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Tom Pidcock, un gamin pas comme les autres

Aussi éclectique que Mathieu van der Poel, aussi showman que Peter Sagan, aussi consciencieux que Sven Nys, aussi ambitieux que Frank Vandenbroucke et aussi flegmatique que Bradley Wiggins. Des propriétés de grand champion qui, à 22 ans, ont permis à Tom Pidcock de gravir les échelons menant au sommet du cyclisme international. Après son titre de champion du monde de cyclo-cross et l’olympique en VTT, il s’est imposé ce jeudi au sommet de l’Alpe d’Huez, lui qui a déjà brillé sur des classiques et pourrait ambitionner un jour la quête d’un grand tour.

Après avoir remporté le titre olympique en VTT et enchaîné avec un maillot arc-en-ciel de champion du monde en cyclo-cross, Tom Pidcock, déjà vainqueur d’une belle semi-classique sur la route avec la Flèche Brabançonne en 2021, s’est imposé ce jeudi, en solitaire, au sommet de l’Alpe d’Huez. A bientôt 23 ans, le natif de Leeds à qui l’on promet aussi un destin brillant sur les grands tours s’impose comme l’autre tout-terrain du peloton aux côtés des Wout van Aert et de Mathieu van der Poel. Deux autres coureurs, eux aussi sacrés à plusieurs reprises dans les labourés. Portrait d’un showman éclectique.

Éclectique

Sixième étape du Tour de Grande-Bretagne 2018. Thomas Tom Pidcock, qui vient d’avoir 19 ans, termine sixième au sommet du Whinlatter Pass, une côte de trois kilomètres à 10%. Il n’est qu’à 21 secondes de Wout Poels et Julian Alaphilippe, et de grands noms comme Primoz Roglic, Mikel Nieve et Tejay van Garderen lui en ont concédé quelques-unes. Chez les jeunes, le citoyen de Leeds a remporté plus de 150 courses sur route, sur piste ou dans les labourés. Ses jambes, il les doit à son père, Giles, un ex-sprinteur. Mais aussi à sa mère, Sonja, qui a fait du cross-country.

Pidcock peut tout faire. Pour Geraint Thomas, il est la Britain’s next cycling superstar.

Depuis tout petit, il fait du vélo. À l’âge de trois ans, il va voir courir son père et roule le long du parcours. En 2006, lorsque Giles s’impose au sprint sous les yeux de milliers de spectateurs à l’Otley Cycle Race, une course amateur dans le Yorkshire, son fils est définitivement conquis: il sera coureur cycliste lui aussi. Il montre directement qu’il a du talent: à l’âge de sept ans, il remporte sa deuxième course, un 400 mètres contre-la-montre de la West Riding Track League.

Au cours des cinq années suivantes, Pidders (c’est son surnom) écume les pistes et les circuits d’Angleterre. Il remporte quarante courses. À l’âge de 14 ans, il ajoute 25 victoires, dont une au Lewis Balyckyi Memorial, un critérium où il affronte… des adultes. Un an plus tard, en 2015, il est autorisé à s’inscrire au development programme de la British Junior Academy. Et neuf ans après son père, il remporte à son tour l’Otley Cycle Race. « Un moment très spécial », dit-il. Cette année-là, pour s’entraîner, il prend part pour la première fois à un cyclo-cross dans les environs de Leeds, avec un VTT. Et il l’emporte. C’est le coup de foudre pour cette discipline.

Son titre olympique décroché en VTT à Tokyo l'an dernier reste jusqu'à présent sa plus belle victoire.
Son titre olympique décroché en VTT à Tokyo l’an dernier reste jusqu’à présent sa plus belle victoire.© GETTY

À partir de ce moment-là, il ne cesse de progresser. Il devient ainsi champion du monde de cyclo-cross (en Juniors en 2017 et chez les Espoirs en 2019), de VTT (Espoirs en 2019) et de contre-la-montre sur route (Juniors en 2017). Il remporte également des courses prestigieuses pour Juniors comme Paris-Roubaix et le GP Rüebliland. Entre-temps, il est aussi sacré champion national de scratch… sur piste.

En 2020-2021, il dispute sa première saison chez les pros en cyclo-cross (il donne notamment une leçon à Mathieu van der Poel à Gavere), sur la route (il bat Wout van Aert à la Flèche Brabançonne et termine deuxième derrière lui à l’Amstel Gold Race) et en VTT (avec un titre olympique à Tokyo, premier grand succès de sa carrière).

