TOLÉRANCE ZÉRO

Pierre Bilic

Le ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre tacle toutes les formes de discrimination.

Une banderole très significative orna la tribune côté terril tout au long de la rencontre Standard-Mouscron (2-0) :  » URBSFA : dénoncer le racisme, c’est bien ; le condamner, c’est mieux « . Le public des stades a-t-il pris plus au sérieux les dangers de ce cancer de la société que l’Union Belge ? Les supporters s’interrogeaient fort à propos de Roulers qui n’écopa finalement pas de la moindre sanction après les incidents racistes du match contre le Brussels le 11 novembre dernier.

Tout cela restera sans conséquences car le dossier de l’UB ne pèserait pas lourd. Etonnant car il y avait, dit-on, des images et des enregistrements sonores en suffisance afin d’étayer la gravité des faits. Le monde du football a raté une occasion d’asséner un grand coup à l’intolérance et ça n’est pas passé inaperçu aux yeux du ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, qui nous a dit :  » La lutte contre le racisme n’est pas une priorité pour les clubs « . Entouré par ses deux collaborateurs, Paul Van Tigchelt (Chef de cabinet adjoint) et Jo Van Hecke (Directeur de la Cellule football), il a avancé ses idées, actions et philosophies. Les constats sont sévères, inquiétants mais aussi porteur d’espoirs et de décisions pour l’avenir.

Les causes du problème sont connues. Le foot est une immense caisse de résonance utilisée par les extrémistes de tous poils depuis belle lurette. Ils propagent leurs idées en utilisant la popularité du sport-roi. Les conséquences peuvent être désastreuses pour toute la société.

En janvier, Dewael expédiera à tous les clubs, via l’UB, une circulaire afin de combattre toutes les expressions de discrimination, de violence et de racisme à l’encontre d’individus ou de groupes à propos de leurs race, couleur, handicap, origine, sexualité, problèmes de santé, etc. Les cris, symboles, drapeaux ou banderoles à caractères racistes donneront lieu à des procès verbaux traités par la Cellule football du ministère de l’Intérieur. Les clubs n’intervenant pas assez face au racisme et à la discrimination seront verbalisés. La circulaire s’adresse aussi à l’UB, aux arbitres, aux stewards, etc. Le cap est mis sur la tolérance zéro…

Des supporters du Standard ont visité le camp de concentration nazi d’Auschwitz-Birkenau et ils organiseront bientôt une exposition photos dans l’enceinte du stade de Sclessin : cette action cadre-t-elle avec votre philosophie ?

Patrick Dewael : De telles initiatives constituent une bonne chose. Les clubs ne doivent pas se contenter de mettre sur pied des rencontres sportives. Leur mission sociale est plus large et importante que cela. Certains clubs ont bien compris cette évidence comme le prouve l’exemple que vous citez ou Genk qui travaille beaucoup sur le thème de la multiculturalité. Le football a dès lors un apport intéressant dans le cadre du renforcement de la cohésion sociale dans les quartiers. Il s’agit d’une mission importante, éducative, même si le but des clubs n’est pas de remplacer l’enseignement. Le sport doit permettre aux jeunes d’affiner leurs valeurs et les clubs peuvent lui permettre d’élargir son champ social.

 » Le racisme n’est pas une priorité pour les clubs  »

Les clubs sont-ils intéressés par cette mission sociale ?

Quand nous avons lancé l’action Fair Play, c’était dans l’intention d’offrir un soutien financier aux clubs prenant des initiatives afin d’améliorer la sécurité dans les stades. La moitié seulement des clubs ont pris le soin de nous faire part d’un projet. Ils affirment souvent : -Nous ne pouvons pas, faute de moyens financiers, faire tout cela. Or, l’enveloppe contenant 100.000 euros (pour l’ensemble du foot belge) n’a pas été totalement dépensée, loin de là. Il reste des fonds : dommage. Il en va ainsi dans le cadre de l’action permettant aux clubs d’offrir un premier emploi à une personne £uvrant dans un projet favorisant la sécurité dans les stades. Là aussi, dans un premier temps, la moitié des clubs seulement a répondu à notre appel. Ces projets sociaux ne constituent pas leur priorité. Nous devons enfoncer constamment le même clou. Avant que la loi football ne devienne réalité, la sécurité n’était pas essentielle pour les clubs. Ils estimaient que cette responsabilité devait être assumée par le pouvoir public. Dès le début de l’application de la loi football, nous avons précisé qu’il y aurait plus de procès-verbaux mais que les clubs devaient améliorer la sécurité. La violence physique diminue mais le racisme forme de plus en plus un problème. Je songe entre autres à tous ces cris inacceptables. Et le constat est le même qu’au début de la lutte contre la violence : le racisme n’est pas une priorité.

