avions un rêve: prendre notre pension ensemble. Moi vers 35 ans,lui à 60. Nous aurions acheté un bateau et nous aurions pêché à notre aise. Nous aurions… Je ne fais plus de projets et aucune futilité ne m’atteint plus. J’ai appris à relativiser les choses.

La vie continue.

Sans cependant être la même. Naturellement, j’ai dû continuer. Heureusement que la VRT avait entamé ses enregistrements pour le Mondial. J’ai fait l’impasse dessus pendant une semaine puis je suis revenu. J’en suis heureux car je me suis changé les idées, j’ai pu parler d’autres choses. Evidemment, l’accident continuait à me trotter dans la tête. Il ne se passe d’ailleurs pas un jour sans que je pense à mon père au moment où je me lève. Je traverse aussi de sales moments. Là, je veux être seul.

Vous reconcentrer sur le football a-t-il été difficile?

Au début, j’étais même hostile à cette idée. Mais le football a fait l’effet d’une thérapie. Il m’a permis de penser à autre chose. Mike Snoei a également parlé de ma situation avant le premier entraînement. Il a dit au groupe : -Tim Cornelisse est devenu papa, bravo, mais Bob Peeters a perdu son père. Puis, il a demandé une minute de silence. Ensuite, nous avons pu reprendre le fil de notre journée. Le geste de Snoei lui vaut mon respect car il n’oublie pas l’homme derrière le footballeur. Et après tout, ne sommes-nous pas des hommes, tous?

Martijn Krabbendam

« Je n’ai pas pris le temps de dire à mon père que je l’aimais: c’est terrible »

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