Éclectique, on dit de lui qu’il est un once in a generation rider, un coureur comme on en voit qu’une fois par génération. On le compare à Peter Sagan ou à Mathieu van der Poel, d’autres wonder boys qui, dès leur plus jeune âge, ont brillé dans plusieurs disciplines. Pourtant, Pidders n’est pas aussi athlétique que le Slovaque ou le Néerlandais: il ne mesure qu’un mètre septante pour 58 kg. Mais il est très puissant, explosif et endurant. Pidcock peut tout faire. Après sa victoire olympique à Tokyo, son coéquipier Geraint Thomas a dit de lui qu’il était la Britain’s next cycling superstar.

Showman

La scène a lieu fin 2015, quelques semaines après le National Trophy Cyclocross à Bradford. Giles, le père de Tom, envoie un mail à la rédaction du magazine britannique Cycling Weekly. En pièce jointe, une photo de l’arbre de Noël de la famille Pidcock au sommet duquel on peut voir non pas une étoile, mais une photo découpée dans le magazine. Elle montre la victoire de Tom (seize ans) à Bradford: les bras au ciel, les deux jambes parallèles, il franchit pourtant la ligne en parfait équilibre sur son vélo.

Deux ans plus tard, il fait à nouveau le show lors des championnats de Grande-Bretagne en imitant Superman: le ventre sur la selle, le bras droit tendu vers l’avant, les jambes presque au sol. Ce geste de victoire, il l’a répété à l’entraînement. Non sans se faire mal au ventre, d’ailleurs. Mais cette fois, il ne sent rien. « Quand on l’emporte on n’a mal nulle part », dit celui qui, en plus de gagner, veut conquérir le public. Et surtout faire preuve d’originalité. Il ne cherche à copier personne, même pas Peter Sagan, à qui on le compare parfois. Ce n’est pas du tout son idole. Il qualifie même le geste Chicken Run de Sagan au Tour de « stupide ». Imiter Superman, a quand même plus d’allure.

Le Britannique est un acrobate. Quand il ne prend pas trop de risques, il tire son épingle du jeu sur les circuits les plus techniques du monde. Il s’entraîne pourtant très peu, voire jamais, avec son vélo de cross. Ça ne l’empêche pas, en 2016, de remporter son tout premier cross dans le sable, à Zonhoven. « J’ai appris à rouler dans le sable ce matin, à l’échauffement », dit-il après la course.

C’est un artiste-né. À l’âge de trois ans, il roulait déjà en BMX. Il passait autant de temps sur un vélo que sur ses jambes, que ce soit dans le jardin ou dans le parc proche de la maison, avec ses amis et son frère Joe. Leur objectif: être les plus sales possible, couverts de boue. À l’école primaire, Tom faisait des trucs à vélo pour épater la galerie, au grand désespoir des enseignants.

Les wheelings à la Sagan, pour lui, c’est un jeu d’enfant: lors d’une séance photos pour le magazine britannique Rouleur, en 2017, il virevoltait sur les rochers et embrassait sa roue avant en restant sur sa selle tandis que son vélo faisait pratiquement un angle droit avec le sol. Lors de la dernière Vuelta, dans le mur de Valdepeñas de Jaén, il lâchait carrément son guidon.

Mais ce qui l’excite le plus, ce sont les descentes en VTT. Ça se voit sur les vidéos et les photos qu’il poste régulièrement sur Instagram. Dès l’âge de quinze ans, il tentait ainsi un mega jump sur le circuit des Gets. Le VTT cadre encore plus que le cyclo-cross ou le cyclisme avec son tempérament de casse-cou. Il adore aussi le ski – le champion de freestyle Candide Thovex est une de ses idoles – et n’hésite jamais à faire du hors-piste par amour du risque.

Bien qu’il dise détester frotter dans le peloton, il n’a jamais peur. Même pas après sa lourde chute lors du Tour de l’Avenir 2019, où il fut sérieusement blessé au visage. Il faut dire qu’il ne se souvient plus de rien, même si, un an plus tard, il disait sur Instagram:  » A day I will always remember. » C’était, selon lui, le crash le plus grave de sa carrière. Jusqu’à ce qu’il se fasse renverser par une voiture lors d’un entraînement à Andorre, début juin 2021, à deux mois des Jeux. Heureusement, les dégâts se limitaient à une fracture de la clavicule. C’était la première fois qu’il se cassait quelque chose. Il en rigolait car, quelques jours plus tard, sur Instagram, il publiait une photo de lui enroulé dans un emballage en plastique.

Pour Pidcock, tout doit être source d’amusement et de plaisir. Il adore courir à l’instinct.

Pour Pidders, tout doit être source d’amusement et de plaisir. Avant chaque course, il met la musique à fond et met l’ambiance. Et il adore courir à l’instinct. C’est un grand fan d’ El Pistolero, Alberto Contador. Si ça ne tenait qu’à lui, l’UCI pourrait interdire les instruments de mesure de puissance. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’a pas voulu rejoindre l’équipe INEOS Grenadiers, où tout est contrôlé, avant 2021. Mais depuis l’an dernier, l’équipe britannique se montre plus offensive.