En plus des cris et chants racistes, il y a d’autres propos dégradants : sont-ils tout aussi inacceptables ?

Dès qu’il y a méfait, il faut intervenir. On ne peut tolérer aucune attaque de racisme, xénophobie, etc. Ce problème ne sera pas résolu seulement avec une méthode répressive mais il y aura plus de procès-verbaux. Des études prouvent qu’une grande partie des spectateurs estime que les chants racistes et discriminatoires constituent un réel problème. En intervenant, nous inciterons les gens à réfléchir à propos de certains comportements. Mais, si les clubs où les faits constatés pouvaient être punis par la fédération (perte de points, matches à huis clos), les bons supporters auraient la possibilité d’exercer une pression sur les fauteurs de troubles. Ils leur expliqueraient facilement que leur comportement coûte cher à leur club. Je ne me fais pas d’illusions : des noyaux durs tenteront toujours d’exprimer leur personnalité dérangée durant les matches. Cela ne doit pas nous empêcher de prôner et d’appliquer une tolérance zéro accompagnée de projets sociaux préventifs. Pour obtenir des résultats, il ne faut surtout pas baisser les bras en se disant que le mal ne peut pas être totalement déraciné.

Des propos de Mohammed Lashaf, repris dans ce dossier, et des études prouvent que le racisme fait des dégâts de plus en plus visibles dans les séries inférieures et les championnats de jeunes : que faire ?

Il faut prendre les mêmes mesures, à travers tous les championnats. La circulaire ministérielle qui permettra de mieux combattre le racisme peut être adaptée en grande partie aux petits clubs. On ne peut prévoir un service de police pour chaque match de divisions inférieures mais les arbitres ont des responsabilités importantes. La fédération assume un rôle décisif avec l’apport des arbitres. Depuis 2003, l’UB a communiqué des directives arbitrales mais elles ne sont pas toujours mises en pratique, certainement pas dans les séries inférieures. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme aimerait conseiller les arbitres. Mais, dans un premier temps, ils n’ont pas prêté oreille à cette idée : c’est hallucinant. Cela a coûté du temps et de l’énergie avant d’obtenir un rendez-vous avec les responsables des arbitres. Le Centre pour l’égalité des chances a alors eu un quart d’heure afin de présenter son projet. Cela prouve que ce combat ne constitue pas leur priorité. La réaction de Jean-Marie Philips, le président de la Ligue Professionnelle n’est pas encourageante non plus. Il affirme : -Nous ne pouvons pas établir les faits de racisme car nous ne sommes pas le parquet. Or, notre circulaire explique clairement que les troubles peuvent aussi bien être relevés par les arbitres que par la police et les représentants de la Cellule football du ministère de l’Intérieur. On peut utiliser les images de la surveillance vidéo. Les stewards ont la possibilité de signaler des faits à la police. C’est une chaîne qui, si chaque maillon fonctionne, offre la possibilité de lutter contre le racisme même dans les divisions inférieures. Si tout le monde en fait une priorité.

 » Pourquoi ne pourrait-on pas expulser le racisme des stades ? »

Si les arbitres et la Ligue Professionnelle ne bougent pas assez, relevez-vous assez de soutien de la part de l’UB ?

Nous avons eu un entretien très positif avec François De Keersmaecker, le président de l’UB. Il m’a cependant affirmé que notre action  » Ne faites pas le singe  » a eu un effet contraire. S’il en va ainsi, c’est certainement une raison de continuer, d’accentuer nos efforts. Si une campagne positive est mal interprétée dans certains cas, c’est la preuve que des groupes ne sont pas sensibles à la prévention. Dès lors, il faut passer à autre chose et la loi football permet de le faire. Pourquoi ne pourrait-on pas expulser le racisme des stades ? Nous en avons bien rejeté la violence physique. Il faut intervenir avec uniformité. Je suis optimiste malgré les réactions négatives de Monsieur Philips et d’un certain nombre d’arbitres. J’ai également eu beaucoup d’appréciations positives. La circulaire bénéficie d’un large soutien politique et social. Nous n’exagérons pas. En Allemagne et aux Pays-Bas, entre autres, les autorités travaillent dur aussi afin de combattre le racisme dans les stades.

Pouvez-vous obliger l’U. B. à faire plus d’efforts dans cette lutte ?

Si cette collaboration ne se manifeste pas, et rien n’indique pour le moment qu’il en sera ainsi, il nous reste l’article 55 du code disciplinaire de la FIFA, repris dans le règlement de l’U.B. Nous demandons à la fédération d’appliquer ce règlement. Ce n’est pas un secret : la FIFA se montre critique à l’égard de l’UB car elle estime, en regard avec ce qui se passe dans d’autres pays, que les initiatives devraient être plus nombreuses ici. Donc, en cas de mollesse de l’UB, nous pourrions demander l’aide de l’UEFA ou de la FIFA pour mener la lutte contre le racisme.

Combien de sanctions pour faits de racisme ont été prônées par la Cellule football ?

Cinq par saison. Ce n’est pas beaucoup et cela explique l’existence de la circulaire. Nous avons défini les possibilités de sanctions mais il faut recevoir des procès-verbaux. Les peines sont sévères. La dernière le prouve : interdiction de stade d’une durée de neuf mois, amende de 500 euros. Ce jugement concernait un supporter du Beerschot qui s’est tristement distingué par le salut hitlérien.

Les stewards et les policiers sont-ils suffisamment formés afin de lutter contre le racisme dans les stades ?

Une convention a été signée il y a trois ans par le Centre pour l’égalité des chances et le ministère de l’Intérieur. Des modules de formation ont été définis pour les policiers s’occupant de football, les spotters (agents de police en civil), les responsables de la sécurité et les stewards. Ces derniers ont aussi des modules d’experts. Les problèmes commencent souvent dans des endroits bien précis d’un stade. Les experts entrent alors en ligne de compte. Tous les maillons de cette chaîne ont donc été formés. Qu’est-ce que le racisme ? Comment peut-on agir de manière préventive et répressive ? Quelles sont les conséquences ? Nous n’attendons plus que l’autorisation de proposer un module de formation aux arbitres.

 » Nous aiderons les clubs qui feront des efforts pour lutter contre le racisme  »

N’y a-t-il pas une grande différence de tolérance entre les différentes forces de police constatant des cris racistes ?

Je n’exclus pas qu’il faudra faire un effort dans certaines zones. Mon ambition est de mettre sur pied un système obligeant les clubs à prendre leurs responsabilités. La facture en matière de sécurité a fortement diminué ces dernières années. Elle s’élève désormais à 3,75 millions d’euros au lieu de cinq millions en 2000-2001. Cela représente une diminution de 25 % par rapport à 2003-2004 et c’est le montant le plus bas depuis 1991-1992. Les statistiques prouvent que la violence a légèrement baissé. On verbalise plus. Il y a deux ans, il y a eu 600 interdictions de stade et un total d’amendes s’élevant à 277.675 euros. L’année dernière, ces chiffres étaient de 977 interdictions de stade et 484.175 euros d’amendes. Cela ne signifie pas qu’il y a plus de méfaits mais que les interventions sont plus sévères.

Quelles actions attendez-vous de la part des clubs ?

Nous aiderons les clubs qui feront des efforts pour lutter contre le racisme. Nous nous réunissons régulièrement avec les clubs et, au début 2007, nous rencontrerons les responsables de la sécurité et les clubs de supporters, à part, afin de relever leur problématique. Dès que tout le monde aura eu le temps de mettre en pratique les directives de la circulaire, il faudra prendre le temps de bien se regarder dans les yeux. Il faut changer les mentalités : c’est le plus difficile à faire.

PIERRE BILIC

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