Pidders et sa fameuse célébration Superman.
Pidders et sa fameuse célébration Superman.© GETTY

Pidcock roule parfois de façon trop irréfléchie. Comme à Milan-Sanremo l’an dernier, où il a placé une attaque stupide dans la descente du Poggio, lançant ainsi Jasper Stuyven vers la victoire. Ou comme au Tour des Flandres, où il n’a terminé que 41e. « J’en ai fait trop, mais je me suis bien amusé », disait-il. Le catenaccio, ce n’est pas pour lui. Son credo, c’est l’attaque. « Plus tard, j’aimerais qu’on dise de moi que j’étais un super gars. Mais pour ça, il faut gagner beaucoup et être spectaculaire pour attirer l’attention », disait-il en 2018 à Cyclingnews.com. Pourtant, il n’aime pas le bling-bling. C’est pour ça qu’il refuse d’habiter à Monaco. Pour lui, le show, c’est sur le vélo.

Cannibale

« Ce qu’il préfère, c’est le VTT, parce qu’il veut gagner et, en peu de temps, il a démontré qu’il était aussi fort que les meilleurs de la discipline », disait son entraîneur Kurt Bogaerts, début décembre dans Het Nieuwsblad. Le Britannique est un cannibale qui crie haut et fort ses ambitions, comme Frank Vandenbroucke en son temps. Il se demande comment on peut se contenter de la deuxième place.

C’est ainsi que lors de l’été 2017, au cours de la présentation de l’équipe Telenet-Fidea, il parlait sans détour de son grand objectif: être champion du monde en janvier 2018, pour sa première année chez les Espoirs. Il n’y est pas parvenu, mais un an plus tard, à Bogense, il battait Eli Iserbyt. Et en 2020, pour son premier championnat du monde chez les élites à Dübendorf, il décrochait immédiatement la médaille d’argent, derrière Mathieu van der Poel. Alors qu’il n’avait encore que vingt ans et demi…

Un avant-goût de ce que Pidcock veut gagner chez les pros: trois titres mondiaux dans trois disciplines différentes, de préférence au cours de la même année, afin de remplir encore un peu plus le wall of fame de la maison parentale dans le Yorkshire. À l’heure où vous lisez ces lignes, vous savez déjà s’il peut réaliser ce triplé arc-en-ciel en 2022, car le championnat du monde de cyclo-cross à Fayetteville a eu lieu après le bouclage de ce numéro. Plus tard, il y aura encore le championnat du monde de VTT aux Gets, fin août, et le mondial sur route sur le parcours pour puncheurs de Wollongong.

Entre-temps, Pidcock ne se contentera pas de moins d’une classique printanière et d’une victoire d’étape, voire de quelques jours en rose au Giro, où il aura un rôle libre. La victoire finale dans un grand tour, y compris le Tour de France, ce sera pour dans quelques années. Il veut d’abord se concentrer sur les courses d’un jour, y compris off road, ce qu’il aime le plus. Kurt Bogaerts veille à ce que Pidcock continue à prendre du plaisir, sans se brûler mentalement.

Le but ultime de son poulain reste cependant de devenir une légende du cyclisme. Très concrètement, il veut que dans une vingtaine d’années, 100% des Britanniques à qui on demandera de citer le nom d’un coureur cycliste répondent: Tom Pidcock. Pour le moment, ils ne sont que 99% à répondre Bradley Wiggins, le nom de son idole…

Forçat de l’entraînement

Pidcock aime le show, mais il vit aussi passionnément pour son métier. Il sort et boit rarement. Il ne se laisse aller qu’une fois par an, comme lors du championnat du monde 2019 à Harrogate, où le titre U23 lui a échappé de peu devant son public. Il était tellement déçu qu’il a passé la nuit à boire du gin, des mojitos et de la vodka.

Après chaque victoire, Pidcock se concentre sur l’objectif suivant. Il ne s’est accordé un peu de temps avec sa famille et ses amis qu’après son titre olympique en VTT. Pour le reste, le vélo est au centre de son existence.  » I just do what I want to do : ride my bike« , déclare-t-il à Cyclist Magazine. C’est un forçat de l’entraînement comme Sven Nys, son ex-team manager chez Telenet-Fidea. Son entourage doit plutôt le calmer que l’encourager. Ce qui lui donne le plus de satisfaction, c’est de s’entraîner sous la pluie dans le Yorkshire, de prendre une douche puis de se jeter dans le fauteuil pour suivre une série sur Netflix. « Il n’y a pas de meilleure sensation au monde », dit-il. Son père, Giles, lui a toujours dit que Winter miles, summer smiles, les kilomètres accumulés pendant l’hiver payent en été. Et quand il souffre, il pense à une autre parole de son père: Pain is temporary, victories are forever, la souffrance est temporaire, les victoires sont pour toujours. C’est aussi pour ça qu’il mord autant sur sa chique lors des courses.

Tom Pidcock en plein wheeling, le Britannique est un showman.
Tom Pidcock en plein wheeling, le Britannique est un showman.© GETTY

Depuis l’âge de dix ans, le jeune homme de Leeds ne s’imagine pas autre chose que coureur professionnel. Il n’éprouve dès lors aucune peine à se soigner et à surveiller son alimentation. Dès l’âge de 19 ans, il déménage à Menton pour pouvoir s’entraîner dans de meilleures conditions atmosphériques et en altitude. Un peu plus tard, il emménage à Andorre, loin du faste de cet autre paradis fiscal qu’est Monaco.

Pidcock ne néglige aucun détail: lors de l’été 2017, alors qu’il était toujours junior, il fréquentait déjà le tunnel à vent du fabricant de cycles Ridley afin de tester sa position en machine contre le chrono, sa combinaison et ses chaussures aérodynamiques. Ce travail de longue haleine lui a valu une médaille d’or au championnat du monde contre-la-montre à Bergen. Le Britannique accorde aussi une attention très particulière à son matériel. Avant Tokyo, sachant qu’il ferait très chaud et humide au Japon, il s’est préparé minutieusement dans une chambre à chaleur qu’il avait construite lui-même, s’entraînant sous une température de 43 degrés avec un taux d’humidité de 90%. C’était très dur, mais ça lui a rapporté un titre de champion olympique en VTT.

La victoire finale dans un grand tour, y compris le Tour de France, ce sera pour dans quelques années.

Solitaire, flegmatique et sensible

Comme Wiggins, Pidcock est rarement stressé dans les grands moments. « Beaucoup de grands champions ne savent pas ce que c’est, moi non plus », dit l’Anglais, qui admet n’avoir été nerveux qu’à deux reprises: lors du championnat du monde 2018 à Valkenburg, car il sentait qu’il n’était pas suffisamment préparé suite à sa chute à Hoogerheide ; et avant la course olympique de VTT à Tokyo, car il ne savait pas si la bonne forme qu’il affichait après sa fracture de la clavicule deux mois plut tôt lui suffirait à l’emporter. Ce fut suffisant et Pidcock fut très ému, d’autant qu’à cause des sévères mesures sanitaires, il n’a pu partager sa joie avec sa famille.

Malgré son self control, l’Anglais peut laisser libre cours à ses émotions. Y compris dans le mauvais sens du terme. Après une défaite, il est souvent de très mauvaise humeur. Ou il se replie sur lui-même, ne répondant plus que par yes ou par no aux questions des journalistes. Comme lorsqu’il a loupé le podium au championnat du monde espoirs à Harrogate. Lorsqu’une personne de l’organisation lui a appris qu’en raison de la disqualification de Nils Eekhoff, il était tout de même troisième, il l’a repoussé brutalement. Le bronze, il n’en avait rien à faire.

Il ne parle pas beaucoup aux inconnus, pas même à ses collègues. Pidcock se concentre avant tout sur lui-même, il s’accroche à ses idées. En décembre 2017, lorsque le magazine cycliste Bahamontes lui a demandé ce que son team manager Sven Nys lui avait appris, l’Anglais a répondu: « J’ai déjà oublié. J’ai tout appris par moi-même. Je dois encore m’habituer à recevoir des conseils. » C’est pourquoi, quand son coach Kurt Bogaerts lui donne son avis, il répond pratiquement toujours Why ? Chaque conseil doit s’appuyer sur des arguments solides.

Pidcock est véritablement tout-terrain. Ici, le voilà en action dans la boue lors des Mondiaux de cyclo-cross U23, au Danemark en 2019.
Pidcock est véritablement tout-terrain. Ici, le voilà en action dans la boue lors des Mondiaux de cyclo-cross U23, au Danemark en 2019.© BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

Pidcock est très exigeant, mais aussi reconnaissant et respectueux envers son entourage – on l’entend souvent dire thank you. Comme en 2018, lorsqu’il a quitté l’équipe Telenet-Fidea pour créer son propre team de cyclo-cross, TP Racing. Il a appelé personnellement Sven Nys, le directeur sportif Kris Wouters ainsi que Karen Ramakers, qui s’occupe de tous les détails pratiques, et leur a offert une bonne bouteille de whisky. De nombreuses personnes de l’entourage de Pidcock disent que, derrière son flegme et sa confiance en lui, que certains considèrent comme de l’arrogance, se cache une grande sensibilité.

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